Cours 1 - Hida Paris X

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Spécificités de l’art et de la culture byzantins
L’art de Byzance ainsi que la culture et l’histoire byzantines nous sont moins connus
que ceux occidentaux. Byzance (fig. 1, 2, 3) est parfois considérée « marginale » pour le
développement du patrimoine culturel européen : toutefois les interactions entre les
intellectuels et les artistes byzantins et leurs voisins ont eu des incidences non négligeables
sur le façonnement de k’art médiéval mais aussi moderne.
Tous les édifices sacrés étaient conçus, construits et décorés en tant qu’enveloppes
communes de l’assemblée des fidèles. Les fresques, les mosaïques, les icônes portatives,
les livres et les ornements liturgiques entouraient les hommes d’une imagerie prégnante qui
s’étendait sur presque toutes les surfaces et endroits de l’église. Pour les Byzantins l’art
religieux tirait son pouvoir de la présence du sacré.
Étant donné que le pouvoir impérial était avant tout théocratique, dans l’art byzantin
le rôle du portrait (imago) de l’empereur, héritage des traditions antiques, fut transféré à celui
du Christ. Plus d’une évocation, l’image de l’empereur actualisait, sans que lui-même soit
physiquement présent, son pouvoir pour l’accomplissement d’actes relevant de ses
fonctions. Les représentations impériales devenaient donc des présences par image
interposée. De la même manière, la « portrait » du Christ actualisera désormais sa présence
et sa victoire d’ordre spirituel. C’est la base de la conception chrétienne orientale de l’image
sacrée, de l’icône, qui domina dans l’empire d’Orient.
C’est pour cela que de règle générale les innovations dans l’organisation de la
représentation picturale n’étaient pas souhaitées : seule la fidélité à la représentation
traditionnelle des personnages sacrés pourrait assurer la pérennisation de leur identité et
que représentations-présences du prototype. Ainsi, à travers les images, le fidèle
communiait directement avec le sacré.
Premiers siècles de l’art byzantin
Depuis le VIe s. l’art byzantin n’a pas laissé in différent le monde occidental. Mais
entre le VIe et le XVe s., avec la chute de Constantinople, les éventuels impacts artistiques
ou même la réception des œuvres d’art byzantins se doivent d’être mis en perspective avec
le contexte historique de ces siècles.
Pendant les VIe –VIIe s. les épicentres de l’influence byzantine étaient Rome et
Ravenne. Dans la première, entre 606 et 741, non moins de treize pontifes étaient grecs ou
syriens. Le seconde était le chœur du pouvoir impérial oriental en Occident.
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Tout comme les textes sacrés et la liturgie, mais de mais de manière beaucoup plus
immédiate, l’image conduisait le fidèle vers son accomplissement spirituel. L’expression
« beauté absolue » et les mots « beauté » et « lumière » sont parmi ceux qui reviennent le
plus souvent dans les écrits des Pères de l’Église. Pour eux la beauté sous-entend l’ordre et
la forme harmonieuse par opposition au désordre et à l’informité qui désignent l’inexistence.
La lumière est ressentie comme une émanation divine : l’homme est capable de la
percevoir par ses sens et elle lui offre un avant-goût de la splendeur céleste.
À partir du Ve-VIe s. la figure humaine est traitée de manière différente : les
personnages, notamment ceux qui revêtent une sacralité, sont représentés frontalement, afin
de recevoir la vénération des fidèles et d’établir un contact direct avec eux (fig. 4). Dans les
scènes narratives le trois-quarts est accepté mais rarement de profil : celui-ci interrompt le
contact avec le spectateur.
Le visage est dématérialisé, les yeux, placés sous des sourcils marqués et arqués,
s’agrandissent et leurs pupilles noires et fixes expriment une intériorisation du sentiment
religieux. De manière générale on conserve l’harmonie des visages antiques mais les traits
s’affinent davantage afin d’estomper toute trace de sensualité.
Le corps change de proportions par rapport aux canons de l’art classique. Il devient
plus long et plus mince tandis que les têtes, les pieds et les mains se font désormais plus
petits. Les volumes s’effacent et le modelé, le relief des formes, est simplifié, schématisé.
