1 EPREUVES COMMUNES N°2, Avril 2009 SES TES 1, TES 2 Dissertation appuyée sur un dossier documentaire. (Durée 4 heures) (L’usage de la calculatrice n’est pas autorisé) Il est demandé au candidat : - de répondre à la question posée explicitement ou implicitement dans le sujet; - de construire une argumentation à partir d'une problématique qu'il devra élaborer; - de mobiliser des connaissances et des informations pertinentes pour traiter le sujet, notamment celles figurant dans le dossier; - de rédiger en utilisant un vocabulaire économique et social spécifique et approprié à la question, en organisant le développement sous la forme d un plan cohérent qui ménage l’équilibre des parties. Il sera tenu compte dans la notation de la clarté de l’expression et du soin apporté à la présentation. SUJET. Les firmes transnationales constituent-elles un atout pour la croissance économique des pays développés? DOSSIER DOCUMENTAIRE Document 1 : Loin de réduire les incitations à commercer, les firmes transnationales permettent de pousser plus loin la mondialisation; la croissance rapide des flux d'IDE' depuis les années 1970 a donc vraisemblablement tiré la croissance des échanges mondiaux. En localisant les différents éléments de la chaîne de valeur2 dans les économies proposant les meilleures conditions de production, les firmes transnationales renforcent les spécialisations des pays et permettent une exploitation plus approfondie des avantages comparatifs. Ce constat n'est pas sans conséquences pour l'économie mondiale. Tout d'abord, cette fragmentation dans des processus de production conduite par les firmes transnationales permet de renforcer encore la division internationale du travail, et donc a priori les gains mutuels à l'échange, mis en avant par les théories du commerce international. Ensuite, la complémentarité IDE-commerce laisse entendre que les IDE ne sont pas synonymes d'une réduction directe des activités dans le pays d'origine. Au contraire, l'essor des flux d'exportation avec les IDE suggère que l'internationalisation des firmes y engendre des effets positifs en termes de production et d'emploi. 1. IDE: investissements directs à l'étranger. 2. Chaîne de valeur: ensemble des différentes étapes d'élaboration d'un produit correspondant à un domaine d'activité, depuis la matière première jusqu'à l'après-vente. Matthieu CROZET et Pamina KOENIG, « Le rôle des firmes multinationales dans le commerce international », Cahiers français, n° 325, mars-avril 2005. 2 Document 2 : PIB, exportations, IDE (au niveau mondial), (source : CNUCED, 2003) Document 3 : Part (en %) du chiffre d'affaires réalisé et de l'emploi occupé dans le pays d'origine de sociétés transnationales, en 2004 Société Pays General États-Unis Motors Ford Motor États-Unis General États-Unis Electric Vodafone Royaume-Uni Group Toyota Motor Japon France France Telecom Suez France Volkswagen Allemagne Siemens Allemagne Activité Part du chiffre d'affaires (en %) Part de l'emploi (en %) Automobile 69,4 64,6 Automobile Matériel électrique et électronique 58,3 54,4 62,8 53,7 Telecommunications 14,7 19,8 Automobile 40,0 64,3 Télécommunications 58,6 44,1 Électricité, gaz et eau Automobile Matériel électrique et électronique 23,2 27,5 37,4 51,7 36,5 38,1 CNUCED, World Investment Report, 2006. Document 4 : Une entreprise qui veut s'implanter à l'étranger subit des coûts d'implantation élevés en situation de forte incertitude liée à la méconnaissance des conditions de production locales, de l'appareil réglementaire national, etc. Pour compenser ce désavantage, il faut qu'elle ait sur les firmes locales ou déjà implantées un avantage concurrentiel ou spécifique. Cet avantage peut provenir d'une bonne maîtrise des coûts de production, de la différenciation de ses produits, de la possession d'une technologie ou, enfin, de la taille de l'entreprise. Tous les travaux indiquent