Union Nationale des Cliniques Psychiatriques Privées 81 rue de Monceau – 75008 PARIS tél. 01 45 63 38 41 - fax 01 45 63 30 66 [email protected] www.uncpsy.fr Clinique mon repos Château de Bonneveine Docteur Pierre Rance Marseille, le 21 novembre 2003 Observations sur le plan d'action pour le développement de la psychiatrie et la promotion de la santé mentale Rapport de Philippe Cléry-Melin Voici après quelques semaines, quelques réflexions qui m'ont été inspirées par ce rapport. Il me semble important de bien faire la différence entre les soins psychiatriques et la santé mentale car il y a un risque de confusion. Il ait des obligations incombant aux soins psychiatriques et d'autres qui devraient relever du domaine de la santé mentale. Le danger est de demander aux psychiatres de résoudre des problèmes qui ne sont peutêtre pas de leur compétence. Pour ce qui est de la nécessité de définir le besoin de soins en psychiatrie en n’utilisant plus que le CIM 10 ou le DSMIV, il me semble un peu dommage car on abandonne ainsi une nosographie française qui est, à mon avis, plus fine et pertinente que ne le sont les échelles anglo-saxonnes. Concernant la réorganisation de l'offre de soin de première ligne, s'il faut renforcer les liens entre les médecins généralistes pour les sensibiliser à la mise en évidence des premiers symptômes afin de permettre une prise en charge précoce des troubles psychiatriques, cela semble envisageable. Par contre, pour ce qui est des psychothérapies et des psychothérapeutes, il serait souhaitable que cette profession puisse être encadrée par un « ordre » garant de la compétence des psychologues et du sérieux des méthodes psychothérapeutiques proposées, tout en sachant bien qu'il n'existe pas de méthodologies sérieuses d'évaluation des psychothérapies selon une approche scientifique et objective. La création sur un territoire de santé d’un psychiatre coordinateur est à mon avis quelque chose qui va considérablement alourdir le fonctionnement et certainement rallonger les délais de prise en charge. C’est rajouter un maillon supplémentaire dans la prise en charge du patient. 1 Concernant la proposition d'une information claire, destinée au grand public : initialement, j'étais assez favorable à cette proposition car cela permettrait effectivement au grand public de mieux comprendre la psychiatrie, les maladies mentales et les divers moyens de prise en charge. Mais enfin de compte, cette spécialité est tellement complexe et incertaine que l'on peut se demander comment il va être possible de donner au grand public une information claire, précise et conforme aux données de la science. Cette transmission d'une information compréhensible par tous va conduire à une simplification extrême des concepts nosographiques et thérapeutiques et aboutir à une information sans grande valeur informative, source probablement de malentendus. L'autre question que l'on peut aussi se poser est de savoir par qui sera validée cette information ? Y aura-t-il un comité de sage qui décidera que telle information sera bonne à transmettre et que telle autre ne sera pas bonne ? Il y aura donc des concepts psychiatriquement corrects et d'autres qui ne le seront pas. Quant aux émissions médicales « grand public », à part faire plaisir à certains psychiatres en passant à la télévision, le niveau me semble tellement bas que si elles étaient supprimées cela n'entraînerait pas de catastrophe sanitaire. Pour ce qui est de l'augmentation du nombre des psychiatres (libéraux et publics), je ne peux être que d'accord avec cette proposition. Par contre, je ne suis pas d'accord avec l'octroi d'une rémunération complémentaire pour les psychiatres exerçant dans le public (ils bénéficient déjà d'un certain nombre d'avantages : retraite, couverture maladie, garantie des revenus, 35 heures, RTT). Concernant l'organisation fédérative à l'échelle d'un « territoire de santé » : attention à ce que ne soit pas transféré à la charge la psychiatrie privée libérale des obligations qui incombent réglementairement et légalement au service public, comme par exemple les urgences en général et psychiatriques en particulier. Ce n'est pas aux psychiatres libéraux de pallier les défaillances du service public. La création d'une commission territoriale de psychiatrie et de santé mentale : encore une instance nouvelle, alors qu'il existe déjà la commission départementale de santé mentale. C’est soit l'une, soit l'autre, mais pas les deux. Attention aussi à la possibilité offerte aux établissements privés de développer des activités répondant aux besoins reconnus au niveau national et/ou régional dans un souci de répartition harmonieuse des tâches entre le public et le privé. C'est cette répartition harmonieuse qui est dangereuse car elle risque d'obliger certains établissements privés à assurer des fonctions qui reviennent au public (l'accueil des urgences, l'accueil des patients détenus, les hospitalisations sous contrainte). Ce qui ne me semble pas pensable dans le privé compte tenu de certaines obligations réglementaires, compte-tenu également des problèmes médicaux que cela peut poser, mais aussi par rapport aux difficultés qui sont posées par la couverture assurancielle des établissements. Les établissements privés n'ont aucun intérêt dans la prise en charge coordonnée de certains besoins d'hospitalisation jusque-là supportés exclusivement