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Jean également se sentit interpellé par l’idéal bénédictin au moment où
élève de rhétorique, il s’interrogeait sur l’orientation de sa vie. En avril
1926, il vint passer les Jours saints et la fête de Pâques à Saint-Benoît-du-
Lac. On aurait pu croire que la pauvreté de la maison et la rusticité du style
de vie des moines rebuteraient l’élégant jeune homme de Westmount, il
n’en fut rien. Il s’attacha tout de suite à cette petite communauté si
fervente dans son dénuement matériel. Il trouva aussi chez le supérieur
d’alors, dom Paul Cosse, un homme et un moine avec qui il s’entendit
parfaitement. Au cours de leurs entretiens la question de sa vocation tint
évidemment une place prépondérante. Il revint au mois d’août, et ce furent
des jours décisifs. Après avoir prié et consulté de nouveau le Père Cosse, il
écrivit à ses parents : «J’ai pris ma décision le jour de l’Assomption (15
août), je deviendrai fils de saint Benoît».
Cette décision, il ne la remit jamais en cause, même si, au cours des deux
années qui suivirent, de fortes pressions l’incitèrent à modifier son projet
vocationnel. Ses parents s’y montrèrent nettement défavorables. Non certes
pour des motifs égoïstes, ni non plus par mésestime de la vocation
bénédictine qu’ils tenaient en haute considération, mais parce qu’ils
estimaient que Jean était trop jeune et que sa santé, sans être mauvaise,
exigeaient des ménagements. Sa croissance avait été très rapide; à 18 ans,
il mesurait déjà six pieds deux pouces et son poids était loin de
correspondre à sa haute taille. De plus, le choix de la fondation canadienne
ne leur agréait guère, surtout à monsieur Mathys. Que Jean veuille entrer
dans l’Ordre de saint Benoît, il n’avait rien contre, mais il aurait préféré que
ce soit dans l’une ou l’autre de ces grandes abbayes de Belgique qui
comptaient de nombreux moines issus des meilleures familles du pays.
Finalement une solution de compromis fut acceptée de part et d’autre : les
parents de Jean ne s’opposeraient pas à son entrée à Saint-Benoît-du-Lac
pourvu qu’il se donne un délai de deux ans. Dans l’intervalle il compléterait
son cours classique par deux années au Collège Loyola dirigé par les
jésuites anglophones de Montréal. Il aurait ainsi l’avantage de se
familiariser avec la langue anglaise tout en acquérant plus de maturité et en
raffermissant sa santé.
Ce collège jouissait d’une réputation d’excellence et Jean y fit de solides
études. Il fut surtout marqué par le professeur de philosophie, le Père
Thomas I. Gasson, qui était également son directeur spirituel. Ses
condisciples, ayant vite reconnu ses qualités de leader et aussi «his
philosophical acuteness and his success as a salesman», l’élirent vice-
président de leur classe.
Si captivantes que furent ses études et ses activités sociales, elles ne lui
firent pas oublier Saint-Benoît-du-Lac. Entre avril 1926 et avril 1928, il y fit
pas moins de huit séjours de longueur variée. Et il y venait rarement les
mains vides. Son grand cœur s’ingéniait à faire don aux moines de ce que
leur impécuniosité ne leur permettait pas de se procurer. Le cadeau le plus
apprécié fut une barque qui rendit possibles d’agréables croisières sur le lac
et qui fit le bonheur du Père Bontront en élargissant le rayon de ses
expéditions de pêche.