Michaela CHATEAUX
Licence de Lettres modernes
Morphologie constructionnelle
SUFFIXE n. m.
Grammaire, linguistique.
2. Elément (monème ; morphème) placé après la droite de) un radical
pour former un rivé, l’exclusion des désinences). […] Suffixes
« populaires » : -able, -ade, age […], -aison, -ance, -ard, -âtre, -ée, -
erie, -et, -eur, -ie, -ille, -in, -oir, -on, et c. ; suffixes savants : -acé, -
aire, -al, -au, -ateur, -ation, -ature, -éen, -ence, -esque, -ible, -ien, -
ique, -isme, -ite, -itude, -ose, -toire, -ueux, -ule, et c. Le suffixe
ment sert à former des adverbes. Suffixes verbaux : -er, -ir, -iser,
[…] ; -ailler, -asser, -eler, -eter, -iner, -onner, -oyer. Eléments latins
ou grecs employés comme suffixes dans la composition de mots
savants : -cide, -cole, -fère, -fuge, -pare… ; -algie, -céphale, -crate, -
cycle, -dactyle, -game, -gène, -gramme, -graphe, -graphie, -hydre, -
hydrique, -logie, -logue, -mancie, -mane, -manie, -mètre, -morphe, -
pathie, -phage, -phagie, -phile, -phobe, -scope, -technie, -thérapie, -
tomi, -type, et c.
Le terme traditionnel de « suffixe » recouvre une série d’affixes placés après le radical
d’un lexème ou de la base de celui-ci, lui conférant une signification particulière. Ceci
dit, tout ce qui se greffe à la droite d’un radical ou d’une base n’est pas toujours un
suffixe, mais peut être, par exemple, un autre lexème, comme c’est le cas pour les mots
composés. L’observation du traitement du terme « suffixe » dans Le Robert
Electronique fait apparaître certaines ambiguïtés qu’il convient de commenter.
D’après la définition du RE, un suffixe est un élément (monème ou morphème) qui
se greffe à la droite d’un radical pour former un dérivé, exception faite des désinences.
Il propose une série d’ « éléments », cf. la première page, classés sous les rubriques
suffixes « populaires », suffixes savants, le suffixe ment qui sert à former des
adverbes, suffixes verbaux et éléments latins ou grecs employés comme suffixes dans
la composition de mots savants afin d’illustrer ce qui est, d’après son définition, un
suffixe.
2
Nous tâcherons de faire apparaître ce qu’est un suffixe pour le RE, et les
problèmes que peuvent poser une telle appréhension du phénomène. Il apparaîtra
que le classement des « suffixes » proposés dans l’article est arbitraire.
Le premier problème est de l’ordre du classement que le RE emploie. Selon le cas, les
rubriques dans l’article relèvent ou de l’étymologie, comme pour la rubrique « éléments
latins ou grecs employés comme suffixes dans la composition de mots savants », ou de la
fonction du « suffixe » en question, comme pour la rubrique « le suffixe ment qui sert à
former des adverbes » ou encore pour la rubrique « suffixes verbaux ». En effet, le RE
n’est pas assez rigoureux dans sa catégorisation, ne tenant pas compte des mêmes
propriétés distinctives pour toutes ses classes.
Le RE ne prend pas du tout en considération le sens de ses « suffixes », c’est-à-
dire si le sens est descriptif ou instructionnel. Il n’indique pas non plus si le « suffixe »
est un référent ou une référence.
Il omet également de prendre en considération la base de ses « suffixes ». De
plus, l’autonomie éventuelle de ces suffixes n’est pas signalée. Le Re nous apprend que
ment ne sert qu’à former des adverbes, alors qu’il sert également à former des noms.
Au vu de toutes les difficultés rencontrées dans l’observation du classement des
« suffixes » proposés par le RE, nous tâcherons d’établir un classement plus rigoureux.
Les unités lexicales (UL)
Les UL sont des unités autonomes pourvues d’un sens lexical. De ce fait, nous pouvons
facilement repérer celles-ci parmi les « suffixes » du RE.
algie (n. f.), cycle (n. m.), gramme (n. m.), hydrique (adj.), mancie (n. f.), manie
(n. f.), tre (n. m.), phage (n. m.), thérapie (n.f.) et type (n. m.).
Les UL sont pourvues d’une étiquette catégorielle qui peut être nominale, verbale,
adjectivale, adverbiale ou prépositionnelle.
