Les autres héros de la guerre

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Les autres poilus et à plumes à quatre pattes ou pas héros de la guerre
Emma Roller - 2013 - SLATE
Chiens, chats, pigeons voyageurs et même vers luisants, eux aussi se sont battus, et de manière héroïque,
pendant les deux guerres mondiales.
Un chien, en Afghanistan. REUTERS/Finbarr O'Reilly
Le 11 novembre, il est important de rendre hommage à ceux qui ont donné leur vie et pris des risques
pour leur pays. Mais le statut d’ancien combattant ne s’applique pas seulement aux Homo sapiens. Depuis
que les humains combattent au front, les animaux servent à leur côté sur les champs de bataille.
Les chevaux sont les plus connus d'entre eux, mais d’autres espèces ont participé aux conflits, certaines
d'entre elles pourraient même vous surprendre. Même les humbles vers luisants ont servi sous les
drapeaux, dans leur uniforme incandescent.
Voilà quelques exemples d’animaux les moins communs, ayant secondé les troupes sur le front ou les
populations à l'arrière.
Les chiens (et un chat)
L’odorat et l’ouïe affutés des chiens sont depuis longtemps d'un grand secours aux soldats pour repérer
les bombes et les mines, trouver les soldats blessés, et prévenir les attaques imminentes. L'armée russe
utilisait des chiens de traineau pour se déplacer et un pitbull américain a même reçu le titre de sergent,
«Sergent Stubby» (trapu, courtaud), après avoir attaqué un espion allemand pendant le Première Guerre
mondiale.
Mais ils ont aussi été mis à contribution pour de moins biens nobles causes. Avant la guerre de Sécession
aux États-Unis, les limiers étaient chargés de courir après les esclaves qui tentaient de s’échapper, et un
projet (heureusement abandonné) lors de la Seconde Guerre mondiale prévoyait d’utiliser les chiens pour
des attentats suicides dans les camps ennemis.
En 1943, le Royaume-Uni a créé la Médaille Dickin pour récompenser les animaux ayant servi pendant
la Seconde Guerre mondiale. Parmi les 54 médaillés, on compte beaucoup de chiens et de pigeons
voyageurs, mais aussi un chat fidèle et loyal, nommé Simon.
Il a été décoré après avoir tué une infâme colonie de rats qui pillaient les rations de nourriture à bord d’un
navire de la marine britannique, et ce, même après avoir été blessé par un tir de canon ayant pourtant tué
17 membres de l’équipage. Simon et 11 autres récipiendaires de la Médaille Dickin sont enterrés au Ilford
Animal Cemetery, à l’extérieur de Londres.
Les vers luisants
Pendant la Première Guerre mondiale, les soldats britanniques ont fait de l'incandescence des vers luisant
leur alliée. Après en avoir rassemblé des milliers dans un bocal, les militaires les utilisaient pour éclairer
les messages et les cartes dans les tranchées sombres.
En 2004, le gouvernement britannique a rendu hommage aux vers luisants et à d’autres animaux avec une
sculpture érigée en leur mémoire, portant cette inscription:
«Ce monument est dédié à tous les animaux qui ont servi et qui sont morts aux côtés des troupes
britanniques et alliées pendant les guerres et les campagnes à travers le temps. Ils n’avaient pas le
choix.»
Les éléphants
Avec les chevaux et les chiens, les éléphants sont dans les premiers à avoir été sollicités sur les champs de
bataille, utilisés comme des tanks. L’exemple le plus connu est sans doute celui d’Hannibal, qui a
emmené plus de 30 éléphants dans sa traversée des Alpes en 218 avant JC.
Le plus vieux de tous les animaux anciens combattants est peut-être Lin Wang appelé aussi Grandpa Lin,
un éléphant ayant servi pendant la Seconde Guerre mondiale, mort à l’âge de 86 ans. Après avoir été
appelé sous les drapeaux par les Japonais pour transporter des vivres à travers la jungle birmane, Lin
Wang a été capturé par l’armée chinoise et est devenu un agent double.
Les éléphants ont aussi été utilisés pour traverser, à gué, des rivières en pleine crue et ils pourraient bien
avoir inspiré JRR Tolkien pour créer les oliphants du Seigneur des anneaux. Quant au film Operation
Dumbo Drop, il est tiré d’une histoire vraie, une mission américaine dont le but était de transporter en
avion une paire d’éléphants pour transporter du bois de construction à travers les montagnes du Vietnam.
(Le vrai nom de la mission, Operation Barroom, faisait référence au bruit provoqué par un pet
d’éléphant.)
Mais les pachydermes ont aussi été sollicités «à l'arrière». L’armée britannique a utilisé environ 1,2
million de chevaux et de mules pendant la Première Guerre mondiale, créant une pénurie de moyens de
transports dans les villes de Grande-Bretagne. C’est alors qu’est arrivée Lizzie l’éléphante, la Rosie la
riveteuse du règne animal.
