Comment Bruxelles surveille les Etats Les services d'Olli Rehn tentent de faire vivre le gouvernement économique de l'Europe Olli Rehn a préparé le terrain en Allemagne avant de suivre l'avis de ses services. Le commissaire chargé des affaires économiques et monétaires devait épingler, mercredi 13 novembre, l'excédent des comptes courants accumulé par la locomotive de la zone euro en raison de ses exportations record, en lançant une " enquête approfondie " sur le sujet. Il emboîte ainsi le pas aux Etats-Unis, et au Fonds monétaire international pour presser le gouvernement allemand de soutenir davantage la demande et l'investissement domestiques. Au passage, Olli Rehn tente surtout d'appliquer les différents instruments mis en place, ou renforcés, au plus fort de la crise des dettes souveraines afin de donner corps au gouvernement économique de l'Europe. Un dispositif cher à la chancelière allemande, Angela Merkel, et qui place le commissaire finlandais et ses équipes dans un rôle de gendarme face à des Etats plus ou moins vertueux. Signe des temps, la Direction générale des affaires économiques et monétaires au service d'Olli Rehn a quitté la périphérie de Bruxelles pour venir s'installer au plus près du siège de la Commission européenne et des bureaux de José Manuel Barroso, son président. En ces temps de disette budgétaire, elle a même vu ses effectifs gonfler d'un cinquième en trois ans pour dépasser les 800 fonctionnaires. Chaque pays est suivi par une petite équipe, deux ou trois grosses têtes, parfois en début de carrière. La DG " Ecfin " - comme on l'appelle - travaille en étroit contact avec le secrétariat général de la Commission et les directions chargées des questions d'emploi ou de fiscalité. Olli Rehn est, quant à lui, devenu vice-président de la Commission européenne, doté de pouvoirs qui lui permettent de courtcircuiter ses collègues commissaires pour rappeler à l'ordre tel ou tel pays, en vertu des différents instruments dont il dispose. Pour la direction générale pilotée par l'Italien Marco Butti, l'automne s'apparente à un véritable marathon pour préparer les avis et autres rapports présentés par Olli Rehn. Entre mercredi 13 et vendredi 15 novembre, ce dernier va devoir lancer le " semestre européen ", un vaste exercice de concertation destiné à fixer les grandes lignes des politiques budgétaires et des réformes à suivre dans le courant de l'année prochaine par les Vingt-Huit. Surtout, il doit donner son avis sur les projets de lois de finances déposés mi-octobre par l'ensemble des gouvernements, avant même leur adoption par les Parlements nationaux. Un droit de regard inédit, approuvé au printemps par les Etats et le Parlement européen, afin de rendre plus intrusif le Pacte de stabilité et de croissance. Ce dernier a lui-même été renforcé dès 2011, à la demande expresse d'Angela Merkel. Un an plus tôt, la chancelière n'avait accepté le plan d'aide à la Grèce, prise en flagrant délit de trucage de ses comptes, qu'en échange d'un surcroît de discipline budgétaire. Et elle a insisté pour placer la Commission, et Olli Rehn, au coeur du dispositif face aux capitales. Dans le même esprit, un " mécanisme d'alerte " a été mis en place pour identifier à temps les déséquilibres qui pourraient provoquer de nouvelles crises. Cet outil de surveillance macroéconomique est censé prévenir l'émergence de bulles immobilières ou la perte de compétitivité de tel ou tel pays. Les premières alertes ont été adressées depuis deux ans à l'Italie, au Royaume-Uni, ou à la France, au sujet du recul de ses parts de marché à l'exportation, signe du manque de compétitivité de ses entreprises. C'est ce même instrument qui va permettre d'ouvrir, mercredi, une enquête approfondie sur les excédents courants allemands. Mais dans ce domaine, où l'Europe dispose de peu de compétences, les initiatives prises par Bruxelles sont loin d'être contraignantes, à la différence de l'arsenal conçu pour guider les choix budgétaires. Il n'empêche, l'activisme des services d'Olli Rehn dérange. En mai, François Hollande a ainsi mis en avant la souveraineté de la France pour ne pas se laisser " dicter " les modalités de la réforme des retraites. Depuis, les fonctionnaires français ont multiplié les démarches auprès de leurs homologues bruxellois pour s'assurer que les avis dévoilés cette semaine ne susciteront pas trop de tension. Avec plus ou moins de succès. " Il s'agit d'alimenter les débats nationaux ", se défend-on