Pourquoi arrête-t-on les plasmaphérèses ?
L’Établissement Français du Sang (EFS) a décidé de réduire la collecte de plasma par aphérèses : le donneur est
connecté à un séparateur de cellules qui prélève le sang total, sépare les différents composants du sang, garde le
plasma dans une poche et restitue les autres composants (globules rouges, plaquettes…) au donneur.
Cette décision fait suite à la demande du LFB (Laboratoire de Fractionnement et des Biotechnologies) charde
fabriquer des médicaments à partir du plasma d’origine humaine.
Retour sur la genèse de la décision et explications…
Le système éthique
Après la seconde guerre mondiale, grâce aux mouvements de solidarité de l’époque, la France a fait le choix de
baser son organisation de collecte de sang sur le don bénévole.
En 1949, naissait la Fédération Française de Donneurs de Sang Bénévoles qui a permis de créer de nombreuses
associations locales (près de 3 000 actuellement).
En 1951, l’Union Nationale des Associations de Donneurs de sang Bénévoles des PTT, était créée ; elle compte
aujourd’hui 117 000 adhérents des deux entreprises La Poste et France Telecom répartis sur l’ensemble du
territoire.
Dans les années cinquante, ce système s’est étendu et tout le monde s’accordait pour défendre ce système, base
de la solidarité nationale des sujets en bonne santé venant en aide à leurs concitoyens malades.
Aujourd’hui, le système éthique basé sur le Bénévolat, l’Anonymat, le Volontariat et le Non Profit est fortement
ancré dans les mentalités et ces principes sont inscrits dans le Code Civil article 16-1 et suivants et le Code de la
santé Publique.
Avant 1993, en France, toutes les opérations de la collecte à la fabrication de médicaments relevaient de la
même entité.
En raison de « l’Affaire du sang contaminé », le législateur a décidé, par la loi du 4 janvier 1993 de séparer les
différentes activités
Celles liées à la collecte et la distribution de Produits Sanguins Labiles (PSL) ; activités confiées à l’AFS
(Agence Française du Sang) devenue EFS (Établissement Français du Sang),
celles liées au fractionnement du plasma (ou fabrication de MDP) confiées au LFB,
celles liées à la Formation et à la Recherche relevant de l’INTS (Institut National de la Transfusion
Sanguine),
les activités de régulateur sont confiées à l’AFSSaPS devenue ANSM cette année.
Aujourd’hui, notre système transfusionnel est l’un des plus sécurisé au monde et l’EFS est souvent pris en exemple
dans des pays émergents ou en développement.
Le système éthique « à la française » est celui prôné par tous les organismes internationaux : OMS / Croix Rouge
et Croissant Rouge (plus importants collecteurs de sang au monde) / Conseil de l’Europe…
L’approvisionnement en produits sanguins
De tout temps, les patients n’ont pas manqué des produits sanguins dont ils avaient besoin ; les donneurs
bénévoles ont toujours répondu à la demande.
Jusque dans les années 80 84 on collectait plus de quatre millions de poches de sang par an, alors que l’on en
collecte à peine trois millions aujourd’hui bien que la population ait augmenté de plusieurs millions entre temps.
L’EFS a le monopole de la collecte et de la distribution de tous les composants sanguins : sang total / Plasma /
Plaquettes.
Il a l’obligation de fournir le LFB en plasma en vue de la fabrication de médicaments dérivés du plasma (MDP ou
MDS) destinés prioritairement aux patients nationaux.
Suite à « l’Affaire du sang contaminé » les besoins en produits sanguins ont fortement chuté car les prescripteurs
ont perdu confiance dans ces thérapeutiques et ont rationnalisé leur demande.
En 2004, la courbe s’est inversée et les besoins en concentrés de globules rouges (CGR) ne cessent d’augmenter
depuis, de plus de 4% l’an en moyenne.
Les donneurs ont su s’adapter à la demande en diminuant le nombre de dons puis en l’augmentant parallèlement à
l’accroissement de la demande.
Il en a été de même pour le plasma de fractionnement quand le LFB a fortement duit sa demande de matière
première en 1997 avant d’augmenter ses besoins de près de 10% l’an depuis 2007.
Cette augmentation s’est également fait sentir (mais dans une moindre proportion) sur le plasma thérapeutique
dans les mêmes périodes.
Le fractionnement du plasma
Il faut tout d’abord préciser que c’est une activité stratégique qui permet de mettre à disposition des patients
nationaux les médicaments dont ils ont besoin tout en assurant au système de santé une indépendance vis-à-vis
d’opérateurs étrangers.
Le plasma représente 55% du volume sanguin et est composé à 90% d’eau.
