DE LA FRANC-MAÇONNERIE UNIVERSELLE
Les indiens KWAKIUTL (Colombie britannique) amassent des richesses pour les détruire
(POTLATCH) alors que pour les indiens ZUNI (Nouveau Mexique), le pouvoir et le
commandement est pure folie : pour faire de quelqu’un le chef de tribu il faut le battre jusqu’a
ce qu’il accepte : comme quoi l’argent et le pouvoir ne semblent pas bénéficier d’attraits
universels.
La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, par ailleurs, est battue en brèche
dans beaucoup de pays pour lesquels « l’occidentalocentrisme » de sa rédaction est
problématique, d’où ce relativisme qui s’oppose à cette notion d’universelle si chère aux
Francs Maçons puisqu’elle est affirmée, dans notre rituel du REAA, lors de l’ouverture et la
fermeture des travaux mais aussi lorsque le V M crée, constitue et reçoit l’apprenti sans
omettre, enfin, ce que ce dernier répond, lors de l’instruction 1er degré, aux questions posées
sur la forme et les dimensions de la loge : carré long, de longueur orient à occident, de largeur
septentrion au midi et hauteur nadir au zénith : que ces dimensions signifient que le Franc
Maçonnerie est universelle
Universelle : voilà un concept qui interpelle !
La répétition de mots énoncés dans notre rituel (comme dans tout autre d’ailleurs) est telle que
leur signification parait évidente alors qu’il n’en est rien !
Les mots, comme les outils mis à notre disposition, sont des symboles.
Des symboles d’autant plus redoutables que leur pétition les rend si familiers que la
tentation est grande de ne point les étudier parce qu’on croit en connaitre la signification.
« Universel » comme « Vérité » ou « Spirituel », par exemple, font partie de ces mots à
aborder, faute de quoi le risque existe de pervertir cet indispensable socle de compréhension
minimale commune pour pouvoir espérer partager nos réflexions ; en d’autres termes parler
un même langage.
En effet, le langage, succession de mots ordonnés par la syntaxe, me semble constituer une
prison si les clés ne sont pas données permettant à l’écoutant d’accéder à la signification
profonde de la pensée du locuteur et, donc, d’ouvrir sur un véritable échange ou partage.
La sémantique est l’une des réflexions premières des Maçons ! A cet égard, le Franc Maçon,
homme de doute mais non sceptique, résistant actif positif, se doit de toujours se questionner.
Ceci étant dit, la Franc Maçonnerie peut-elle se targuer d’être universelle ?
Si oui, pourquoi ?
Il faut donc en passer par les acceptions qu’en donnent les dictionnaires.
Comme à l’accoutumée, des glissements sémantiques ont existé au cours du temps pour
définir l’universel : il s’agit d’y voir plus clair et de n’en retenir qu’une avec le souci que ce
choix ne distordra pas la suite de mes réflexions.
Universel, emprunté de latin « universalis », signifie relatif « au tout » ou « dont la juridiction
(ecclésiastique) s’étend de droit à la terre entière ».
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Au cours du 15ème siècle, il est signalé « l’univers des hommes », c’est-à-dire « l’humanité
entière » ou encore qui concerne la « totalité des hommes ».
Puis, au 17ème siècle, en logique, l’adjectif s’applique à ce qui « concerne l’univers : le
cosmos tout entier » puis ce qui s’applique à ce qui « s’étend à la surface de la terre, en
particulier les réalités matérielles et morales ».
En laissant de côté les lois physiques ou chimiques, l’on peut, sans risque de se tromper,
considérer que le terme Universel définit l’Humanité dans son ensemble; les dimensions
cosmiques du Rituel, du moins dans le REAA, ouvrant sur le principe créateur de l’Univers
(incluant ainsi notre Terre).
La Franc Maçonnerie Universelle servirait donc l’Utopie de la construction d’une Humanité
autre, du moins c’est ce qu’elle affirme.
Il s’agit d’une ambition qu’elle partage d’ailleurs avec d’autres religions comme, en
particulier, celle catholique ; ce terme voulant dire « universel » ou « général » ainsi que
nombre d’idéologies (communisme).
