De plus, la christianisation prenait souvent la forme de russification des peuples non-
russes. Dès le XVI-ème siècle, non seulement au niveau de l’Eglise, mais également de
l’Etat, une idée s’affirme: se convertir à l’orthodoxie signifie en fait devenir Russe, et
devenir Russe signifie « passer de l’état de sauvage national à celui de culturel »
MPMS, 1894, p. 24-25, 31. Ainsi, le statut de l’étranger (l'étranger dans le sens un
sujet non-russe de l'Empire russe) est défini essentiellement par sa foi, sa croyance, et
non pas par son appartenance ethnique. En d’autres mots, l’ethnonyme Russe avait pour
synonyme orthodoxe, et, dans l’autre sens, le mot orthodoxes était, en général, la
désignation ethnique de Russes.
C’est seulement à partir du milieu du XIX-ème siècle qu’on peut parler de volonté de
l’Eglise russe d’aller vers une institutionnalisation et professionnalisation de l’activité
missionnaire auprès des musulmans. C’est justement à cette époque qu’est fondé, auprès
de l’Académie ecclésiastique de Kazan, le service missionnaire anti-musulman, puis la
confrèrerie de Kazan St. Gouri et, à Moscou, la Société missionnaire orthodoxe. Et c’est
seulement en 1913 que fût organisé auprès du Synode, et de façon permanente, le
Conseil missionnaire qui créa la mission turkmène en Asie Centrale avant la guerre.
Dans la deuxième moitié du XIX-ème siècle, suite à une certaine stimulation de
l’activité missionnaire et grâce, en partie, à l’apparition d’une littérature orientaliste, on
observe, dans l’Eglise russe, le besoin d’une interprétation théologique de l’islam. En
général, les approches théologiques de l’islam se faisaient selon les règles de la
polémique traditionnelle, élaborée par les chrétiens de Byzance et partant sur le fait que
l’islam était à priori une fausse religion, Mahomet un pseudoprophète et le Coran une
fausse Ecriture. L’islam s’était affirmé uniquement par la violence et la force militaire.
Selon le prêtre Akvilonov, «l’histoire de l’islam, c’est l’histoire de ses guerres, son
chemin est inondé de sang » [Akvilonov, 1904, p. 73]. Le Dieu de l’islam n’est ni bon,
ni miséricordieux, mais despotique, vengeur et arbitraire. La plus grande attention était
surtout portée à la personnalité du fondateur de l’islam. Trois thèmes dominaient : la
perfidie asiatique et la cruauté satanique de Mahomet, sa dépravation et sa luxure, et sa
maladie psychique (épilepsie). La dernière thèse aussi d'origine byzantine, c'était
Théophane le Confesseur, un théologue de VIII-IX-ème siècles, qui le premier a
présanté cette version. Et au début de XX- ème siècles un polémiste russe Sinajskij
affirmait que « l’islam est le fruit du rêve religieux et malade d’un malin trompeur et
hypocrite » [Sinajskij, 1904, p. 49]. Des affirmations que Mahomet n’avait pas pu être