COM DOC 4 dec 2012 F SIBILLE histoire d eau et de poussiere

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Histoire d’eau et de poussière
Académie des Sciences Belles-lettres et Arts de Lyon
François Sibille – 4 décembre 2012
Ce qui suit pourrait être l’histoire de n’importe quelle molécule d’eau dans l’air que nous respirons,
qui coule dans la Saône sous nos fenêtres, ou que nous avons bue à notre table… Beaucoup de ce qui
suit pourrait s’appliquer à de nombreuses autres molécules simples qui sont présentes dans l’Univers.
Il est d’ailleurs intéressant de noter que les démarches des Astronomes et des historiens présentent
souvent des analogies intéressantes que nous soulignerons.
Les deux atomes d’hydrogène de la molécule H2O datent du Big-bang qui a lancé l’univers matériel
baryonique auquel nous appartenons avec une composition chimique fort simple : 75 % d’hydrogène,
24 % d’hélium et seulement quelques traces des éléments plus lourds
Pour qu’il y ait suffisamment d’oxygène pour pouvoir construire des molécules d’eau en quantité
appréciable, il faudra attendre quelques dizaines, voir centaines, de millions d’années pour que
l’Univers ait le temps d’être enrichi en éléments lourds par les premières générations d’étoiles qui
semblent être apparu beaucoup plus tôt, et très actives, qu’on ne le pensait jusqu’ici.
Les plus anciennes manifestations de l’eau
Actuellement, on observe avec des techniques différentes les premières manifestations de l’eau, à
l’état de vapeur ou de glace, dans au moins deux objets qui nous apparaissent tels qu’ils étaient
environ 1,6 milliard d’années après le Big-bang. Il faut tout de suite noter que cette remontée dans le
temps est rendue possible par la combinaison favorable de deux facteurs. Le premier, la vitesse finie
de propagation de la lumière, permet aux astronomes de remonter le temps simplement en regardant de
plus en plus loin. Un outil qu’un historien envierait ! Il y a cependant une difficulté : plus un astre est
éloigné, moins nous recevons de la lumière qu’il rayonne, mais le deuxième facteur y palie, c’est le
phénomène des « mirages (ou lentilles) gravitationnelles ». La présence d’un amas de galaxies situé
entre un objet lointain et nous agit, par la gravité de l’amas qui dévie les rayons lumineux, comme une
gigantesque lentille, gratuite, qui les focalise vers nous. Loin de masquer l’objet lointain, l’amas nous
fait recevoir une quantité de lumière bien plus grande que s’il n’était pas là.
Mais ces observations ne nous renseignent ni sur le procédé ni sur le site de la fabrication des
molécules d’eau. Une chose est certaine, bien que l’hydrogène et l’oxygène y soient présents, ce ne
peut se passer ni dans l’atmosphère des étoiles, ni dans leur proche environnement, où la température
élevée et les photons ultraviolets l’interdisent.
Le milieu interstellaire
Reste alors l’espace interstellaire qui n’est pas vide comme on pourrait le penser, mais au contraire
rempli d’un gaz très raréfié, avec typiquement 10 particules par cm3, qui représente cependant une
masse d matière équivalente à celle des 500 à 1000 milliards d’étoiles d’une galaxie comme celle où
se trouve le Soleil. Ce gaz n’est pas très froid, 100K (ou _273 °C) car il est légèrement chauffé par les
photons émis par les étoiles, le « clair d’étoile. Cet espace est cependant très inhomogène et il arrive
que se forment, sous l’effet de l’attraction qu’exercent entre eux les atomes du gaz, de vastes régions
où la densité est 100 à 1000 fois plus élevée. Appelé « nuages moléculaires », pour des raisons que
nous verrons plus loin, ces structures sont assez stables : en effet, la plus grande proximité des atomes
entre eux fait apparaître des chocs, donc une pression interne, qui s’oppose à la gravitation et établit un
équilibre hydrostatique.
La poussière
Il manque encore ici, la description d’un ingrédient essentiel mais discret du milieu interstellaire : la
poussière. Mélangés au gaz, on trouve des grains de poussière de petite taille, de l’ordre du micron,
qui ne représentent qu’une fraction très faible de la masse totale du gaz, moins de 1%, mais jouent
pourtant un rôle très important.