Si la Franc Maçonnerie se qualifie comme universelle c’est donc qu’elle possèderait cette
faculté, de par ses Constitutions, ses Rituels et sa méthode d’être acceptable par tous les
Hommes et d’être, par conséquent, en adéquation avec la Nature Humaine.
Cette profession de foi mérite une analyse !
Les Anciennes Obligations, qui remontent à 1722, considérées par toutes les Obédiences,
dont la nôtre, comme la Loi Fondamentale de la Franc Maçonnerie Universelle, qui sont une
sorte de Code de Conduite, fournit un premier élément important sur l’ambition Universelle
de la Maçonnerie dans son premier Chapitre intitu : Concernant Dieu et la Religions. :
(…) Quoique dans les Temps anciens les Maçons fussent astreints dans chaque pays
d’appartenir à la Religion de ce Pays ou de cette Nation, quelle qu’elle fût, il est
cependant considéré maintenant comme plus expédient de les soumettre seulement à
cette Religion que tous les Hommes acceptent, laissant à chacun son opinion
particulière, et qui consiste à être des Hommes bons et loyaux ou Homme
d’Honneur et de Probité, quelles que soient les Croyances qui puissent les
distinguer ; ainsi la Maçonnerie devient le Centre d’Union et le Moyen de nouer une
véritable Amitié parmi les Personnes qui eussent demeurer perpétuellement
éloignées. »
Le chapitre premier de la Constitution de notre Obédience qui en découle, semble moins
explicite quoique plus ambitieux dans ses objectifs que ce qui précède, en énonçant
notamment :
La Franc Maçonnerie est un ordre initiatique traditionnel et universel fondé sur la
Fraternité.
Elle constitue une alliance d’hommes libres et de bonnes mœurs, de toutes races, de
toutes nations et de toutes croyances.
La Franc Maçonnerie a pour but le perfectionnement de l’Humanité »
Affirmer un universalisme basé sur l’indifférence vis-à-vis des races et des origines ainsi que
sur la neutralité à l’encontre des croyances me semble donc consister à privilégier l’innée de
la nature humaine, sa naïveté originelle en quelque sorte, en occultant donc certains acquis
culturels.
C’est la seule façon, assurément, par le recours à la raison, de favoriser la prise de conscience
de l’appartenance au tout cosmique en même temps qu’à la communauté humaine. Cette prise
de conscience combine un oubli certain de soi à la reconnaissance de l’autre (comme alter
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ego). Il s’agit d’un dépassement qui ouvre donc sur l’universel de la nature humaine et qui,
de ce fait, autorise l’avènement de l’altérité, précurseur de la Fraternité.
Mais cette considération, voire cet Amour de l’Autre, est-il susceptible d’être accepté par tous
et si oui pourquoi et comment ?
Corollaire de ce sentiment apparait l’amour de la Justice et de la Beauté ; signes de
l’harmonie entre les hommes.
Là, me semble-t-il, réside le cœur de l’universalisme de la Franc Maçonnerie !
Il faut donc que je me risque à tenter de circonscrire ce que les hommes ont en commun et
qu’ils partagent afin de constater si la Maçonnerie, qui met l’homme au centre de ses
préoccupations, peut effectivement être qualifiée d’universelle puisqu’elle pourrait les séduire
et mieux : les satisfaire tous.
Rien, tout d’abord, ne différencie un homme d’un autre si ce n’est, mis à part son apparence et
son capital génétique qui sont, en l’occurrence, d’importance secondaire, la culture dans
laquelle il a baigné depuis sa naissance.
Chaque homme, toutefois, recherche le bonheur, qui peut bien sûr différer d’un individu à
l’autre sur l’accessoire mais non sur l’essentiel que je qualifierais de « sentiment de
plénitude » auquel il aspire.
Il tente, aussi, d’une manière ou d’une autre, tôt ou tard, de s’affranchir de l’angoisse que
suscite la conscience qu’il a de sa finitude, c’est-à-dire de l’inéluctabilité de sa mort, en
essayant de donner un sens à sa vie.
A cette fin, nombre d’entre eux restent fidèles à la religion, au sens classique du terme, dans
laquelle ils ont été élevés et qui leur offrira une voie toute tracée, pré-jalonnée, reposante,
alors que d’autres opteront pour une autre voie, peut-être plus ardue, comme la nôtre par
exemple.
