Qu'est ce que la Renaissance ? La Renaissance a t-elle existé ?
Conférence de Jean Delumeau au CRDP de Nantes le 6 décembre 2000
Compte-rendu rédigé par Christophe Rouaud (lycée J.Verne, 44 Nantes) et Pascal Boursier (lycée G.Guist'hau,
44 Nantes)
La " Renaissance " forme un concept aux contours flous, notamment lorsque l'on veut l'aborder en
terme de période.
Pour Jacques Le Goff, le Moyen Age s'achève au 19ème siècle, le processus d'industrialisation (et les
prolongements techniques et scientifiques qui lui sont liés au 20ème siècle) formant un véritable
changement dans l'Histoire de l'Humanité en reléguant tout ce qui précède dans une sorte de
préhistoire. Fourastié va même plus loin, en affirmant " Nous avons chande planète depuis les 30
glorieuses ".
" Qu'est-ce que la Renaissance ? " : l'interrogation est légitime, le terme de " Renaissance " étant
utilisé pour la " renaissance carolingienne " du 9ème siècle et pour celle du 12ème siècle : dans les deux
cas, les contemporains tentent de recourir aux œuvres de l'Antiquité. Mais il s'agit d'utilisation
rétrospective de cette formule " Renaissance " par l'historiographie.
L'invention du terme " Rinascità " remonte à Pétrarque et se définit d'abord comme un rappel de
l'Antiquité : grammaire, canon artistiques, il traduit des bouleversements culturels : les œuvres de la
Pléiade au XVIè regorgent de références à la mythologie et de citations gréco-latines.
La Renaissance en tant que référence à l'Art et la Littérature (signification au
sens étroit)
Pour les touristes la question ne se pose pas, la Renaissance artistique et littéraire est parfaitement
identifiable (ex : contraste entre la cathédrale gothique de Vannes et sa chapelle renaissance
latérale). Il n'y a aucune transition entre le gothique et l'art renaissant. Il y a récupération d'un
patrimoine préchrétien avec réappropriation des valeurs terrestres, mettant fin à la période à
dominante théologique du Moyen Age. Dans le cadre de cette perception, il y a une laïcisation
croissante de la culture : l'importance accordée au visage humain, le rôle croissant des facteurs
économiques viennent diminuer la part de Dieu dans les arts et la littérature, l'Homme accaparant
l'espace.
Ce semble des évidences, mais pourtant, le terme " Renaissance " est un mot piégé de plusieurs
façons :
L'origine même du mot est polémique : dans l'esprit des créateurs du concept de
" Renaissance ", il s'agit de désigner la période qui a voulu faire émerger les belles lettres de
l'Antiquité des limons barbares (Marsile Ficin, en parlant d'un âge d'or ramenant les arts
libéraux à la lumière, montre la conscience que la Renaissance a d'elle-même), d'ailleurs
l'expression " Moyen Age " (apparue au 17ème siècle : en 1615 en latin et en 1640 en
français) a une connotation méprisante. Pourtant, le Moyen Age n'a jamais perdu le contact
avec les œuvres de l'Antiquité : les sculpteurs romans et gothiques s'en sont inspirés ;
l'utilisation du terme " barbare " par les hommes de la Renaissance vis-à-vis du Moyen Age
est tout à fait injuste.
L'art et l'esprit de ce qu'on appelle le Moyen Age ne s'évanouissent pas tout d'un coup : des
constructions de style gothique sont alisées au 16ème et même au-delà (églises gothiques
de Belgique bâties jusqu'en 1640) ; des réalisations de style renaissance mêlent des
éléments antiquisants et médiévaux à la fois (ex : la coupole de Brunelleschi à Florence qui
comporte des nervures gothiques)...
Lettrés et artistes de la Renaissance adorent l'Antiquité, mais ne la copient pas Rome,
Bramante fait démolir une basilique du 4ème siècle pour les besoins des nouvelles
constructions). Les maîtres de la Renaissance ont conscience d'avoir dépassé leurs
prédécesseurs de l'Antiquité : ils ne possédaient qu'imparfaitement la perspective, ne
connaissaient pas la peinture à l'huile, il n'ya pas eu d'œuvres antiques comparables au
Jugement dernier de Michel Ange, la coupole de St-Pierre de Rome en s'élevant à 143 m.
dépasse largement celle du Panthéon (45 m.)...