Un premier effet de cette poussière pourrait être qualifié de « cosmétique » : elle produit sur la
lumière des étoiles qui traverse le milieu une extinction sélective, le bleu est plus éteint que le rouge,
et l’infrarouge n’est pratiquement pas affecté. Ainsi, de deux objets identiques, dans le domaine du
visible, le plus lointain parait plus rouge que celui qui est proche. On notera que ce rougissement,
analogue à celui qui produit de beaux couchers de Soleil rougeoyants, n’a rien à voir avec celui que
produit sur les galaxies l’effet Doppler dû à l’expansion de l’Univers.
Le deuxième rôle d’ordre thermique, et il est essentiel en Astrophysique : la poussière agit comme un
agent refroidissant du milieu. Dans une galaxie, la plus grande partie de l’énergie rayonnée par les
étoiles se trouve dans les domaines du visible et de l’ultraviolet. Quand un atome, ou une molécule
absorbe un de ces photons, il se trouve excité, et, dans un gaz raréfié, il peut avoir du mal à se
débarrasser de cet excédant d’énergie. Au contraire de cela, un grain sera juste un peu échauffé, et se
refroidira spontanément sans aucune aide, par l’émission de photons infrarouges lointains. Une des
découvertes majeures de la nouvelle Astronomie infrarouge dans les années 1960 a été de montrer que
ce phénomène de « re-rayonnement » par les grains faisait qu’une grande partie de l’énergie rayonnée
par les galaxies avait jusque là été ignorée.
La nature de ces grains a été déterminée à partir de leurs propriétés spectrales, soit de type graphite,
soit de type silicate. Ils proviennent des étoiles vieillissantes, les super géantes rouges, dont
l’atmosphère se dilate énormément, dans quelques milliards d’années le Soleil atteindra ce stade et
son diamètre atteindra presque celui de l’orbite de Jupiter. Dans les couches supérieures de ces
atmosphères, relativement froides vers 2000 à 3000 K, des matériaux réfractaires se condensent en
petits grains qui sont ensuite expulsés dans de vastes mouvements turbulents et vont se disperser dans
le milieu interstellaire.
Les nuages moléculaires
On imaginera facilement que, dans un nuage dense ou se s’est rassemblé l’équivalent de 1000 à 10 000
fois la mase du Soleil de gaz interstellaire, il va y avoir aussi une grande quantité de poussière qui,
comme le montre bien l’image de Messier 16 par le Hubble Space Telescope, rend ce nuage
complètement opaque, on n’aperçoit aucune étoile à travers le nuage, et imperméable au bain des
photons des étoiles qui parcourent l’espace. De ce fait, il n’y pas d’endroit dans l’Univers plus
obscure que l’intérieur d’un nuage moléculaire. Mais c’est aussi un endroit de record de basse
température : en effet, les grains le refroidissent en émettant des photons infrarouges qui sortent sans
aucune difficulté du nuage.
C’est dans cette ambiance glaciale que va fonctionner la grande usine à molécule cosmique. Tout
d’abord, l’hydrogène, largement prédominant et qui est habituellement dans le milieu diffus à l’état
atomique, voire ionisé, va se présenter sous forme moléculaire H2. C’est encore une observation
infrarouge qui a permis de le mettre en évidence, et l’appellation de « nuage moléculaire » en est
logiquement découlé. On peut noter aussi que l’hélium, d’une inertie chimique remarquable, reste à
l’état atomique.
C’est sur les grains de poussière que le reste va se passer, et ceci grâce à un phénomène simple et
courant bien facilité par le froid ambiant : des forces faibles, dites forces de Van der Waals, attirent et
maintiennent collés à la surface d’un solides les atomes du gaz environnant. Les grains se recouvrent
ainsi d’une couche d’atomes qui on tout loisir de se côtoyer, et de s’associer, selon affinité, pour
former des molécules. Parfois aidé par l’utilisation de l’énergie d’un photon qui serait arrivé à se
glisser jusque là, ce « réacteur chimique », très lent, va d’abord produire des molécules simples
comme OH, H2O, CO, CO2, qui sont très abondantes, puis aussi des molécules plus exotiques telles
que NH3, CH4 etc. Bien évidemment, à ces températures, tous ces produits sont à l’état solide, et le
grain grossit lentement, se recouvrant progressivement d’une croute de « glace sale ». Des réactions
plus complexes peuvent alors aboutir à des molécules plus lourdes, on en dénombre aujourd’hui plus
d’une centaine. On imagine l’effet produit dans les années 1970 par l’annonce de la détection dans le
domaine radio de grande quantité d’alcool éthylique CH3CH2OH… Dans les mêmes longueurs
d’ondes on a aussi pu mettre en évidence des acides aminés comme la glycine et l’alanine, maillons de
futures chaînes polypeptidiques qui aboutiront aux protéines du vivant. Des résultats d’études récentes
semblent indiquer que ces molécules présenteraient une certaine chiralité, qui pourrait être due à la
présence de champs magnétiques dans les nuages moléculaires.
