L'incroyable odyssée de la vie
Mis à jour le mercredi 4 août 1999
FIDÈLE à la tradition de décontraction des campus californiens, Stanley Miller reçoit en
short dans son bureau de l'université de San Diego, à La Jolla, au bord du Pacifique.
Posée contre la bibliothèque, face à lui, au milieu des papiers, sa bicyclette attend l'heure
de la sortie. Dès ses débuts, il y a quarante-six ans, ce très vert septuagénaire a fait
irruption dans le petit peloton des scientifiques qui ont lancé la course aux origines. C'est
lui qui, le premier, a prouvé par l'expérience que la vie avait pu naître du monde minéral.
Aujourd'hui encore, il s'étonne du retentissement que rencontra, le 15 mai 1953, la
publication du compte-rendu des travaux qui constituaient, en fait, son sujet de thèse. « Je
m'attendais bien que le magazine Time en parle dans sa rubrique scientifique : ils aiment
ce genre de choses. Mais il y eut des articles dans tous les journaux du pays, un éditorial
de Walter Sullivan dans le New Tork Times , et même un sondage Gallup pour
demander aux gens s'ils croyaient possible de créer la vie en éprouvette. »
Le succès était, pourtant, à la mesure de l'exploit. Le jeune Stanley Miller, alors âgé de
vingt-trois ans, avait tout bonnement recréé en laboratoire les conditions régnant, pensait-
il, sur la Terre primitive, il y a près de quatre milliards d'années. Un ballon
plein d'eau bouillante figurant l'océan était relié à un autre contenant l'atmosphère, un
mélange de méthane, d'hydrogène et
d'ammoniac. Entre les deux, un condenseur pour faire la pluie et des électrodes
alimentées en 60 000 volts : l'orage.
« L'océan devint très vite rose puis rouge sombre avant de tourner au brun jaunâtre », se
souvient-il. Au bout d'une
semaine de fonctionnement de l'appareil, il contenait sept types différents d'acides
aminés. Un résultat stupéfiant quand on sait
que ces substances sont les éléments constitutifs des protéines, des macromolécules qui
servent à la fois de matériaux de
construction et de « messagers » pour les cellules. Des analyses plus sophistiquées
réalisées ultérieurement montreront que
plus de la moitié des vingt acides aminés que l'on trouve dans tous les êtres vivants
pouvaient être obtenus dans l'expérience de Miller.
Certes, depuis que Pasteur avait définitivement ruiné la thèse de la génération spontanée
en prouvant, en 1861, que les germes ne se développent pas dans un bouillon stérilisé par
chauffage (« pasteurisé »), l'idée faisait son chemin. Le chimiste
suédois Svante Arrhenius (prix Nobel 1903) avait bien tenté de prouver que la vie -
éternelle selon lui - avait colonisé la Terre depuis l'espace. Il avait même appuyé sa thèse
par une étude des conditions auxquelles avaient dû résister les spores des germes vivants
durant leur périple interplanétaire. Mais, dès 1871, Darwin estimait déjà que la vie avait
pu naître « dans une petite mare tiède » riche en éléments organiques simples. Reprenant
cette idée, le Russe Alexandre Oparin avait publié, en 1924, un article expliquant que, sur
la Terre primitive, des réactions chimiques simples dans une atmosphère dominée par le