mentale, il constitue, aussi profondément que possible, l'harmonie logique, en régénérant
d'abord les méthodes avant les doctrines, par une triple conversion simultanée de la nature des
questions dominantes, de la manière de les traiter, et des conditions préalables de leur
élaboration. D'une part, en effet, il démontre que les principales difficultés sociales ne sont
pas aujourd'hui essentiellement politiques, mais surtout morales, en sorte que leur solution
possible dépend réellement des opinions et des mœurs beaucoup plus que des institutions; ce
qui tend à éteindre une activité perturbatrice, en transformant l'agitation politique en
mouvement philosophique. Sous le second aspect, il envisage toujours l'état présent comme
un résultat nécessaire de l'ensemble de l'évolution antérieure, de manière à faire constamment
prévaloir l'appréciation rationnelle du passé pour l'examen actuel des affaires humaines; ce
qui écarte aussitôt les tendances purement critiques, incompatibles avec cette saine
conception historique. Enfin, au lieu de laisser la science sociale dans le vague et stérile
isolement où la placent encore la théologie et la métaphysique, il la coordonne irrévocable-
ment à toutes les autres sciences fondamentales, qui constituent graduellement, envers cette
étude finale, autant de préambules indispensables, où notre intelligence acquiert à la fois les
habitudes et les notions sans lesquelles on ne peut utilement aborder les plus éminentes
spéculations positives; ce qui institue déjà une vraie discipline mentale, propre à améliorer
radicalement de telles discussions, dès lors rationnellement interdites à une foule d'entende-
ments mal organisés ou mal préparés. Ces grandes garanties logiques sont d'ailleurs ensuite
pleinement confirmées et développées par l'appréciation scientifique proprement dite, qui,
envers les phénomènes sociaux ainsi que pour tous les autres, représente toujours notre ordre
artificiel comme devant surtout consister en un simple prolongement judicieux, d'abord
spontané, puis systématique, de l'ordre naturel résulté, en chaque cas, de l'ensemble des lois
réelles, dont l'action effective est ordinairement modifiable, par notre sage intervention, entre
des limites déterminées, d'autant plus écartées que les phénomènes sont plus élevés. Le
sentiment élémentaire de l'ordre est, en un mot, naturellement inséparable de toutes les
spéculations positives, constamment dirigées vers la découverte des moyens de liaison entre
des observations dont la principale valeur résulte de leur systématisation.
Il en est de même, et encore plus évidemment, quant au Progrès, qui, malgré de vaines
prétentions ontologiques, trouve aujourd'hui, dans l'ensemble des études scientifiques, sa plus
incontestable manifestation. D'après leur nature absolue, et par suite essentiellement
immobile, la métaphysique et la théologie ne sauraient comporter, guère plus l'une que l'autre,
un véritable progrès, c'est-à-dire une progression continue vers un but déterminé. Leurs
transformations historiques consistent surtout, au contraire, en une désuétude croissante, soit
mentale, soit sociale, sans que les questions agitées aient jamais pu faire aucun pas réel, à
raison même de leur insolubilité radicale. Il est aisé de reconnaître que les discussions
ontologiques des écoles grecques se sont essentiellement reproduites sous d'autres formes,
chez les scolastiques du Moyen Age, et nous retrouvons aujourd'hui l'équivalent parmi nos
psychologues ou idéologues; aucune des doctrines controversées n'ayant pu, pendant ces
vingt siècles de stériles débats, aboutir à des démonstrations décisives, pas seulement en ce
qui concerne l'existence des corps extérieurs, encore aussi problématique pour les
argumenteurs modernes que pour leurs plus antiques prédécesseurs. C'est évidemment la
marche continue des connaissances positives qui a inspiré, il y a deux siècles, dans la célèbre
formule philosophique de Pascal
, la première notion rationnelle du progrès humain,
... la célèbre formule philosophique de Pascal...
« ... la même chose arrive dans la succession des hommes que dans les âges différents d'un particulier. De
sorte que toute la suite des hommes, pendant le cours de tant de siècles, doit être considérée comme un même
homme qui subsiste toujours et qui apprend continuellement. » (Pascal, Fragment d'un traité du vide. Pensées et
Opuscules, éd. L. Brunschvicg, p. 80.)