La Passion du rural | Tome 2 | chapitre XIV
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Chapitre XIV
Mes enseignements.
Parcours transversal entre théorie, pratique et politique
Comment synthétiser plus de trente-cinq ans denseignement
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en quelques dizaines de
pages ? Comment traduire cette mission première à laquelle jai consacré le plus def-
fort, denthousiasme et de passion ? Comment exprimer cette joie constamment renou-
velée de retrouver mes classes détudiants et étudiantes ? Comment dire ce plaisir de
transmettre des connaissances, de faire comprendre des réalités, dinitier à des théories,
d’analyser des réalisations, des plans et des projets,… pour habiliter à la prise de
décision et encadrer des évolutions pour un mieux-être collectif en milieu rural ?
Enseigner fut mon premier et seul véritable métier. La pédagogie comme devoir. Former
des agents de changement. Toutes mes autres activités étaient impulsées par ce besoin,
cette impérative nécessité de nourrir, dapprofondir mes thèmes denseignement. Le sou-
ci dêtre constamment en phase avec lactualité obligeait ces passages par la recherche,
les lectures, la participation à des événements scientifiques, la collaboration à des
travaux de ministères et dorganismes municipaux, limplication citoyenne.
Durant toute ma carrière jai été animé par ce devoir de transmettre, de diffuser des
connaissances et des éléments de réflexion pour informer, sensibiliser, mobiliser, pour
façonner lesprit critique, pour accroître la volonté et la capacité dagir, pour préparer à
lintervention novatrice.
Une carrière universitaire contient son lot déchecs et de frustrations, particulièrement
lorsquon outrepasse les frontières du champ académique pour simpliquer dans laction
sociale et les processus de réforme. Mais rien ne me chagrinait davantage quun étudiant
ou une étudiante qui abandonnait ses études. Des étudiants généralement talentueux qui
ne parvenaient pas à solutionner certaines difficultés liées à leur recherche ou qui étaient
confrontés à des problèmes personnels envahissants quils narrivaient pas à régler ou à
surmonter. Certains étudiants et étudiantes mettent très haut la barre de leur mémoire de
maîtrise et senferrent dans une recherche aux multiples ramifications, chacune
abondamment documentée, qui les étouffe finalement. Mes efforts pour les sortir de telles
situations ont permis le sauvetage de plusieurs, mais tous méritaient de lêtre.
Et que dire de ces étudiants et étudiantes aux prises avec des problèmes de santé, des
problèmes de couple ou de famille, des problèmes d’argent… ? Je pense à ce garçon
affecté de bipolarité, à cette jeune femme mise à la porte en pleine nuit par son copain
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Professeur titulaire au département de géographie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) de
1969 à 2000. À titre de professeur invité j’ai enseigné à l’Université de Pau et à l’École supérieure de com-
merce de Lille en France, à l’Université Guyanes-Antilles en Guadeloupe, à l’Université d’Alexandrie en
Égypte, à l’Université d’Oviedo en Espagne (traduction simultanée) et au Ministère de l’Environnement de
la République des Îles Seychelles (classes de techniciens et d’administrateurs).
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qui retenait son ordinateur dans lequel était contenu son projet de mémoire, cet autre
garçon qui devait prendre soin dun frère affligé dune grave maladie, etc.
Luniversité nétait pas pour moi une « tour divoire ». Cétait un lieu de réflexion, de
discussion et de dialogue avec des collègues, mais surtout avec des étudiants qui allaient
construire la société de demain. Il mimportait de comprendre les réalités en cours, mais
surtout de déceler les indicateurs de la métamorphose du présent et les signes annon-
ciateurs des tendances fortes qui allaient modeler lavenir. La recherche fondamentale,
subventionnée ou non, et la recherche appliquée souvent réalisée dans le cadre de tra-
vaux commandités par des ministères ou des organismes publics et parapublics, permet-
taient le ressourcement dont je ressentais le perpétuel besoin.
Tout au long de ma carrière, jai eu la charge dune large gamme de cours tant au
niveau du baccalauréat que de la maîtrise et je nai jamais répété le même contenu de
cours. Lactualité en mouvance et le renouvellement constant de la littérature portant sur
mes thèmes denseignement, obligeaient à des mises à jour régulières. Les étudiants rece-
vaient les notes de cours, les copies des transparents que je commentais sur écran, et les
références bibliographiques.
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Outre les enseignements classiques en salle de classe, je prévoyais toujours une sortie
sur le terrain, la venue dun conférencier ou la projection dun documentaire pour illus-
trer des démonstrations théoriques ou des démarches appliquées, aussi pour procurer
aux étudiants dautres points de vue.