La suite de l’histoire d’une molécule d’eau congelée sur un grain peut prendre deux chemins très
différents.
Retour au milieu diffus
Par suite de turbulences, très lentes, à l’intérieur du nuage où il s’est fait enrober de glace de
molécules, il peut arriver qu’il se trouve poussé vers la périphérie du nuage, où il subira le chauffage
du fond de rayonnement des étoiles. Sa carapace va alors rapidement se sublimer, et, mis à nu, le grain
retournera dans le milieu diffus, d’où il est venu. Il est parfaitement concevable qu’il puisse participer
à nouveau, après quelques centaines de millions d’années, à un nouveau nuage moléculaire. Le sort
des molécules est incertain dans le milieu diffus, il dépend beaucoup de l’environnement d’étoiles où
il séjourne. Le rayonnement UV de quelques étoiles massives, jeunes et chaudes leur sera funeste, et
leurs constituants retourneront à l’état atomique.
Collapse, jeunes étoiles et disques protoplanétaires
L’autre fin de l’histoire passe par la déstabilisation du nuage moléculaire, provoquée par quelque
phénomène, sa fragmentation en morceaux qui s’effondrent sur eux même par auto-gravitation et
l’apparition d’un groupe de nouvelles étoiles en quelques 10 000 ans. On invoque souvent comme
déclencheur l’explosion d’une super nova dans le voisinage du nuage, l’étude des météorites nous
indique ce fut très probablement le cas pour le nuage d’origine du Soleil, mais de simples turbulences
à l’intérieur du nuage sont aussi une cause possible.
Ce paragraphe est un intermède mathématique que le lecteur pourra sauter s’il le souhaite… Dans un
fragment qui s’effondre, pour une particule de masse m, de vitesse V, à la distance r du centre de
gravité, le vecteur mV×r représente son moment cinétique. La somme ∑ mV×r calculée sur
l’ensemble du fragment représente alors sa tendance globale à la rotation sur lui-même. On peut
considérer qu’un fragment est un système isolé, et la mécanique prévoit que cette grandeur tend à se
conserver. Dans l’événement, m se conserve et r diminue considérablement, passant de l’ordre de
l’année lumière au début, pour finir à l’ordre de secondes lumière quand l’étoile est formée. Il est alors
évident que la vitesse V va augmenter. C’est le phénomène classique d’un patineur à glace qui fait une
figure de toupie.
La plus grande partie de la masse du fragment aboutit dans l’étoile, mais celle-ci ne peut pas tourner
très vite, car la force centrifuge à l’équateur finirait par la disloquer. C’est la formation d’on disque de
gaz et de poussière, entourant l’étoile dans son plan équatorial, qui va se charger d’« absorber » le
moment cinétique, car, bien que sa masse soit bien plus faible que celle de l’étoile, pour le disque r
est grand. Chauffé à l’origine par la dissipation dans l’effondrement de l’énergie gravitationnelle du
fragment, le disque va rapidement se refroidir en rayonnant dans l’infrarouge, et en quelques milliers
d’années il coagulera en un système de planètes en orbite autour de l’étoile.
Devenir des molécules
Les grains et les molécules qui tombent dans l’étoile, très chaude, sont détruits et leurs constituants
retournent à l’état atomique, voire ionisé. Leur sort dans le disque va dépendre essentiellement de leur
distance à l’étoile, mais, ici il est commode de passer du général au particulier, en décrivant la
situation dans le système solaire, qui, à ce jour et probablement pour encore longtemps, est le seul
système planétaire observé en détail ! Dans la partie plus centrale du disque, plus exposée au
rayonnement de l’étoile, et donc plus chaude, les molécules seront largement détruite et se formeront
des planètes minérales comme le quatuor des planètes telluriques : Mercure, Vénus, la Terre et Mars.