dans l'entourage d'Olli Rehn où l'on ne cache pas les réserves que suscite la réforme des retraites en cours d'adoption à Paris. Cependant, la Commission n'entend pas jeter de l'huile sur le feu, en ces temps de montée en puissance des extrêmes, promptes à dénoncer toute perte de souveraineté au profit de " Bruxelles " et à quelques mois des élections européennes, en mai 2014. " C'est juste un avis. Les gouvernements et les Parlements nationaux restent souverains pour trancher ", assure-t-on. Les " recommandations " européennes, dont les gouvernements sont de plus en plus censés tenir compte, " les laissent relativement libres, sauf s'agissant de la nécessité de respecter le seuil de 3 % de déficit public, pour lequel ils font face à une obligation de résultat, et non de moyens ", rappelle Antonio Vitorino, le président de la fondation Notre Europe-Institut Jacques Delors. Cet arsenal est-il assez mordant ? Oui, répondent en coeur la plupart des Etats membres, France et Italie en tête. En dépit des récentes avancées, la bataille sur le pilotage de la zone euro est pourtant loin d'être finie. Pour Jörg Asmussen, membre allemand du directoire de la Banque centrale européenne (BCE), à peine une recommandation sur dix émises par Bruxelles serait respectée depuis la mise en place des différents instruments. Une estimation qui fait bondir les fonctionnaires de la direction des affaires économiques et monétaires. " Ce chiffre est très loin de la réalité, même s'il est difficile de mesurer l'impact de ces instruments ", indique un proche d'Olli Rehn : " La BCE a surtout voulu dire que les Etats devaient faire plus, toujours plus. " Toujours plus, c'est aussi l'un des soucis d'Angela Merkel. Depuis sa réélection, la chancelière allemande a repris l'idée lancée voici plus d'un an par Berlin : la négociation entre les instances européennes et chaque capitale d'un " contrat " destiné à encadrer les réformes. L'initiative devrait animer les discussions entre chefs d'Etat et de gouvernement d'ici au prochain Conseil européen, les 19 et 20 décembre. " Hormis l'Allemagne, tout le monde est contre, mais personne n'ose le dire de front à Angela Merkel ", observe un fin connaisseur des arcanes européens. Plutôt réservée, la France pourrait pourtant céder à condition que ces " contrats " concernent tous les Etats, y compris l'Allemagne. En contrepartie, Pierre Moscovici, le ministre de l'économie, plaide pour créer un " budget de la zone euro " susceptible, à terme, de prendre en charge une partie des allocations chômage. A l'Elysée, on imagine plutôt la mise en place d'une capacité d'emprunt européenne susceptible d'aider les pays engagés dans des réformes d'envergure. Pour Olli Rehn et ses services, il est, quoiqu'il arrive, grand temps de trancher et d'appliquer comme il faut les règles en vigueur. Pour eux, " les instruments existent et donnent des résultats, il faut juste les utiliser ". Un constat qu'Angela Merkel n'a pas l'air de partager. Philippe Ricard L'Europe presse Berlin de rééquilibrer son économie Bruxelles Bureau européen Bruxelles enquête sur l'excédent commercial allemand. Et rappelle le " grave " problème de compétitivité français Pour l'Allemagne, c'est une grande première ; pour la France, presque une habitude. Les deux principales puissances de la zone euro devaient être invitées par la Commission européenne, mercredi 13 novembre, à mettre un peu d'ordre dans leurs économies. José Manuel Barroso, le président de la Commission, et son équipe devaient ouvrir une enquête approfondie sur les excédents des comptes courants engrangés par l'Allemagne. Une perspective longtemps rejetée bec et ongles par la chancelière Angela Merkel. Quant à la France de François Hollande, elle doit, d'après Bruxelles, accélérer encore ses efforts de réforme pour redresser la compétitivité de son économie. " Si la France et l'Allemagne mettaient réellement en application les recommandations du Conseil européen, elles rendraient un grand service à la zone euro ", a prévenu ces derniers jours Olli Rehn, le commissaire chargé des affaires économiques et monétaires. Ce double avertissement est sans précédent depuis la mise en place, voici deux ans, du " mécanisme d'alerte " destiné à prévenir l'émergence de déséquilibres macroéconomiques au sein de l'Union européenne et de la zone euro. A ce titre, la Commission surveille déjà les faiblesses de l'économie française, mais elle a longtemps hésité avant de pointer