Fiche de lecture
Marc Augé, Anthropologie des mondes contemporains,
Champs essais, 2010
Cet ouvrage, principalement épistémologique, veut rendre compte des transformations qui
sont caractéristiques du monde contemporain, et ainsi constater leurs impacts sur
l'anthropologie. Il apparaîtra alors que les transformations actuelles que sont l'accélération de
l'histoire liée à la « mondialisation de la culture » et au développement de l'information à
grande échelle, nécessite de donner un nouvel objet à l'anthropologie.
I. L'espace historique de l'anthropologie et le temps anthropologique de
l'histoire.
Augé part du risque souvent évoqué de voir l'anthropologie être approprié par d'autres
disciplines et principalement par l'histoire. En effet les deux disciplines ont tendance à se
rapprocher. L'anthropologie se définit originellement comme l'étude du présent des sociétés
éloignées: elle étudiera donc la différence dans l'espace. L'histoire quant à elle se définit
comme l'étude du passé de sociétés proches. Leur objet est donc proche: l'espace étudié par
l'anthropologie est historique ( car c'est un espace symbolisé) et le temps étudié par l'histoire
est un temps localisé et appréhendé dans un espace déterminé donc anthropologique.
L'histoire diminue progressivement la taille des unités observées ( un village, une famille) et
modifie l'objet assigné (les stratégies sociales, la signification des politiques de la vie
quotidienne..) ce qui la rapproche de l'anthropologie. La différence principale entre les deux
disciplines tient essentiellement à la nature des témoignages (l'historien ne peut vérifier
directement sur le terrain) et au problème de la représentativité. De la même façon,
l'anthropologie se rapproche de l'histoire. On assiste à un déplacement du regard
anthropologique par l'étude d'objets empiriques qui s'inscrivent dans le même espace que ceux
de l'histoire ( l'entreprise, l'hôpital, les quartiers urbains...). ¨Pour Augé ce déplacement est
naturel et caractéristique des mutations du monde contemporain. En effet, il considère que
l'objet de l'anthropologie est d'abord l'idée que les autres se font de la relation entre les uns et
les autres. Or il constate justement, que du fait de la rapidité croissante de la circulation de
l'information et des images, « l'exotisme est définitivement mort ou mourant », même s'il
existe toujours des sociétés lointaines (du point de vue européen) et de « minorités ». On
appréhende plus « l'autre » de la même façon et l'indigène sait désormais qu'il appartient à un
monde plus vaste. Un nouvel enjeu apparaît donc, tant pour l'histoire que l'anthropologie:
« comment maîtriser la diversification sans précèdent d'un champ de recherche qui implique
pourtant à tout coup l'ensemble de la planète? » ( p.27).
Le doute sur la possibilité de proposer des interprétations systématiques et l'interrogation sur
les manières d'observation est imposé par l' « état du monde » (celui-ci se résumant à
« l'accélération de l'histoire » et au « rétrécissement de la planète »). Augé présente alors deux
catégories d'interprétation. Premièrement, celle de la « fin de l'histoire » et du « consensus »:
celle-ci est plus attentif au paramètre temporel et aux facteurs d'unification mis en évidence
par le rétrécissement de la planète. ( perspective plus étudiée par les historiens).
Deuxièmement, celle de la « postmodernité », plus attentif au paramètre spatial donc plus
sensible aux diversités que dévoile, en les rapprochant, le rétrécissement de la planète. (
perspective plus étudiée par les anthropologues). Augé se demande alors si chaque grille
d'interprétation réussit à rendre compte de tous les aspects. Le problème principal devient de
savoir comment penser l'unité de la planète et la diversité des mondes qui la constituent.
II. Consensus et postmodernité: l'épreuve de la contemporanéité.
Augé tente alors d'étudier et de rendre compte de la réalité de chacune de ces interprétations
du monde contemporain. Pour illustrer le thème du « consensus », il va prendre le cas
particulier de la France, même s'il précise qu'il ne faut pas confondre normatif et descriptif et
que son illustration ne peut prendre une portée universelle. Il parle alors de la fin de
« l'exceptionnalité française » en politique, théorisé par Marcel Gauchet: auparavant le
clivage gauche/droite était clair, portant sur des idéologies bien séparées, or les deux
« camps » auraient tendance à se confondre du fait de l'apparition d'un lien nécessaire entre
économie de marché et démocratie représentative. Mais Augé ne se limite pas au plan
politique, et rappelle une spécificité française: « l'existence dans la pensée française, depuis
la Révolution, de positions à prétention universelle mais ancrées dans une réalité locale
particulière »(p.34). ( par exemple la DDHC a prétention universelle mais elle est formulé par
un groupe de représentant français...). Or, l'apparition du consensus et la fin de
l'exceptionnalité française font que désormais « les démocraties du monde parlent aujourd'hui
d'une même voix et la France avec elles. » (p.36).