Ainsi les figures s’aplatissent et sont surtout définies par des contours appuyés. Souvent
même, les corps se devinent sous les plis des drapés ou même disparaissent derrière les
vêtements rigides.
San Vitale de Ravenne (fig. 5, 6, 7, 8, 9) progressa sous les évêques Ursicinus (534536) et Victor (538-545), dont les monogrammes apparaissent sur les impostes des
chapiteaux, et l’église fut dédicacée par l’évêque Maximien en 547. Le plan fondamental de
San Vitale est byzantin. La même influence se décèle dans le travail du marbre, en
particulier les colonnes, avec leus chapiteaux en cônes tronqués de divers ordres et leurs
bases octogonales, dont certains éléments portent même les marques de maçons grecs. La
maçonnerie en brique des murs est également conforme à l’usage byzantin : nous trouvons
ici, comme dans d’autres édifices du VIe s. à Ravenne de minces briques séparées par des
joints de mortier d’une assez grande épaisseur, au lieu de la petite brique épaisse qui
prévalait dans l’Italie du Nord.
Seul le chœur et l’avant-chœur ont conservé un décor en mosaïque qui met en valeur
l’enveloppe architecturale de cette partie par excellence sacrée de l’édifice. À cet endroit la
coupole est ornée en son milieu de l’Agneau mystique, symbole de la Passion et par
extension du mystère de l’Eucharistie qui se déroulait en bas : un lien est donc établi entre la
terre et le ciel.
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À première vue on est ébloui par la luminosité des couleurs mais aussi un peu
déroutés par la dispersion des panneaux figuratifs ou des sujets logés dans les écoinçons
des arcades. Mais en étudiant l’ensemble une hiérarchie et une symétrie apparaissent. Dans
l’abside, au dessus d’une large plinthe décorative aux couleurs vives (qui reprennent celles
du sol) un panneau latéral montre l’offrande de la patène du Saint sacrifice par Justinien et
sa suite qui semblent s’être arrêtés en face de l’autel. Près de l’empereur, à sa gauche, se
tient l’évêque de Ravenne Maximien. Ces deux personnages sont entourés par des
dignitaires et, à droite, d’une escorte munie d’un bouclier orné du chrisme. En face de
Justinien se trouve Théodora et sa suite. Les deux empereurs se dirigent vers le Christ qui
domine l’abside assis sur la sphère céleste.
En connaissant le symbolisme hiérarchisé des décors byzantins, l’emplacement du
couple impérial dans la partie la plus sacrée de l’édifice, près du Christ, souligne davantage
encore le caractère théocratique de l’empire de l’Orient et de l’art qui en émanait. De même,
la représentation des rois mages sur l’habit de Théodora constitue un lien implicite entre le
couple impérial et la lignée biblique des rois, étroitement associés au personnage du Christ.
On constate donc que toutes les scènes ont un poids symbolique intimement lié au
caractère sacré de cet endroit de l’église. La Passion triomphante est suggérée aussi par les
anges qui portent le croix au-dessus des absides ; quant aux motifs décoratifs, ils
enrichissent davantage l’ensemble. Justement cette prolifération de couleurs et la variété
des représentations et des décors confèrent une universalité à cette partie de l’édifice
magnifiée par la lumière très vive, symbole de la Lumière éternelle. Ainsi à San Vitale on
retrouve la cohabitation de la tradition classique (limitée désormais aux éléments décoratifs)
et de l’hiératisme byzantin souligné par la frontalité des figures. En ce qui concerne Justinien
et Théodora, cette frontalité accentue la magnificence du couple impérial qui s’assimile
implicitement aux autres personnages du royaume divin : il est donc suggéré que ces
empereurs font eux aussi partie de ce royaume.
Création artistique de la période byzantine moyenne (VIIIe-XIIe s.)
Le principal apport de la période byzantine moyenne consiste en l’élaboration d’un
type d’église qui fut à sa manière parfait : jamais très vaste, et de fait trop petite parfois, car
elle n’était pas destinée à un nombreux public (fig. 10, 11).
L’espace intérieur était centripète plutôt qu’orienté comme dans la basilique, et il était
hiérarchiquement organisé : commençant avec la coupole, il descendait vers les voûtes, se
déployait dans l’abside et finissait par toucher le sol. Cette hiérarchie était soulignée par les
corniches de marbre qui séparaient les trois zones principales constituées par : la coupole,
les voûtes et les murs verticaux.
