
frontières  fussent  sensibles  aux  menaces  et  aux  suggestions  exercées  par  le  système  romain  de  contrôle 
indirect
 ». 
Si on veut comparer le progrès stratégique de l’Empire Romain avec celui de la Chine, on ne peut par 
contre pas adopter une théorie « déterministe » du développement. Il n’est pas dit qu’une phase hégémonique 
(ou,  selon  notre  définition,  de  « soft-power »)  soit  suivie  par  une  « territoriale »  (qu’on  devrait  donc  définir 
comme  « hard-power »).  Il  s’agit  plutôt  de  phases  qui  s’alternent  pendant  les  cycles  de  longue  haleine  des 
empires. 
L’hégémonie  permet  des  périodes  de  conquête,  parce  qu’elle  ne  se  fonde  pas  sur  des  frontières 
tracées  dans  la  pierre.  La  territorialité  représente  quant  à  elle  le  sommet  de  l’expansion,  c’est-à-dire  le 
moment  où  la  complexité  du  système  extérieur  dépasse  celle  du  système  intérieur.  La  muraille  définit  une 
frontière et permet donc de se concentrer sur la situation domestique, jusqu’à la reprise de l’expansion. 
Il est évident que, pour un empire, les deux aspects de l’hégémonie et de la territorialité coexistent, car 
l’un n’exclut pas l’autre ; il faut toutefois imaginer le « Souffle des Empires » comme étant caractérisé par des 
phases qui voient une des deux caractéristiques prévaloir sur l’autre, pour ensuite décliner et laisser la place à 
sa concurrente. La  territorialité renferme dans ses frontières ce que, pour l’empire, peut être défini comme 
l’« idée  politique  nationale »,  c’est-à-dire  l’ensemble  de  toutes  les  cultures  qui  partagent  une  même  idée 
culturelle – et donc économique et sociale – compatible. 
 
La Chine moderne est passée d’une phase de « territorialité », prédominante jusqu’à l’arrivée de Deng 
Xiaoping, à celle d’une plus importante expansion de sa prétention hégémonique, grâce à l’outil de la « guerre 
économique
 ».  Ce  n’est  pas  une  stratégie  « nouvelle » :  elle  a,  en  effet,  caractérisé  le  développement  des 
grands « cycles d’accumulation du capital » de l’époque moderne et contemporaine, dictant les possibilités de 
naissance de la Venise des marchand, des Pays-Bas, de l’Empire Britannique et des Etats-Unis
. 
Deng  a  représenté  la  fin  du  « colonialisme  interne »  de  la  Chine :  en  1978,  le  processus  de 
nationalisation Han était pratiquement conclu  et le territoire chinois  était devenu une  zone  de compétence 
semi-exclusive de  l’ethnie centrale. Avec  la  fin de  Mao,  avait aussi  disparu la  tension civile  qui découlait  du 
contraste entre la désormais chétive opposition du Kuomintang et le Parti Communiste. Le système national 
domestique était revenu à un niveau de complexité gérable ; au-delà de la Grande Muraille, les opportunités 
offertes, dans un premier temps par la crise soviétique et, ensuite, par la fin de la Guerre Froide, furent des 
exhortations à l’expansion. 
La  Chine,  dans  son  rôle  d’empire  socialiste,  a  été  plus  chanceuse  que  son  homologue  soviétique. 
Moscou a vécu sa phase de complexité interne jusqu’en 1937, l’année « de la terreur et du rêve », quand le fou 
lucide Staline transforma Moscou et tout le pays en un système parfait pour la persécution  des dissidents et 
pour  le  développement  d’un  idéal  « utopique  d’une  nouvelle  société
 ».  La  phase  d’expansionnisme  se 
prolongea pendant les courtes et très violentes années de la deuxième guerre mondiale, en refaisant ensuite 
 
 Luttwak, Edward N., op. cit. 
 Pour éviter de citer l’omniprésent Luttwak (Luttwak, Edward N. (1990), From Geopolitics to Geoeconomics.  Logic of 
Conflict, Grammar of Commerce, The National Interest), nous vient en aide l’école française des années 1990 : Esambert, 
Bernard (1990), La guerre économique mondiale, Olivier Orban ; et Harbulot, Christian (1992), La machine de guerre 
économique, Economica. 
 Braudel, Fernand (1986), Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVe-XVIIIe siècle, Armand Colin ; et aussi 
Arrighi, Giovanni (1996), Il lungo XX secolo: denaro, potere e le origini del nostro tempo, Il Saggiatore. 
 Schlögel, Karl (2010), Terror und Traum, Fischer Taschenbuch Verlag.