L’organisation spatiale et les dimensions moyennes d’une telle église convenaient
idéalement à une décoration picturale qui révélait la nature hiératique et immuable du
cosmos chrétien. S’exprimant par excellence dans la mosaïque, cette décoration consistait
en deux éléments : une disposition hiérarchique de figures, commençant avec le Christ dans
la coupole et la Vierge Marie dans la demi-coupole de l’abside, se poursuivant avec la
représentation des archanges, des prophètes, des apôtres, des Pères de l’église et autres
saints ; puis un cercle d’images narratives décrivant les principales fêtes du calendrier
chrétien, depuis l’Annonciation jusqu’à l’Ascension et la Dormition de la Vierge. Placées sur
un fond de tesselles dorées, ces figures semblaient habiter l’espace réel de l’église et
converser les unes avec les autres. La hiérarchie céleste, telle que les textes sacrés la
décrivaient, y était respectée (fig. 12, 13, 14).
À partir du XIe s. on distingue un affinement et un approfondissement du sentiment
religieux. Les troubles politiques intestins ne sont peut-être pas étrangers à cette tendance,
ni surtout la conscience d’un déclin du pouvoir. Cet affaiblissement de la puissance jusque-là
indiscutée de l’empire d’Orient provoque un repli sur soi et de doutes, et crée un terrain
favorable pour une expérience de la doctrine et de la vie chrétiennes ancrées sur des
valeurs humaines.
Le divin revêt davantage les traits de l’humain, sans perdre pour autant sa
transcendance. L’image du Pantocrator prend une intensité absolument nouvelle. Jusqu’ici
elle constituait un « portrait », objet du regard et auquel la foi reconnaissait une valeur de
présence. Maintenant elle occupe volontiers les parties hautes de l’église : désormais c’est le
regard du Christ qui plonge dans celui des fidèles. L’espace est inversé : il n’est plus au-
delà, mais au-devant du Christ et du côté du spectateur, qui s’y trouve ainsi englobé. De
regardé le Pantocrator est devenu regardant : cette fois la présence émane de l’expressivité
de l’image. Ainsi, à cette époque, le regard du Christ (qui désormais s’adresse au spectateur
et tisse des liens avec lui) est direct et impose par lui-même sa présence.
L’ampleur de ces images, qui emplissent le centre des absides ou le fond des
coupoles accentue la prégnance du personnage sacré. On a un exemple dans l’église de
Daphni, datant du XIIe s. (fig. 15). L’attitude hiératique du Christ est animée par les traits
marqués du visage et le regard intense, empreint de solennité. Le résultat est rendu plus
impressionnant avec le savant jeu des plis sous lesquels on devine le corps, tandis que la
divinité est exaltée par le fond doré, repris parfois explicitement par le texte inscrit dans le
livre ouvert que tient le Christ : « je suis la lumière du monde ». Ainsi la mystique exprimée
dans les écrits bibliques ou théologiques est à l’origine de l’inspiration artistique. Ce qui est
dégagé de l’ensemble, c’est la sérénité de l’éternel.
Une attitude d’attention et de tendresse, certes atténuée, marque une enluminure des
Homélies de saint Jean Chrysostome (Paris, BNF, ms. Coislin 79, f°2v, v. 1074-1081) (fig.