Les inégalités sont elles compatibles avec la cohésion sociale et la

Les inégalités sont elles compatibles avec la cohésion
sociale et la démocratie ?
Introduction
La France, comme la plupart des pays capitalistes développés, est sur le plan politique une démocratie.
Sa devise liberté, égalité, fraternité en témoigne. Il s’agit d’un pays particulièrement attaché à l’idée de
cohésion sociale, situation dans laquelle les individus sont intégrés à la sociéet nouent un réseau
dense de relations sociales harmonieuses. Cette cohésion sociale est en effet, comme le soulignent
plusieurs auteurs, une condition nécessaire au bon fonctionnement de la démocratie.
Or, la montée des inégalités depuis une trentaine d’années ainsi que l’apparition de nouvelles
inégalités liées notamment au travail interrogent les principes démocratiques et la cohésion sociale. Le
débat portant sur la question de savoir si la démocratie peut s’accommoder ou non d’inégalités n’est
pas récent. Néanmoins, il prend une résonance toute particulière avec la crise économique actuelle.
Les inégalités peuvent apparaître acceptables si elles sont transitoires et que la mobilité sociale se
développe. Mais qu’en est-il vraiment aujourd’hui ? Les inégalités menacent-elles ou préservent-elles
de nos jours la cohésion sociale ? C’est la question à la quelle nous tenterons de répondre.
On s’attachera tout d’abord à montrer que certaines inégalités sont justes et nécessaires au bon
fonctionnement de la société. Néanmoins, nous verrons que lorsqu’elles se muent en barrières sociales,
elles affaiblissent et mettent en danger la cohésion sociale.
I- Les inégalités ne menacent pas nécessairement la cohésion sociale et la démocratie
Nous montrerons d’une part que certaines inégalités sont justes et qu’à ce titre, elles ne menacent pas
la cohésion sociales (A), et d’autres part, que la volonté de réduire les inégalités serait source
d’inefficacité économique et sociale (B).
A- La méritocratie implique des inégalités qui sont justes
1) Pour de nombreux auteurs, c’est uniquement l’égali devant le droit, garante des libertés
fondamentales des individus, qui est nécessaire pour assurer la cohésion sociale. En effet, en
système démocratique, les inégalités de situation résultent le plus souvent de différences de
mérite. Or, ces dernières sont une incitation au travail et à la mobilité sociale. Ainsi pour
Tocqueville, la démocratie n’implique pas l’égalité des situations économiques et sociales. Le
processus d’égalisation des conditions signifie que les richesses circulent avec une grande
rapidité : elles sont temporaires en raison de la mobilité sociale rendue possible par l’égalité
des droits. Ainsi, s’il y a des riches et des pauvres, tout individu a la possibilité de gravir les
échelons de la hiérarchie sociale grâce à son mérite personnel. Toutes les inégalités ne sont
donc ni permanentes, ni injustes. Il est juste de rémunérer davantage les individus qui ont la
plus forte productivité et qui prennent le plus de risque. Les inégalités de patrimoine
sanctionnent de façon positive ceux qui ont épargné plutôt que dépensé, ceux qui ont su gérer
leur capital pour le transmettre à des héritiers.
2) Hayek a montré, dans le même ordre d’idée, que le seul respect des libertés fondamentales et
des règles de fonctionnement du marché concurrentiel permet à la société de parvenir à un
optimum de Pareto. Cela signifie que le libre fonctionnement des marchés et la libre
compétition entre les individus permet de parvenir à un niveau de bien être social tel qu’il est
impossible de l’augmenter sans diminuer la satisfaction d’au moins un agent économique.
B- Vouloir réduire les inégalités serait source d’inefficacité
1) Le développement de l’Etat Providence s’inscrit dans une volonté de réduction des inégalités
économiques et sociales pour préserver la cohésion sociale et le bon fonctionnement de la
démocratie. Il s’est traduit par la mise en place progressive de systèmes de redistribution des
richesses : des prélèvements sont effectués sous forme d’impôts et de cotisations sociales afin
de permettre le financement d’allocations et d’indemnités aux familles, aux chômeurs, aux
personnes âgées, aux handicapés, etc. Le poids des prélèvements obligatoires n’a ainsi cessé
d’augmenter en France, pour atteindre quasiment les 50% du PIB.
2) Or, d’après les économistes néoclassiques, l’extension de cette politique de redistribution est
source d’inefficacité économique et sociale. Les prélèvements obligatoires désincitent les
agents économiques à travailler et à épargner en provoquant des effets de substitution
défavorables à la croissance. C’est ainsi que le théoricien Arthur Laffer a démontré que « trop
d’impôt tue l’impôt » : en accablant les individus qui créent de la richesse et permettent le
financement de l’investissement, les impôts brisent les ressorts de la croissance et de l’emploi.
Par ailleurs, les personnes indemnisées deviennent pour certains assistés et n’acceptent pas de
travailler à des salaires inférieurs à leurs allocations. Au total, c’est l’ensemble de la société
qui pâtit de cette politique de redistribution des inégalités. Au-delà des problèmes d’incitation
et d’efficacité économique, c’est selon Hayek une atteinte aux libertés fondamentales qui est
portée par le système de prélèvements obligatoires.
