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A ceux qui pensent que la logique de compétition est inhérente à la nature humaine, Jacques
Généreux
répond qu’ils se trompent lourdement. En se référant aux sciences humaines telles
l’anthropologie, la sociologie, la psychologie, l’auteur de « la dissociété » démontre que notre
condition humaine nous invite à concilier deux aspirations indissociables: « être soi » et « être
avec les autres ». La force de la culture néolibérale du « chacun pour soi » est de s’appuyer sur
nos penchants narcissiques et égoïstes, en survalorisant l’individu, la performance et le mérite
individuels, en flattant en permanence notre égo. Cette culture induit le basculement des sociétés
développées dans l’inhumanité de la « dissociété » , c’est-à-dire « une société qui réprime ou
mutile le désir d’être avec, pour imposer la domination du désir d’être soi, une société qui dresse
des individus les uns contre les autres, les communautés les unes contres les autres, les nations
les unes contres les autres, créant un climat de guerre permanente Si cette « dissociété » ne
provoque pas de révolte, c’est parce que l’être humain adopte des stratégies de résilience pour ne
pas souffrir : jouissance de biens matériels, replis sur la chaleur de petites communautés, etc.…J.
Généreux, prône « une révolution du discours politique », une bataille d’idées prenant appui sur
les implications de cette altérité de l’être humain qui permettrait d’aboutir à une « société de
progrès humain ». Réguler, contraindre le capitalisme pourrait-il conduire à une telle société?
Ce n’est pas l’avis de C. Arnperger
, qui pense que « le capitalisme ne peut pas être le partenaire
de la solidarité, il ne peut qu’en être le rival ». Le capitalisme plonge ses racines dans nos
angoisses existentielles de perte et de mort. Le gavage matériel remplit le vide de la vie et
l’accumulation de capital fleure bon l’immortalité. Dès lors, on ne peut se contenter de
« moraliser » l’économie à coup de lois et de contraintes. « La social-démocratie » dit Arnsperger
« est comme un mélange d’huile et d’eau. Si on secoue assez fort, assez longtemps, le liquide
devient homogène : il est possible à force de lois et de contraintes, de forcer chaque possédant à
renoncer à la sécurité de sa richesse pour contribuer à la sécurité de ceux qui en possèdent
moins. Mais laissez le mélange reposer l’huile se séparera rapidement de l’eau : dès qu’ils en ont
la possibilité, les plus riches, tenaillées par leur angoisse existentielle, se relancent dans la course
de l’accumulation, jetant par-dessus bord toutes les solidarités qu’ils parviennent à détricoter. » Un
capitalisme durablement égalitaire et solidaire serait donc impossible. Il nous faut accepter
lucidement la finitude de la Terre et de toutes ses ressources et ne pas chercher à utiliser les
rouages de l’économie pour faire porter nos angoisses par d’autres. Il nous faut « créer une
société où sollicitude, compassion, acceptation de la vulnérabilité guident l’organisation
économique. Une société où règnent l’échange humanisé, la solidarité, une bonne dose de
gratuité, et où notre désir effréné d’expansion et d’accumulation puisse s’auto-limiter». Bref,
construire une société non capitaliste où le marché économique, la concurrence seraient des
éléments mineurs de l’existence.
En guise de conclusion
Résoudre nos problèmes écologiques et sociaux ne se fera vraisemblablement pas sans revisiter
les paradigmes qui régissent nos sociétés actuelles. Il nous paraît indispensable et urgent que nos
J. Généreux, La Dissociété Ed. Seuil 2006 ainsi que « Interview du lundi :une culture mortifère qui détruit
notre civilisation » in Le Soir, 27 novembre 2006
C. Arnperger, « Consommez à mort ? » in la Libre Belgique 19 décembre 2005 et C. Arnperger, Critique
de l’existence capitaliste : Pour une éthique existentielle de l’économie », Ed. du Cerf, 2005