Futur périphrastique en italien et en français Généralement, on considère que la construction aller + infinitif ne s’est grammaticalisée comme futur périphrastique que dans la partie occidentale de la Romania (français, espagnol, portugais). En italien, la construction andare a + infinitif est très fréquente au sens littéral de “se déplacer physiquement pour infinitif ”, mais du moment que l’idée de déplacement n’est plus impliquée, la tournure poserait problème : l’italien normatif n’accepte guère qu’elle soit employée comme futur analytique. Aussi est-elle absente, comme expression du futur, des grammaires traditionnelles de l’italien. Le Grande dizionario della lingua italiana de Battaglia (1961:454) note toutefois qu’elle s’utilise au sens de “stare per, incominciare, essere imminente” (“être sur le point de, commencer, être imminent”), mais précise aussitôt que la construction est rejetée dans le Lessico dell’infima e corrotta italianità d’Arlìa (1890) (où “La predica va a cominciare” (“Le sermon va commencer”) est considéré comme une erreur), dans I neologismi buoni e cattivi de Riguttini & Cappuccini (1926) (où la tournure est taxée de “mauvais gallicisme”) et dans le Dizionario moderno delle parole che non si trovano nei dizionari comuni de Panzini (1950) (où elle est attribuée à l’argot des “mal-parlants”). D’après des études plus récentes, la situation n’aurait pas changé : selon Brianti (1992 :165), l’emploi de andare a + infinitif dans le sens imminentiel – “calque du français” – est toujours très rare, et Amenta & Strudsholm (2002 :25) soutiennent que le verbe andare n’a pas encore subi de glissement sémantique sur le plan de la temporalité. Pourtant, le dépouillement de cinq pièces de théâtre italiennes, ainsi que de messages apparus sur les forums d’une dizaine de sites italiens, nous apprend qu’à l’heure actuelle, la tournure andare a + infinitif – avec une moindre implication de mouvement – est bel et bien entrée dans la langue courante, si bien qu’il nous semble pertinent de soulever les questions suivantes : 1) Dans quelle mesure la construction andare a + infinitif est-elle actuellement susceptible d’un emploi aspectuel (prospectif (cf. Vet (1993) pour le français)), temporel (futur) et modal (e.a. l’allure extra-ordinaire (cf. Damourette & Pichon (1911-1936) et Schrott (2001) pour le français)) par rapport à son “équivalent” français aller + infinitif ? Concrètement : jusqu’à quel point le français aller + infinitif peut-il se traduire en italien par andare a + infinitif ? En nous basant sur un corpus de 300 occurrences, nous répartirons sur un échelon d’acceptabilité les groupes de verbes qui peuvent apparaître à l’infinitif après andare a. Cette répartition se fera en fonction (a) des différentes étapes dans l’évolution sémantique de andare de son sens de mouvement spatial vers l’expression d’une visée prospective et de futurité, et (b) de facteurs pragmatiques. 2) Comment expliquer l’expansion de andare a + infinitif ? Quelles possibilités expressives cette construction offre-t-elle par rapport au futur synthétique ? La substitution du futur synthétique à andare a + infinitif dans notre corpus nous mènera à extrapoler à l’italien la thèse soutenue pour le français par Waugh & Bahloul (1996) et Laurendeau (2000), selon laquelle la différence fondamentale entre le futur périphrastique et le futur simple n’est pas d’ordre temporel (futur proche et lointain), mais modal. Références Amenta, Luisa & Strudsholm Erling (2002) « ‘Andare a + infinito’ in italiano », Cuadernos de Filología Italiana 9 :11-29. --- Battaglia, Salvatore (1961) Grande dizionario della lingua italiana, Turin : Unione tipografico-editrice torinese. --- Brianti, Giovanna (1992) Périphrases aspectuelles de l’italien. Le cas de andare, venire et stare + gérondif. Berlin : Peter Lang. --- Damourette, Jacques & Pichon, Edouard (1936) Des mots à la pensée. Essai de Grammaire de la Langue Française. Vol. V : Verbe (fin) : Auxiliaires – Temps – Modes – Voix. Paris : Artrey. --Laurendeau, Paul (2000) « L’alternance futur simple / futur périphrastique : une hypothèse modale », Verbum XXII.3 : 277-292. --- Schrott, Angela (2001) « Le futur périphrastique et l’allure extraordinaire », Cahiers Chronos 8 : 159-170. --- Vet, Co (1993) « Conditions d’emploi et interprétation des temps futurs du français », Verbum 4 :71-84. --- Waugh, Linda R. & Bahloul, Maher (1996) « La différence entre le futur simple et le futur périphrastique dans le discours journalistique », Modèles linguistiques Vol. 33, XVII.1 :19-36.