La Renaissance, qui exprima un élan enthousiaste pour l'Antiquité, va pourtant promouvoir les
langues nationales (ex : la Pléiade), ce qui peut paraître paradoxal. Les différents cas
nationaux peuvent être pris en exemple : le " Roland furieux " est écrit directement en
toscan, Camoëns écrit ses Lusiades en portugais, Luther traduit la Bible en allemand.
Shakespeare et Cervantès ferment la Renaissance. Au XVIè siècle, la langue internationale
des cours et des affaires n'est plus le latin, mais l'italien. Le sonnet, mis à la mode par
Pétrarque et introduit en France par Marot, n'est pas d'invention latine mais d'origine
italienne ou provençale.
Durant la Renaissance, l'imitation, sur les plans littéraire et artistique, des Anciens est elle mais
jamais servile : les œuvres sont originales, les techniques supérieures. Il vaut d'ailleurs mieux parler
d'inspiration. Dans une civilisation différente de celle de l'Antiquité, il y a une culture et un art
nouveaux, même s'ils se réfèrent à ceux des Anciens. Cette volonté de retour à l'Antiquité est avant
tout italienne, avec le désir de renouer avec la gloire passée de l'Italie, entretenue par l'état des
vestiges antiques (voir Pétrarque).
La Renaissance des 15ème et 16ème siècle : une période de l'Histoire
occidentale (signification au sens large)
Surcroît de complication : le mot Renaissance a deux acceptions différentes : l'une renvoie à l'art et à
la littérature, l'autre, plus large, couvre une période entière de l'histoire de l'humanité.
Un problème de date se pose : 1453, 1492, 1494 sont les dates retenues en France pour marquer le
début de la Renaissance... mais elles n'ont pas de réalité pour l'Italie qui la fait commencer avec
Pétrarque dès le milieu du XIVè siècle. Pour se dégager du problème, il faut prendre en compte
l'évolution du mot " Renaissance " dans l'Histoire.
Au 19ème, il prend une dimension englobante pour désigner à la fois une période et une civilisation.
Dans cette perspective, la Renaissance s'étire alors sur les 15ème et 16ème siècles et ne s'applique pas
qu'à l'Italie. Différents éléments peuvent être pris en compte pour étayer cette idée :
l'invention majeure de la période, l'imprimerie, date du milieu du 15ème siècle et apparaît en
Allemagne,
les palais vénitiens situés le long du Grand Canal et qui sont regardés comme des
constructions de la Renaissance sont d'inspiration gothique,
Michelet (qui définit la Renaissance en opposition à " l'obscurantisme " du Moyen Age et
comme annonçant les Lumières de ce XVIIIè qu'il considère comme le " Grand Siècle ") a
choisi comme figures emblématiques de la Renaissance : Colomb, Luther et Copernic dont
aucun n'a vécu longtemps en Italie, et dont aucun ne s'est illustré dans les Beaux-Arts.
Michelet a pourtant raison de choisir ces trois figures : la découverte de l'Amérique est " l'événement
le plus important depuis Jésus Christ " (Colomb), Luther est le 1er à faire triompher une hérésie, et
Copernic provoque, à terme, un véritable séisme culturel en bouleversant la cosmographie admise
jusqu'alors.
La Renaissance désigne donc une période formée par un ensemble de changements importants, à
condition de mentionner les passerelles qui les relient à la période précédente. La période de la
Renaissance diffuse des innovations techniques acquises antérieurement et ce dans différents
domaines :
l'horloge mécanique à aiguilles (1280 en Italie),
le haut fourneau, à Liège ou en Rhénanie, dans la seconde moitié du 15ème,
les armes à feu dont les 1ère expérimentations sont faites pendant la guerre de Cent Ans mais
qui sont multipliées par la suite,
les innovations facilitant les échanges économiques : 1ère assurance maritime moderne en
Italie en 1384 ; lettre de change dès avant 1300, même si elle ne s'impose en Italie qu'au
15ème ; comptabilité à partie double présente à Gênes vers 1340 (diffusion lente ailleurs),
le zéro circule dans la ninsule ibérique au 13ème siècle, puis en Italie, puis en Europe au
16ème
L'Italie a une place essentielle dans cette marche en avant et la volonté de retour à l'Antiquité. Au
15ème siècle, l'Italie est la région la plus riche, urbanisée, cultivée d'Europe, elle est la plus avancée et
la plus outillée économiquement. Les rois de France qui veulent la dominer savent l'atout majeur
qu'elle représente pour qui en est le maître, ce que Charles Quint a bien compris lui-aussi. Cette
avance italienne explique sa participation aux grandes innovations : découverte de l'Amérique
(Colomb, mais aussi Vespucci, Cabot), les techniques bancaires, Galilée, débuts de la musique
moderne....