A cet égard, les premiers n’auront qu’à respecter des préceptes préalablement élaborés sans
trop se poser de questions de nature existentielle alors qu’il en va autrement pour les seconds
ainsi que vous le savez, pour lesquels le souci de la « bonne vie » construire, celle-là,
personnellement) prend le pas sur la crainte de la mort, les conduisant dès lors à envisager de
s’engager sur la voie de l’indifférence vis-à-vis de l’éphémère, du factice et de tout ce qui
brille.
En outre, certains enrichissent cette recherche du bonheur, qui peut se mesurer à la sérénité
qu’ils éprouvent de leur vie au quotidien ; sérénité qui implique d’être en paix avec soi-même
et avec les autres, par un engagement, surérogatoire, de faire du bien.
Tous les hommes sont également susceptibles de penser par eux-mêmes. Il s’agit de
l’universalisme de la raison propre à notre espèce, et, notamment, celui de s’ouvrir à
l’abstraction rationnelle pour autant que l’accès leur en soit indiqué et qu’ils soient
encouragés; ce qui est une gageure d’importance.
Mais pas de possibilité de penser de manière autonome sans liberté personnelle et sans un
accès minimal au savoir.
La réduction de l’ignorance est, hélas, loin d’être largement répandue de par le monde et
constitue de ce fait l’enjeu majeure pour espérer aboutir à cette liberté essentielle (p.m. : la
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suppression de l’étude de certains aspects de la philosophie en Iran ou les fanatismes
religieux…).
Pour ce faire, comme le remarquait Guy de Maupassant, il faudrait, pour les hommes, « qu’ils
se déshabituent à ne se servir de leurs yeux qu’avec le souvenir de ce qui a été pensé avant
eux » ce qui leur permettrait d’avoir un regard nouveau, naïf même selon Bergson, sur ce qui
les entoure afin qu’ils sachent où ils se situent.
Alors, immanquablement, dépouillés des béquilles qui leur ont été fournies, ils devraient être
submergés parce que Romain Rolland qualifiait de « sentiment océanique » (sentiment qui ne
cesse d’ailleurs de me submerger tant est infinie la complexité du cosmos) et qui est cet
émerveillement vertigineux face au cosmos, cette impression au sens propre, cette conscience
aigue, de n’être qu’une partie infime d’une réalité immense et mystérieuse qui engendre un va
et vient, quasiment enivrant, entre eux-mêmes et l’Univers qui les englobe tout en les
pénétrant.
Dans cette conscience du tout, émergera naturellement celle, particulière, de l’autre et avec
elle la naissance de l’altérité non limitée aux plus proches bien sûr (comme déjà évoqué ci-
dessus).
C’est là que se trouve, pour chaque homme, la confluence de sa conscience d’être, c’est-à-dire
l’expression de son individualisme, avec celle des autres, autrement dit du collectif, qui ouvre,
et je me répète, sur l’amour de la Justice et par conséquent du Beau.
La recherche de la « bonne vie » et celle du bonheur apparaissant être partagés par tous les
Hommes, n’est-il pas dès lors évident que la Franc-Maçonnerie en général, et le REAA, en
particulier, offrent, et la méthode, et les outils adéquats à cette fin ?
A ce stade de mes réflexions, j’ai fait une découverte inattendue lors des lectures que j’ai
faites pour rédiger cette planche car, ainsi que je l’ai affirmé à de nombreuses reprises dans ce
Temple, ayant la conviction de ne pas être omniscient, l’expérience d’autres, plus affûtés que
moi, m’est indispensable pour progresser.
Dans notre région en général et dans notre pays en particulier, la religion au sens
conventionnelle du terme, depuis plusieurs siècles, ainsi que des idéologies depuis quelques
décennies, ont occulté cet héritage fabuleux et cette pratique antique (ordinaire à l’époque
chez les érudits) que constituaient les exercices spirituels dont la finalité étaient de privilégier
le bien vivre au quotidien et dont certains aspects ont d’ailleurs profondément marqué le
catholicisme comme par exemple, l’oubli du corps et la souffrance christique.