la supériorité des transnationales sur les autres firmes en termes, notamment, de productivité et/ou de recherche et développement. Les résultats de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) indiquent que les filiales des transnationales dans les pays d'accueil ont, en général, une productivité supérieure de 40 % à 100 % à celle des entreprises locales. Les avantages concurrentiels des firmes ne sont pas immuables. Comme toute organisation sociale, l'entreprise transnationale peut connaître un cycle de vie avec une naissance, une croissance, une maturité et/ou une mort. Jean-Louis MUCCHIELLI, «Entreprises et entrepreneurs: les firmes multinationales », © Cahiers français, n° 309, juillet-août 2002. 3 Document 5 : Répartition mondiale des entrées et des sorties d'IDE, en 1993-2004 Entrées d'IDE % A B C 19931998 (1) 63,8 34,6 1,6 1999 2000 2001 2002 2003 2004 77,7 21,3 1,0 81,2 18,1 0,6 72,2 26,4 1,4 76,5 21,7 1,8 69,9 26,3 3,8 58,6 36,0 5,4 Sorties d'IDE % A B C 19931998 85,9 13,8 0,3 1999 2000 2001 2002 2003 2004 91,8 8,0 0,2 88,2 11,5 0,3 89,1 10,6 0,4 92,0 7,3 0,7 93,6 4,7 1,7 87,3 11,4 1,3 A: Pays développés. B: Pays en développement. C: Europe du Sud-Est et Communauté des États indépendants (CEI). 1. Moyenne annuelle. CNUCED, World Investment Report, 2005. Document 6 : L'usine est devenue globale: différentes filiales d'un même groupe, localisées dans différents pays, concourent à la production d'un même bien. Le commerce intrafirme représente un tiers des exportations mondiales et les ventes des filiales étrangères augmentent plus vite que les exportations mondiales. Du point de vue du pays d'origine de l'IDE, si l'investissement direct est un substitut aux échanges, les exportations seront partiellement remplacées par des ventes sur place des filiales implantées à l'étranger. Le niveau d'activité dans le pays d'origine en sera affecté et, avec lui, l'emploi dans la branche concernée. À l'opposé, en cas de complémentarité, investir à l'étranger signifiera une plus grande compétitivité sur le marché d'accueil, donc des exportations accrues, ce qui devrait bénéficier à l'activité et à l'emploi dans le pays d'origine. Cette complémentarité peut également concerner les importations en provenance du pays hôte. Ainsi, dans le cas d'une délocalisation, une partie de la production à l'étranger pourra être réexpédiée par la filiale vers l'économie d'origine. Sans délocalisation, la production aurait pu être amenée à disparaître en tout ou en partie, en raison de la perte d'avantage macroéconomique de l'économie d'origine. Lionel FONTAINE et Mickaël PAJOT, «Investissement direct à l'étranger et échanges extérieurs », Économie et Statistique, n', 326-327, septembre 1999. 4 Lntroduction : Depuis le début de la crise financière apparue à la mi-2007 aux États-Unis, les pays développés connaissent un ralentissement important de leur croissance économique. Mesuré par le taux de croissance du PIB réel, ce ralentissement fait craindre une remontée du chômage dans les pays développés. Un tel ralentissement illustre l'interdépendance croissante des économies en raison du développement de la mondialisation et du rôle croissant d'un acteur majeur: les firmes transnationales (FTN). Détenant de multiples filiales dans de nombreux pays, la FTN suscite, dans nos pays « riches », des espoirs (lorsqu'elles investissent dans les pays développés) mais aussi des peurs (celle de la désindustrialisation) et souvent de l'incompréhension (pourquoi licencier alors que les profits sont «énormes»?). Finalement, dans quelle mesure ces craintes sont-elles fondées? Quel tableau dresser de leur action ? Les FTN peuvent effectivement avoir un impact négatif sur la croissance des pays développés (I). Mais elles peuvent aussi consolider la croissance et l'emploi dans les pays riches (11). I/ Des effets parfois négatifs sur la croissance des