Déséquilibres Financiers Publics, Investissement Privé et

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Agence Universitaire de la Francophonie (AUF)
Réseau Thématique “Analyse Economique et Développement
Projet de communication aux journées scientifique du Réseau
(Marrakech, Maroc, mars 2003)
DESEQUILIBRES FINANCIERS PUBLICS, INVESTISSEMENT PRIVE
ET CROISSANCE ECONOMIQUE AU MAROC
Dr. Brahim MANSOURI(*)
Comme le note Sagou (1997), parmi les équilibres les plus étudiés, et souvent les plus
exposés, tant sur le plan politique que sur le plan économique et financier, il y a évidemment
l'équilibre budgétaire. Son importance s'explique en grande partie par le fait que le budget,
dans tous les Etats modernes, est et reste encore l'instrument par excellence de l'intervention
de l'Etat dans l'économie
Il importe de souligner que le concept d’équilibre budgétaire tend actuellement à être
remplacé par le concept de soutenabilité de la politique budgétaire, très proche de la notion
de solvabilité du secteur public (sur le concept de soutenabilité des ficits publics dans les
pays en développement, voir Cuddington, 1997 ; Garcia, 1998 ; sur la soutenabilité des
déficits budgétaires au Maroc, voir Mansouri, 2003a) . En ce sens, les Etats cherchent non
pas l’équilibre budgétaire strict, mais plutôt un solde budgétaire compatible avec l’évolution
actuelle et future des variables macro-économiques fondamentales ainsi qu’avec la capacité
du secteur public de rembourser sa dette.
La pratique de l'équilibre budgétaire, même si elle est au centre des politiques
économiques contemporaines, est certes un facteur déterminant, mais elle n'est pas la seule
préoccupation dans la mise en place et le suivi d'une politique économique. En fait,
l’équilibre comptable du budget importe moins que l’impact des finances publiques sur les
variables macro-économiques fondamentales (Gupta et al., 2002). En raison de l’ouverture
économique internationale qui est une contrainte pour tous les pays, le raisonnement consiste
à considérer l'Etat comme un agent économique qui ne doit pas vivre au dessus de ses
moyens (sagou, 1997).
(*)- Brahim MANSOURI est Professeur Habilité de sciences économiques à la Faculté de Droit et de Sciences Economiques
de l’Université Cadi Ayyad de Marrakech (Maroc).
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Le présent papier vise à étudier l’équilibre budgétaire au Maroc dans sa relation avec
la croissance économique à travers l’analyse de ses effets sur les variables macro-
économiques fondamentales, à savoir l’investissement privé et le PIB réel par tête.
Comme maints pays en développement, le Maroc a accumulé des déficits budgétaires
élevés durant les années 70 et 80. Les organismes financiers internationaux ont recommandé
au Maroc d'adopter une politique budgétaire restrictive étant donné l'hypothèse très répandue
suivant laquelle les déficits budgétaires ont des effets négatifs sur certaines variables macro-
économiques fondamentales. Parmi ces dernières, on peut mentionner l'investissement privé
et la croissance économique. Une politique budgétaire expansionniste a-t-elle réellement un
impact négatif sur l'accumulation du capital dans le secteur privé? Les dépenses publiques en
capital évincent-elles ou entraînent-elles l'investissement privé? Quels sont les effets que
l'investissement public peut avoir sur la dépense privée en investissement et sur la croissance
économique? Le Maroc a-t-il vraiment besoin d'une austérité budgétaire draconienne pesant
lourdement sur l'accumulation du capital et la croissance économique?
En vue de répondre à ces diverses questions, nous procéderons de la manière
suivante. La première section du papier est consacrée à l’examen des fondements théoriques
en la matière. La deuxième section aborde empiriquement l’impact des déficits budgétaires
sur l’investissement privé. La troisième section est réservée à l’analyse empirique de
l’impact des déséquilibres budgétaires sur la croissance économique. Enfin, la quatrième
section est consacrée aux principales conclusions de notre étude.
1. Déficits budgétaires, investissement privé et croissance économique : les
soubassements théoriques et les travaux empiriques
L’impact sur la dépense privée en investissement est un sujet très controversé. Les
controverses concernent aussi bien les soubassements théoriques que les travaux empiriques.