par les établissements publics. Il n'est pas choquant que les établissements publics assurent la prise en charge les hospitalisations sous contrainte et celle des détenus. Cela fait partie des devoirs de la République. Il serait très intéressant de faire un référendum auprès des établissements privés afin de savoir s'ils acceptent de recevoir toutes les hospitalisations sous contrainte ainsi que les patients détenus. Vouloir que privé et public fassent à la même chose, cela va avoir deux conséquences : la première, c'est que cela n'améliorera pas le service public, la seconde, c'est que cela détériorera sûrement le niveau de qualité des établissements privés. Donner au CMP-Ressource Territorial le rôle pivot du territoire de santé en psychiatrie et santé mentale : c'est encore créer une structure supplémentaire. Cela ne va pas 2 faciliter la « lisibilité » du fonctionnement des soins psychiatriques. Cela met aussi les CMP-RT en première ligne, excluant, par la même, tout le travail accompli par les psychiatres libéraux qui ne comptent pas leur temps auprès des malades. Cette non prise en compte des psychiatres libéraux est inacceptable.. Concernant l'accessibilité de la psychiatrie 6 jours sur 7, 24 heures sur 24, cela ne me semble pas obligatoirement comme une bonne chose car cela va probablement générer une demande supplémentaire de prise en charge, dans une demande de satisfaction immédiate, dans l'ici et maintenant, d'une pseudo demande urgente, à l'instar de ce qui se voit actuellement dans les services d’urgences des hôpitaux, qui sont sur-saturés par la « bobologie ». Il en sera rapidement de même pour la psychiatrie. À part le risque imminent de passage à l'acte suicidaire où la crise d'agitation dans un contexte délirant, le pronostic vital n’est jamais remis en question en psychiatrie. On ne meurt pas d'une crise d'angoisse. La non-réponse 24 heures sur 24 à la demande psychiatrique peut être aussi un outil thérapeutique de par la frustration que cela peut entraîner. Il n'y a de structuration que dans la frustration. Il me semble important de faire la différence entre la demande urgente de soins psychiatriques et la demande de soins urgents en psychiatrie. La différence est énorme. L'application d'un protocole de soins dit « des 72 heures » me fait faire deux remarques : 1/ il faut enlever le mot « soins », car cette formulation peut laisser penser aux malades ou à son entourage qu'il va être soigné en 72 heures. 2/ en cas de refus ou d'opposition aux soins, il existe la loi sur les hospitalisations sous contrainte qui permet d'hospitaliser un patient et de le garder, pourquoi pas,72 heures. Il ne me semble pas nécessaire de créer un nouveau texte de loi. Encore un de plus ! Concernant les soins de réadaptation en psychiatrie : la création d'USRI représente encore une nouvelle entité. Quelle différence existe-t-il avec les établissements de postcure, dont la fonction est de permettre au patient de se réadapter à son milieu, tout du moins, en principe. Il semble peut-être important de définir le terme de réadaptation. Ces structures vont être consommatrices de personnel. Dans une période de pénurie en infirmières, en aides soignantes et en psychiatres, vouloir créer de nouvelles structures est peut-être une bonne chose mais s' il n'y a pas le personnel pour les faire fonctionner, cela ne sert à rien. Allouer les moyens financiers indispensables : il est tout à fait indispensable d'allouer à la psychiatrie des moyens financiers, mais la tarification à l'activité n'est peut-être pas la meilleure des solutions. Je pense qu'il faut peut-être arrêter de vouloir à tout prix comparer le privé et le public. C'est une attitude démagogique de nos gouvernements afin de calmer parfois les inquiétudes de certains mais les faits montrent que cette comparaison est illusoire. Est totalement utopique d'imaginer qu'un jour, le privé et le public auront un même prix de journée à service médical rendu identique. Le privé doit défendre sa spécificité et sa différence face au public. Cela passe certainement par une différence tarifaire acceptable dans la mesure où nous ne faisons pas la même chose. L'appréciation de la juste destination du prix de journée est difficile et certainement complexe. Le juste prix est peut-être difficile à déterminer par contre il serait peut-être intéressant de déterminer le prix de journée minimum (hors honoraires médicaux et paramédicaux) auquel pourrait venir se surajouter un financement supplémentaire correspondant à des prises en charge complémentaires (entretiens psychologiques, thérapies de groupe, ergothérapie, activités motrices, activités de resocialisation, etc.). Mieux dépister et mieux traiter troubles psychiques des enfants des adolescents, mieux promouvoir la santé mentale : c'est une tâche très difficile, certes il apparaît comme une 3 évidence que plus on intervient tôt, plus on aura de chances de limiter les risques d'apparition de troubles mentaux plus graves. Concernant la prise en charge des adolescents, le développement des structures d'accueil est certainement une bonne chose mais comment concevoir une organisation correcte si cette structure fonctionne sans règles (pas de rendez-vous, pas de contrat de soins). En ce qui concerne la psychiatrie du nourrisson ou la psychiatrie périnatale : il faut arrêter de délivrer car bientôt pourquoi ne pas envisager