Lizzie était l’éléphante d’un cirque ambulant, embauchée pour transporter de la ferraille d’un marchand à
un autre dans la petite ville de Sheffield. Elle était capable de porter le même poids de chargement que
trois chevaux réunis. D’autres éléphants ont été mis à contribution dans des fermes, pour labourer les
champs et transporter les récoltes. Les chameaux ont été aussi utilisés pour trimballer de lourds
chargements alors que les chevaux étaient réquisitionnés sur le front.
Les dauphins
De même que l’odorat développé des chiens, l’utilisation du sonar par les dauphins a été indispensable
pour les troupes américaines pour localiser les mines sous-marines. Le Programme de mammifères
marins de l'US Navy s'est servi des otaries et des phoques pour leur capacité à aller chercher des objets
dans l’océan. La marine américaine a même utilisé des orques et des baleines beluga pour des expéditions
en eaux profondes ainsi que des requins et des raies pour tester la résistance des combinaisons de plongée
en Kevlar.
Les pigeons voyageurs
Les pigeons voyageurs ne sont pas aussi souvent récompensés que leurs compagnons à quatre pattes.
Mais l’un d’entre eux a reçu les honneurs pour avoir, malgré ses blessures, sauvé la vie de presque 200
militaires américains.
Cher Ami, c’est son nom, a été donné au service des transmissions de l’armée américaine par les
Britanniques, et a servi dans le 77e régiment d’infanterie pendant la Première Guerre mondiale. Bloqué
derrière les lignes ennemies, le 77e s’est retrouvé sous le feu de troupes amies. Après avoir envoyé deux
pigeons, tués par les troupes allemandes, le lieutenant-colonel Charles Whittlesey a rédigé un dernier
appel et l’a attaché à la patte de Cher Ami. Les Allemands ont tiré sur le pigeon alors qu’il s’envolait.
Devenu aveugle et touché au poumon et à la patte, Cher Ami n'en a pas moins continué son voyage de 25
miles (un peu plus de 40 km) pour délivrer le message de Whittlesey:
«Nous sommes le long de la route parallèle au 276.4. Notre propre artillerie fait un tir de barrage sur
nous. Pour l’amour du ciel, arrêtez!»
Cher Ami est devenu un héros américain, inspirant un poème à l’auteur Harry Web Farrington, décrivant
le douloureux vol qui a coûté sa patte à Cher Ami (et qui se termine ainsi: «Il m'est difficile de tenir sur
une jambe»). Aujourd’hui, vous pouvez le voir empaillé au Smithsonian National Museum of American
History à Washington.
Plus près de chez nous, il y a trois ans à Bruxelles, se tenait l’exposition Chienne de vie, relatant la vie
des animaux durant la Première Guerre mondiale. Mais aujourd’hui, si vous voulez rendez hommage à
ces braves bêtes mortes pour la France, le plus simple est encore de se rendre au cimetière animalier
d’Asnières-sur-Seine, où vous pourrez vous arrêter sur la tombe de Mémère ou Dick, chiens de tranchée
de la Première Guerre mondiale.
En France, maintenant encore, l'armée de terre recrute, entraîne et chouchoute des «chiens, chevaux,
pigeons, moutons, boucs», soit pour leur utilité directe sur le terrain, soit pour leur statut de mascotte. Au
Mont Valérien, à proximité de Paris, il existe encore le plus vieux colombier militaire d'Europe,
«maintenu essentiellement pour entretenir la traditon», précise France TV Info, et qui accueille quelques
150 pigeons.
Emma Roller
Les animaux, héros oubliés de la Grande Guerre
Ce sont les grands oubliés de l’Histoire. Héros de l’ombre, les animaux ont pourtant joué un rôle
important au cours de la guerre 14-18. Envoyés au front lors des attaques, utilisés comme moyens de
traction et de communication, ils faisaient partie intégrante de la stratégie militaire. Compagnons fidèles,
ils partageaient le quotidien des soldats et leur permettaient de s’évader, pour un temps, des horreurs de la
guerre.
Cavaliers français conduisant des prisonniers allemands jusqu’à la ville d’Aniche — William
Heinemann/Domaine public
D’abord célébrés par les soldats, puis relégués au second plan dans l’Histoire, ces animaux sont presque
entièrement tombés dans l’oubli. Eux aussi ont pourtant payé un lourd tribut.
14 millions d’animaux enrôlés dans le conflit
Chevaux, mulets, bœufs, ânes, chiens, pigeons voyageurs… Au total, on estime qu’environ 14 millions
d’animaux ont participé à la Première Guerre mondiale. En plus du lourd bilan humain (9 millions de
morts au cours du conflit), on oublie souvent que la Grande Guerre a entraîné d’énormes pertes animales.
Les chevaux ont été les plus touchés, avec environ 10 millions de chevaux tués entre 1914 et 1918.
