groupe qui lui recommande de choisir ce dieu-là. La croyance religieuse est d’abord un
processus d’identification sociale et culturelle. Croire en un dieu, c’est accepter la culture et
les valeurs d’un groupe culturel donné.
Autre élément : Nietzsche émet l’hypothèse que la religion prend son origine dans le
respect dû aux ancêtres (Généalogie de la morale, II, § 19). La conscience d’une dette envers
les ancêtres, qui sont à l’origine du groupe, serait le premier germe de toute religion. Plus
généralement, il est très clair, pour Nietzsche comme pour Freud, que la religion est un
discours qui exprime l’« instinct du troupeau » : étant essentiellement morale, elle est
essentiellement sociale.
2. Le profane et le sacré
Cette « force » du groupe, continue Durkheim, s’incarne (s’objective) ensuite dans des
objets quelconques, qui acquièrent un statut « sacré », c’est-à-dire qui sont séparés, interdits :
fétiche, totem, temple, etc. L’essence du religieux est dans cette distinction entre le profane
et le sacré : cette distinction se retrouve dans toutes les religions :
Nous arrivons donc à la définition suivante : Une religion est un système solidaire de
croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées, c’est-à-dire séparées, interdites,
croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale, appelée Eglise, tous
ceux qui y adhèrent. Durkheim, Les Formes élémentaires de la vie religieuse, 1912
Freud avait voulu expliquer l’origine de cette distinction par un parricide originel qui
expliquerait l’émergence du totem et du tabou : le meurtre du père serait à l’origine de la
mauvaise conscience religieuse et le père assassiné serait l’idole symbolisée par le totem,
devenu tabou pour exorciser et expier le meurtre. Mais cette hypothèse n’est plus guère
retenue par les chercheurs actuels.
Mircea Eliade, célèbre historien des religions, insiste lui aussi sur cette distinction entre le
profane et le sacré, qui seule peut définir la religion :
Comme nous l’avons répété à plusieurs reprises, l’homme religieux assume un mode
d’existence spécifique dans le monde, et, malgré le nombre considérable des formes
historico-religieuses, ce mode spécifique est toujours reconnaissable. Quel que soit le
contexte historique dans lequel il est plongé, l’homo religiosus croit toujours qu’il existe une
réalité absolue, le sacré, qui transcende ce monde-ci, mais qui s’y manifeste et, de ce fait, le
sanctifie et le rend réel. Il croit que la vie a une origine sacrée et que l’existence humaine
actualise toutes ses potentialités dans la mesure où elle est religieuse, c’est-à-dire : participe à
la réalité. Les dieux ont créé l’homme et le Monde, les Héros civilisateurs ont achevé la
Création, et l’histoire de toutes ces œuvres divines et semi-divines est conservée dans les
mythes. En réactualisant l’histoire sacrée, en imitant le comportement divin, l’homme
s’installe et se maintient auprès des dieux, c’est-à-dire dans le réel et le significatif.
Il est facile de voir tout ce qui sépare ce mode d’être dans le monde de l’existence d’un
homme areligieux. Il y a avant tout ce fait : l’homme areligieux refuse la transcendance,
accepte la relativité de la « réalité », et il lui arrive même de douter du sens de l’existence.
Mircea Eliade, Le Sacré et le profane, 1965
Ce texte montre qu’il y a un lien étroit entre cette distinction et la transcendance. Celle-ci
constitue donc une dimension essentielle de la religion, qui est à la source de la distinction
entre le profane et le sacré. C’est parce que la religion est d’un autre ordre qu’elle produit
cette distinction radicale. La transcendance caractéristique de la religion explique sa
dimension irrationnelle qui la distingue de la philosophie et de l’éthique, et qui permet de
comprendre de multiples aspects de la religion, notamment le caractère central des notions de
foi et de croyance, la nécessité de la révélation pour délivrer le message religieux, ainsi que la
nécessité de rites et de procédés artistiques ou liturgiques pour accompagner et entretenir le