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L’organisation spatiale et les dimensions moyennes d’une telle église convenaient
idéalement à une décoration picturale qui révélait la nature hiératique et immuable du
cosmos chrétien. S’exprimant par excellence dans la mosaïque, cette décoration consistait
en deux éléments : une disposition hiérarchique de figures, commençant avec le Christ dans
la coupole et la Vierge Marie dans la demi-coupole de l’abside, se poursuivant avec la
représentation des archanges, des prophètes, des apôtres, des Pères de l’église et autres
saints ; puis un cercle d’images narratives décrivant les principales fêtes du calendrier
chrétien, depuis l’Annonciation jusqu’à l’Ascension et la Dormition de la Vierge. Placées sur
un fond de tesselles dorées, ces figures semblaient habiter l’espace réel de l’église et
converser les unes avec les autres. La hiérarchie céleste, telle que les textes sacrés la
décrivaient, y était respectée (fig. 12, 13, 14).
À partir du XIe s. on distingue un affinement et un approfondissement du sentiment
religieux. Les troubles politiques intestins ne sont peut-être pas étrangers à cette tendance,
ni surtout la conscience d’un déclin du pouvoir. Cet affaiblissement de la puissance jusque-là
indiscutée de l’empire d’Orient provoque un repli sur soi et de doutes, et crée un terrain
favorable pour une expérience de la doctrine et de la vie chrétiennes ancrées sur des
valeurs humaines.
Le divin revêt davantage les traits de l’humain, sans perdre pour autant sa
transcendance. L’image du Pantocrator prend une intensité absolument nouvelle. Jusqu’ici
elle constituait un « portrait », objet du regard et auquel la foi reconnaissait une valeur de
présence. Maintenant elle occupe volontiers les parties hautes de l’église : désormais c’est le
regard du Christ qui plonge dans celui des fidèles. L’espace est inversé : il n’est plus audelà, mais au-devant du Christ et du côté du spectateur, qui s’y trouve ainsi englobé. De
regardé le Pantocrator est devenu regardant : cette fois la présence émane de l’expressivité
de l’image. Ainsi, à cette époque, le regard du Christ (qui désormais s’adresse au spectateur
et tisse des liens avec lui) est direct et impose par lui-même sa présence.
L’ampleur de ces images, qui emplissent le centre des absides ou le fond des
coupoles accentue la prégnance du personnage sacré. On a un exemple dans l’église de
Daphni, datant du XIIe s. (fig. 15). L’attitude hiératique du Christ est animée par les traits
marqués du visage et le regard intense, empreint de solennité. Le résultat est rendu plus
impressionnant avec le savant jeu des plis sous lesquels on devine le corps, tandis que la
divinité est exaltée par le fond doré, repris parfois explicitement par le texte inscrit dans le
livre ouvert que tient le Christ : « je suis la lumière du monde ». Ainsi la mystique exprimée
dans les écrits bibliques ou théologiques est à l’origine de l’inspiration artistique. Ce qui est
dégagé de l’ensemble, c’est la sérénité de l’éternel.
Une attitude d’attention et de tendresse, certes atténuée, marque une enluminure des
Homélies de saint Jean Chrysostome (Paris, BNF, ms. Coislin 79, f°2v, v. 1074-1081) (fig.
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16). L’archange Michel et saint Jean Chrysostome sont penchés vers l’empereur Nicéphore
III Botaniate qui reçoit un livre des mains de celui qui fut patriarche de Constantinople au IVe
s. (344-407). Ici est soulignée l’immanence divine dans la personne de l’empereur qui,
toutefois, n’est pas assimilé au Pantocrator : même s’il est placé dans l’axe vertical de
l’image, son regard n’est pas dirigé vers le spectateur mais est tourné avec un certain
respect vers le représentant de la sphère céleste, l’archange. En ce qui concerne les
couleurs, on remarque que les tons sombres sont rehaussés par des touches de lumière ;
les vêtements de l’empereur reflètent la réalité vestimentaire de son époque et de son rang,
tandis que sur les habits des personnages sacrés, et notamment de l’archange, la lumière
est prépondérante tant pas la profusion du doré que par les couleurs claires à dominante
blanche.
