Histoire des arts 3eD (Français) Dossier 2 : Thème : Art du langage (Société de consommation, question de l’impact de la publicité dans notre société et la puissance de la société de consommation) Références : « Le Credo » de Jacques Sternberg. Nouvelle. Texte : Il avait toujours été fasciné par la publicité à la télévision. Il n'en manquait jamais aucune, les jugeait pleines d'humour, d'invention, et même les films l'intéressaient moins que les coupures publicitaires dont ils étaient lardés. Et pourtant la pub ne le poussait guère à la consommation effrénée, loin de là. Sans être avare, ni particulièrement économe, il n'associait pas du tout la publicité à la notion d'achat. Jusqu'au jour où il abandonna son apathie d'avaleur d'images pour prendre quelque recul et constater que la plupart des pubs ménagères, alimentaires, vacancières ou banalement utilitaires étaient toutes, d'une façon ou d'une autre, fondées sur la notion du plus, de la réussite à tous les niveaux, de la santé à toute épreuve, de l'hygiène à tout prix, de la force et de la beauté obtenues en un seul claquement de doigt. Or, il avait toujours vécu avec la conscience d'être un homme fort peu remarquable, ni bien séduisant ni tellement laid, de taille moyenne, pas très bien bâti, plutôt fragile, pas spécialement attiré par les femmes et fort peu attirant aux yeux de ces mêmes femmes. Bref, il se sentait dans la peau d'un homme comme tant d'autres, anonyme, insignifiant, impersonnel. Il en avait souffert parfois, il s'y était fait à la longue. Jusqu'au jour où, brusquement, toutes les publicités engrangées lui explosèrent dans la tête pour se concentrer en un seul flash aveuglant, converger vers une volonté bouleversante qui pouvait se résumer en quelques mots : il fallait que ça change, qu'il devienne une bête de consommation pour s'affirmer un autre, un plus, un must, un extrême, un miracle des mirages publicitaires. Il consacra toute son énergie et tout son argent à atteindre ce but: se dépasser lui-même. Parvenir au stade suprême: celui d'homme de son temps, de mâle, de héros de tous les jours, tous terrains, toutes voiles dehors. C'est sur le rasoir Gillette qu'il compta pour décrocher la perfection au masculin et s'imposer comme le meilleur de tous en tout dès le matin. La joie de vivre, il l'ingurgita en quelques minutes grâce à deux tasses de Nescafé. Après s'être rasé, il s'imbiba de Savane, l'eau de toilette aux effluves sauvages qui devaient attirer toutes les femmes, à l'exception des laiderons, évidemment. Et pour mettre encore plus d'atouts dans son jeu, en sortant de son bain, il s'aspergea de City, le parfum de la réussite. Sans oublier d'avaler son verre d'eau d'Évian, la seule qui devait le mener aux sources pures de la santé. Il croqua ensuite une tablette de Nestlé, plus fort en chocolat, ce qui ne pouvait que le rendre plus fort dans la vie. Puis il décapsula son Danone se délectant de ce yaourt spermatique, symbole visuel de la virilité. Et termina par quelques gorgées de Contrex, légendaire contrat du bonheur. Il eut la prudence de mettre un caleçon Dim, celui du mâle heureux. Sa chemise avait été lavée par Ariel qui assurait une propreté insoutenable repérable à cent mètres. Il rangea ses maigres fesses dans un Levi's pour mieux les rendre fascinantes à chaque mouvement. Il enfila ses Nike à coussins d'air, avec la conscience de gagner du ressort pour toute la journée. Son blouson Adidas lui donna un supplément d'aisance, celle des jeunes cadres qui vivaient entre jogging et marketing. Avant de sortir pour aller au bureau, il vida une bouteille de Coca-Cola pour sentir lui couler dans les veines la sensation Coke, il croqua ensuite une bouchée Lion qui le fit rugir de bonheur et le gorgea d'une bestiale volonté de défier le monde de tous ses crocs. Il ne lui restait plus qu'à poser sur son nez ses verres solaires Vuarnet, les lunettes du champion, et d'allumer une Marlboro, la cigarette de l'aventurier toujours sûr de lui, que ce soit dans la savane ou sur le périphérique. Lesté, des yeux aux pieds, de tous ces ingrédients de choc, il aborda sa journée de morne travail aux assurances en enlevant avec brio quelques affaires en suspens depuis des semaines et constata que plusieurs employées se retournaient sur son passage dans les corridors, sans compter que l'une d'elles lui avait adressé quelques mots. Il quitta le bureau au milieu de l'après-midi pour aller dans un pub voisin où il commanda un Canada Dry, le dégustant avec la mâle assurance du