1.1: Les soubassements théoriques
Quels sont les soubassements théoriques de l'impact des déficits publics sur
l'investissement privé? Un niveau élevé de capital public financé par le déficit budgétaire
entraîne-t-il ou évince-t-il l'investissement privé? Des arguments théoriques prédisent que
l'impact du capital public sur le capital privé dépendra du degré de complémentarité ou de
substituabilité entre les deux composantes du capital (voir Easterly, Rodrigùez et Schmidt-
Hebbel, 1989, 1994, Aschauer et Lächler, 1998) et de récents arguments empiriques très
rares pour les pays en développement confirment cette ambiguïté (voir par exemple, Blejer et
Khan, 1984; Khan et Reinhart, 1990, Easterly, Rodrigùez et Schmidt-Hebbel, 1989, 1994,
Aschauer et Lächler, 1998).
Le débat relatif à l'impact de l'investissement et du capital publics sur la croissance
économique a connu cemment une floraison remarquable. En effet, on peut observer le
nombre croissant des études théoriques et empiriques consacrées récemment à cette question
dans les pays développés ainsi que dans les pays en développement et en transition vers
l'économie de marché.
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Si l'origine de ce débat est relativement ancienne (Meade, 1952; Arrow et Kurz,
1970; Nurkse, 1952, Hirschman, 1958; Rosenstein-Rodan, 1964), des théories récentes de la
croissance endogène ont contribué à son renouveau. A titre d'exemple, le modèle de Barro
(1990) a attribué aux dépenses publiques productives, comme les dépenses publiques en
capital d'infrastructure, un rôle moteur dans le processus de croissance économique à long
terme. La complémentarité entre le capital public et privé implique que le premier a un
impact positif sur la rentabilité du capital dans le secteur privé (voir Barro et Sala-i-Martin,
1995; Berthelemy, Herrera et Sen, 1995).
Toutefois, s'il existe peu de problèmes en matière de formalisation théorique des liens
entre l'accumulation du capital dans les secteur public et privé, il est souvent très difficile
d'entreprendre des vérifications empiriques (Aschauer, 1989a, 1989b, 1998; Munnel, 1990,
Gupta et al., 2002). Généralement, l'idée suivant laquelle l'investissement public est
positivement lié à la croissance économique réelle est souvent acceptée à tort ou à raison
(voir Aschauer et Lächler, 1998). Il existe quand même certaines raisons pour lesquelles on
doit suspecter qu'une telle relation puisse ne pas être stable ou être vraie uniquement sous
certaines conditions, à savoir les conditions de substituabilité, d’effcience, de productivité et
de financement des déficits (Aschauer et Lächler, 1998). L'identification de telles conditions
est très importante du point de vue de la politique économique en ce sens qu'elle est
susceptible de garantir que la dépense publique aura l'effet escompté et qu'elle n'induira pas
une mauvaise allocation des ressources.
1.2: Les travaux empiriques
Sur le plan empirique, très peu d'études ont été consacrées à la question de l'impact de
la politique budgétaire sur la dépense privée, notamment dans les pays en développement
(pour un survol détaillé de ces études, voir Mansouri, 2000, 2001, 2003a). Dans le cas
particulier du Maroc, il n'existe à notre connaissance aucune étude empirique sérieuse sur les
effets de la politique budgétaire sur les variables macro-économiques fondamentales.
Mohammed Boussetta (voir Boussetta, 1992), dans sa thèse de doctorat d'Etat et ses divers
articles publiés dans les Annales Marocaines d'Economie, n'a pas analyempiriquement
comment la politique budgétaire au Maroc affecte la dépense privée et la croissance
économique. Il s'est contenté d'exposer les résultats de quelques modèles empiriques estimés
essentiellement pour les pays développés et concernant notamment l'impact de
l'investissement public sur l'investissement privé. Pour le cas du Maroc, Boussetta (1992)
s'est contenté d’affirmer que les dépenses publiques en capital ont historiquement joué un
rôle majeur dans l'activité de l'investissement privé (l'effet de la politique budgétaire sur la
consommation privée, n’a pas été évoqué par Boussetta). Concernant les effets de la
politique budgétaire sur la croissance économique, Boussetta (1992, 1995, 1996) s’est
contenté d’observations statistiques très généralisantes pour conclure qu’il n’existe aucune
relation entre les déficits budgétaires et le PIB.
