Outre être une représentation du destin de la condition humaine, comme je viens
de le faire en évoquant Thésée, l’idée du labyrinthe peut aussi être interprétée
comme figure de la nature humaine tout court. Nous pouvons alors nous représenter
l’homme comme un être hybride dont l’identité est multiple. En contexte platonicien,
nous avons vu que la nature humaine participe à la fois de l’être et du non-être, de
l’unité de soi - en vieillissant nous restons tout de même identique à soi-même - et du
multiple dans le sensible – en vieillissant notre apparence se transforme, certains
traits de notre caractère se modifient. Cette hybridité ontologique se traduit au sein
de l’individu intérieurement et extérieurement dans le conflit entre corps et l’esprit. Ce
qui participe de la pensée est principe de rationalité, tandis que l’irrationalité participe
des catégories sensibles. Nous retrouvons ainsi la figure hybride du Minotaure, être
mi-homme, mi bête. Dans le Minotaure il y a de l’humanité, dans l’homme il y a de la
bestialité. L’histoire de la philosophie a envisagé cette identité multiple de la nature
humaine selon des approches très diverses auxquelles nous ne pouvons faire que
très rapidement allusion dans le cadre restreint de cette réflexion sur la légende du
labyrinthe de Cnossos. Les passions, les impératifs liés aux désirs, la violence, la
cruauté, l’ignorance, les abus égocentriques, l’inconscient et bien d’autres qualités et
états mentaux ont tour à tour révélé le Minotaure qui existe en l’homme.
La nature labyrinthique de la pensée est un thème récurrent dans l’histoire de la
philosophie.
Notre esprit n’est pas un appareil simple et régulier dont le fonctionnement rendrait
toujours accessible une rencontre adéquate et cognitivement exacte avec le monde
qui nous entoure. Si cela était le cas, notre parcours aurait l’apparence d’une ligne
droite et la connaissance serait aussi spontanée qu’ontologiquement pertinente.
Toutes nos pensées seraient vraies, toutes nos actions bonnes, toutes nos
représentations auraient un sens certain, immédiatement évident et clairement en
accord avec l’ordre des choses. Or, notre pensée analytique et raisonnable subit le
Minotaure qui est en nous. Le rapport de la pensée à la réalité est sinueux,
questionnant, problématique. Nous pouvons penser dans l’erreur, douter ou vivre
sans réelle certitude. L’esprit humain peut se tromper et errer dans sa recherche de
la certitude et de la justification de ses décisions et de ses jugements. Dans l’histoire
de la philosophie le questionnement sur la valeur ou la validité des produits de la
pensée est constant. Mais un chemin direct n’existe pas pour répondre à cela. La