Les 10% restants contiennent les protéines et nutriments indispensables à la vie quotidienne.
Le fractionnement a pour but de séparer les différentes protéines contenues dans le plasma en vue d’en tirer des
médicaments destinés à soigner de nombreuses pathologies dont certaines très rares.
Les MDP permettent de soigner près de 500 000 patients en France, et constituent leur seule chance de survie ;
ils doivent être prescrits tout au long de la vie du patient et sont disponibles uniquement dans les pharmacies des
pitaux.
Ces médicaments sont destinés à soigner plusieurs pathologies :
Les déficits en facteurs de coagulation qui sont au nombre de 13 dans notre organisme ; les plus
courants sont :
o Le Facteur VIII destiné à lutter contre l’hémophilie A
o Le Facteur IX destiné à lutter contre l’hémophilie B
o Le Facteur Von Willebrand destiné à lutter contre la maladie du même nom.
o Les Facteurs V / VII / XI…
Les déficits immunitaires (primitifs ou autres) grâce à l’injection d’Immunoglobulines
Plusieurs recherches sont en cours pour étudier l’effet des immunoglobulines sur des maladies
dégénératives telles la Maladie d’Alzheimer.
Il faut noter que l’on dispose aujourd’hui de médicaments recombinants issus du génie génétique pour soigner
l’hémophilie, mais que 20% des hémophiles ne peuvent être soignés que grâce aux MDP.
Concernant les autres facteurs de coagulation et les immunoglobulines, aucune alternative aux MDP n’existe
aujourd’hui.
L’industrie du fractionnement est concentrée sur une dizaine d’opérateurs dont trois se partagent 80% du
marché : CSL-Behring (Australien) / Baxter (Américain) / Grifols-Talécris (Espagnol mais dont la majorité du
plasma est collecté aux USA). Ces trois géants ne collectent et ne fractionnent que du plasma rémunéré ou
indemnisé (sauf Grifols pour les 300 000 litres provenant de donneurs bénévoles en Espagne).
Les autres opérateurs :
Octapharma : société Helvéto-Luxembourgeoise disposant d’une usine en France ; uniquement 20%
du plasma fractionné provient de donneurs bénévoles
Sanquin : société néerlandaise disposant du monopole de toute la chaîne transfusionnelle aux Pays-Bas
de la collecte à la fabrication de médicaments (organisation existant en France avant la loi du 4 janvier
1993 qui a séparé les opérateurs et le régulateur).
L’intégralité du plasma fractionné provient de donneurs bénévoles.
Cette organisation devrait changer puisque la Commission Européenne interdit les subventions
croisées, ce qui devrait conduire à la séparation des opérateurs. De plus, Sanquin vient de signer un
protocole de fractionnement de 1.6 million de litres de plasma avec Baxter dont le plasma est
rémunéré
LFB (Laboratoire français du Fractionnement et des Biotechnologies) dont l’État français
détient 100% du capital. Il ne fractionne que du plasma bénévole provenant de la collecte
en France par l’EFS (Établissement Français du Sang). Le plasma est collecté par aphérèse
ou à partir du sang total après centrifugation.
Kedrion : société italienne possédée majoritairement par l’État italien qui a compris que l’activité était
stratégique puisqu’il vient de réinjecter des millions d’euros alors que le pays traverse une très grave
crise économique
D’autres petits opérateurs…
La situation à ce jour
L’EFS emploie près de 10 000 personnes.
Il collecte le sang total sur l’ensemble du territoire dans ses 153 sites fixes et lors de près de 40 000 collectes
mobiles dont certaines sont mixtes (prélèvement de poches de sang total et de plasma par aphérèses.
La collecte de sang total en site fixe ne représente que 16% du volume total collecté.
Par contre, les sites pratiquent 90% des prélèvements par aphérèses qu’elles soient plasmatiques ou combinées
(prélèvement de plusieurs composants en même temps : plasma et plaquettes…)
L’activité dans les sites fixes est complètement corrélée avec l’activité de prélèvement par aphérèse fortement
dépendante de la demande du LFB.
Les aphérèses de plaquettes diminuent chaque année en raison de la valorisation croissante de plaquettes issues
de sang total qui étaient auparavant envoyées à l’incinérateur.
Le LFB emploie 1 800 collaborateurs sur ses deux sites de LILLE et des ULLIS, chacun des sites étant maintenant
spécialisé dans une partie du process de production des MDP.
Il produit 20 médicaments permettant de soigner 80 pathologies dont certaines très rares (ne concernant
qu’une dizaine de patients en France).
Que se passe-t-il ?
