Windows NT : le Nouveau Testament de Microsoft. Dès la parution de la version 1.0 de OS/2, Microsoft s'est attelé à une nouvelle tâche ambitieuse: créer un système d'exploitation digne des années 90. Fin 1988, Bill Gates débauche chez Digital Equipment Corporation le fameux Dave Cutler, auteur remarqué du système VAX/VMS et de plusieurs compilateurs pour les stations DEC. Dave Cutler se voit confier les rênes d'un projet baptisé à l'époque 'NT OS/2', ou 'OS/2 3.0' ou encore 'Portable OS/2'. Ce n'est qu'en 1990, année de tous les succès pour Windows 3.0, que le projet acquiert son nom définitif de 'Microsoft Windows NT'. Le cahier de charges est revu la même année et met principalement l'accent sur les points suivants : Conception révolutionnaire NT est un système d'exploitation modulaire, conçu comme une série de couches indépendantes et inspiré du système Mach développé par la Carnegie-Mellon University. Entièrement écrit en C pour des raisons de portabilité, NT repose sur une architecture 32-bit. Ses 32 bits confèrent à NT un adressage mémoire linéaire de maximum 4 GB. Ses 3 millions de lignes de code sont le fruit d'un mariage, quelque peu hors nature, entre Windows, l'interface graphique hérité des ordinateurs personnels et des fonctionnalités originaires du monde des 'minis'. Portabilité Prévu pour les PC traditionnels à base de processeurs INTEL 80386 ou 80486, NT vise aussi le créneau des ordinateurs équipés de processeurs RISC R4000 de la firme MIPS. Ces processeurs à jeu réduit d'instructions ont été sélectionnés comme pièce maîtresse du nouveau standard ACE/ARC édicté par Microsoft, Compaq, Digital et consorts. Digital a aussi manifesté son attachement à Windows NT qui équipera en standard ses nouvelles stations de travail dotées du processeur RISC et 64-bit ALPHA. Lors du portage vers un nouveau processeur, seul le noyau, ou 'micro-kernel', d'une cinquantaine de KB est à réécrire pour tirer parti des spécifités du nouvel environnement. Sécurité Les concepts de sécurité et de protection des données de Windows NT ont été largement inspirées des directives et recommandations émises par le National Computer Security System du Département Américain de la Défense. NT répond au niveau de sécurité C2. A ce niveau, un contrôle d'accès discrétionnaire est spécifié par le créateur d'un objet. Il y détermine quels sont les utilisateurs ou groupes d'utilisateurs qui ont l'autorisation d'utiliser cet objet. Un autre mécanisme de sécurité s'assure que les données résiduelles sont complètement effacées de la mémoire et des disques lorsqu'elles ne sont plus indispensables ou lorsqu'elles sont assignées à un nouvel utilisateur. Chaque démarrage d'une station de travail passe par une procédure d'identification de l'utilisateur qui garantit aux données leur confidentialité. Une nouvelle gestion des fichiers, appelée NTFS, fournit à NT un nombre impressionnant de mécanismes pour la tolérance de fautes : disques en miroir et/ou en duplex, système de récupération des données etc. Multi Processeurs NT a été conçu pour supporter plusieurs processeurs à la fois au sein d'une seule et unique machine. Il ne s'agit pas d'une rudimentaire gestion asymétrique des processeurs où un processeur graphique, par exemple, délivre le processeur central d'une série de tâches accessoires. Il s'agit ici d'une véritable gestion symétrique de processeurs identiques où chaque processeur gère une sous-tâche,ou 'thread', particulière. L'ajout d'un processeur débouche sur une augmentation linéaire des performances. Compatibilité Au dessus de la couche responsable de l'interaction avec le hardware, Windows NT peut accueillir toute une série d'autres couches, appelées sous-systèmes, qui assurent la compatibilité avec d'autres systèmes d'exploitation. Les applications Windows NT en mode 32-bit cotoient, sans le moindre heurt, des programmes MS-DOS, des programmes Windows 16-bit, des applications OS/2 en mode caractère et même des logiciels conformes aux normes POSIX. Pour reprendre l'expression consacrée par IBM, Windows NT est lui aussi un meilleur Windows que Windows puisque chaque programme dispose de son propre espace mémoire et est incapable de bloquer le système ou de corrompre les données provenant d'autres applications. Mieux encore, il est possible d'échanger des données entre ces programmes hétéroclites via le pressepapier, de simples pipes ou les mécanismes DDE et OLE. Réseau Tout simple mais efficace: NT permet le partage des imprimantes et des fichiers logés sur des disques durs locaux avec d'autres utilisateurs du réseau. Pour le travail en groupe, un système de courrier électronique est disponible en standard. Pour les utilisateurs plus exigeants, NT s'est plié au standard Distributed Computing Equipment ( DCE ) émis par l'Open Systems Foundation. Grâce