Augé établira ensuite un rapport, avec Vincent Descombes, entre « consensus » et le
« désenchantement du monde ». Il rappel que le premier désenchantement considère les
anciens mythes comme illusoires et élève de nouveaux mythes, alors que le second
désenchantement efface ces mythes. Or, la « fin de l'histoire » correspondrait au second
désenchantement. Augé va s'attarder alors sur le rôle de la mémoire et le déplacement de la
mémoire comme témoin du phénomène de « consensus ». La perspective du consensus reste
néanmoins critiquée, notamment pour son ampleur sociologique limitée. La notion de
postmodernité quant à elle, a du mal à faire l'unanimité et le milieux anthropologique français
reste très divisé sur la manière de définir son objet d'étude.
Augé prend néanmoins une hypothèse: c'est l'avènement de la comtemporanéité (tous le
monde peut se dire aujourd'hui plus ou moins contemporain) qui définit les conditions d'une
recherche anthropologique renouvelée en lui fournissant un objet.
III. Vers la contemporanéité.
Pour aborder plus précisément la question des objets de recherche de l'anthropologie et de sa
place dans la contemporanéité, l'auteur rappel les cinq modèles de révisionnisme
anthropologique: 1) modèle de la lettre volée (dans lequel l'évidence crève les yeux, mais
l'observateur passe à côté); 2) modèle des « évidences » (l'empirisme au service de
l'invalidation de la théorie); 3) modèle du hors-jeu ( définition de « nouveaux objets » d'après
une position considéré par une partie de la profession comme se situant au-delà des limités
imposées par la discipline); 4) modèle de « la culpabilité transférée » (restitution de la parole
aux observés, la « contemporanéité », l'institution de « l'allochronisme » et le problème de la
distance, au sens de J. Fabian); 5) modèle du « dialogue de sourds » (malveillance dans la
critique de travaux jugés sur ce qu'ils auraient omis de dire; donc pas vraiment une critique
car se fonde sur des non-énoncés).
Augé se sert de ces modèles permettant une critique des travaux anthropologiques existant
pour affiner la pertinence de son propos et trouver un objet. En particulier, pour ce qui est de
la question du « hors-jeu », il est nécessaire que le nouvel objet lié à l'épreuve de la
contemporanéité ne doit pas dépasser les limites de la discipline. L'anthropologie est censée
être une discipline du présent. Or du fait de la décolonisation, l'anthropologie a perdu son
objet, doit-elle alors devenir une discipline historique? Il semble cependant que toutes les
leçons de la colonisation n'ont pas encore été tirées. De la même manière, pour ce qui est du
modèle de la « culpabilité transférée », il est nécessaire d'avoir une réflexion spécifique sur le
présent. En effet, plus on avancera dans la contemporanéité, plus il y a de risque que les
informations données par l'informateur intéressent de moins en moins l'enquêteur et
apparaissent comme redondantes ( du fait justement de la contemporanéité entre l'observateur
et l'observé). L'anthropologue doit se demander quelle est la contemporanéité réelle des
interlocuteurs, car c'est la transformation du monde qui l'impose. Augé définit la
contemporanéité dans le sens où le dialogue entre l'observateur et l'observé s'inscrit dans un
univers où ils se reconnaissent l'un et l'autre; même s'ils occupent des positions différentes et
inégales. De plus, l'auteur précise qu'il ne faut pas avoir une image simpliste par rapport à la
notion d'altérité ( caractère de ce qui est autre). Il n'y a pas un système dual entre un Ouest
indéterminé et le reste du monde, l'Autre. Au contraire, cet autre est en perpétuel changement,
c'est pourquoi l'objet de l'anthropologie change.