buveur de whisky certain de ne pas dévier dans l'ivresse. Et rien qu'en jetant un vague regard derrière lui, il repéra immédiatement une jeune femme qui lui parut digne de se donner à lui. Elle était très joliment faite, un peu timide sans doute, mais l'air pas trop farouche et fort mignonne. Pour un homme peu habitué à la drague, il avait eu du flair et le coup d'œil. Grâce à Pink, Floc, Crash, Zoung, Blom ou Scratch sans doute. Sans hésiter, il l'invita à prendre un verre à sa table. Elle le regarda de haut en bas, eut presque l'air de le humer, accusa alors un léger mouvement de recul impressionné. - M'asseoir à votre table? dit-elle d'une voix essoufflée. Je n'oserais jamais. Vous êtes vraiment trop pour moi. . Il la rassura, l'enjôla, la cajola du regard, de la parole et, à peine une heure plus tard, il se retrouvait avec elle dans son petit appartement de célibataire. Il lui servit un Martini blanc, ne prit rien et lui demanda de l'excuser un instant après lui avoir délicatement effleuré les lèvres. Il ressentait le besoin de se raser de près. Il entra dans sa minuscule salle de bains où la jeune femme, subjuguée, le suivit. Il s'aspergea de mousse à raser Williams surglobulée par l’anoline R4 diluée dans du menthol vitaminé, puis il prit son rasoir Gillette et vit sa compagne se décomposer. - Non, balbutia-t-elle, oh ! Non! Moi qui croyais que vous seriez mon idéal...Mon rêve de perfection masculine...Mais ce n'est pas avec Contour Gillette que vous vous rasez, c'est avec Gillette G.II... Rien ne sera jamais possible... Il n'eut même pas le temps de la rattraper, déjà elle avait ouvert et refermé la porte derrière elle. Jacques Sternberg, Histoires à dormir sans vous, 1990. Auteur : Jacques Sternberg (1923-2006), belge. Contexte : Les années 1950-1990 sont les années glorieuses de la publicité liées au développement de la société de consommation de masse. Les grands supermarchés se développent. Le marketing est en plein essor aidé par la modernisation des moyens de communication. La jeunesse devient une cible commerciale. Analyse : « Le Credo » est une nouvelle (court récit). Elle raconte une tranche de vie et prend pour cadre la réalité. Elle rend compte d’un sujet d’actualité : le pouvoir de la publicité et la société de consommation. I – Le personnage et la publicité Cette nouvelle raconte l’histoire d’un homme plutôt banal. Son portrait physique est critique («un homme fort peu remarquable, ni bien séduisant ni tellement laid, de taille moyenne, pas très bien bâti, plutôt fragile»). Il n’a pas de vie sentimentale (« pas spécialement attiré par les femmes et fort peu attirant aux yeux de ces mêmes femmes »). Cette situation semble le faire souffrir (« il en avait souffert »). Il a un passe-temps. Il est « fasciné par les publicités ». Il les apprécie pour leur humour, leur invention mais ce n’est pas un consommateur (« il n'associait pas du tout la publicité à la notion d'achat. ») II – La métamorphose du personnage Un jour, le personnage a une révélation soudaine et brutale (« jusqu’au jour où », « brusquement », « flash aveuglant »). L’homme résigné se ressaisit et décide de changer (« que sa change », « il avala son apathie d’avaleur d’images »). Il décide de se prendre en main et pour ce faire il va s’appuyer sur les messages publicitaires, « il y consacra toute son énergie ». Il espère devenir meilleur, devenir l’homme idéal, parfait pour « s’affirmer un autre, un plus, un must, un extrême, un miracle des mirages publicitaires », « parvenir au stade suprême : celui d’homme de son temps, de mâle, de héros de tous les jours ». (gradation). Ce changement est possible grâce à la publicité qui rend tout possible. La répétition du mot « tout » indique le pouvoir absolu de la publicité. Dans un premier temps, le personnage devient comique. Le texte accumule les références aux marques. Le personnage se met à consommer les produits en fonction des slogans publicitaires (produits de beauté, produits alimentaires). Dans un second temps, le personnage se révèle être pathétique. Il apparaît comme un homme naïf et perd peu à peu sa personnalité. Il se standardise et perd son esprit critique. Il consomme sous le dicta des slogans publicitaires. La chute fait apparaître une femme, elle aussi, beaucoup trop attachée aux marques qui en vient même à choisir son partenaire en fonction du type de rasoir qu’il utilise. Elle quitte notre héros pour une simple histoire de rasoir « non-conforme ». III – Le message de l’auteur L’auteur critique, dans