au DCE, NT se connecte et interagit sans problèmes avec des serveurs Unix, VMS ou autres. Les supports NETBIOS et TCP/IP sont bien entendu présents. Microsoft collabore avec Digital, Novell et Banyan pour mettre sur pied un nouvelle norme, baptisée Windows Open Systems Architecture, qui s'efforce de standardiser les services réseaux tels que partage d'imprimante, courrier électronique, administration du système, accès aux bases de données, le tout dans un environnement multi-vendeurs. Depuis ce 6 juillet, Windows NT est disponible en version bêta préliminaire. Pour 39 dollars, n'importe qui peut acquérir le CD-ROM NT qui contient tout le système d'exploitation plus un kit de développement incluant une version 32-bit du compilateur MSC C/C++ 7.O, 7500 pages de documentation sous forme de fichiers PostScript et donne droit à une copie gratuite de la version finale prévue pour décembre 92. Pour 339 $, le même CD-ROM est fourni avec en supplément la documentation sur support papier. Il s'agit d'une version beta au sens large dans la mesure où elle est accessible au grand public et n'est soumise à aucune clause de secret ou de non divulgation des informations. Les exigences matérielles sont encore importantes mais seront revues à la baisse pour décembre : 8 à 12 MB de mémoire centrale, 100 MB libres sur le disque dur ( 25 pour l'OS, 55 pour le kit de développment et 20 pour un fichier d'échange ) , un 386DX cadencé à 33 Mhz au minimum plus un lecteur de CD-ROM. A San Francisco, lors de la présentation officielle de Windows NT, les 5000 développeurs présents donnaient déjà une idée de l'intérêt suscité par NT. On dénombrait peu de curieux mais plutôt un grand nombre de représentants d'agences gouvernementales et de grands comptes séduits par la conception ouverte du système d'exploitation et sa facilité d'intégration dans les réseaux existants. Les grandes firmes de logiciels telles Borland, Watcom, Symantec, Computer Associates y clamaient leur volonté de supporter Windows NT dès sa sortie. Eugène Wang, viceprésident de Borland, y soulignait le changement de stratégie de Microsoft qui affiche désormais une attitude nettement plus coopérative envers des firmes rivales comme la sienne. Même les éternels ennemis, Microsoft et IBM, semblent s'être réconciliés autour de Windows NT: IBM a acheté à Microsoft les droits pour porter NT sur des plates-formes IBM et un accord lie les deux firmes jusqu'en septembre 93, les autorisant à utiliser le produit du concurrent dans leur propre système d'exploitation ( Windows 3.1 dans OS/2 2.0 et OS/2 dans NT ). Une telle unanimité est devenue chose rare dans le monde informatique contemporain. Microsoft semble avoir tiré les leçons du semi-échec OS/2. Comme disait Bill Gates avec un sourire un peu crispé : " Après OS/2, nous ne sortirons plus jamais un produit qui ne dispose même pas d'un pilote d'imprimante dans sa version 1.0". Windows NT est définitivement un bel ouvrage. Plus complet et performant qu'OS/2 2.0, plus standard et révolutionnaire qu'UNIX, des années lumière au delà du MS-DOS, NT a tous les atouts techniques pour réussir. Mais les embûches sur le chemin du succès sont nombreuses : - IBM annonce , sans oser se risquer à une date, un OS/2 3.0 qui ressemble à s'y méprendre à NT ( Symmetric Multiprocessing, True 32-bit, portable sur d'autres CPU etc). Depuis avril 1992, IBM cite les chiffres d'un million de copies d'OS/2 2.0 distribuées ( pas toutes vendues puisqu'offertes pour la plupart à l'achat d'un IBM PS/2). Serait ce un million d'utilisateurs qui choisiront le 'quitte' OS/2 au 'double' NT ? - D'autres sytèmes d'exploitation s'élaborent discrètement chez les concurrents : Pink, Talligent, Univel sont encore des noms de guerre dont les spécifications nous parviennent au goutte à goutte. - Le sensationnel revirement de veste de Microsoft en 1990 abandonnant OS/2 au profit de Windows en a refroidi plus d'un. Certains ont la rancune tenace et craignent une trop forte hégémonie de Microsoft sur le marché des systèmes d'exploitation et des applications. - L'utilisateur moyen de PC est prudent et conservateur. 70% du parc mondial de PC est encore composé de XT et d'AT incapables de faire tourner NT. Sur les 30 % qui restent, une bonne moitié, constituée de 386 SX, est trop lente pour accueillir décemment NT. - Windows NT est toujours au stade préliminaire. Sortira-t-il en 92 comme promis où souffrira-t-il d'un retard phénoménal comme avant lui Windows 3.0, OS/2 , Desqview/X ou WordPerfect pour Windows ? Aurons nous droit à une version légèrement bâclée en 92 suite à des impératifs commerciaux ou à une version beaucoup plus stable pour la mi-93 ? Dave Cutler et son équipe ont réussi leur formidable pari technique. A Bill Gates maintenant de déployer son énorme machine de guerre commerciale !