Alors que le LFB avait repris une courbe ascendante de ses besoins en matière première de plasma en raison de la
hausse de la demande des hôpitaux, ceux-ci, eu égard au coût de ces médicaments, ont lancé des appels d’offres
qui ont permis aux concurrents du LFB d’infiltrer le territoire et d’augmenter leurs parts de marché, celle du LFB
passant de 80% à 50%.
Le marché français est le plus important marché du LFB car il peine à se développer à l’international, pourquoi ?
La France est (soi-disant) le deuxième pays au monde atteint par la maladie de la vache
folle à l’origine du nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt Jakob. Cette situation
sanitaire a conduit à considérer le plasma français comme moins pur et moins sûr que
celui de ses concurrents. C’est également la position de certaine association de patients
qui ne jure que par les produits étrangers
L’AFSSaPS (maintenant ANSM) sur initiative de la DGS- oblige le LFB à retirer tous les lots de
médicaments produits à partir d’un lot de poches de plasma dont l’une aurait été collectée chez un
donneur atteint de la forme sporadique de la maladie de la vache folle.
La forme sporadique est à différencier du nouveau variant car les impacts sanitaires ne sont pas les
mêmes, ce qui est reconnu par toutes les autorités sanitaires internationales et l’InVS (Institut national
de Veille Sanitaire). D’ailleurs, nulle part au monde cette maladie n’est tracée et aucun
fractionneur n’est obligé de retirer des lots de médicaments car il ne sait pas que l’une des
poches ayant servi à fabriquer son lot de médicaments serait potentiellement porteuse de
la protéine.
Pourtant cette maladie frappe environ une personne par million d’habitant, la proportion étant la même
partout dans le monde.
Cette spécificité franco-française laisse accroire aux clients potentiels du LFB que ses médicaments
sont moins bons que ceux de ses concurrents.
De plus, je vous laisse imaginer le sentiment du donneur bénévole qui a fait la démarche volontaire de
venir donner son plasma pour venir en aide à un patient, qui est resté pendant deux heures à l’EFS
dont une heure branché sur un séparateur de cellules, ce qui présente des risques pour sa propre
santé en raison d’une circulation extra corporelle, qui sait que son plasma sera traité et que ce
traitement coûtera très cher pour en extraire les quelques protéines nécessaires à ce patient, pour
apprendre au final que son médicament fabriqué avec le produit de ses veines partira à la poubelle
pour des motifs de sécurité sanitaire non avéré puisqu’aucune contamination n’a été constatée
jusqu’alors.
Enfin, ces rappels de lots constituent une mesure discriminatoire pour le LFB puisqu’il est
le seul à les subir alors que 50% des médicaments prescrits aux patients proviennent de
ses concurrents étrangers et sont donc porteurs de la protéine puisque non contrôlés donc
non détruits.
Le LFB a passé des accords de partenariat avec Hémobras, société brésilienne, pour fabriquer des lots
de médicaments à partir du plasma collecté au Brésil, médicaments qui seraient ensuite retournés au
Brésil pour le traitement des patients nationaux. Las, il ne peut traiter ces poches de plasma en France
car il peine à les faire entrer sur le territoire faute d’une autorisation délivrée par l’ANSM
De plus, les délais d’obtention d’AMM sont plus longs en France qu’ailleurs en Europe ou aux USA.
Pourtant la demande mondiale de plasma et de MDP ne cesse de croître car de plus en plus de pays peuvent
accéder à ces thérapeutiques d’un coût élevé.
C’est pourquoi les donneurs de sang français et, en premier, leurs associations, ne comprennent pas cette décision
d’arrêter la plasmaphérèse.
Ce qui va se passer…
Le LFB,
Un plan social touchant 280 salariés sur les 1 800 a déjà été présenté au Comité Central d’Entreprise, ceci afin
de faire face à la situation actuelle.
Si aucune mesure de priorisation nationale n’est prise, il va continuer à décliner lentement et les plans sociaux vont
s’enchaîner jusqu’au moment l’activité ne sera plus viable et qu’il se retrouvera en liquidation, ce qui permettra
à l’un de ses concurrents de l’absorber.
Cette issue sera préjudiciable à de nombreux patients notamment ceux dont le LFB est le seul à fournir des
médicaments, le petit nombre n’intéressant pas les gros laboratoires car la marge n’est pas suffisante problème
pour les patients et les décideurs nationaux.
Le LFB envisage une reprise hypothétique en 2014 mais l’on ne relance pas une activité de plasmaphérèse comme
on appuie sur un interrupteur électrique :
Les donneurs ne sont pas mobilisables dans la minute, d’autant qu’ils auront déjà été échaudés par les
expériences précédentes (arrêt en 1997 / reprise en 2007 / arrêt en 2012…)
Un outil de prélèvement nécessite des matériels et des hommes qui auront perdu la main et qu’il
faudra reformer
L’EFS
L’arrêt des plasmaphérèses va nérer un sureffectif de plus de 500 personnes, ce qui conduira à des pertes
financières importantes, même un plan social ne pouvant résorber rapidement de tels sureffectifs.
