Emmanuelle ROZIER Cours Terminales / La morale
une perspective individualiste, nous pouvons penser que la morale est nécessaire, puisqu’elle
permet à l’individu de s’affirmer, de s’auto-discipliner pour atteindre le bonheur, pour
respecter les autres, en tant qu’être humain, et peut-être même respecter la nature comme
ayant des droits comme un être humain.
La preuve de la nécessité de la morale se lit dans les interrogations nouvelles et les
demandes de limites des individus (notamment sur les questions de bioéthiques).
B. Y a-t-il des vérités morales ?
1) Description et prescription
On parle de discours normatif dans le domaine moral : « il ne faut pas mentir » nous donne
une norme pour notre action, pour la mesurer (si je mens, et que je n’ai pas respecté la
règle, je sais que j’ai fait le mal). Il se distingue du domaine descriptif de la science, qui dit
seulement comment le monde est, sans donner de valeurs (cf. cours sur l’objectivité
scientifique). De nombreux philosophes estiment pourtant qu’il n’y pas tant de différences
entre les deux discours car ils seraient tous deux des discours rationnels. Nous aurions une
raison pratique, c'est-à-dire qu’il suffirait d’interroger comme il faut notre raison pour savoir
ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire. Mais peut-on parvenir dans le domaine des
valeurs à des énoncés objectifs ou scientifiques ? Les phrases comme « on ne doit pas
voler » ne sont-elles pas l’expression de choix subjectifs ? Auquel cas, il n’y aurait jamais de
vérités morales_. C’est l’idée de Hume. La raison ne peut pas être mobilisée pour exprimer
des vérités d’ordre normatif ou prescriptif. D’ailleurs il n’y a pas de possibilités de vérification
ou de falsification des énoncés moraux contrairement aux énoncés descriptifs de la science
(c’est ce qu’exprime Wittgenstein : on ne peut pas voir dans le monde ce qu’il faut et ne faut
pas faire, seulement ce qui est). Il y a donc une différence importante entre ce qui est et ce
qui doit être.
« David Hume : « Il n'est pas contraire à la raison de préférer la destruction du monde
entier à l'égratignure de mon doigt »
Pour le penseur écossais, la raison n'a aucun pouvoir sur nos passions, notamment sur
l'égoïsme. Au risque de nous mener au chaos.
Enfin un philosophe sincère », murmureront certains. Il fallait de la jeunesse et un peu de
folie pour oser faire une telle déclaration d'amour à l'égoïsme. Du haut de ses 26 ans, en
plein siècle des Lumières, l'Écossais David Hume n'a pas hésité. Est-ce par goût du paradoxe
qu'il fait mine, dans son Traité de la nature humaine, de cautionner un individualisme porté à
l'extrême, qu'il prétend préférer la destruction universelle à un léger désagrément ? Ou bien
exprime-t-il cyniquement le sentiment de celui qui cherche en lui-même une raison d'agir
vertueusement… et n'en trouve finalement aucune ? Quel soulagement alors de voir rompue
la longue chaîne des philosophes sévères et moralisateurs !
Si la raison elle-même nous engage à faire primer notre plaisir sur tout autre motif, nulle
autre instance, a fortiori, ne saurait désormais nous reprocher d'agir au mépris de la morale.
Vice et vertu n'ont plus à être distingués, et nous sommes libérés des pesanteurs du devoir.
Le philosophe semble même aller plus loin : « La raison, affirme-t-il dans la suite de
l'ouvrage, est et ne doit qu'être l'esclave des passions. » David Hume annoncerait l'anti-
humanisme d'un Dostoïevski : « Que s'écroule l'univers pourvu que je boive toujours mon
thé », affirmait le narrateur des Carnets du sous-sol.
En réalité, même si Hume exprimera tout au long de sa vie les opinions les plus provocantes
sur la religion, le suicide, l'identité personnelle ou les principes de la connaissance, au point
de réveiller Kant de son sommeil dogmatique, cette formule ressortit davantage au constat
qu'à l'incitation pousse-au-crime. Ouf ! Reste qu'elle ne perd rien de sa radicalité. Depuis ses
origines, la philosophie confie à la raison la mission d'édicter les valeurs morales et de les
faire respecter contre nos passions égoïstes. On suppose donc que la raison puisse influer