LA RELIGION
La philosophie contemporaine considère la religion sous deux acceptions possibles :
- Soit prise individuellement, elle est un système de rites et de pratiques institutionnalisées, et qui relie les
hommes au sacré, au transcendant.
- Soit prise comme un ensemble de croyances permettant aux individus de découvrir à travers leur foi, la
signification surnaturelle de leur existence dans le monde.
Toutes les civilisations ont été touchées par la dimension religieuse. Et toute religion comprend 3 composantes
caractéristiques : la croyance, la pratique et la dimension collective…
L’homme semble donc un animal religieux. Elle lui est indissociable, universelle… Et pourtant que de religions
nombreuses et différentes rencontre-t-on dans l’histoire des civilisations, comme si cette universalité était brisée
par la multitude des religions.
Les grandes problématiques qui se rattachent à cette notion s’organisent autour de plusieurs questions
fondamentales :
- La dimension religieuse de l’homme est universelle, mais elle s’exprime de multiples façons très
particulières. Comment donc concevoir cette disparité qui en soi, porte sur un objet unique : Dieu ?
Comment tant de religions si différentes peuvent-elles revendiquer la même source : Dieu ? Cela ne
vient-il pas contrarier l’aspiration à l’universel dont se revêt la religion, d’autant que celle-ci revendique
une dimension supérieure à celle du simple phénomène culturel.
- Quelle est l’origine de la religion ? L’homme ou Dieu ?
- Sur quoi se base-t-elle ? La Révélation ou la Raison ?
- La religion est-elle une ou multiple ?
I ] LA RELIGION & INCONNU
A LA RELIGION ET LE SACRE
1) L’origine du mot
Elle prête à discussion. Certains rattachent le mot religion au latin « religere » qui signifie
rassembler, recueillir. Mais d’autres y voit plutôt la racine de « religare », qui veut dire relier, attacher.
2) Les deux définitions du mot
De ces deux étymologies découlent deux définitions dont la portée n’est pas la même,
puisqu’on la considère
- soit sous un aspect objectif : un ensemble de rites et de croyances reliant les hommes au sacré.
- soit une dimension subjective : ensemble de croyances permettant de donner un sens à l’existence.
Quoiqu’il en soit il est intéressant de constater que l’on ne peut exclure de cette notion l’aspect social,
mais aussi personnel. Et d’une façon ou d’une autre, elle relie les hommes au sacré.
3) Qu’est-ce que le sacré ?
Est sacré ce qui appartient à un domaine séparé et infranchissable en soi. Est posé la notion
d’interdit, d’inviolable. Le sacré se définit presque par opposition au profane. Le sacré porte sur un
objet dont le caractère et la valeur sont absolus. La religion sépare le sacré du profane.
Mais dès lors la question est de savoir : séparé de quoi, de qui ? De l’homme, de la nature, du monde,
de tout à la fois ?
Si le sacré est l’absolu, peut-il être atteint ? Ne signifie-t-il pas nécessairement la dépendance (voire la
crainte) de l’homme vis-à-vis de lui ?
De toutes façons le sacré pense Durkheim est indissociable de la religion, il est même pour lui l’essence
du fait religieux.
B L’ESSENCE DE LA RELIGION
1) Les rites et la pratique
Il n’y a pas de religion sans rites codifiés car la religion est une communication avec Dieu,
voire une participation à la vie divine.
Elle nécessite donc que des personnes lui soient réservées.
Il est intéressant que la forme fondamentale de tous les rites est le sacrifice, qui exprime le besoin de
présenter à Dieu quelque chose ou quelqu’un qui se substitue aux sujets, lesquels expriment leur besoin
de donner, d’offrir quelque chose qui les représente.
Ces rites doivent être codifiés car ils doivent pouvoir s’accomplir au sein de la collectivité. En
tant que tel, la religion ne s’adresse pas à la seule individualité.
2) Religion et magie
Si les rites sont fondamentaux, on ne peut les réduire à la religion, sans quoi ce serait
confondre religion et magie.
La magie par les rites qu’elle accomplit (comme une sorte de savoir-faire), entend agir
directement sur la nature. Elle repose sur des procédés en soi occultes, lesquels recherchent des effets
extraordinaires, qu’elle est certaine d’obtenir comme par pur mécanisme et efficacité matérielle. Dans
un tel contexte, la divinité est au service des hommes et leur obéit, puisqu’elle comme contrainte.