Conclusion partielle : Les inégalités n’apparaissent donc pas forcément nuisibles à la cohésion
sociale. Au contraire, elles contribuent à l’efficacité du fonctionnement économique et social.
Transition : Néanmoins, les économistes et les sociologues ont pu constater que le mouvement
d’égalisation des conditions caractéristique de la période des trente Glorieuses a cessé. Le
chômage a fortement augmenté et de nouvelles inégalités sont apparues de manière durable, en
dépit d’une supposée mobilité sociale. Nous sommes donc amenés à nous interroger sur le degré
d’inégalité qu’une société démocratique peut accepter et qui assure la sauvegarde de la cohésion
sociale.
II-Les inégalités peuvent être injustes et menacer la démocratie et la cohésion sociale
Il apparaît que de nombreuses inégalités de situation sont cumulatives, si bien que l’égalité des
chances disparaît avec la formation d’insurmontables barrières sociales (A). Ces inégalités
menacent la cohésion sociale dans la mesure elles nuisent au bon fonctionnement de
l’économie et plus largement de la société dans son ensemble (B).
A- Les inégalités forment un système et empêchent la mobilité sociale
1) D’une manière générale, il s’avère que les inégalités sociales ont augmenté au cours des
dernières années de manière durable, contrairement à ce qu’affirmait Tocqueville. Comment
l’expliquer ? Lorsqu’un individu se retrouve au chômage, ce dernier perd une partie de son
revenu et une partie de son potentiel d’accumulation du patrimoine. Il s’en suit des difficultés
à se loger ou à recourir au crédit. Lorsque le chômage est durable, l’employabilité de
l’individu se réduit ainsi que le champ de ses relations sociales et affectives. Mais ce
processus d’exclusion progressive se concerne plus désormais seulement les chômeurs. La
flexibilité du marché du travail a en effet rendu particulièrement précaire la condition de
certains salariés qui multiplient les contrats courts et les temps partiels subis. Leur niveau de
vie est insuffisant pour se nourrir et se loger décemment malgleur emploi. Les chances de
réussite scolaire de leurs propres enfants en souffrent et les inégalités se reproduisent de
génération en génération, comme l’ont bien montré les sociologues P. Bourdieu et R. Boudon.
2) Ainsi des barrières sociales se forment-elles, rendant particulièrement limitées les perspectives
de mobilité sociale pour les individus. Or, J. Rawls a souligné que la justice sociale passe
avant tout par l’égalité devant le droit mais aussi par l’égalité des chances. En outre, ces
inégalités ne sont acceptables que si la condition des plus démunis s’améliore, ce qui n’est
plus le cas aujourd’hui. Dans la perspective d’A.Sen, on peut dire que les « capabilités » des
groupes sociaux les moins favorisés voire exclus se réduisent et nuisent à la qualité et la
densité des relations sociales que nouent les individus entre eux.
B- Les inégalités nuisent à l’efficacité économique et sociale ainsi qu’au bien-être de tous
1) Il est ai de montrer que la montée des inégalités économiques et sociales ainsi que de
l’exclusion nuit à la cohésion de la société. L’insécurité sociale s’accompagne de la montée de
l’insécurité civile avec la montée de la délinquance et le développement de quartiers ghettos.
Violence et drogue deviennent le quotidien de ces derniers. Les individus exclus perdent le
sentiment de citoyenneté : d’après R. Castel en effet, le processus de désaffiliation
(d’exclusion) a pour effet de rompre le lien politique qui relie les individus à la Nation.
2) D’un point de vue économique, J.M. Keynes a montré que les deux grands vices du
capitalisme sont le chômage et les inégalités sociales. Ces dernières ont pour conséquence
d’affaiblir la demande globale, ce qui accentue le développement du chômage. Par ailleurs,
l’échec scolaire des moins favorisés ne favorise pas le développement de la productivité dans
les entreprises. Finalement, c’est l’ensemble de la société qui souffre du développement des
inégalités.
Conclusion
Bilan : Les sociétés démocratiques s’accommodent des inégalités, mais ces dernières ne doivent pas
conduire à figer des situations certains seraient systématiquement avantagés. Si l’égalité devant la
loi, l’égalité des chances et l’égalité de considération sont respectées, alors les inégalités de situation
sont acceptables. Lorsque par contre les inégalités se reproduisent d’une génération à l’autre et sont
source d’exclusion, on peut les considérer comme devenant inacceptables et nuisibles au bon
fonctionnement de la sphère économique et sociale.
Ouverture : Le développement du chômage de longue durée, l’exclusion précoce de l’école des
milieux défavorisés ou encore l’isolement de certains quartiers abandonnés à la délinquance favorise la
montée des partis extrémistes qui prônent la seule répression pour faire face aux difficultés. La
cohésion sociale et la démocratie serait alors en péril.
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