Pourtant, la marche en avant que constitue la Renaissance, n'est pas seulement italienne, mais
véritablement européenne : il y a 2 grandes écoles d'ingénieurs dans l'Europe de la Renaissance
(italienne et allemande) ; la Flandre est un des grands pôles économiques de la Renaissance (Anvers
est la capitale économique de l'empire de Charles Quint) et un grand foyer artistique (invention de la
peinture à l'huile), tout comme la vallée du Rhin (rôle de l'humanisme et de la contestation religieuse),
les ports espagnols et portugais, les cours de France et d'Angleterre... La Renaissance pénètre en
Europe centrale par la Pologne et la Bohême qui sont en relation avec la Flandre et l'Italie.
La Renaissance s'est donc épanouie en plusieurs sites. La Renaissance est alors synonyme d'une
avancée globale d'une civilisation (mieux que compris étroitement comme un retour à l'Antiquité). Aux
explosions artistiques, culturelles s'ajoutent les avancées techniques, la contestation religieuse, la
consolidation de l'Etat. Dans le cadre de cette période de marche en avant de la civilisation
occidentale, on ne peut trouver une place à toutes ces innovations que si par " Renaissance " on
désigne le bouillonnement culturel des 15ème et 16ème siècles.
La Renaissance ne doit pas être trop idéalisée.
En plus de sa signification étroite et de son sens large, l'historien doit rappeler les aspects sombres de
la période de la Renaissance, terme dont la connotation joyeuse est un danger et qui peut d'ailleurs
apparaître comme inadéquat à différents égards :
S'il est des fêtes brillantes, dans ses aspects sociaux la période est sombre : les différences
entre riches et pauvres s'accroissent, la mendicité progresse,
L'Humanisme est certes une position philosophique mettant l'accent sur les valeurs fondées
sur l'Homme, mais les humanistes (= spécialistes des lettres antiques pour les auteurs du
16ème) ne sont pas toujours optimistes sur l'Humanité (ex : Machiavel). Le discours de Pic de
la Mirandole (" De la dignité de l'homme ", 1486) eut très peu d'impact.
La Renaissance est la période de la plus grande intolérance (avant la 1ère moitié du 20ème) :
guerres de religion, poursuite et persécution des sorciers, antisémitisme... de la fin du 15ème
au début du 17ème.
Les hommes de la Renaissance n'ont pas la notion de progrès dans leur bagage mental
(notion qui n'est apparue qu'au XVIIè siècle). On pense alors que l'Humanité est vieille et
proche de sa fin (les logarithmes ont été inventés pour mieux calculer la date de la fin du
monde). Les humanistes ont conscience de l'imminente fin du monde : G. Budé, en 1535,
écrit " le dernier jour a commencé à tomber ", en 1494, Sébastien Brandt porte un jugement
analogue, annonce le même dénouement : l'Apocalypse précédée d'une série de
cataclysmes. L'accumulation de malheurs, qui n'ont pas manqué depuis le milieu du 14ème
(Peste noire, Grand Schisme de 1378-1417, guerre de Cent Ans, avance turque) et qui se
poursuivent (avance turque, cassure de la chrétienté latine avec l'émergence du
protestantisme) renforce ce sentiment d'angoisse. Cette accumulation de malheurs est
interprétée par les hommes d'Eglise comme des preuves de l'agitation de Satan œuvrant à
la précipitation vers la fin du monde et s'efforçant de capturer le maximum d'âmes avant
cette échéance. C'est durant la Renaissance que fut maximale la peur des viants : Juifs,
sorciers... d'où l'antisémitisme, la lutte contre la sorcellerie, les guerres de religion et
l'éclosion d'une forte littérature démonologique.
