a) étudiez l’enchaînement des propositions dans ce sonnet.
Une seule phrase, assertive, en 14 vers. Sonnet : densité, rigueur de construction.
Structure qui domine ici = comparative, comparaison filée. Relation hiérarchisée entre la
principale et les autres propositions : hypotaxe.
1. La macrostructure comparative
Ainsi de peu à peu crût l'empire Romain,
Tant qu'il fut dépouillé par la Barbare main,
Qui ne laissa de lui que ces marques antiques,
Que chacun va pillant :
Ces vers expriment l’ensemble des éléments comparés dans le cadre de la comp filée :
l’histoire de Rome, croissance, mise à sac, ruine exposée au pillage.
Le comparant est l’histoire du champ de blé, qui connaît des étapes comparables dans
lesquelles on reconnaît les trois termes de la comparaison : croissance (1er quatrain)
moisson (2nd) et pillage (2nd tercet)
On comprend donc que la principale : « Ainsi de peu à peu crût l'empire Romain »
corresponde au comparé, c’est à dire au thème de la phrase (l’Empire Romain et son
histoire), et que toutes les autres propositions soient sous sa dépendance syntaxique :
celles qui développent le thème (Tant qu'il fut dépouillé par la Barbare main, Qui ne
laissa de lui que ces marques antiques, Que chacun va pillant) comme celles qui exposent
le prédicat : le comparant (histoire du champ.). Les articulations sont soulignées par une
ponctuation expressive : deux points à valeur logique forte.
On remarquera cependant que l’antéposition du prédicat (retard de la principale)
correspond à un choix stylistique et syntaxique : thématisation. Crée une attente, deux
quatrains avant de livrer la clef qui permet l’interprétation. Autre conséquence : l’adverbe
« ainsi » devient nécessaire pour expliciter la structure comparative complexe et étendue
(système corrélatif), donc la principale, comme les subordonnées comparatives, se trouve
introduite dans la phrase par un terme connecteur, ce qui traduit dans la syntaxe la
situation d’équivalence posée sémantiquement par la comparaison.
Le système des temps peut s’analyser dans la logique de la macrostructure que nous
venons de dégager : Les propositions qui évoquent le comparé forment un système
temporel qui a sa cohérence interne, suivant l’histoire de Rome : passé simple pour le
procès principal et les deux procès subordonnés achevés et situés dans l’Antiquité ;
périphrase verbale à valeur aspectuelle (inachevé), dont le verbe conjugué est au présent ,
dans la sub qui évoque une autre strate temporelle, celle où se situe l’énonciateur (cf
déictique « ces » du GN support). L’ensemble des propositions qui développent le
comparant, en revanche, est au présent : présent à valeur de vérité générale, évoquant un
phénomène indéfiniment répété, archétypal. On voit bien la différence entre le phénomène
particularisé, actualisé, et le phénomène évoqué dans sa virtualité, sans visée
particularisante, ce que traduisent d’ailleurs les articles définis (le champ, le rustique).
Notons enfin que tous les verbes conjugués à des modes personnels sont à l’indicatif,
même les subordonnées qui sont antéposées à la principale. Tous les termes de la
comparaison sont posés comme vrais du point de vue de l’énonciateur : condition
nécessaire pour poser l’équivalence.
2. La subordination
2.1 conjonctives (rappeler critères)
Pas de conj pure.
4 conj relationnelles :
- 3 comparatives :
même subordonnant = comme issu du latin quomodo, conj simple exprimant
ici la comparaison.
Comme le champ semé en verdure foisonne (qui régit à son tour les autres prop du
Q1)
comme en la saison le rustique moissonne Les ondoyants cheveux du sillon
blondissant, (qui régit à son tour les autres prop du Q2)
ces deux comparatives sont très autonomes, déplaçables (déplacées ici
d’ailleurs par rapport à l’ordre canonique.). On ne pourrait cependant pas les
supprimer sans nuire au sens de la phrase : contrairement à d’autres conjonctives à
valeur circonstancielle, les comparatives sont nécessaires sur un plan logique, ce
que manifeste le système corrélatif comme…ainsi.
comme on voit… + compléments, que nous analyserons plus tard.