Au contraire, dans la partie la plus périphérique, bien à l’abri du Soleil, les grains recouverts de glace
de molécules resteront intacts et vont simplement coaguler en formant des « boulles de neige sale »
qui seront plus tard les noyaux des comètes. On voit bien là l’intérêt aujourd’hui de l’étude des
comètes considérées comme des échantillons, gardés au congélateur, de la matière du nuage primitif.
Entre les deux, le processus de coagulation va être d’autant plus efficace qu’il y a beaucoup de matière
et se formeront les planètes « joviennes », géantes et gazeuses : Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune.
Dans ces dernières, les grains seront épluchés, mais les molécules seront largement conservées.
Et l’eau dans tout çà ?
L’état, solide, liquide ou gazeux est décrit par un diagramme pression-température dit « diagramme de
l’eau ». Il faut une pression supérieure à environ 0,1 atmosphère, et une température supérieure à 0 °C,
et ceci dans une fourchette réduite de température, pour que H2O puisse se trouver à l’état liquide. Les
conditions qui règnent à la base de l’atmosphère de la Terre permettent ces trois états. Aux plus
basses températures, quelle que soit la pression, la tendance est à l’état solide, la glace, et aux plus
hautes températures, on a l’état gazeux, la vapeur.
La question de savoir si l’eau aujourd’hui présente ici ou là dans le système solaire, et en particulier
sur la Terre, fait l’objet d’un débat animé. Une partie de cette eau peut dater de l’époque de la
formation des planètes, une autre peut avoir été apportée par des comètes ou des astéroïdes. La
proportion de chacune est incertaine.
On peut noter, de façon très simplifiée la situation de la surface de Mars : la pression, 0,01
atmosphère, est si basse que H2O ne peut s’y trouver qu’à l’état solide ou gazeux. En fait il a été
démontré que le sous-sol de Mars contient de l’au, probablement congelée, et on ne peut pad exclure la
présence de caverne. On a parfois évoqué que CO2 liquide aurait pu produire une érosion de surface,
mais il aurait fallu pour cela une atmosphère très épaisse et une pression supérieure à 7 atmosphère, ce
qui parait exclu.
On pensait jusqu’ici la Lune et Mercure totalement dépourvues d’eau de surface. Des observations
récentes par des sondes spatiales ont montré que de la glace d’H20 y subsiste néanmoins dans des
zones jamais exposées au Soleil, au pied de parois de cratères dans les régions polaires. L’origine de
cette glace est incertaine : résidus de noyaux de comètes ou astéroïdes tombées là ? Mais quand ? On
peut noter à ce propos que de l’eau que l’on puisse récolter sur la Lune présenterait un intérêt
astronautique considérable : avec du courant électrique, d’origine solaire, on pourrait fabriquer des
combustibles pour fusées, transformant ainsi le luminaire de nos nuits en station service de l’espace …
De façon moins spéculative, ce pourrait être une ressource que l’on n’aurait plus besoin d’apporter
depuis la Terre pour une station permanente.
Le cas de Vénus est particulier. Son atmosphère écrasante, pression de 90 atmosphères et température
au sol de 450 °C, est aujourd’hui complètement desséchée. Comment cette planète, souvent considérée
comme jumelle de la Terre, a-t-elle subi une évolution si différente ? Il y a beaucoup d’hypothèses.
Les « lunes » banquises
Dans le système solaire, on trouve de l’eau ailleurs que sur la Terre, mais dans des situations très
particulières : certaines lunes « banquises » des planètes joviennes. A la distance du Soleil où se trouve
Jupiter, et au-delà, la température de surface d’un corps est largement au dessous du point de
congélation de l’eau et on trouve un certain nombre de satellites des planètes géantes dont la structure
est un noyau solide, recouvert d’un océan plus ou moins profond, et dont la surface est gelée.
L’origine de ces lunes est encore inconnue, mais de idées récentes suggèrent qu’elles pourraient être
une suite de l’évolution du phénomène anneaux. A suivre donc !
Pour conclure
L’eau en phase liquide abondante à la surface de la Terre résulte de la conjugaison d’une étonnante
série de circonstances favorables : gravité et pression atmosphérique suffisantes, effet de serre modéré,
etc..., qui en font une véritable exception cosmique.
Il y a dans notre Galaxie entre 100 et 1000 milliards d’étoiles, personne ne s’est d’ailleurs jamais
aventuré à les compter !) . Il y a certainement un nombre encore plus grand de milliards de planètes
qui les accompagnent. Parmi elles, combien de « planètes bleues » ? La question reste ouverte.
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