cette nouvelle, la société de consommation. Il dénonce tout d’abord les stratégies manipulatrices des publicités et des marques qui font miroiter monts et merveilles. Mais il critique aussi la naïveté et la docilité des consommateurs qui se laissent séduire et convaincre. La publicité est présentée comme une nouvelle religion de notre société moderne, le consommateur suit aveuglément les messages de ce nouveau dieu, persuadé de devenir ainsi meilleur, d’où le titre « Le Credo » qui est le nom d’une prière chrétienne et qui signifie « je crois », publicité qui s’impose au consommateur par son omniprésence. A travers cette nouvelle, J. Sternberg cherche à nous rendre plus critique vis-à-vis des publicités et à nous interroger sur notre propre consommation. Liens avec d’autres œuvres : Chanson : La complainte du progrès, Boris Vian, 1956 Autrefois pour faire sa cour On parlait d'amour Pour mieux prouver son ardeur On offrait son cœur Maintenant c'est plus pareil Ça change ça change Pour séduire le cher ange On lui glisse à l'oreille Ah Gudule, viens m'embrasser, et je te donnerai... Un frigidaire, un joli scooter, un atomixer Et du Dunlopillo Une cuisinière, avec un four en verre Des tas de couverts et des pelles à gâteau! Une tourniquette pour faire la vinaigrette Un bel aérateur pour bouffer les odeurs Des draps qui chauffent Un pistolet à gaufres Un avion pour deux... Et nous serons heureux! Autrefois s'il arrivait Que l'on se querelle L'air lugubre on s'en allait En laissant la vaisselle Maintenant que voulez-vous La vie est si chère On dit: "rentre chez ta mère" Et on se garde tout Ah Gudule, excuse-toi, ou je reprends tout ça... Mon frigidaire, mon armoire à cuillers Mon évier en fer, et mon poêle à mazout Mon cire-godasses, mon repasse-limaces Mon tabouret-à-glace et mon chasse-filous! La tourniquette, à faire la vinaigrette Le ratatine ordures et le coupe friture Et si la belle se montre encore rebelle On la ficelle dehors, pour confier son sort... Au frigidaire, à l'efface-poussière A la cuisinière, au lit qu'est toujours fait Au chauffe-savates, au canon à patates A l'éventre-tomate, à l'écorche-poulet! Mais très très vite On reçoit la visite D'une tendre petite Qui vous offre son cœur Alors on cède Car il faut qu'on s'entraide Et l'on vit comme ça jusqu'à la prochaine fois Et l'on vit comme ça jusqu'à la prochaine fois Et l'on vit comme ça jusqu'à la prochaine fois Auteur : Boris Vian (1920-1959). Boris Vian est un écrivain français, poète, parolier, chanteur, critique et musicien de jazz (trompettiste), né le 10 mars 1920, à Ville-d'Avray (Hauts-de-Seine), mort le 23 juin 1959 à Paris. Contexte : Composée en 1956, « La complainte du Progrès » est une critique très drôle de la société de consommation et ses dérives. Boris Vian décrit les affres de l’amour moderne. Alors qu'avant les amoureux pouvaient vivre d'amour et d'eau fraîche, il faut maintenant l'abondance des biens de consommation pour pouvoir vivre un amour heureux. Cette œuvre traduit avec humour la crainte de Boris Vian de voir les sentiments amoureux se réduire au profit du matérialisme, du plaisir de consommer et de posséder un maximum de choses. Œuvre plastique : Supermarket Lady (ou Caddie), Duane Hanson, 1969 (166 cm de hauteur). Matériaux principaux : fibre de verre, résine de polyester. Lieu de conservation : Ludwig forum, Aixla-Chapelle. Auteur : Duane Hanson (1925-1996), né aux Etats-Unis (Minnesota) dans une famille de fermiers, étudie les beaux-arts aux Etats-Unis puis en Europe et devient célèbre dans les années 1960 par ses nombreuses sculptures hyperréalistes réalisées à partir de moulages qui mettent en scène des américains dans leur vie quotidienne. Il participe à une exposition d’art contemporain en Allemagne en 1972 (la Dokumenta 5) où il obtient une reconnaissance internationale. Contexte : Les Etats-Unis comme l’Europe connaissent entre 1945 et 1973 un rapide développement économique et des bouleversements dans la société : ce sont les « Trente glorieuses ». C’est une ère d’abondance et de prospérité, en particulier pour les classes moyennes. Les modes de vie sont transformés : amélioration du confort dans la vie quotidienne (électroménager, ameublement moderne), généralisation de l’automobile, place de plus en centrale de la télévision. Analyse : Cette œuvre plastique met en scène les effets négatifs de la publicité et de la société de consommation occidentale sur l’individu. (Pour la description du personnage, reportez-vous à votre cours)