L'anthropologie doit donc continuer dans son domaine sous deux dimensions: elle doit réaliser
une étude de la propre histoire de l'anthropologie; et elle doit se consacrer à l'étude (présente)
de son objet. Ce changement dans son étude est lié à deux raisons: du fait de la sollicitation
des différents aspects de l'actualité et parce qu'elle a épuisé tout ses premiers terrains et toutes
les possibilités d'autocritique respective.
IV. Les deux rites et leurs mythes: la politique comme rituel.
Pour Augé, le bilan est clair: l'anthropologie est non seulement possible, mais nécessaire, et
ceci à partir d'une triple expérience: la pluralité (renvoie à toutes les diversités et non pas
simplement à celles qui ont été connotées comme exotiques), l'altérité et l'identité. Son objet
central sera alors ce que Augé appelle la « double altérité », c'est-à-dire la conception que
d'autres se font de l'autre et des autres. Le symbolique est alors l'objet premier de
l'anthropologie (question de l'altérité chez les autres et question du sens).
Après cet exposé, Augé va alors montrer que c'est le rite qui est un des objets essentiel de
l'anthropologie de la contemporanéité. Le rite est essentiellement politique, et sa réussite
dépend de la maîtrise du langage politique et du langage de l'identité. Il définit alors le rite
comme « la mise en œuvre d'un dispositif à finalité symbolique qui construit les identités
relatives [ à une référence géographique, sociale ou morale ] à travers des altérités
médiatrices. » (p89). Augé précise alors son objet et parle de « dispositif rituel élargi »: il
s'élargit matériellement ( elle suppose un réseau de communication. ) et par rapport aux effets
attendus ou escomptés de l'acte rituel. Ainsi le dispositif « restreint » vise à l'entretien et à la
reproduction de la situation existante alors que le dispositif rituel élargi vise sinon à changer
l'état des forces sociales, au moins à faire bouger ce qu'on appelle l'état d'opinion. Cette notion
est alors indissociable de la « mise en spectacle » du monde: ceci par la prolifération d'images
associées au rite, par le rapport particulier des individus avec la réalité à travers les médias et
ses effets d'abstractions, passant par l'abstraction et la désincarnation du rapport à autrui.
Il va ensuite montrer que l'intervention politique rentre bien dans cet objet et est même
exemplaire du rite à « dispositif élargi ». En effet, elle obéit à un certain nombre de
contraintes formelles ( situation dans le temps et l'espace, phases successives avec un « temps
fort »...); elle ouvre une attente et escompte des résultats; elle traite une altérité (celle du
public en général et des adversaires en particulier); elle tente d'établir une identité nationale
(et donc un « consensus », affirmer une majorité). Elle est donc bel est bien un rituel: « Par
sa forme (toujours étudiée et mise en scène) ou sa finalité (qui a toujours à voir avec la
constitution d'une identité relative) le dispositif politique de la prise de parole paraît mériter
le qualificatif de rituel. » (p.102). C'est la mise en scène du jeu politique qui prend
consciemment et nécessairement la forme du rite pour activer une transcendance entre la
personne et la politique de ceux qui l'incarnent pour le moment. Augé va alors s'intéresser au
rapport entre le rite et le mythe. Le rite politique se nourrit du mythe. Ce qui fait la différence
entre le rite à dispositif élargi et le rite à dispositif restreint c'est justement sa position par
rapport au mythe. Pour le dispositif restreint le mythe peut survivre sans le rite alors que pour
le dispositif élargi (qui est principalement politique), c'est l'épuisement du mythe qui peut
restreindre son efficacité.
On s'aperçoit alors qu'en même temps qu'il définit l'objet de l'anthropologie de la
contemporanéité, Augé commence à l'analyser et va ainsi s'intéresser au rôle des médias pour
la politique et plus particulièrement au paradoxe que l'intervention politique par la télévision
(qui rentre totalement dans le cadre du dispositif élargi) provoque: un seul parle pour tous et
simultanément à chacun. Il poussera alors sa réflexion sur le rapport du politique au passé et
des différents enjeux qui lui sont associés; et précisera que la politique se situe entre deux
catégories de mythes: ceux que lui livre l'histoire, et ceux qu'elle doit créer pour faire
l'histoire. Or il y a une crainte du dépérissement des mythes aujourd'hui, et finalement crainte
que la perte de sens de l'histoire compromette la gestion de l'avenir. Cependant, l'auteur tient à
préciser que le mythe et le rite ne disparaissent jamais vraiment, tout au plus ils se substituent
l'un à l'autre.