La religion est plus désintéressée, elle implore et ne commande pas.
II ] RELIGION & INTELLIGENCE
L’autre donnée de la religion est la croyance, la foi. Or, on croit ce que l’on ne voit pas. Dès lors la foi n’est elle
pas essence déraisonnable puisqu’elle dépasse la raison ?
A LA CROYANCE RELIGIEUSE
Kierkegaard a souligné le rapport intime qui existe entre la croyance et la religion. Il s’agit pour lui
d’une croyance qui a totalement dépassé la raison, sans quoi elle ne serait plus une croyance. Aussi la décrit-il
comme une « espérance contre toute espérance. » Son chemin est forcément difficile et déchiré, puisqu’il faut
adhérer intellectuellement à une vérité absolument transcendantale. Ainsi l’auteur confie-t-il que l’expérience
religieuse dépasse forcément l’ordre moral et raisonnable. D’ailleurs la religion n’est-elle pour lui qu’affaire
d’expérience personnelle.
De fait pour Kierkegaard il n’y a pas de démonstration possible de Dieu. On ne peut pas prouver son
existence : on l’éprouve. Aussi se convertir c’est se détourner de la sphère de la raison. Contre Hegel, il nie un
passage dialectique entre Dieu et la Raison, puisqu’il y a une différence de nature. Si l’éducation religieuse
transmet un savoir, la foi n’est présente que lorsque l’on tourne le dos à ce savoir pour oser croire.
Tout était posé pour aboutir à une religion qui se réduit à une quête d’un accomplissement moral.
Pas de croyance sans mystère. On comprend donc que de nombreux philosophes aient rejeté la croyance révélée
au profit d’une croyance naturelle !
B RELIGION ET RAISON
1) Foi et philosophie
Platon et Aristote avait réussi à atteindre l’existence de Dieu et pourtant ne bénéficiaient pas
d’une révélation. Dieu est-il être atteint par les seules forces de la raison ?
Si cela est possible, Dieu dans ce cas n’est pas objet de foi mais de savoir. Car il faut retenir que ce qui
est objet de foi n’est pas vu mais cru. Or savoir, c’est voir par l’intelligence. Ainsi paraît-il difficile
d’admettre que Dieu ainsi connu puisse être compris dans la notion de religion, puisqu’il manque une
des trois composantes de la religion : la croyance…
Cf. l’introduction du cours de philosophie pour étudier les rapports entre Foi et philosophie.
Les rapports entre philosophie et religion ne constituent pas un débat récent, les peuples anciens ont
toujours été pris dans cette opposition : les sémites ignoraient la philosophie, les Grecs la foi, quant aux
civilisations orientales, ne réussirent pas mieux à faire les cohabiter. Comme si philosophie et religion
cherchaient à prendre le pas l’une sur l’autre. N’est-ce pas le signe d’une recherche de l’être absolu,
auquel les deux disciplines entendent répondre ?
En réalité, ce qui les oppose fondamentalement, c’est le moyen, la lumière par laquelle l’objet
est atteint : Révélation et raison.
2) La religion naturelle et morale
a. Fondements
Beaucoup de philosophes, au nom de la raison, ont rejeté l’acceptation de la
révélation, qui pour eux s’oppose (voire insulte la raison.)
Sur le concept de Dieu, les philosophes se divisent en deux sur la question de Dieu :
. Soit il est considéré comme cause de monde.
. Soit Dieu est identifié au monde (panthéisme.)
C’est la deuxième position qui conduit irrémédiablement à une religion naturelle,
puisque dès lors la révélation devient impossible et absurde. Dieu se confondant avec
l’humanité, la religion devient une quête d’un accomplissement moral supérieur. Certes,
panthéisme, religion naturelle, religion morale connaissent de nombreuse distinctions et
nuances parmi leurs auteurs, mais on peut tout de même leur trouver un tronc commun. Et dans
cet ensemble, on peut réunir Kant, Rousseau, Hume et Hegel.
b. Le cas de Kant
Rousseau et Hume sont des grands théoriciens de la religion naturelle. Mais c’est Kant
qui est resté célèbre pour avoir fait de la religion une gigantesque morale, puisque pour lui la
religion est la connaissance de tous nos devoirs perçus comme des commandements divins.
Dès lors la loi morale prime tout (même la foi.)
Pour Kant, s’offrent à l’esprit trois grandes possibilités :
. Ce qu’il peut connaître et savoir : l’expérience, les phénomènes.