Qu'en est-il des études empiriques consacrées à l'impact de l'investissement public sur
l'investissement privé? Dans les pays développés, les résultats empiriques divergent
beaucoup sur cette question. Des modèles s'inspirant du cadre conceptuel keynésien estiment
que l'investissement public a un effet d'entraînement sur l'investissement privé (voir
notamment Dalagamas, 1987; Eisner, 1983, 1986, 1989; Eisner et Pieper, 1987). D'autres
études empiriques révèlent que l'effet dépendrait du degré de complémentarité ou de
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substituabilité entre l'investissement public et l'investissement privé (Aschauer, 1989;
Bernheim, 1989, Barro, 1990; Dessus et Herrera, 1996 ; Gupta et al, 2002).
Qu'en est-il du cas particulier des pays en développement? Comme le montrent
Greene et Villanueva (1991), ces pays ont connu un ralentissement prononcé de la croissance
économique. L'une des raisons fondamentales de cette situation réside dans le déclin des taux
d'investissement. Comme le montre le Fonds Monétaire International (voir FMI, 1989), la
formation brute du capital dans les pays en développement a chuté de 26,5 points de
pourcentage du PIB en 1981 à moins de 23,5 points de pourcentage du PIB en 1985-1988 en
moyenne annuelle. Il existe cependant des différences à travers les pays en développement
dans les ratios au PIB de la formation brute du capital et ces différences reflètent les
variations dans les taux d'investissement public et privé. Comme le remarquent Greene et
Villanueva (1991 : 34), "l'importance de l'investissement du secteur public a été sous-
estimée durant les années 80, puisque l'adoption des programmes d'ajustement structurels a
conduit plusieurs pays en développement à réduire l'activité de l'investissement du secteur
public en vue de diminuer les déficits budgétaires".
Puisque l'investissement public est considéré comme une variable de politique
économique (et donc relativement exogène), les économistes se sont plutôt concentrés sur
l'investissement privé comme variable nécessitant une analyse économique plus rigoureuse.
Comme le montre le travail pionnier de Khan et Reinhart (1990), un intérêt grandissant doit
être conféré à l'investissement privé en raison du fait qu'il est plus lié à la croissance
économique que ne l'est l'investissement public. Néanmoins, malgré la reconnaissance du fait
que l'investissement privé joue un rôle critique dans le processus de la croissance
économique, il existe très peu de recherches théoriques et empiriques sur ses déterminants
dans les pays en développement
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Parmi les rares études empiriques concernant les déterminants de l'investissement
privé dans les pays en développement, notamment l'impact des politiques publiques, on peut
citer celles effectuées par les pionniers, en particulier Blejer et Khan (1984), Borenzstein
(1990) et Greene et Willanueva (1991).
Les articles de Blejer et Khan (1984) et Borenzstein (1990) illustrent des points de
vue indépendants dans la mesure Borenzstein (1990) ne vise qu'à tester l'influence du
surendettement sur l'investissement privé et omet l'impact de l'investissement public. Quant à
Blejer et Khan (1984), ils ne s'intéressent qu'au degré de substituabilité ou de
complémentarité entre l'investissement public et l'investissement privé dans les pays en
développement et omettent ainsi de tester l'impact négatif que la dette extérieure peut avoir
sur l'investissement privé. En revanche, Greene et Willanueva (1991) prennent en compte
aussi bien le surendettement que l'investissement public comme variables explicatives de
l'investissement privé.
Ce sont Blejer et Khan (1984), dans leur travail empirique pionnier, qui se sont
intéressés à l'étude de la possibilité de l'existence d'une relation de complémentarité ou de
substituabilité entre l'investissement public et l'investissement privé dans les pays en
développement. Les deux auteurs se sont inspirés du modèle de l'accélérateur de
l'investissement et ont abouti à certaines spécifications du comportement de l'investissement
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Stern (1989 : 672), dans son étude des déterminants du développement économique, note que "ce qui détermine
l'investissement demeure une question très mal comprise dans les recherches sur la croissance économique à long terme".
Stern (1989) reconnaît également le rôle que peut jouer le veloppement financier dans les processus de croissance
économique à long terme dans les pays en développement (voir Mansouri, 1997).
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privé dans 24 pays en développement. Les résultats empiriques indiquent que le niveau de
l'investissement privé est positivement lié à la variation du PIB réel anticipé et négativement
influencé par l'excès de la capacité de production telle qu'elle est mesurée par la déviation du
PIB réel autour de sa tendance. Le niveau de l'investissement privé est positivement lié aux
fonds disponibles pour le secteur privé, mesurés par la variation du crédit accordé au secteur
privé et des flux de capitaux étrangers. L'étude montre également que le niveau de
l'investissement privé est positivement influencé par le trend du niveau de l'investissement
public représentant chez les deux auteurs le niveau de l'investissement public en
infrastructure. En revanche, la déviation de l'investissement public autour de sa tendance
affecte négativement l'investissement privé. Comme l'interprètent Greene et Willanueva
(1991 : 35), "ces résultats suggèrent qu'il existe une complémentarité à long terme et une
substituabilité à court terme entre l'investissement public et l'investissement privé, en ce sens
qu'une augmentation à court terme de l'investissement du secteur public semble évincer
l'investissement du secteur privé". A ce propos, Hechler (1993 : 16) estime que le résultat
empirique de Blejer et Khan (1984) montre que "c'est le capital public long à mettre en
place, donc coûteux en termes d'installation, qui agit positivement sur l'investissement
privé".
Greene et Willanueva (1991) furent les premiers à étudier l'investissement privé dans
un échantillon de pays en développement en prenant en considération les deux variables
explicatives fondamentales, à savoir l'endettement extérieur et l'investissement public.
D'ailleurs, les deux auteurs pensent que leur étude est "une tentative de meiux comprendre
les déterminants empiriques de l'activité de l'investissement privé dans les pays en
développement durant la période postérieure à 1974" (Greene et Willanueva, 1991 : 35). En
utilisant l’analyse des données de panel sur deux périodes différentes (1975-81 et 1982-87),
le résultat empirique fondamental de Greene et Willanueva (1991) est que l'investissement
public affecte positivement l'investissement privé à travers les 23 pays de l'échantillon quelle
que soit la période retenue. En effet, comme l'indiquent les deux auteurs (Greene et
Willanueva, 1991 : 47), "le coefficient estimé du ratio au PIB de l'investissement public
(IPUB/Y) est positif et significatif, suggérant que dans cet échantillon de pays en
développement, l'investissement du secteur public est complémentaire à l'activité
d'investissement du secteur privé".
Un autre important résultat empirique du modèle de Greene et Willanueva (1991 : 49)
réside dans le fait que "le coefficient estimé du taux d'intérêt réel est négatif et
statistiquement significatif". Ce résultat empirique semble ainsi plus compatible avec le
modèle néoclassique d'investissement qu'avec l'hypothèse de Mckinnon et Shaw en ce sens
qu'il suggère que les taux d'intérêt réels au sein de l'échantillon de pays induisent un déclin
de l'investissement privé en augmentant le coût d'usage du capital (hypothèse néoclassique)
et non pas une promotion de l'investissement privé à travers l'encouragement de l'épargne
nécessaire (hypothèse de Mckinnon et Shaw)
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- Il est à noter dans ce cadre que les déficits publics peuvent avoir des effets indirects sur la consommation et l'investissement privés si
les taux d'intérêt réels augmentent en réponse à un financement élevé des déficits par le recours à l'endettement public domestique (voir
deuxième partie, chapitre II). Or, la théorie économique prédit que les taux d'intérêt réels auront un effet ambigu sur la consommation
privé. En revanche, l'investissement privé devrait normalement chuter en réponse à des taux d'intérêt réels élevés. D'ailleurs, des
arguments empiriques pour certains pays en développement soutiennent l'idée selon laquelle la consommation privée est insensible aux
taux d'intérêt réels (Giovannini, 1983, 1985; Corbo and Schmidt-Hubbell, 1991; Schmidt-Hebbell, Webb and Corsetti, 1992; Rossi, 1996).
Il est toutefois surprenant que certaines études empiriques révèlent que l'investissement privé est peu sensible aux taux d'intérêt réels
dans les pays en développement (voir par exemple, Rama, 1993; Servén et Solimano, 1993,;Easterly, Rodriguez and Schmidt-Hebbell,
1989; 1994). Cependant, Haque, Lahiri et Montiel (1990) ont montré que le taux d'intérêt est négativement et très significativement lié au
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