du doigt les excédents allemands. Au grand dam de la France, de l'Espagne ou de l'Italie, la prudence de Bruxelles à l'égard de Berlin tranchait jusqu'ici avec les positions prises par les Etats-Unis, et le Fonds monétaire international (FMI), qui réclament de longue date à l'Allemagne de rééquilibrer son économie pour la rendre moins dépendante des exportations, et stimuler sa demande intérieure. " Personne ne veut critiquer les succès des entreprises allemandes dans la concurrence mondiale. Il s'agit plutôt de maîtriser les évolutions qui pourraient mettre en danger sur la durée la poursuite de cette réussite ", a justifié M. Rehn pour préparer les esprits outre-Rhin. Pour le commissaire, il est temps de réagir dans la mesure où les excédents allemands vont se situer, cette année comme en 2012, à 7 % du produit intérieur brut (PIB), c'est-à-dire au-dessus du seuil de 6 % identifié lors de la mise en place, en 2011, de cet instrument de surveillance macroéconomique. A l'époque, Berlin avait tout fait pour éviter d'être mis en cause. Cette fois, la Commission renvoie dos à dos Allemagne et France pour mieux défendre son approche auprès des deux pays. Afin d'apaiser la première, M. Rehn rappelle que treize Etats ont fait l'objet, en 2012, d'enquêtes approfondies diligentées par Bruxelles, dont la France, le Royaume-Uni, l'Italie, les Pays-Bas, la Suède ou l'Espagne, pour des raisons diverses. " En Allemagne, il s'agit de réduire les goulets d'étranglement de la consommation intérieure : diminuer les impôts des plus modestes, accroître les investissements publics et privés, améliorer la concurrence dans les services ", plaide M. Rehn. Une façon, à ses yeux, d'encourager l'activité outre-Rhin, pour le plus grand bénéfice de l'ensemble du continent. A la France, le commissaire rappelle cependant que l'Allemagne n'est pas le seul pays à influer sur la prospérité de la zone euro. Pour lui, l'Hexagone détient, lui aussi, " la clé d'un retour à la croissance et à l'emploi ", à condition d'approfondir les réformes engagées par M. Hollande. Le parallèle s'arrête là. L'Allemagne reste la référence au sein de l'union monétaire. L'enquête approfondie annoncée mercredi doit être menée d'ici à mars 2014. Elle pourrait déboucher sur des recommandations non contraignantes. En revanche, la France est de plus en plus montrée du doigt. Vendredi 15 novembre, la Commission devrait dire ce qu'elle pense du programme économique présenté début octobre par Paris, en échange du délai de deux ans consenti pour ramener les déficits en deçà du seuil de 3 % du PIB, d'ici à 2015. Sur le plan budgétaire, la Commission s'apprête à décerner un satisfecit au projet de loi de finances français pour 2014 : il serait " globalement satisfaisant ", a jugé, mardi, M. Barroso. Bruxelles devrait toutefois indiquer que les marges de manoeuvre du gouvernement français sont désormais quasiment inexistantes, et qu'il ne faut pas relâcher l'effort. " La politique fiscale de la France a atteint les limites de l'acceptabilité ", a dans ce contexte prévenu M. Barroso. Pour les autorités européennes, la priorité doit être de baisser les dépenses publiques, étant donné le niveau record des prélèvements fiscaux et sociaux. La Commission devrait surtout reprendre les grands axes de la recommandation adressée en mai à Paris, pour tenter de régler le " grave " problème de la compétitivité française. A l'époque, six domaines d'action prioritaire avaient été identifiés : réforme du marché du travail, coût du travail, libéralisation des services, environnement des entreprises, simplification de la fiscalité, sans oublier la réduction des déficits. Pour M. Rehn, il est grand temps d'agir, quitte à aller au-delà des initiatives prises, ou annoncées, par M. Hollande. Pour ne prendre qu'un exemple, la réforme des retraites en cours d'adoption n'a pas tout à fait convaincu à Bruxelles. Dans cet exercice d'évaluation détaillée des réformes engagées, la France côtoie l'Espagne, les Pays-Bas, Malte et la Slovénie, autres pays qui bénéficient, depuis juillet, de délais supplémentaires pour assainir leurs comptes publics. " Il s'agit des pays qui connaissent les tensions les plus graves ", affirme un proche de M. Rehn : " L'idée est de s'assurer que la réduction des déficits s'accompagne, pour être durable, de réformes. " L'Allemagne, qui n'est plus en déficit excessif, n'est pas concernée par ce genre de rappel à l'ordre. L'Italie non plus. Philippe Ricard