Toutes ces UL peuvent être des composantes de nouveaux lexèmes. Ceci dit, du point de
vue sémantique, le sens lexical d’une UL doit apparaître dans le nouveau lexème lors
d’une composition, par exemple thérapie dans psychothérapie garde le sens de « soin »
ou de « cure » dans le nouveau lexème.
Notons cependant le lexème phage, qui, lorsqu’il est employé comme un nom dans
une phrase, est une aphérèse de bactériophage. On lui attribue dans ce cas le sens de
« qui mange des bactéries ». Lorsqu’il est un UIL à sens descriptif, il garde son sens
originel de « qui mange », comme dans le lexème nécrophage.
3
Le cas de gramme est également intéressant, car c’est le sens que l’on attribue à
ce lexème qui décide s’il est une UL ou une UIL à sens descriptif. Lorsque gramme a le
sens de « unité de masse », il est une UL, voir les exemples suivants :
Pierre a acheté 300 grammes de beurre.
Pierre a acheté 3 kilogrammes de pommes.
Seulement, lorsque gramme est employé dans le sens de « lettre », comme dans
télégramme, ou dans le sens de « graphie », comme dans encéphalogramme, il est une
UIL à sens descriptif, voir les exemples suivants :
* J’ai envoyé un gramme à Marie aujourd’hui.
* Les médecins lui font un gramme en ce moment.
Les unités infralexicales (UIL)
Les UIL se différencient principalement des UL par le fait que ces premières ne
peuvent pas être des unités de compte pour la syntaxe. De ce fait, elles ne sont pas
autonomes, mais servent uniquement à la construction des UL. Elles ont ou un sens
descriptif, ou un sens instructionnel. Les UIL à sens descriptif peuvent être d’origine
allogène, ce que l’on appelle des archéoconstituants, ou d’origine française, ce que l’on
appelle des fractoconstituants.
Les archéoconstituants (AC)
calli-, céphale-, cide, cole-, crate, -dactyle-, fère, fuge, game, gène-,
-graphe-, -hydre-, logie, logue, mane, morphe, pare, pathie, phagie,
phile-, phobe, scope-, technie, tomie,
Les AC ont tous un sens qu’ils héritent de leur langue d’origine, qui est, pour la plupart, le
grec ou le latin. Pour un lexème dont l’un des éléments est un AC, on peut facilement lui
donner un sens approximatif (du moment l’on connaît l’élément en question), puisque
l’élément garde le même sens, indépendamment de celui du lexème qu’il construit, comme
dans les exemples suivants :
-crate garde toujours le sens de « force, puissance » dans les lexèmes
bureaucrate, aristocrate et technocrate, de même que -fère garde le sens
de « qui porte, porter » dans somnifère, mammifère et trolifère, et
phobe garde le sens de « crainte » dans claustrophobe, homophobe et
agoraphobe.
La plupart du temps, les AC d’origine grecque ne prennent que des bases grecques de
même que les AC d’origine latine ne prennent que des bases latines. Il semble également
qu’un AC d’une certaine forme est prédispoà ne prendre qu’une catégorie de base,
par exemple fère et -phobe ne prendraient que des bases nominales.
4
En fait, -fère est toujours précédé d’un i-, ainsi que phobe toujours d’un o- ou
d’un a-, et il semble que ces lettres sont des marques de génitif des noms au masculin
et au féminin.
Une autre propriété distinctive des AC est que leur position, dans la plupart des
cas, n’est pas fixe comme c’est le cas pour les fractoconstituants (FC). C’est le cas par
exemple pour phile- qui est antéposé dans philanthrope et postposé dans pédophile, ou
encore pour morphe- qui est antépodans morphème et postposé dans amorphe. Un
AC a souvent plusieurs « formes », de manière à pouvoir se combiner avec des bases de
catégories différentes et à pouvoir occuper aussi bien l’antéposition que la postposition.
Les éléments dactyle, -gène, -graphe et hydre ritent ici d’être mentionnés à
part, car, comme nous pouvons le constater, ce sont également des UL. Or, nous les
classons sous la rubrique des AC parce qu’ils n’ont pas le même sens lorsqu’ils sont des
UL que lorsqu’ils sont des constituants d’un lexème. Lorsque ces éléments occupent une
position d’atome pour la syntaxe, ils sont employés dans des domaines bien particuliers
ils ont un sens bien précis. Par exemple, hydre est un lexème qui, dans la mythologie,
signifie un serpent pourvu de sept têtes, et graphe, un terme mathématique qui signifie
une partie du produit cartésien de deux ensembles dans la théorie des ensembles.