La principale activité de nombreux sites fixes étant la plasmaphérèse, l’EFS sera amené à concentrer ses effectifs
sur des centres importants et « rentables », ce qui conduira à la fermeture de nombreux petits sites fixes.
Cette réorganisation impactera la collecte de sang total pour les raisons suivantes :
Démobilisation des associations de donneurs impactant le niveau de donneurs présentés
Démotivation des personnels de l’EFS ne sachant pas s’ils feront partie de la prochaine « charrette »
Suppression des collectes mixtes diminuant le nombre de poches de sang total collectées
Certains avanceront que l’on peut réorienter les donneurs de plasma vers le don de sang total, or c’est
mal connaître la physiologie des donneurs, un donneur de sang total n’est pas un donneur de plasma
et inversement.
De plus, l’on trouvait sur un site fixe des couples dont le mari donnait en plasma et la femme en sang
total, ce couple sera perdu pour le monde des donneurs.
problème pour les patients et le système de santé.
L’Éthique
Le LFB fournissant de moins en moins de produits fabriqués à partir de plasma collecté chez des donneurs
bénévoles, les hôpitaux accroîtront leurs achats à l’étranger auprès des laboratoires collectant leur plasma auprès
de « donneurs » qu’ils rémunèrent.
Notons que ces « donneurs » sont souvent des travailleurs pauvres ou des personnes dans le besoin, notamment
des étudiants, qui ont besoin de ces quelques euros (ou dollars) pour payer à manger à leur famille ou leurs
études.
Le système de santé, les patients et les contribuables
Concernant les patients, la pénurie guette que ce soit en MDP ou en CGR.
Il faut noter que les « trois gros » se sont déjà entendus en 2007 pour nérer la nurie et faire augmenter les
prix avant de réinvestir le marché français.
La disparition du LFB et des petits opérateurs conduira à un oligopole des trois plus importants fractionneurs cités
ci-dessus.
Cette concentration aura pour conséquences :
Le partage du marché mondial, la concurrence ayant disparu
L’augmentation des prix : une entreprise monopoliste pratique les prix qu’elle veut bien, a fortiori
quand les patients (ses clients) sont totalement dépendants de ses produits
Cette augmentation du coût des MDP impactera le budget néral de la Sécurité Sociale, car le
régulateur (Ministère de la Santé / DGS…) aura beau fixer les prix qu’il voudra, il sera obligé de passer
par les fourches caudines du laboratoire s’il veut soigner ses patients
Cet accroissement du prix découlera également de la rareté de la matière première qu’est le plasma.
En effet, la FDA vient d’indiquer que le plasma collecté aux USA devait d’abord servir à soigner les
patients américains ; or, de nombreux centres de collectes (y compris des sociétés OCTAPHARMA /
CSL / GRIFOLS et autres : la Grande Bretagne est entièrement dépendante du plasma américain) sont
implantés aux USA
Le coût augmentant et les budgets sociaux n’étant pas extensibles ad libitum, les patients seront mis à
contribution mais, vu le prix élevé des MDP, n’auront pas les moyens de se les procurer
Pour les contribuables, ils devront payer des personnels au chômage alors que ceux-ci participaient à l’effort de
solidarité nationale.
Conclusion, Tout le monde est perdant et il convient de rapporter cette mesure rapidement avant que les outils
de prélèvement et de fractionnement ne soient cassés, et que la dynamique du don ne pâtisse d’une décision à
laquelle les associations et les donneurs n’ont pas été associés.
D’autres voies existent, encore faudrait-il que tous les intervenants se mettent autour d’une table pour poser les
vrais problèmes et les résolvent dans l’intérêt général de la société et des patients :
Ministère de la Santé et ses Agences et Instituts (DGS / HAS / ANSM / InVS/ INTS)
Parlementaires
Hôpitaux prescripteurs et acheteurs
EFS
LFB
Associations de donneurs de sang
Associations de patients.
Ces États Généraux permettraient de réfléchir aux différentes solutions possibles pour maintenant et pour l’avenir
tout en revisitant les conditions d’acceptation au don de sang car certaines exclusions mériteraient d’être levées.
Car n’oublions pas un fait, le risque, aujourd’hui, pour un patient est de mourir faute de transfusion
et non de transmission d’un virus ou d’une bactérie.
L’arrêt de la plasmaphérèse va accentuer ce risque de façon importante.
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