. Ce qu’il doit faire : la loi.
. Ce qui lui est permis d’espérer : la religion.
Mais il est évident pour Kant que Dieu en soi, l’immortalité de l’âme et la liberté ne
sont pas objet d’expérience, et donc ne sont pas connaissables. Ce sont des catégories à priori
de la sensibilité, ils appartiennent à l’ordre des noumènes. Toutes les démonstrations portant
sur l’existence de Dieu ne sont donc que des sophismes.
Mais peut-on encore parler de religion là il n’y a que sentiment de respect vis-à-vis de
la seule moralité humaine ? La religion ne serait-elle qu’un mi-chemin entre mythe magique et
éthique ? Une sorte de sagesse ?
3) L’idéalisme rationaliste de Hegel
Hegel explique la religion par son célèbre concept de Raison Universelle. La religion est donc
la manifestation de cet Esprit qui se comprend lui-même toujours plus finement. La religion progresse
donc par étape pour exprimer de mieux en mieux l’être de cette Raison Universelle..
Ainsi la croyance était-elle d’abord immédiatement naturelle et se portant sur un être extérieure
à lui-même : soleil, vent, montagne divinisés, etc… Puis les hommes prirent conscience d’eux-mêmes,
mais à travers des figures créés par les hommes, c’est ce qu’il appelle la « religion esthétique » : ce sont
les dieux mythologiques. Cette progression aboutit à la prise de conscience de soi-même comme esprit
réel : et c’est pour Hegel le gigantesque progrès atteint par le christianisme qui atteint l’esprit pour soi
(et non face de soi.)
La religion est donc elle aussi l’expression d’un progrès dialectique.
Hegel a donc souligné l’universalité de l’expérience du sacré, qui est un élément stable de la
structure de la conscience. Ainsi l’origine de la religion se confond avec la structure de l’esprit humain.
III ] RELIGION ET SOCIETE
Sous prétexte qu’effectivement savoir n’est pas croire, nos sociétés contemporaines ont cru bon de
distinguer la foi de par un caractère subjectif et personnel (une sorte d’opinion), et le savoir comme une
connaissance certaine et objective.
Ainsi cette restriction de la religion à l’expérience personnelle, qu’avait exposé Kierkegaard, est hélas
communément admise aujourd’hui.
A ENCORE UNE DISTINCTION BERSONIENNE
Pour Bergson il y deux formes de la religion qui résultent de la distinction mentionnée ci-dessus.
1) La religion statique
Pour Bergson, la religion prise collectivement n’est qu’un ensemble d’observances closes et
rigides. Elle se réduit à un ensemble de rites. Ce n’est donc qu’un système de pratiques
institutionnalisés. A ce titre Bergson l’appelle une religion statique.
Elle a une fonction défensive puisqu’elle permet aux hommes de se prémunir contre l’angoisse
collective de la mort. Elle est comme une sorte de conservation sociale. Elle est liée à l’imaginaire et
s’oppose au caractère dissolvant de l’intelligence.
2) La religion dynamique
Au contraire, la religion intérieure se lie à l’élan créateur de la vie. La croyance religieuse
interne est un élan spirituel ouvert. Cette religion transporte l’âme vers l’amour, il s’agit donc d’une
religion mystique que Bergson qualifie de dynamique par opposition à la statique.
Pour Bergson beaucoup de religions reflètent ce mysticisme, mais seule le christianisme est la plus
complète, c’est la meilleure expression. Elle porte l’humanité au-delà d’elle-même.
B ALAIN : LA RELIGION COMME NECESSITE SOCIALE
Pour Alain, il ne faut pas s’interroger sur la vérité historique des religions, car ce sont là deux ordres
différents. La religion n’a d’intérêt que de par son revêtement : celui d’une éthique. Les religions ne sont ni
raisonnables, ni croyables, mais elles sont toutes vraies dans la mesures où elles présentent une éthique, un bon
sens sous forme de métaphores.
Dès lors Alain critique fortement les attitudes anti-religieuses qui sont des acceptation commodes du
règne de l’intérêt et de la force. Nier toute religion est pour Alain une abdication de la pensée. A ce titre Alain
distingue l’athéisme (auquel in ne croit pas fondamentalement) de l’anti-religion.