Lorsque ces éléments sont des AC, ils gardent leur « sens premier », c’est-à-dire leur
sens grec ou latin, comme par exemple -hydre dans le lexème clepsydre, ou gène dans
allogène, homogène ou hétérogène.
Les fractoconstituants (FC)
Les FC sont des UIL à sens descriptif comme les AC. Ce qui les différencie des AC est
qu’ils représentent des UL françaises et étrangères dans des unités lexicales
composées. Ils ont également une place fixe, c’est-à-dire qu’un AC est toujours ou
antéposé, ou postposé. Le seul exemple de FC dans la série de « suffixes » proposés par
le RE est le suffixe (t)ique. Ce suffixe construit des adjectifs à partir de bases
nominales. Les adjectifs qu’il construit relèvent le plus souvent du domaine technique,
ex. bureautique.
Les UIL à sens instructionnel qui n’opèrent jamais de transfert de classe
-ien, -ule, ille, -âtre, ailler, -asser, -onner
ien : Le suffixe ien construit des noms masculins à partir de bases nominales.
Au féminin, il prend la forme ienne. Il programme les noms qu’il construit à exprimer
une spécialisation dans le domaine auquel réfère le nom sur lequel il opère, ex. historien.
Lorsqu’il s’agit d’un nom propre, le suffixe exprime la provenance du nom sur lequel il
opère, ex. parisien.
-ule : Le suffixe ule construit des noms masculins à partir de bases nominales. Il
ajoute une valeur diminutive au nom sur lequel il agit, ex. veinule.
5
ille : Le suffixe ille construit des noms féminins à partir de bases nominales. Il
ajoute une valeur diminutive au nom sur lequel il agit, ex. charmille.
-âtre : Le suffixe âtre construit des adjectifs à partir de bases adjectivales. Il
programme les adjectifs qu’il construit à exprimer un caractère approchant de celui
auquel réfère l’adjectif sur lequel il travaille, ex. jaunâtre, ou une nuance péjorative de
l’adjectif sur lequel il agit, ex. saumâtre.
ailler : Le suffixe ailler construit des verbes à partir de bases verbales. Il
ajoute ou une valeur diminutive ou péjorative, ou une valeur fréquentative au verbe sur
lequel il travaille, ex. tirailler, écrivailler et discutailler.
-asser : Le suffixe asser construit des verbes à partir de bases verbales. Il
ajoute ou une valeur péjorative, ex. écrivasser, ou une valeur fréquentative, ex.
pleuvasser, au verbe sur lequel il travaille.
-onner : Le suffixe onner construit des verbes à partir de bases verbales. Il
ajoute et une valeur diminutif et une valeur fréquentative au verbe sur lequel il travaille,
ex. chantonner.
Les UIL à sens instructionnel qui opèrent parfois un transfert de classe
-age, -ueux, et, -on, -isme, aire, éen, -ite, ateur, ard, -eur, -in,
ment, ade, -aison, -ée, ie, -itude, -erie, -ature, -ence, -ose, er,
ir, iser, eler, eter, oyer, -iner
age : Le suffixe age construit des noms masculins à partir de bases nominales
ou verbales. Lorsqu’il opère sur des noms, il programme les noms qu’il construit à
exprimer un ensemble du nom auquel il réfère, ex. branchage, ou une condition du nom
auquel il réfère, ex. esclavage. Lorsqu’il opère sur des verbes, il programme les noms qu’il
construit à exprimer le procès auquel réfère le verbe sur lequel il travaille, ex. lavage.
-(u)eux : Le suffixe (u)eux construit des noms masculins et des adjectifs à
partir de bases nominales ou verbales. Lorsqu’il opère sur des noms, il programme les
noms ou les adjectifs qu’il construit à exprimer un état du nom sur lequel il travaille, ex.
vigoureux, ou bien il exprime le procès auquel réfère le nom ou le verbe sur lequel il
travaille, ex. violoneux. Au féminin, le suffixe prend la forme (u)euse.
et : Le suffixe et construit des noms masculins à partir de bases adjectivales,
nominales ou verbales. Indépendamment de la base qu’il prend, il ajoute une valeur
diminutive à la base sur laquelle il agit, ex. coffret. Au féminin, il prend la forme ette.
-on : Le suffixe on construit des noms masculins à partir de bases adjectivales,
nominales ou verbales. Lorsque la base est un adjectif, le nom auquel il réfère a souvent
1 / 8 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !