SYNTAXE MEDIEVALE DE L’INFINITIF
L’infinitif est un mode impersonnel qui apparaît à l’aspect simple (faire) ou à l’aspect composé (avoir fait),
mais il ne marque pas le temps avec précision. Les deux formes peuvent évoquer le présent, le passé et l’avenir.
L’infinitif est une forme verbale, en cela que le procès qu’il évoque admet un agent et un complément, mais il
est aussi une forme nominale du verbe, en cela qu’il admet les fonctions du substantif (comme les participes,
autres formes nominales du verbe, celles de l’adjectif).
I. L’infinitif comme nom et comme verbe
A/ L’infinitif substantivé
Très usité en AF. Il admet alors un article, il peut être régit par des prépositions et peut recevoir des
qualificatifs ou des compléments.
li celers rien ne m’i vaudroit = la dissimulation me serait utile
En l’esgarder de la pucelle = au moment où il regarde la pucelle
Mieus vaut bons taires que fous parlers = proverbe « mieux vaut un bon silence qu’une folle parole »
B/ L’infinitif en fonction d’impératif
a) l’infinitif jussif
hérité du latin, il exprime un ordre général et pressant. En AF, l’infinitif jussif est précédé de l’adverbe or et de
la préposition de suivie de l’article (qui souligne la valeur nominale de l’infinitif dans cet emploi)
Or del monter = maintenant, à cheval !
b) l’infinitif prohibitif
il est précédé en AF de la négation ne et traduit une défense vive et réduite à sa plus simple expression.
Nel dire ja ! = ne dis pas cela !
Ne m’ocirre tu pas ! = ne me tue pas !
Ne creire ja le traïtor ! = ne crois pas ce traître !
C/ L’infinitif dans l’interrogation
on le trouve dans :
• des interrogations directes :
Dame, que dire ? que teisir ? = dame, que dire ? que taire ?
cet emploi a survécu en FM, on dit Que faire ? il ne sait où aller, il ne sait que dire…
• des interrogations indirectes :
Ne sai mais que penser = je ne sais plus que penser
des relatives à antécédent indéterminé, proches des interrogatives indirectes. Il est alors introduit par des
verbes comme avoir, savoir, faire, trover, veoir :
N’i laissa ke conter = il ne laissa pas quelque chose à conter
Dunc ne faz jo que creire = alors je ne fais rien méritant créance
D/ L’infinitif actif à valeur passive
Comme l’infinitif est une forme nominale, la distinction entre voix active et voix passive tend à disparaître et il
n’est pas rare de trouver en AF des infinitifs de forme active que l’on doit prendre au sens passif, ils équivalent
alors à un substantif.
Or est renart pres de confondre = Renard est près d’être confondu
Fiz a putain, dignes de pandre = fils de putain, digne de pendaison
E/ L’infinitif pourvu d’un sujet
a) l’infinitif de narration
c’est un tour expressif qui relève du récit rapide et qui marque le développement rapide d’une action ou la
succession prompte d’une action à une autre : le mode le plus direct pour rendre compte de cette vivacité étant
l’infinitif. Mais cet infinitif de narration demeure rare en AF, c’est surtout en MF qu’il se développe.
b) la proposition infinitive
elle est très courante en AF après des verbes de perception (veoir, oïr…), après certains impersonnels (covient,
estuet…) et après des verbes comme laissier ou faire. Le sujet de la proposition infinitive est alors au cas régime.
Il vit pasturer un chevrel = il vit pa^tre un chevreuil
Li vallez oï les oisiax chanter = le jeune homme entendit les oiseaux chanter
Ains les esuet illuec remanoir = mais il leur faut rester là
Derrière des verbes de perception, on peut également trouver en AF une forme en ant :
Et voient monseignor Yvain tot sol chevauchant = ils voient monseigneur Yvain chevaucher tout seul.
c) la proposition infinitive exceptionnelle ou incertaine
Après les verbes d’opinion, d’affirmation, de volonté ou de bien derrière préposition, la proposition infinitive
est exceptionnelle en AF. Elle ne se développe véritablement qu’à la fin du MF et atteint son apogée au 16es
(Renaissance).
II. L’infinitif prépositionnel
A/ L’infinitif complément d’un adjectif ou d’un verbe
L’infinitif qui complète un verbe (cplmt d’objet) ou un adjectif (cplmt déterminatif) peut être construit
directement :
Deus le me duinst venger ! = Que Dieu me permette de le venger !
Ou indirectement :
Diex me donra de mon enfant norrir = Dieu me permettra d’élever mon enfant
Et prioit Dieu et Nostre Dame qu’il li dounassent a haïr…et il priait Dieu et Notre Dame de lui permette de
haïr…
La préposition a est très fréquente en AF, mais comme de, elle tend à se vider de son sens (idée de direction ou
de but ) pour ne plus être qu’un élément de liaison entre l’infinitif et ce qui précède.
B/ L’infinitif servant de thème dans une phrase à prédicat
Dans les phrases à prédicat, la préposition de ( plus exceptionnellement la préposition a), sert à isoler le thème.
En AF, le prédicat précède généralement le thème, mais il peut aussi le suivre. Il le précède obligatoirement
lorsqu’apparaît le démonstratif ce ou plus rarement le pronom il.
D’amer est mervillose cose = Aimer, c’est une chose extraordinaire
Vilonnie est d’autrui gaber = c’est une honte que de se moquer d’autrui
Ce fut vilenie de la teste pendre = ce fut une honte que de suspendre sa tête
En AF il est très rare que le thème soit isolé par que ou par que de ( noble chose est que donner). En FM que de
est très répandu devant l’infinitif, le simple de ou le simple que est plus rare. Aux 16e et 17es. c’était l’inverse.
C/ L’infinitif complément circonstanciel
En FM l’infinitif à valeur de complément circonstanciel n’est introduit que par un nombre restreint de
prépositions : à, après, de, pour, sans.
En AF et jusqu’au 17es. il peut être introduit par un plus grand nombre de prépositions : a, après, de, en, par,
sanz, sor (sur).
L’infinitif à valeur circonstancielle peut en AF, ne pas avoir le me sujet que le verbe principal. Le
complément de l’infinitif se place normalement entre la préposition et l’infinitif et l’article précédent le
complément se contracte avec la préposition.
a : marque le but, la manière, le moyen, la cause, les circonstances (simultanéité, condition)
bien le connurent a ruistes cos doner = ils le reconnurent bien aux rudes coups qu’il donnait
al pont chaeir fu la criee = au moment de la chute du pont, il y eut des cris
A la place de la séquence traditionnelle (prép.+ régime de l’infinitif + infinitif) on peut trouver la séquence
analytique (prép.+ nom ou pronom régime + prép. a + infinitif).
Aiols canta un son por eus a esbaudir = Aiol chanta un air pour eux, afin de les réjouir
• derrière ainz, ainçois et avant, l’infinitif apparaît peu avant le MF
après apparaît dans quelques groupes figés :
après mangier sont alé reposer = après avoir mangé, ils sont allés se reposer
de, en et par marquent la cause, le moyen, la manière et les circonstances
Car d’aller avant ne vos porroit venir se honte non = car si vous poursuiviez votre route il ne pourrait vous
arriver que de la honte
Moult malvaise oevre en moi ocirre feriiés = en me tuant, vous feriez une très mauvaise action
ne veintroiz mie par foïr = vous ne vaincrez pas en fuyant
pour marque le but, la conséquence (comme en FM), la cause ou l’opposition et la concession (lorsque la
principale et négative)
por loiaument amer sui ge a ma fin venue = parce que je l’aimais loyalement, je suis arrivée au termes de mes
jours.
ja pur murir ne vus en faldrat uns = dût-il mourir, pas un seul ne vous fera défaut
sanz marque l’exclusion. Derrière sanz il est fréquent que l’infinitif n’ait pas pour sujet l’agent du verbe
principal
n’en partirés sans la teste tranchier = vous ne partirez pas sans que je vous tranche la tête
Au 17e il n’est pas rare de trouver encore un infinitif prépositionnel qui ne renvoie pas au sujet du verbe principal :
Rends-le-moi sans le fouiller (L’Avare, I, 3).
sor (=sur) signifie dans des formules d’interdiction « sous peine de »
jou te desfenc sour les membres coper… = sous peine d’avoir les membres coupés, je t’interdis…
A la place de la séquence (prép.+ régime + infinitif) on peut trouver une séquence analytique (sor + régime +
prép. a + infinitif : je te desfenc sour les iex a crever… = sous peine d’avoir les yeux crevés, je t’interdis…).
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