Dans le type de la Vierge Éleousa ou Vierge de la Miséricorde (fig. 17), le jeu des
regards est très subtil : le Vierge regarde directement le fidèle avec une certaine tristesse,
car elle pressent la mort de son fils ; celui-ci regarde sa mère avec l’attitude attachante d’un
enfant, sauf que son vêtement doré, transcendé par la lumière, trahit déjà sa divinité.
Production picturale sous les Paléologues (1259-1453)
La seconde moitié du XIIIe s. à Byzance loin de rétablir la paix est le temps d’une
épreuve profonde.
Des signes de renouveau se décèlent dans une intériorisation plus poussée, quoi
semble être suscitée par les épreuves mêmes.
Au lignes verticales et austères des compositions répondent des formes arrondies,
l’accent est mis sur l’expression de douceur et de sérénité divines. Pour ce qui est du
traitement coloré, on remarque que les tonalités sont très douces et claires, souvent
rehaussées par des taches de lumière (fig. 18). Il s’agit d’une tendance du traitement coloré,
et par extension du traitement plastique, qui correspond à la sensibilité esthétique de
l’époque et influence même la mosaïque : celle-ci se rapproche davantage de la peinture afin
de répondre aux exigences d’une plus pénétrante intériorité. À ceci l’influence des icônes
portatives a été décisive. C’est en effet une diminution considérable du volume des tesselles
qui permet le jeu subtil des nuances tout en gardant l’éclat de la mosaïque.
Dans l’art de cette période, la mise en valeur de la vie s’exprime à travers l’illustration
de l’énergie divine, et par extension de l’homme sanctifié. Ainsi, un foisonnement
d’expressions et de sujets viennent renouveler l’iconographie qui devient à cette époque très
variée.
Les sujets évangéliques se multiplient afin que le fidèle puisse y trouver des
analogies prometteuses avec la condition humaine. Le cycle des douze fêtes, tel qu’il est
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défini par l’Église continue bien évidemment à être respecté, mais il est considérablement
enrichi par des sujets puisés dans les évangiles tant canoniques qu’apocryphes.
Parallèlement l’attention se porte sur deux réalités, jusque là laissées dans l’ombre.
C’est d’une part la féminité, signe autant de la tendresse que de la beauté : longtemps
suspecte au monachisme, elle est légitimée par son assimilation à la sagesse divine. D’autre
part on se penche sur l’enfance qui réclame d’être choyée tout en étant proche de la pureté
première.
L’introduction de scènes de foules concourt aussi à l’expression de la vie. Un effet de
masse, de saturation de la surface, est recherché en respectant toutefois une organisation
ordonnée. L’attitude générale des personnages est celle de la concentration commune, de
l’union, et dégage souvent une sensation de force (fig. 19, 20).
Le mouvement est naturellement favorisé dans les scènes inspirées de la spiritualité
tournée vers l’énergie divine ou sanctifiante. Dans les scènes de la Transfiguration du Christ,
comme dans une miniature provenant des Opuscules du moine Joasaph (il s’agit de
l’empereur Jean VI Kantakouzenos qui après avoir usurpé le trône a été forcé à abdiquer et
à se retirer dans un monastère constantinopolitain, où il prit le nom de Joasaph ; 1370-1375,
Paris, BNF, ms. gr. 1242, f° 92v°) (fig. 21, 22) les apôtres sont précipités dans des positions
diverses sous l’effet de la peur ou de l’émerveillement et la variété des couleurs en rehausse
l’effet. Il y a, comme ailleurs, le contraste entre la majesté hiératique du Christ et l’intensité
dramatique de la zone inférieure occupée par les trois apôtres. La majesté du Christ est
accentuée par la mandorle et les deux formes carrées qui se croisent et d’où émanent des
rayons de clarté. Ceux-ci, comme des faisceaux d’énergie pure, touchent la terre, renversent
les apôtres et soulèvent à travers le fond doré les deux collines où se trouvent Moïse et Élie.
Le caractère presque violent – à force d’intensité – de la scène est accentué par les corps
précipités des disciples et par le réalisme des sandales défaites. Pourtant le fidèle malgré
l’effet de l’énergie divine est invité comme Pierre, symbole de l’Église, à regarder avec
respect la Transfiguration.
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