1 Le renouveau islamique en Afrique noire. L’exemple de la Centrafrique1 Qu’il me soit d’abord permis de remercier le Professeur Richard Filakota et les amis de l’Harmattan de m’avoir associé à la présentation de ce livre. Je vais commencer cette présentation par une confession, publique. J’ai grandi dans une ville portuaire, Pointe-Noire, au Congo Brazzaville où l’on côtoyait beaucoup de musulmans, venus de l’Afrique de l’Ouest. Nous les appelions indistinctement des Sénégalais. Ils étaient minoritaires. J’avoue qu’avant la lecture assidue du livre du Professeur Richard Filakota, j’en étais resté à deux clichés sur l’Islam et les musulmans : 1. d’une part, les musulmans commerçants, souvent illettrés, égrenant leur chapelet pendant qu’ils attendaient les clients ; des gens paisibles, sympathiques et sans histoire, bien à l’écart des remous politiques de nos pays. D’ailleurs, c’était souvent des étrangers. 2. d’autre part, surtout, ces dernières années, l’Islam violent, intolérant, dont il est question au Nigeria, et même parfois au Tchad. Le livre du Professeur Richard Filakota m’a ouvert les yeux à une autre réalité de l’Islam qui se déploie aujourd’hui en Afrique noire, et qu’il a appelle à juste titre le renouveau islamique, et auquel on n’est si peu attentif. Je crois que je ne suis pas le seul dans ce cas. En 9 chapitres subdivisés en trois parties, faciles à lire, le livre se termine par un glossaire qui nous rafraîchit la mémoire sur les principaux éléments constitutifs de l’Islam et une bonne bibliographie pour poursuivre le travail. Pour des raisons méthodologiques et scientifiques, il a pris le cas d’un pays qu’il connaît bien, celui de la République Centrafricaine, et c’est à son honneur. Mais, c’est un paradigme qui peut s’appliquer à d’autres pays de notre région. L’auteur commence par situer l’environnement où apparait ce nouvel Islam. Pendant longtemps, l’Etat post-colonial essayait d’assurer le nécessaire à tout le monde. Mais nos Richard FILAKOTA, Le renouveau islamique en Afriuqe noire. L’exemple de la Centrafrique, Paris, L’Harmattan, 2009. 1 2 Etats se sont déstructurés, d’une part, en raison de l’environnement socio-économique international et, d’autre part, à cause de la mauvaise gouvernance (on pourrait même dire la non- gouvernance). Face à cette crise, deux thérapies ont été proposées. La première, très dure, est celle des institutions internationales traditionnelles, comme le FMI. La seconde, plus douce et plus homéopathique, est celle des ONG. Mais les deux thérapies se sont révélées inefficaces. L’Afrique reste toujours sous perfusion ! Alors, face à la faillite de l’Etat providence, c’est la société civile qui prend le relai, sous diverses formes. Et dans cette société civile, le religieux longtemps marginalisé va occuper une place de choix. Devant la généralisation de la précarité, n’est-il pas l’ultime recours ? Comme le dit si bien l’auteur, « là où le politique disparaît, c’est le religieux qui surgit »2. Mais le Professeur Richard Filakota ne s’intéresse pas ici à tous les phénomènes religieux issus de la crise de nos pays. Il focalise son attention sur l’Islam. Pour parer à la débâcle multiforme de nos sociétés, particulièrement de nos villes de l’Afrique subsaharienne, surgit une nouvelle génération de musulmans : « Dans ces villes africaines subsahariennes en pleine expansion, le renouveau de l’Islam en termes de prise de conscience islamique nouvelle tend à s’affirmer et à gagner du terrain »3. Ainsi, défiant l’Islam des anciens, celui des confréries, cette nouvelle génération décide d’investir l’espace public, social, culturel, éducatif et sanitaire, au risque parfois de se faire récupérer par les politiques. Elle entend sortir de l’ombre et assurer une visibilité réelle. Elle veut rayonner aussi bien au niveau national qu’international. Des organisations de jeunes, de femmes et de cadres voient le jour. Décomplexées, elles sont pleines d’ambitions. Ecoutons de nouveau ce qu’en dit l’auteur : « En face de l’Etat de plus en plus absent sur le plan sur la scène publique et devant l’essoufflement de l’Islam traditionnel et le relâchement de leurs structures, ces nouvelles organisations islamiques apparaissent comme une force de revitalisation de l’Islam depuis deux décennies »4. Cet engagement sur la scène publique suppose des moyens financiers. Où les trouver ? Il y a deux sources de financement. D’une part, on recourt à l’autofinancement, aux 2 Richard FILAKOTA, op. cit., p. 44. Richard FILAKOTA, op. cit. p. 43. 4 Richard FILAKOTA, op. cit. p. 184. 3 3 cotisations et à l’engament financier des membres locaux. D’autre part, et surtout, on se tourne vers l’extérieur, vers les grands pays musulmans. Ce qui n’est pas sans poser des problèmes. En effet, les donateurs ont tendance à l’ingérence humanitaire et au prosélytisme économico-religieux. Sans oublier les querelles internes que suscite cet afflux massif et inespéré de l’argent. C’est pourquoi, cette nouvelle génération est au cœur d’enjeux politiques et stratégiques. En effet, longtemps apolitique, du moins en Centrafrique et dans de nombreux pays de la région, cet islam nouveau a tendance à se politiser. D’où l’intervention de l’Etat pour que les diverses tendances se regroupent en une organisation unique, la Communauté Islamique de Centrafrique (CICA). Ce qui permet d’éviter les débordements, les luttes d’influence et surtout de prévenir les tendances intégristes. Cela permet également de les mettre à l’abri de la lutte hégémonique que se livrent l’Arabie saoudite et la Lybie. Mais le mouvement sera-t-il assez fort pour échapper à ces tendances hégémoniques ? Pourra-t-il éviter les dérives intégristes ? Malgré ces enjeux, malgré quelques signes d’essoufflement que l’auteur note à la fin de son livre, l’Islam est aujourd’hui engagé dans un processus de réinvention religieuse qu’il n’est plus possible d’ignorer : « En dépit de ses multiples appropriations, l’Islam aujourd’hui est pleinement engagé dans le processus mondial de réinvention religieuse et de modernité politique ; cette religion sous la mouvance de nouvelles organisations islamiques est de plus en plus ouverte à la modernité (réformisme moderniste), à la laïcité et à la globalité (globalisation), en même temps qu’elle plonge profondément ses racines dans le local et dans l’africanité »5. Certes, ce « réformisme moderniste » a encore « du chemin à faire pour marquer de son sceau la renaissance africaine »6. Mais le processus est encore en marche. Le mouvement est lancé. De plus, une collaboration fructueuse des chrétiens avec cet Islam nouveau, sur le terrain socio-économique et politique africain ne pourrait-il pas être bénéfique autant à ce mouvement qu’aux chrétiens et surtout à nos pays ? En tout cas, encore merci au Professeur Richard Filakota de nous rappeler que l’Islam n’est pas figé. Professeur Paulin POUCOUTA 5 6 Richard FILAKOTA, op. cit. p. 186. Richard FILAKOTA, op. cit. p. 187.