V. Nouveaux mondes.
L'auteur précise le paradoxe actuel: même si on peut désormais parler de contemporanéité, la
diversité du monde se recompose à chaque instant. Malgré la constatation de la globalisation
Augé va définir des « mondes », qu'il définit par leur singularité et leur autonomie relative,
leur particularité. (par exemple, le monde des médias, le monde du sport, le monde de
l'individu...). De plus, ces mondes sont hétérogènes à leur tour. La difficulté est donc de
choisir les objets à l'anthropologie dans ce monde à la fois unifié et diversifié.
Augé présente alors deux défis: le premier tient au fait que l'Autre se recompose sans cesse, le
deuxième que les réalités localisées et symbolisées auxquelles s'attachait traditionnellement
l'ethnologue s'effacent, il est donc nécessaire de choisir des nouveaux terrains et de construire
de nouveaux objets à la croisées de ces mondes nouveaux.
Augé définira alors précisément trois mondes nouveaux: l'individu, les phénomènes religieux
dans les Amériques et les pays issus de la colonisation, la ville. Ces phénomènes doivent être
penser à travers les trois excès qui marquent l'expérience de la contemporanéité et de la
surmodernité: l'excès d'évènements (rend l'histoire difficilement pensable), l'excès d'images et
de références spatiales (referme sur nous l'espace du monde ), l'excès de références
individuelles ( obligation des individus à penser par eux-même leur rapport à l'histoire et au
monde devant l'affaissement des « corps intermédiaires » (Durkheim) et l'impuissance des
grands systèmes d'interprétations). Ces expériences ont d'abord été fait pas les pays colonisés
mais elles ont été généralisées « si la contemporanéité actuelle n'est évidemment pas abordée
par l'ensemble des sociétés du globe dans les mêmes conditions ( il en faut beaucoup), elle
commence à être interprétée dans les mêmes termes. ».
Pour penser ces phénomènes, il faut les appréhender en utilisant les deux couples utilisés par
Augé: les lieux/ non lieux et la surmodernité/ la modernité. Le lieu est identitaire, relationnel,
historique. Il est ainsi triplement symbolique: rapport de chacun de ses occupants à lui-même,
aux autres occupants et à leur histoire commune. (La ville en est un exemple, et l'on craint
justement sa transformation en non lieu du fait de l'uniformisation des villes). Le non-lieu est
un espace où ni l'identité, ni la relation, ni l'histoire ne sont symbolisés. ( un lieu peut-être un
non-lieu pour d'autres et inversement: un aéroport et un non lieu pour celui qui voyage
occasionnellement, c'est un lieu pour celui qui y travaille...). La multiplication des non-lieux
est alors caractéristique du monde contemporain et correspond à la surmodernité. Or la
surmodernité correspond à une accélération de l'histoire, un rétrécissement de l'espace et une
individualisation des références qui subvertissent les processus cumulatifs de la modernité.
Pour l'auteur le trait pervers de la surmodernité c'est justement la « mise en spectacle » du
monde qui nous habitue à n'avoir de rapport au monde et aux autres qu'à travers des images.
« Peut-être le seul monde dont on puisse parler aujourd'hui est finalement le monde de
l'image ou ce qui revient au même, de l'actualité. » (p.174).
Conclusion: l'anthropologie est non seulement possible mais nécessaire dans l'unité et la
diversité de l'actuelle contemporanéité. Pour cela elle doit s'adapter aux changements
d'échelles: l'anthropologie doit désormais être généralisée à l'ensemble de la planète et elle
doit prendre « les modalités nouvelles de symbolisation à l'œuvre dans l'ensemble
planétaire. » (p.177). Elle doit ainsi continuer à observer des petites unités, tout en prenant en
considération les mondes qui les traversent, les constituent et les reconstituent.
Critique interne.
Ce qui est appréciable, c'est que Augé insiste bien sur ce qu'il veut démontrer, et sur les
phénomènes qui poussent à trouver une raison de vivre à l'anthropologie, du fait des
évolutions globales de la société. Ses références nombreuses permettent de mettre en lumière
un certain nombre de phénomènes. Le fait qu'il ne se réfère pas seulement à des
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