pays développés Présentation: Les stratégies des FTN ont parfois un impact négatif sur l'emploi et donc, indirectement, sur la croissance économique (A). Elles ont aussi, dans certains cas, un impact macroéconomique plus direct sur la croissance (B). A. Destructions d'emplois et affaiblissement de la croissance économique 1. Des délocalisations... Dans le cadre de leur stratégie mondiale, globale, les FTN investissent directement à l'étranger (IDE) afin de prendre le contrôle d'une entreprise ou d'en créer une. Les IDE, qui ont beaucoup augmenté depuis les années 1990 (doc. 2), sont parfois, mais pas toujours, synonymes de délocalisations lorsqu'une FTN ferme une unité de production dans le pays d'origine afin d'en ouvrir une autre dans un pays où les coûts de production sont beaucoup plus faibles. C'est le cas des filiales-ateliers créées par les FTN dans les pays à bas coûts salariaux, filiales-ateliers qui, dans le cadre d'une délocalisation, sont à l'origine de licenciements dans le pays d'origine. 2.... au ralentissement de la croissance économique Conséquence de ces délocalisations, les FTN réalisent parfois une faible part de leur activité et de l'emploi dans leur pays d'origine. Ainsi, le groupe britannique Vodafone ne réalise que 19,8 % de son emploi total au Royaume-Uni (doc. 3). Les délocalisations sont à l'origine de licenciements dans le pays d'origine, licenciements à l'origine d'une hausse du chômage et d'un affaiblissement du pouvoir d'achat. Cet affaiblissement du pouvoir d'achat a logiquement un impact négatif sur la consommation et donc sur la croissance économique. Parfois à l'origine de véritables « déserts industriels» , les délocalisations ralentissent donc la croissance du PIB.B. B. Les IDE: un «substitut» aux échanges qui touche directement a croissance économique 1. «L'usine est devenue globale» (doc. 6) Acteur majeur de la mondialisation actuelle, les FTN localisent désormais « les différents éléments de la chaîne de valeur dans les économies proposant les meilleures conditions de production» (doc. 1). Ces IDE, qui sont à l'origine d'une forte augmentation du commerce intrafirme, sont parfois un «substitut aux échanges» si les exportations du pays d'origine (la France, par exemple) sont remplacées par un surcroît de vente de la part de la filiale implantée à l'étranger par la FTN française (toujours pour prendre l'exemple de la France). L'entreprise, devenue « globale» , met ainsi au point une stratégie de rationalisation qui ignore les frontières. 2. Les risques pour la croissance économique Ainsi, en cas de substitution aux échanges, <,le niveau d'activité dans le pays d'origine en sera affecté et avec lui l'emploi dans la branche concernée» (doc. 6). Cette réduction de l'activité a un impact négatif sur la croissance économique, souvent sur l'emploi; et un véritable cercle vicieux de la croissance risque d'apparaître, où l'IDE nourrit l'affaiblissement de la croissance, celui-ci entraînant une réduction de l'emploi qui, en retour, accentue encore la réduction de l'activité économique. Risque d'autant plus grand que, sur la période récente, les sorties d'IDE ont, pour les pays développés, excédé les entrées d'IDE (doc. 5). Transition: Cependant, si les risques liés à la stratégie globale des FTN s'avèrent incontestables, celles-ci peuvent néanmoins avoir un impact positif sur la croissance économique. II/ Un atout possible pour la croissance et l'emploi des pays développés 5 Présentation: Malgré leur mauvaise «réputation», les délocalisations sont loin de toujours avoir un impact négatif sur la croissance; elles peuvent mêmes constituer un atout pour les pays développés (A). De plus, les IDE s'avèrent souvent complémentaires avec l'économie du pays d'origine (B). A. Un atout pour les pays développés dans le cadre e la nouvelle division internationale des processus productifs DIPP) 1. Une