Le cas est un peu différent car cette proposition n’a pas pour support
syntaxique la principale mais la relative « Que chacun va pillant » . Elle n’est donc
pas nécessaire à la logique macrostructurale de la phrase ; toutefois elle s’intègre
dans le processus de comparaison filée dont elle est le dernier terme.
- 1 temporelle :
Tant qu'il fut dépouillé par la Barbare main, qui régit le système de relatives
enchâssées qui suit.
L’outil est une locution conjonctive de forme X+que, en l’occurrence « tant »
est un adverbe. La locution « tant que » a le sens de « jusqu’à ce que ». on notera
qu’en français contemporain ce sens n’est plus usité. « Tant que » connaît un sens
intensif (à tel point que) et un sens temporel (aussi longtemps que).
Cette conjonctive a pour support la principale, qu’elle suit immédiatement. Elle
se trouve dans une dépendance assez étroite avec celle-ci, plus que la plupart des
conj temporelles, du fait que le verbe croître évoque un procès qui appelle un
terme spatial ou temporel. On pourrait faire le parallèle avec les compléments de
verbes locatifs par ex, encore que l’autonomie soit trop importante (on pourrait
syntaxiquement supprimer cette prop à condition de supprimer tout ce qui suit,
qu’elle régit à son tour, ce qui sémantiquement pose problème) pour parler de
complément circonstanciel intégré.
2.2 Relatives :
que le chaud assaisonne
Qui ne laissa de lui que ces marques antiques, (régit la suivante)
Que chacun va pillant (régit la conjonctive qui suit)
(De ce) qui va tombant après le moissonneur
- Démarcatifs : Les outils sont tous pronoms relatifs simples, héréditaires, qui
est sujet et que COD du verbe de la relative. L’antécédent est pour les trois
premières le GN qui les précède immédiatement, pour la dernière syntaxiquement
le support est le pronom démonstratif neutre « ce » mais ce pronom qui vient
occuper la fonction de complément du nom « reliques » n’a pas d’antécédent.
- nous pouvons en conclure que les trois premières sont adjectives : en fonction
d’épithètes liées. En revanche pour la troisième nous suivrons l’analyse de Riegel
qui qualifie ce type de relatives de « périphrastiques » : dans le groupe coalescent
« ce qui » (appelé par Soutet et Garagnon « outil décumulatif ») le pronom neutre
sert à nominaliser la relative, lui permet d’assumer une fonction de GN : ici CDN.
- les trois adjectives sont appositives (= explicatives), elles laissent inchangée
l’extension de l’antécédent (on pourrait hésiter pour la troisième du fait de
l’emploi du démonstratif : est-il cataphorique ? Si c’était le cas la relative serait
déterminative, mais la présence de la virgule et le contexte incitent à penser qu’il
s’agit d’un déictique.). Cependant il serait impossible de les « supprimer » à
l’exception de la première, car elles régissent d’autres propositions.
3. La coordination
Rappeler la définition.
Deux cas de coordination inter-propositionnelle ici :
Et comme en la saison le rustique moissonne (…)
Les deux ensembles comparatifs formés par les deux quatrains sont coordonnés, ils
forment un ensemble homogène par son statut syntaxique et sémantique dans la logique de la
structure comparative. La conjonction « et », héréditaire, a la valeur logique d’ajout.
et du blé jaunissant / Sur le champ dépouillé mille gerbes façonne
Même conjonction, mais valeur temporelle (succession, « puis »). Cette proposition est
mise sur le même plan que celle qui précède : mais pb = celle qui précède fait partie d’une
énumération de propositions en apparence juxtaposées, dans un système qu’il nous faut
étudier.
4. La juxtaposition
On parle parfois de coordination zéro, coordination implicite. En effet deux
propositions juxtaposées sont mises sur le même plan, sans relation de dépendance.
C’est ainsi que l’on construit les indépendantes. Toutefois on sait que dans les
tournures énumératives les conjonctions ne sont pas forcément répétées.
Dans le Q2 Les met d'ordre en javelle est construite sans outil démarcatif autre
que la virgule, donc juxtaposée à la précédente, mais coordonnée à la suivante par
« et » : on voit que les trois propositions fonctionnent comme un système, sans
autonomie véritable : leur ordre est imposé par la logique de la succession
chronologique des actions, et syntaxiquement leur sujet est commun (« le rustique »)
et n’est pas répété, ce qui renforce la dépendance.