une psychiatrie in utero ! Que les mères et/ ou les pères puissent bénéficier d'une consultation psychiatrique si besoin mais il faut tout de même se calmer un peu et ne pas systématiquement mettre la psychiatrie à toutes les sauces. Au sujet des personnes âgées : bien entendu qu'il est important de pouvoir les prendre en charge correctement et surtout si elles présentent des troubles psychiatriques. Mais on se trouve là dans une zone diagnostique sensible où il est parfois difficile de faire la part des choses entre ce qui relève du psychiatrique et ce qui relève du neurologique car tous les troubles psychiques de la personne âgée ne relèvent pas systématiquement de la psychiatrie. La création d'unités de géronto-psychiatries ne doit pas aboutir à la création d'unités d'accueil pour déments. Réactualisation de certaines dispositions de la loi du 27 juin 1990 relative à l’ hospitalisation sous contrainte : on ne peut être d'accord sur la simplification de la procédure d'HDT, en particulier l'obligation des deux certificats. La mesure de la contrainte de soins en ambulatoire s'appelait auparavant « le congé d'essai ». Il est effectivement important de préciser cette obligation de soins mais dans les faits cela ne changera probablement pas grand chose par rapport aux patients qui ne veut pas se soigner. Etendre l'application de la loi du 27 juin 1990 aux établissements hospitaliers privés : je ne pense pas qu'il soit opportun que les établissements de santé privés soient invités à s'engager pleinement dans la prise en charge des patients en HDT, HU et H0. Il est une bonne chose qu'actuellement les hospitalisations sous contrainte soient sous la responsabilité unique des hôpitaux publics. Il en est de même de la justice, il n'est pas envisageable au prètexte encombrement des tribunaux d'accorder une délégation à une structure privée. Transféré aux établissements privés la responsabilité de la prise en charge des HDT HU et HO pose le problème de la responsabilité des établissements compte tenu que les médecins qui y exercent, le font dans la grande majorité des établissements, à titre libéral. Que va-t-il se passer en cas de problème médico-légal ? Comment ce transfert de responsabilité est envisagé par les compagnies d'assurances ? Quel va en être le coût au niveau des prix en responsabilité civile professionnelle pour les médecins et en responsabilité civile pour les établissements ? Une telle mesure doit entraîner la création d'unités fermées dans les établissements afin d'accueillir les patients dangereux. Cela nécessite également l'embauche de personnels supplémentaires (infirmières, aides soignantes, médecins) afin de pouvoir, au niveau médical, fonctionner 24h/24, ce qui est difficilement envisageable actuellement. Cette solution de transfert des activités, HDT, HU et HO dans le privé ne peut se faire sans que tous les établissements ne soient consultés et ne donnent leur avis sur cette proposition. Quel que soit le résultat (majorité de huit ou majorité de non), cet éventuel transfert de délégation ne pourra pas être imposé à l'établissement mais accordé à celuici sur la base du volontariat. 4 Je n'évoque évidemment pas le problème de l'allocation de ressources d'un tel service. Compte tenu des impératifs de fonctionnement tant du point de vue de la structure, du personnel et de l'imprévisibilité de remplissage, seul un financement par le budget global est acceptable. Sur la prise en charge des patients détenus et en ce qui concerne les mesures de suivi socio judiciaires avec contrainte de soins à l'ensemble des catégories de délinquants ayant une composante psychopathique. Est-ce que la psychopathie encore appelée par certains sociopathie relève du champ de psychiatrie ? Si je pose cette question, c'est bien entendu pour y répondre par la négative. La psychopathie relève plus de mesures éducatives ou socio-éducatives. De toutes les façons, ces mesures de contrainte de soins (notion très discutable) ne doivent pas, pour garder une efficacité, être assorties d'une quelconque remise de peine. Développer la démarche qualité et les actions de formation dans tous les secteurs de la psychiatrie et de la santé mentale, en initiant l'évaluation des pratiques : attention à ce que l'évaluation des pratiques n'aboutisse pas progressivement à une évaluation des résultats. Évaluation des résultats qui risque d'aboutir à l'obligation de résultats. Les propositions concernant l'amélioration de la formation des intervenants (psychologues, médecins, psychiatris, etc…) ne peuvent être qu'encouragées. Encore oui pour former les aidants et le développement de l'éducation thérapeutique des patients. Développer la recherche en psychiatrie, oui mais cette recherche ne doit pas être uniquement une recherche en psycho-pharmacologie ni une validation du PMSI. Il est important de revenir à une mise en valeur de la clinique psychiatrique face à une instrumentalisation excessive en provenance essentiellement des pays anglo-saxons tout en sachant que la psychiatrie n'appartiendra jamais complètement au domaine de la science fondamentale car elle aura toujours, au moins, un pied dans le domaine des sciences humaines. Pour conclure, il faut se féliciter de ce rapport qui compte un certain nombre de propositions intéressantes, mais il faudra toutefois rester vigilant par rapport à la mise en place de certains changements. 5