accentuation de la division internationale du travail... Les stratégies de rationalisation à l'échelle mondiale des FTN sont à l'origine d'une division internationale du travail (DIT) où les « firmes transnationales renforcent les spécialisations des pays et permettent une exploitation plus approfondie des avantages comparatifs» (doc. 1). Cette DIPP, illustrée par une multinationale comme Dell, où chaque élément de l'ordinateur final est fabriqué dans un pays différent afin de minimiser les coûts, explique la bonne santé financière de certaines FTN. D'ailleurs, certaines FTN (General Motors, Ford ou Volkswagen) réalisent encore une part importante de leur chiffre d'affaires et de l'emploi dans leur pays d'origine (doc. 3). 2.... favorable à la croissance économique dans les pays développés Loin d'avoir toujours un impact négatif sur les pays développés, les IDE permettent de consolider l'emploi dans le pays d'origine (emplois les plus qualifiés, dans la recherche notamment). La délocalisation est souvent indispensable et, « sans délocalisation, la production aurait pu être amenée à disparaître en tout ou en partie, en raison de la perte d'avantage macroéconomique de l'économie d'origine» (doc. 6). En favorisant une meilleure spécialisation des territoires dans le cadre de la DIT, les FTN contribuent à renforcer les « gains mutuels à l'échange » (doc. 1), bien mis en évidence dans la théorie ricardienne des coûts comparatifs. B. Les IDE favorable à du pays 1. La complémentarité IDE-commerce Les IDE réalisés par les FTN ne sont, tout d'abord, pas toujours à l'origine d'une délocalisation. Loin d'être toujours un <, substitut» à l'activité du pays d'origine, les IDE peuvent être à l'origine d'une filiale-atelier et/ou d'une filiale-relais qui vient «compléter» les échanges. Ainsi, « en cas de complémentarité, investir à l'étranger signifiera une plus grande compétitivité sur le marché d'accueil, donc des exportations accrues, ce qui devrait bénéficier à l'activité et à l'emploi dans le pays d'origine» (doc. 6). Létroite complémentarité liant pays d'origine et pays d'accueil contribue donc à consolider la croissance dans les pays riches. 2. L'effet désinflationniste des IDE Enfin, le développement des IDE a aussi permis aux pays développés de bénéficier de l'impact désinflationniste de la mondialisation, impact potentiellement positif pour le pouvoir d'achat et pour la croissance des pays développés. Les analyses empiriques montrent en effet que « les filiales des transnationales dans les pays d'accueil ont en général une productivité supérieure de 40 % à 100 % à celle des entreprises locales» (doc. 4). Cette meilleure productivité permet ainsi d'importer des produits finis et/ou des produits semi-finis moins coûteux. Dans les deux cas qui précèdent, la spécialisation productive induite par les IDE entraîne une baisse des prix favorable au pouvoir d'achat, à la compétitivité et donc, in fine, à la croissance économique. Le bilan de l'action des sociétés transnationales reste donc ambivalent. Si l'action des FTN a parfois des conséquences destructrices sur l'emploi, et donc sur la croissance économique des pays développés, elle permet aussi de consolider l'emploi dans les pays d'origine et d'avoir un impact macroéconomique positif. Alors que la croissance économique ralentit, depuis l'été 2007, dans les pays industrialisés, nombreux sont les citoyens à craindre les effets de la mondialisation et parfois à condamner le rôle des FTN. Acteurs majeurs et désormais incontournables de la mondialisation, les FTN semblent plus fortes que les nations et suscitent parfois, par leurs décisions, la peur et l'incompréhension des populations des pays riches. Saurons-nous demain, dans le cadre d'une gouvernante économique mondiale renouvelée, les mettre au service de la croissance mais aussi de l'environnement et de la cohésion sociale?