L'Égypte de Méhémet-Ali de 1805 à 1849 Introduction En 1805, l'Égypte prend un nouveau tournant avec l'arrivée au pouvoir d'un général albanais ambitieux. A une Égypte en déclin et sous l'emprise de l'Empire ottoman, Méhémet-Ali ou Muhammad Ali, substitue un Empire nouveau, rénové et affermi, et amorce la mise en place d'un État fort et autonome. En effet, cet homme admiratif de la civilisation occidentale, et en particulier de son administration, de son armée et de ses technologies, est parvenu à s'ériger en dirigeant très influent par son comportement et ses actions. C'est ainsi que, grâce à une autorité absolue mais des intentions profitables, Méhémet-Ali devint le « despote éclairé » de l'Égypte, image qui fut d'ailleurs controversée par les différentes opinions européennes. Il s'attacha bientôt à la modernisation de son pays d'adoption, et lui conféra un crédit nouveau par les progrès, influencés par les puissances européennes, qu'il accomplit dans différents domaines, tels que l'éducation ou l'armée, et le développement économique (notamment grâce aux grands travaux d'irrigation) qui s'y rattacha. Par la suite, le vice-roi se consacra à la consolidation de son Empire à travers les campagnes qu'il exécuta pour se libérer de la tutelle turque, et s'étendre au delà des frontières égyptiennes, jusqu'au Soudan et à l'Anatolie. Conclusion Après un règne de 44 ans, Méhémet-Ali, malade, transmet son titre de Wali à son fils Ibrahim Pacha, bientôt remplacé par son petit-fils. Il est ainsi à l'origine d'un dynastie qui perdura jusqu'en 1953. Si ses méthodes furent parfois discutées, son action modernisatrice et émancipatrice lui permet aujourd'hui d'être considéré comme le « fondateur de l'Égypte moderne et le précurseur du réveil du monde arabe ». Il est en effet un modèle par son attachement à la reconstruction et à la libération d'un État dont il ne parlait pas la langue. I. Le règne d'un despote « éclairé » A) La prise de pouvoir et la consolidation de son autorité L'ascension au pouvoir de Méhémet-Ali débute en 1801, lorsque celui-ci s'engage dans le bataillon albanais de l'armée ottomane en guerre contre l'armée de Bonaparte. Une fois les Français vaincus, il profite des conflits entre les Ottomans et les Mamlûks (ou Mamelouks) pour renverser les Mamlûks alors au pouvoir et se faire nommer par le peuple et avec l'aide des notables et des chefs religieux musulmans, Wali ou Pacha, c'est-à-dire gouverneur de l'Égypte en 1805. Après avoir fait valider ce titre par le Sultan ottoman, Méhémet-Ali s'emploie à consolider son pouvoir en éliminant ses adversaires. Réduisant d'abord, par l'exil, l'assise politique des notables (Ashraf) et le l'influence des sommités religieuses (Ulama) qui l'avaient aidé à prendre le pouvoir, le Pacha s'attaque ensuite aux Mamlûks jusqu'en mars 1811, date à laquelle ceux-ci sont massacrés à la citadelle du Caire (480 sont tués et les survivants sont poursuivis par la suite). Méhémet-Ali a alors désormais les mains libres pour gouverner son pays à sa guise. B) Un gouvernement autoritaire mais réformateur Méhémet-Ali entend bien mener une politique dirigiste et administrative basée autour de son pouvoir personnel et de sa « Maison ». Le pouvoir est ici centralisé autour de l'allégeance à un seul homme et non pas à un État, constituant pas là une politique illibérale. Si celle-ci se veut présentable tout de même, le diwan, conseil habituellement délibératif, n'a ici qu'un rôle consultatif. La garantie du respect des biens et des personnes instaurée par la loi islamique n'est pas la préoccupation première d'un gouverneur absorbé par la modernisation de son pays, celle-ci ne pouvant s'effectuer que de manière dirigiste et bureaucratique. En effet, l'effort de modernisation et d'ouverture de l'Égypte permet aussi d'attribuer au Pacha la figure d'un « despote bienfaiteur » désireux de s'inscrire dans la continuité de Napoléon Bonaparte et d'œuvrer à la mission civilisatrice et rénovatrice qui lui incombe. C'est cet autoritarisme secondé par cette action modernisatrice qui valut à Méhémet-Ali son image controversée de despote « éclairé » et l'ambivalence des réactions à son égard. C) La place de l'Égypte dans le jeu international Si Méhémet-Ali a cherché à s'attirer une image de marque auprès des puissances européennes, sa réussite ne peut qu'être nuancée