Une fois la guerre terminée, beaucoup de « rescapés » ont dû être abattus en raison de leurs blessures, de
leur grand âge, ou simplement parce qu’on ne leur trouvait plus d’utilité. En Australie par exemple, sur 13
000 chevaux enrôlés, 15 % ont été euthanasiés à l’issue du conflit car on ne savait pas où les placer. Une
bien triste fin pour ces héros de guerre…
Pigeon équipé d’une caméra par l’armée allemande — Bundesarchiv/CC BY SA 3.0
Un rôle stratégique de premier plan
Utilisés dans un premier temps par les Français et les Anglais pour charger l’ennemi lors des combats, les
chevaux se sont heurtés aux feux impitoyables de l’artillerie et à la froideur des tanks. La guerre de 14-18
a ainsi marqué un tournant dans la manière de faire la guerre, la cavalerie ne faisant pas le poids face aux
machines destructrices.
Les soldats ont donc surtout mis à profit la puissance de traction des chevaux, des ânes, des mulets et des
bœufs pour transporter les vivres, les munitions et les blessés entre le front de combat et les lignes
arrières.
Les pigeons voyageurs ont également pris part à la guerre ; celle de l’information. Pour communiquer
avec un front parfois isolé, les pigeons ont apporté leur assistance en entrant dans la guerre, bien malgré
eux, volant au-dessus des champs de bataille afin d’acheminer leurs messages. Pour tenter d’obtenir le
moindre renseignement de leur ennemi français, les Allemands exigeaient, en territoire occupé, que tout
pigeon trouvé leur soit rapporté. Quant au lâcher de pigeons, il était puni de la peine de mort, une
peine qui témoigne de leur importance et de leur utilité : les Anglais en auraient utilisé 100 000 !
Les chiens, quant à eux, avaient deux fonctions principales. La première consistait à retrouver les blessés
après chaque offensive. Leur seconde mission était informative : en complément des pigeons, les chiens
étaient dressés pour porter des messages écrits et des munitions vers des points de ravitaillement. Au
total, 100 000 chiens auraient été mobilisés durant la guerre.
Le lieutenant-colonel John McCrae et son chien Bonneau — Bibliothèque et Archives Canada/CC BY 2.0
Le quotidien de la guerre
Enrôlés dans le conflit bien malgré eux, les animaux partagent la souffrance quotidienne des soldats.
Les chevaux, largement mobilisés dès 1914, vivent un calvaire. De leur réquisition jusqu’à leur envoi
au front, le stress les envahit. Les phéromones dégagées par les hommes et les animaux les apeurent.
Viennent les détonations, la lumière des canons ; la vision des cadavres de leurs congénères et l’odeur du
sang. L’artillerie les frappe, le gaz les ronge.
La maladie ne les épargne pas. En France, où l’on compte 1 million de chevaux morts pendant la guerre,
35 % d’entre eux sont en réalité abattus alors que les maladies les font souffrir et menacent de se propager
; alors qu’il faut abréger les souffrances de ceux qui trainent leurs blessures depuis le front ; alors que les
poilus sont en manque d’une nourriture que la viande de cheval peut combler.
La présence des animaux dans les camps contribue toutefois à remonter le moral des troupes. D’après
certains témoignages, les soldats n’hésitent pas à qualifier ces compagnons d’infortune de « frères ».
Certains animaux deviennent rapidement les mascottes des soldats, comme Tiny, un âne récupéré par les
Anglais en Picardie et dont on raconte qu’il appréciait le thé. Des animaux plus « exotiques » sont
également conservés à l’arrière des tranchées comme de véritables porte-bonheur ; c’est le cas d’un
éléphant qui avait été offert aux soldats allemands par un directeur de cirque, ou d’un lionceau qui veillait
sur l’armée de l’air américaine.
In memoriam
En leur mémoire, plusieurs mémoriaux ont été érigés, dans des villes comme Berlin, Bruxelles, Lille ou
encore Londres.
Des artistes se sont également attachés à mettre en avant le rôle joué par les animaux durant la guerre. Le
peintre britannique Alfred James Munnings, passionné par les chevaux, a immortalisé des scènes de
cavalerie.
Bien plus tardivement, en 1982, Michael Morpugo publie War Horse (« Cheval de guerre »). Ce livre
destiné aux enfants raconte l’histoire de Joey, un cheval exceptionnel qui se retrouve emporté en plein
cœur de la guerre. En 2012, le roman a été porté à l’écran par Steven Spielberg, ce qui a contribué à
raviver la mémoire du grand public sur le rôle joué par les animaux durant la Grande Guerre.
Enfin en 2013, avec Bêtes des tranchées, l’historien Eric Baratay nous invite à se repencher sur la guerre
14-18 du point de vue des animaux.
Les animaux ont largement contribué, bien malgré eux, à « l’effort de guerre ». En ce jour où nous
célébrons l’Armistice, ne les oublions pas.
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