Pour un esprit rationnel, au contraire, aucun sujet n'est sacré. On a le droit de mettre en
question n'importe quelle idée, surtout si elle n'est pas fondée sur une démonstration. Il n'en va
pas de même pour la religion, où on finit par se sentir mal à l'aise si on va très loin dans la remise
en question des traditions ou des textes sacrés. C'est ainsi que les théories de Darwin et de ses
successeurs ont suscité et suscitent encore des réactions passionnées chez certains croyants.
[2. L’infantilisme religieux s’oppose à l’autonomie de la raison]
Il découle de tout ce qui précède que les esprits rationnels se caractérisent par une maturité
qui semble faire défaut à la mentalité religieuse. La raison est une faculté permettant de penser de
façon autonome. Elle est donc, dans le domaine de l’action morale ou politique ce qui nous permet
d’agir selon des principes qui sont à la fois universels et personnels : agir raisonnablement, c’est
agir en fonction de sa conscience morale, ou d’après des principes politiques auxquels on adhère
librement. Les religieux, au contraire, se réfèrent à une autorité supérieure (la tradition, des textes
sacrés, un prophète, la parole d'un dieu ou de Dieu...), un peu comme un enfant qui répète ce qui
lui ont appris ses parents, sans oser les remettre en question. Cette attitude pourrait venir de la
crainte d'être châtié, crainte inculquée très tôt lors de l'éducation. Mais la peur n'est sans doute pas
la seule origine des religions : ces dernières répondent d'abord à un désir.
D'après Marx, la religion est l'« opium du peuple » : elle satisfait (en imagination) le désir de
bonheur et de justice des travailleurs opprimés. Ces derniers espèrent trouver la fin de leur
souffrance dans un monde meilleur : le paradis. Pour Marx, ils feraient mieux de s'initier à la
science économique, afin de comprendre que l'exploitation qu'ils subissent n'est pas une fatalité, et
que d'immenses progrès sociaux sont possibles, et même nécessaires (inévitables).
Pour Freud également, la religion est une illusion, c'est-à-dire une croyance qui a pour
origine un désir. Et cette illusion ne touche pas que les prolétaires : il y a en chacun de nous le désir
infantile d'être protégé par un père de substitution. Le monde est violent, difficile à comprendre,
donc insécurisant, et la religion peut être une réponse à notre désir de sécurité. Seulement, c'est
une réponse qui s'avère décevante. Pour Freud, mieux vaut adopter un esprit rationnel afin de
comprendre en profondeur le monde (et le psychisme humain), et de trouver ainsi le moyen de
résoudre les problèmes psychiques, sociaux, etc., qui rendent les hommes malheureux.
[Transition] Ainsi, on ne manque pas de motifs de penser qu'il existe une opposition
irréductible entre la raison et la religion. Mais toute cette argumentation repose sur un présupposé
bien discutable : à savoir que la raison pourrait être capable de répondre mieux que la religion à
toutes les questions que se pose l'être humain. Or, une telle opinion ne trahit-elle pas une confiance
aveugle dans les capacités intellectuelles et morales de l’homme ?
[II. La raison et la religion peuvent coexister pacifiquement]
Pour le grand mathématicien et physicien Pascal (1623-1662) la religion n'a pas à s'opposer à
la raison, car elle ne parle pas des mêmes choses que celles-ci. Voyons cela plus précisément.
[1. Objection à l'argumentation précédente (développement de la transition)]
Comme nous l'avons vu plus haut, les connaissances scientifiques reposent sur des preuves
rationnelles (démonstrations) ou expérimentales. Or, la raison et l'expérience humaines sont très
limitées. Comme l'explique Pascal, il est impossible de tout démontrer : le raisonnement doit
s'appuyer sur des bases considérées comme évidentes. Par exemple, on sait que l'égalité est
commutative : si A=B, alors B=A. Ce genre de vérité n’est pas connu par la raison (définie comme
faculté de bien raisonner), mais par une sorte d'intuition (connaissance immédiate, directe, qui ne
passe pas par un raisonnement). Pascal appelle « cœur » cette intuition.
Or, si la raison s'avère incapable de comprendre la nature en profondeur, comment pourrait-
elle connaître la cause éternelle de cette nature : Dieu ? Seul le cœur, éclairé par la divinité, peut
avoir une telle connaissance : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point [...]. »