En fait, le religion n’a pas disparu, pas plus que le besoin de sacré, puisque nous sommes tous à la recherche
d’un sens à notre existence. Aussi nous explique-t-il que la source actuel de toute valeur et de tous systèmes est
le concept d’homme-dieu…
IV ] LES CRITIQUES ANTI-RELIGIEUSES
Les critiques anti-religieuses ne sont pas nouvelles, et si elles ont pu trouvé différentes formes ou
motifs, elles se rattachent toutes au principe suivant : la religion est une invention humaine. En en faisant une
valeur objective, elle est dès lors illusoire puisqu’elle cherche un sens bénéfique là où il n’y en a pas. Refusant la
réalité, elle est accusée d’être le fruit de la peur et de l’angoisse.
Il faut donc différencier une telle position de la critique interne qui ne nie pas la foi, mais cherche à la purifier.
C’est donc une critique qui demeure religieuse.
Dès l’antiquité déjà nombreux furent les philosophes matérialistes à critiquer la religion. Ainsi pour
Epicure, Lucrèce et leurs disciples, la religion est né de la crainte des hommes qui sont par faiblesse, plongés
dans la superstition. Il faut donc libérer les hommes de la criante divine en expliquant par le biais de la
philosophie, qu’il n’y a pas de providence, ni de destin. Si Dieu existe, en tous cas, Il ne s’occupe pas de nous. Il
n’y a donc pas à s’en inquiéter.
Pour Spinoza, la religion est une illusion dont la source est l’anthropocentrisme et la croyance aux
causes finales. D’où se célèbre formule, où Dieu est dénommé comme un « asile d’ignorance. »
Freud voit dans la religion l’incapacité de l’homme à affronter la réalité de sa condition, aussi
surmonte-t-il sa détresse infantile en se tournant vers l’image d’un père puissant et protecteur.
La religion provient donc des désirs humains dont notamment celui d’être protégé.
Feuerbach considère Dieu comme étant une création de l’esprit humain. Il l’appelle « l’essence morale
objectivée de l’homme ». C’est-à-dire que l’homme s’est mis à distance de lui-même sous la forme séparée d’un
être transcendant. La religion est donc une projection de l’homme et de ses qualités dans un au-delà imaginaire.
L’homme crée un objet opposé à lui. Dieu n’est qu’un anthropomorphisme, une personnification de l’homme,
car à bien chercher, dans la religion et dans Dieu, on ne trouve que l’homme. En fait la religion n’est qu’une
relation de l’homme à lui-même (l’homme se constituant comme objet.) Mais dans cette projection, l’homme
s’appauvrit en donnant à Dieu toutes ses qualités.
S’il veut retrouver sa propre essence, l’homme doit supprimer l’aliénation religieuse qui l’empêche de
s’atteindre lui-même. En effet, si l’homme veut se réconcilier avec lui-même, il doit renoncer à Dieu.
Pour Marx la religion est une forme d’idéologie. C’est un instrument de conservation au service de la
classe dominante. Mais même l’opprimé peut se retrouver dans la religion, puisque alors celle-ci devient
l’expression de sa volonté à trouver un monde meilleur. De par ce fait, la religion montre tout ce dont l’homme
est capable.
Quoiqu’il en soit la religion plonge l’homme dans au-delà imaginaire, et elle est néfaste puisqu’elle interdit de
transformer réellement sa condition matérielle (l’homme se contentant de rêver et de se projeter dans une vie
meilleure, il s’agit donc d’une compensation idéale.) Dès lors, la religion apparaît comme « l’opium des
peuples. »
La critique de Nietzsche est célèbre : la religion est une croyance, une création des faibles et des
vaincus. Mais le drame de la religion, c’est qu’elle attaque l’homme dans sa dignité vantant les mérites de
l’humilité donc de la faiblesse. La religion mutile l’existence humaine car elle cultive l’esprit de sacrifice et elle
bride la puissance et la volonté.
Mais pour Nietzsche, il n’y a rien à craindre puisque à terme Dieu est mort, ainsi que toute idéal transcendantal.
Pour répondre à tant de critiques, la philosophie moderne aime à poser d’autres questions :
- En niant la religion, ces philosophes ne cherchent-ils pas à bon compte, à se débarrasser de quelque
chose qui les gênent. Elle applique une sorte de philosophie du soupçon sur les philosophes du soupçon.
- Est-il vraiment possible de rejeter la religion et de ne pas être religieux ?
- En refusant la religion, l’homme ne se prive-t-il pas de ce qu’il y a de meilleur en lui ?
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