Lorsque les circonstances le permettaient, jaimais organiser des stages de terrain de 6 à
12 jours dans le cadre de cours en aménagement du territoire et en développement local
et régional. Une dizaine de ces stages ont été organisés dans le Bas-Saint-Laurent et la
Gaspésie, couvrant le territoire entre Kamouraska et Sainte-Anne-des-Monts, du littoral
aux villages du Haut-Pays. Ces stages d’immersion au cœur des réalités rurales et
urbaines dune région éloignée des centres, constituaient des expériences particuliè-
rement riches et révélatrices dun autre Québec pour des étudiants majoritairement mé-
tropolitains. Dautres stages se sont déroulés dans les quartiers défavorisés de Québec et
dans les municipalités touristiques des Laurentides.
Une trame à référence scientifique cadrait le déroulement des stages et la problématique
densemble était présentée dans son contexte géographique, historique, économique et
social. Lanalyse spécifique des stratégies de développement et des plans daction, des
projets et des expériences en cours était exposée par des acteurs locaux : intervenants
dorganismes de développement, élus municipaux, chefs dentreprises, producteurs agri-
coles, animateurs culturels, jeunes porteurs de projets, etc., que nous rencontrions à
leurs bureaux, dans leurs entreprises, à la ferme ou à leurs résidences.
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J’ai commencé à faire usage des logiciels PowerPoint au cours de mes dernières années d’enseignement à
l’UQAM et dans les années subséquentes (formations, séminaires, conférences, etc.).
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Pour la durée des stages dans le Bas-Saint-Laurent, les étudiants et étudiantes étaient ré-
partis dans des résidences privées de la communauté rurale de Saint-Mathieu-de-Rioux,
au cœur du village et dans les rangs, pour le coucher et le petit déjeuner. Ce contact plus
intime avec la population locale était une plus-value appréciée de part et dautre. Alors
que le repas du midi était pris sur la route, celui du soir nous réunissait tous autour de
deux grandes tables montées dans le solarium chez moi, dans le 5e rang de Saint-
Mathieu. Ces repas étaient préparés par mon épouse secondée dune amie qui accueillait
aussi chez elle deux étudiants. Au cours des premières années, nos enfants étaient pré-
sents et se mêlaient à la joyeuse assemblée, se proposant pour faire visiter la ferme et les
animaux : moutons, vache, veau, lapins, poules… Les collègues Guy Lemay et Jacques
Schroeder du département de géographie de lUQAM participaient occasionnellement à
ces stages.
Un stage en développement local fut organisé en avril 1995 dans le sud-ouest de la Fran-
ce avec la collaboration de lInstitut interuniversitaire de développement local sous la
direction de Maurice Caumières, maire de la commune de Gavaudun.
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Installé à ce
moment-là dans les locaux du Château des Rochers à Saint-Vite, cet Institut est
maintenant situé avenue Michel Serres à Agen, non loin de Saint-Vite, et porte le nom
dInstitut national du développement local. Ce stage auquel ont participé 15 étudiants-es
de niveau maîtrise, a permis de découvrir des projets audacieux, des personnes aux idées
novatrices et des modes dorganisation qui ont permis de surmonter des difficultés liées à
des contextes économiques et sociaux dégradés en milieu rural.
La fréquentation durant dix jours de problématiques de développement et dinitiatives
souvent inédites de lutte à la dévitalisation locale et à lexode des jeunes dans les com-
munes rurales et les petites villes présentant plusieurs points en commun avec des
communautés rurales du Québec, a constitué une expérience particulièrement motivante
et enrichissante pour ce groupe détudiants.
Le dernier stage de terrain que jai organisé fut celui de mai 1998. Il avait pour thème :
« Exclusion, pauvreté et développement local : Quartiers centraux de Québec et villages
du Bas-Saint-Laurent ».
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À Québec, le programme reposait sur des visites auprès dor-
ganismes offrant des services à des clientèles fragilisées et marginalisées par des condi-
tions économiques précaires, des problèmes de santé ou des difficultés liées à des
dépendances à lalcool ou à la drogue. Des représentants de ces organismes avaient gé-
néreusement accepté de rencontrer les étudiants pour exposer leur mission respective, les
services offerts, les limites de leur action liées à linstabilité de leurs ressources, et les
résultats de leurs interventions. Installés dans une auberge de jeunesse du Vieux-Québec,
les étudiants partageaient le repas du midi en compagnie de sans-abri dans des refuges.
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L’office franco-québécois pour la jeunesse a assuré un soutien financier substantiel à ce projet.
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Pour chacun des stages, les étudiants recevaient un Cahier contenant le programme du stage, des notes sur
la thématique étudiée et un recueil d’une vingtaine d’articles couvrant des aspects théoriques et pratiques
des sujets traités.
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Ce fut une expérience souvent déprimante mais révélatrice de réalités bien présentes
dans nos villes, auxquelles se consacrent des gens de cœur et de compassion.
Dans les villages du Bas-Saint-Laurent, lexclusion et la marginalisation prennent dau-
tres visages mais ne sont pas moins difficiles à vivre. La même démarche a été suivie
dans les deux cas, cest-à-dire la présentation des problématiques densemble et leur ca-
dre théorique, dune part, la rencontre avec des représentants dorganismes daide aux
personnes et familles en difficulté et des porteurs de projets, dautre part.