Dans le Q1 c’est la même chose mais il n’y a aucune conjonction de
coordination : De verdure se hausse en tuyau verdissant, ; Du tuyau se hérisse en épi
florissant, ; D'épi jaunit en grain sont toutes trois juxtaposées, la dernière régissant
une relative. Malgré l’absence de coordination on voit bien que le manque
d’autonomie est aussi flagrant que pour le Q2 : même sujet (« le champ ») non répété,
ordre chronologique inaltérable.
5. Le cas des modes non personnels
On peut rappeler que la notion de « proposition » est parfois débattue dans ces cas, car
un groupe dépourvu de vb conjugué à un mode perso n’est pas autonome, proposition
logique et non syntaxique.
Proposition infinitive :
(on voit) le glaneur / Cheminant pas à pas recueillir les reliques
L’ensemble de la proposition occupe la fonction de COD d’un verbe de perception, le
procès du verbe à l’infinitif a un support actant distinct du sujet de la régissante : le GN « le
glaneur », qui a la même fonction que l’ensemble de la prop. Le vb à l’inf reçoit lui aussi un
COD.
Nous n’analyserons pas « cheminant » comme centre d’une proposition participiale
puisque son support («le glaneur ») a déjà une fonction dans une autre proposition ; la
fonction du participe est ici celle d’un adjectif épithète. Cependant on voit qu’il reçoit un
adverbe et qu’il évoque un procès spatialisé, aspectualisé et temporalisé (participe « présent »
= aspect sécant, inachevé et simultané / régissante) , comme d’ailleurs les très nombreuses
autres formes d’origine participiale : verdissant, florissant, blondissant, jaunissant qui même
s’ils sont épithètes et non noyaux de propositions, donc ne rentrent pas au sens strict dans le
cadre de notre étude, participent encore suffisamment de la catégorie du verbe pour animer le
texte, lui imprimer un mouvement permanent.
Conclusion : Construction parfaite, horlogerie minutieuse, dans laquelle aucune pièce n’est
véritablement autonome, même pas la principale. Système hiérarchique complexe et ramifié,
tout se tient, des « branches » de la macrostructure aux « extrémités » les plus dépendantes
(les participes) en passant par les branchettes intermédiaires (sub enchâssées).
2b. Que chacun va pillant : comme on voit le glaneur
- relative centrée sur une périphrase verbale à valeur aspectuelle (inachevé marqué par le
participe dit « présent »), notons qu’en français contemporain cet emploi n’est plus usité sauf
tour très littéraire, la périphrase aller + inf au contraire est fréquente, valeur temporelle. Le
verbe conjugué est au présent , dans cette sub qui évoque une strate temporelle où se situe
l’énonciateur (cf déictique « ces » du GN support).
- conjonctive comparative et début de l’infinitive qu’elle introduit (support actant « le
glaneur ».
- entre les deux une ponctuation forte, déjà évoquée, mais alors que dans les autres cas la
ponctuation coïncidait avec la fin d’un vers et même d’une strophe, ici on peut noter une
rupture très forte de la chaîne mélodique à la césure, de par la non coïncidence entre métrique
et prosodie. Se produit dans un vers qui est traditionnellement le pivot du sonnet, rien n’est
donc laissé au hasard. On peut considérer que cette rupture prosodique met en relief par son
caractère spectaculaire l’entrée dans l’apodose de la période, au-delà de l’acmé représentée
par le comparé enfin dévoilé. Renforcé encore par la sonorité [ã] qui était celle de la rime B et
que l’on retrouve sous l’accent de coupe au v.13 et à la césure du v.14.
- notons enfin la présence des deux sujets indéfinis : le pronom chacun, forme renforcée du
déterminant indéfini chaque, variable en genre, qui vient du latin (unum cata unum, un à un),
qui fonctionne comme un singulier (quantité égale à un) mais sémantiquement est collectif
(chaque membre d’un tout). Le pronom indéfini « on », étymologiquement substantif, dans
son extension maximale : tous, n’importe qui, de portée comparable donc. Moment de
transition entre l’histoire particulière de Rome et scène à valeur générale à laquelle on la
compare : ces pronoms jouent peut-être un rôle. Rome dispersée aux quatre vents, dégradation
sensible dans les termes à connotation péjorative (pillant, glaneur), s’oppose aux connotations
triomphantes des premières images. Apodose sémantique aussi.
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