Pierre HADOT, spécialiste de la philosophie antique et que je vous conseille de découvrir,
remarque : « Affirmer qu’il y a des attitudes universelles, cela suppose quelque chose comme
l’idée d’une nature humaine » (quelle délicatesse de pensée !).
Et de poursuivre en précisant « qu’il y a finalement assez peu d’attitudes possibles vis-à-vis
de l’existence et sans avoir subi d’influence d’ordre historique, les diverses civilisations sont
amenées à avoir, à cet égard, des attitudes analogues ».
Puis de conclure après brièvement évoquer la Grèce, la Chine et l’Inde anciennes : « Cette
idée d’une universalité des attitudes spirituelles (prises ici au sens de la réflexion rationnelle)
peut aussi se situer dans la perspective de l’effort pour gager de sa gangue mythique et
traditionnelle l’essentiel d’une attitude, d’un choix de vie.» ; celui, en particulier, de
s’affranchir en permanence de la dualité des contraires pour aboutir à la sérénité de
l’harmonie.
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L’utopie de la Franc Maçonnerie puiserait donc, selon moi, ses racines dans l’antiquité
grecque (mais analogie en Inde ou en Chine), au cours de laquelle des réponses analogues ont
été proposées à l’interrogation et à l’angoisse des hommes afin qu’ils vivent bien (ce qui n’est
pas étonnant puisque la philosophie n’étant pas une science, elle n’a pas à progresser mais à
veiller à ce que perdurent le questionnement sur la vie qui est aussi ancien qu’on puisse le
savoir).
Bien entendu, les obstacles de nature culturelle, cultuelle et idéologique qui se sont construits
au fil du temps peuvent apparaître comme insurmontables si la lutte contre l’ignorance ne
perdure pas.
Néanmoins, comme nombre d’hommes de bonne volonté existent, mais qui ne sont pas
forcément maçons, il serait souhaitable de tisser des liens avec eux pour maintenir vivace
cette lutte en s’assurant, bien sûr, qu’ils partagent cet idéal de contribuer au progrès de
l’humanité (les bouddhistes ne disent-ils pas qu’il y a plusieurs chemins pour atteindre le
sommet de la montagne).
Mais, hélas, ce triste constat doit être fait que cette réunion d’hommes de bonne volonté
devrait commencer par l’action de fédérer toutes les obédiences maçonniques elles-mêmes, ce
qui est une gageure !
La lutte contre la dispersion et la division doit être poursuivie avec courage et pugnacité.
Bien maladroitement et, surtout, de façon bien incomplète, mais le sujet est tellement vaste, je
pense avoir montré que la Franc Maçonnerie en général et la GLDF en particulier peuvent en
effet être qualifiées d’Universelles en remarquant, néanmoins, que cet universalisme reste une
potentialité tant que rien d’envergure ne sera fait pour l’attester.
Vous m’autorisez maintenant à vous faire part de quelques réflexions de deux philosophes
contemporains ; Elizabeth BADINTER et Luc FERRY, remontant à mi octobre 2010.
A la question de savoir ce qui va dominer le débat intellectuel des prochaines années,
Elizabeth BADINTER indique que ce sera sans doute celle de l’universel (car il importera,
notamment, d’éviter le choc des civilisations)!
Quant à Luc FERRY, il défend la « révolution de l’Amour »(sentiment universel, je crois),
arguant qu’il y a deux âges de l’humanisme : le premier, celui des Lumières, est un
humanisme des droits et de la raison, plus républicains que démocrates ; le second,
l’humanisme de l’Amour, au moins autant que de la raison et du cœur autant que des droits.
Vous conviendrez, mes Très Chers Frères, que la Franc-Maçonnerie a réussi, depuis plus de
deux siècles maintenant, à proposer aux Hommes cette extraordinaire synthèse de la Raison et
de l’Amour qui caractérise l’universalité de l’espèce humaine !
La Franc-Maçonnerie est bien, selon moi, une philosophie existentielle qui se vit au quotidien
et non une philosophie sur l’existence qui ne se réduit qu’à des discours.
Et cette prégnance de la bonne vie au quotidien tout au long de la vie l’emporte, grâce au
REAA, sur la promesse d’une rédemption dans l’au-delà.
J’ai dit, aujourd’hui !
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