Ce stage qui confrontait les étudiants à de dures réalités, permettait de dépasser les
apprentissages conceptuels transmis en salle de classe.
Compte tenu de sa mission élargie denseignement et de sa mission sociale, je ne pouvais
concevoir mon université enfermée dans les limites du campus du centre-ville de Mon-
tréal. Les enseignements devaient rejoindre les acteurs de terrain et ainsi générer des
effets multiplicateurs. Aussi, parallèlement à mes enseignements dans les locaux de
lUQAM, jai préparé et dispensé de nombreuses formations (plus de quarante) sur le
terrain à des élus, des agents de développements, des fonctionnaires de lÉtat, des
bénévoles dorganismes de développement ; jai prononcé plus dune centaine de confé-
rences à travers le Québec, le Canada et à létranger à différents types dauditoires ; jai
rédigé nombre darticles dans les quotidiens pour rejoindre le plus grand nombre de
citoyens sur des sujets dintérêt collectif. Les résultats de mes recherches et réflexions ne
devaient pas être accessibles aux seuls cercles dinitiés : jai publié plusieurs articles
dans les grands quotidiens de Montréal et de Québec.
Cest ce « dialogue » permanent avec la réalité de terrain et ses acteurs qui a donné un
sens et une portée si riche et si passionnante à mon parcours universitaire.
Quitter lenseignement au moment de mon départ à la retraite fut un déchirement.
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Heureusement, je conservais la perspective de continuer à dispenser des formations sur
le terrain au Québec et à létranger, ce qui allait maintenir pour une quinzaine dannées
encore ce lien avec des intervenants et autres acteurs de laménagement et du développe-
ment territorial.
Pour jeter quelque éclairage sur cette composante si fondamentale de ma vie univer-
sitaire, je présente ci-après deux contenus de cours en lien direct avec le développement
rural et le développement régional. Jajoute une liste de livres non académiques que je
suggérais à mes étudiants en compléments des lectures plus formelles. Et pour clore ce
chapitre, je présente des extraits du dossier relatif au Diplôme détudes supérieures
spécialisée (DESS) en Planification territoriale et développement local (PTDL) que jai
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Lors de mon dernier cours au printemps 2000, dispensé à une classe du programme de maîtrise, le
directeur du département, Juan-Luis Klein, avait invité plusieurs de mes anciens étudiants. Accompagnés
de collègues, ils sont entrés dans la salle de cours pour assister aux dernières minutes de ma carrière
d’enseignant à l’UQAM. Je fus très touché par cette initiative et par les témoignages qui furent livrés.
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préparé au cours de mes deux dernières années au département de géographie de
lUniversité du Québec à Montréal - UQAM.
95. GEO 3211-20 Lespace rural (niveau baccalauréat)
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Professeur : Bernard Vachon
Hiver 96
1. Description
Parler du monde rural, de ruralité et despaces ruraux cest dabord sinterroger sur le
sens que portent ces mots. Cest aller au-delà des préjugés, des lieux communs, pour
saisir, à travers lévolution économique et sociale des quarante dernières années, les
forces de changement qui ont transformé en profondeur des territoires et des modes de
vie. La réalité rurale actuelle a bien peu à voir avec les portraits nostalgiques que véhi-
culent certaines téléséries ou encore, les souvenirs bucoliques dauteurs qui nourrissent
les fantasmes champêtres de citadins qui ont perdu la facul de sendormir en comp-
tant des moutons.
Les transformations subies par le monde rural sont inséparables de lévolution agricole
qui a connu une brutale accélération à compter des années 50, dune part ; elles sont
étroitement associées aux logiques
de
concentration des activités industrielles et des
services, dautre part. On observe durant cette période, une redistribution du peuplement
rural : des zones se vident alors que dautres prospèrent sous leffet de la périurbani-
sation. Plus récemment, on assiste à la réapparition dune plus grande diversité de fonc-
tions dans lespace rural. Simultanément à une problématique de déclin et de dévitali-
sation qui affecte de vastes pans du territoire rural, une nouvelle dynamique sinstaure,
porteuse dopportunités pour un redéveloppement. Serions-nous à laube dune renais-
sance rurale ?
Les milieux ruraux changent car le rapport de la société (et de léconomie) avec lespace
se transforme. Le passage dune société industrielle à une société informationnelle sac-
compagne de lémergence de nouvelles logiques de localisation et conséquemment de
nouvelles formes dorganisation du territoire. Ceci se traduit par une recomposition des
territoires et une nouvelle relation ville-campagne. De nouveaux défis se posent aux
territoires ruraux. Il en découle le besoin dune perspective renouvelée et dun contenu
spécifique des propositions daménagement et de développement de ces espaces.
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Syllabus de cours, session hiver 1996.
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