Sans tomber dans une caricature de la Renaissance noire, il faut être conscient que celle-ci n'est pas
que joyeuse. Le pessimisme qui existe durant la période de la Renaissance n'empêche pas la création
artistique et littéraire, la créativité cohabitant avec l'idée de la proximité de la fin du monde.
Il ne faut pas non plus trop moderniser la Renaissance, tendance très présente, notamment au travers
de l'exemple de Léonard de Vinci et de ses inventions. Léonard fait un véritable travail de
technologue : machines textiles, engrenages, architecture, mais aussi hydraulicien, anatomiste. Mais
d'autres avant lui ont fait d'autres inventions. Et surtout Léonard de Vinci s'est trom : sur le vol des
oiseaux par exemple, ou sur la force des hommes et ses machines n'ont pu fonctionner. La science
moderne ne naît qu'au 17ème, pas durant la Renaissance, malgré les progrès scientifiques de la
période. Car il y en eut : pour la navigation, elle veloppe les héritages du Moyen Age (boussole,
gouvernail d'étambot), elle construit elle-même la caravelle ; il y a un progrès de l'esprit d'observation
(anatomie avec les dissections, identification des plantes, des animaux, progression de la
cartographie, langage mathématique plus fonctionnel : exposants, équations des 3ème et 4ème degrés,
calculs sur les nombres négatifs...). Mais la révolution scientifique donnant naissance au monde
moderne est postérieure à la Renaissance : Copernic convainquit peu de monde et la théorie
aristotélicienne des 4 éléments (le feu, l'eau, ...) fut conservée, la Renaissance est un temps fort de
l'astrologie, une certaine inertie culturelle rend difficile le passage de l'ancien au nouveau monde
(durant tout le 16ème les contemporains ont du mal à réaliser l'existence de l'Amérique qui ne suscite
pas autant d'écrits que l'Orient)... La science moderne commencera réellement avec Kepler et Galilée.
Les découvertes de la période poussent les hommes de la Renaissance à s'interroger. ceci débouche
à la fois sur des innovations, des progrès, mais aussi sur des peurs et des reculs. Par ailleurs,
l'ébullition culturelle qui caractérise l'époque est à replacer dans l'accélération de l'Histoire de
l'Occident qui commence au 11ème siècle et s'amplifie aux 15ème et 16ème. Elle n'est donc pas liée à un
seul fait explicatif, mais à la dynamique de la civilisation occidentale, poussée en avant, en quête de
recherche (contrairement aux civilisations chinoise, arabe...de l'époque).
La Renaissance ne doit donc pas être envisagée comme un moment de la prise de conscience par
l'homme de sa puissance. C'est une vision moderne qui est plaquée sur la Renaissance. C'est
d'autant plus vrai que le 16ème siècle est à dominante religieuse. Cette prise de conscience relève
davantage d'une posture du 17ème siècle, même si celui-ci se place dans la continuité du 16ème.
Conclusion
Seule la périodisation large permet d'englober tous les faits de la Renaissance qui forme une période
d'avancée décisive de l'Occident. Cette avancée n'est pas un progrès continu : ombres et lumières
cohabitent.
Si la Renaissance doit être étudiée en tant que référence (et non imitation) de l'Antiquité pour les
réalisations artistiques et littéraires, l'histoire de la riode doit prendre en compte la recherche de
l'éducation pour la noblesse et les classes aisées, la consolidation étatique et la montée de
l'absolutisme, le début de la mondialisation avec la couverte de l'Amérique, la réforme religieuse (y
compris la réforme catholique qui fait bel et bien partie de la Renaissance dans la mesure elle
s'engage dès avant le concile de Trente), et aussi les progrès techniques et l'élargissement des
connaissances et de l'outillage mental. La Renaissance forme donc une période d'enrichissement
dans tous les domaines.
La Renaissance n'est pas seulement une période d'optimisme. Elle est marquée par la mélancolie, de
profondes inquiétudes religieuses et de puissants mouvements eschatologiques, faisant de la
Renaissance un temps de bouillonnements et de contradictions que le foisonnement artistique de
l'époque reflète.
La Renaissance cherche sa voie dans de multiples directions, avant de céder la place à un
17èmesiècle qui est plus discipliné et plus austère.
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