par le contraste des positions. En effet, par son inscription dans la continuité de l'action de Bonaparte et son discours complaisant en direction de l'opinion française, le gouverneur est parvenu à s'attacher l'appui de la France et à bénéficier d'un prestige inégalable par son action modernisatrice réussie, par opposition à celle encore inachevée de l'Empire ottoman à cette époque. Modernisateur en France, Méhémet-Ali n'est vu que comme un despote en Angleterre, pays qui soutient au contraire les Mamlûks et tente de le renverser en 1807 sans succès (ce qui ne fera qu'accroitre son prestige aux yeux de la France). Mais si Méhémet-Ali cherche à se concilier les puissances européennes, il ne peut, dans un premier temps, se permettre de déplaire au Sultan ottoman et pratique ainsi un double discours. En effet, il se pose, auprès de l'Empire ottoman, comme le défenseur d'un islam traditionnel, qui s'opposerait à l'influence trop importante et à l'entrée des européens en Égypte. Pourtant face à la montée en puissance de l'homme fort de l'Égypte qui commence à affirmer sa volonté d'autonomie justifiée par l'histoire, originelle des pharaons, retrouvée, le Sultan ne peut se satisfaire d'une réussite qu'elle ne parvient pas à accomplir et tente alors de limiter la modernisation et l'affirmation du pays en l'envoyant participer à des conquêtes lointaines qui le détourneraient de ses ambitions et absorberaient ses ressources financières. Malgré cette tentative, l'Égypte ne cessera de se moderniser dans tous les domaines durant le règne de Méhémet-Ali. II. La modernisation d'une Égypte auparavant en déclin. A) La situation du pays avant l'arrivée de Méhémet-Ali Lorsque Méhémet-Ali prend le pouvoir, l'état de l'Égypte est tel que seuls l'absolutisme et la centralisation semblent pouvoir permettre de remédier à la situation. En effet, le pays était en proie à l'insécurité et à la décadence sur de multiples aspects. L'instruction y était peu développée, les impôts très importants, les hôpitaux et les anciens systèmes d'irrigations dégradés, les services d'hygiène inexistants et l'armée composite et mal formée. Une tâche démesurée attendait donc le vice-roi. Cela explique le parti qu'il pris de se poser en seul détenteur du pouvoir, accompagné cependant de quelques seconds fidèles, tels que Boghos bey, et non de s'accommoder de l'entrave qu'avaient toujours constitué les Mamlûks dans les mesures prises par les anciens Pacha. Devant une telle situation, Méhémet-Ali décida de réformer en profondeur tout le système en prenant appui sur le modèle européen et notamment français. L'influence de ces puissances s'exerça en particulier sur les domaines militaires et éducatifs. B) La modernisation influencée par les modèles européens Désireux de donner une nouvelle impulsion à son pays, Méhémet-Ali va s'appliquer à mettre en place un État et une armée modernes, qui lui permettront peu à peu de se soustraire de la domination ottomane. L'appel aux techniciens et instructeurs français permettra alors une nouvelle approche concernant la résolution de problèmes comme ceux qui tenaient à l'armée et à l'instruction. En effet, il effectua de nombreuses réformes éducatives puisqu'il développa l'enseignement primaire et secondaire afin de former de nouvelles élites, se fit le défenseur d'une éducation plus ouverte aux sciences et au passé pré-islamique de l'Égypte (développant ainsi l'égyptologie) et non plus seulement à l'étude du Coran, et envoya aussi des étudiants dans les grandes écoles et universités d'Europe (dès 1807). L'armée fut aussi modernisée grâce à l'imitation des méthodes françaises et anglaises, la création d'écoles militaires et la mise en place de la conscription qui touchait notamment les fellah égyptiens. Toutefois les réformes furent aussi tournées vers le commerce et l'agriculture, l'économie en générale, ou encore les infrastructures. C) Un développement économique décisif L'agriculture pris un essor nouveau grâce à l'augmentation de la superficie de terres cultivables, l'extension des cultures traditionnelles (blé, orge, riz, sésame, canne à sucre...) et l'introduction de nouvelles telles que le coton, l'olivier, le lin ou l'opium, mais aussi et surtout l'aménagement hydraulique de vastes réseaux de canaux d'irrigation et de barrages. Cette modernisation agricole qui s'accompagne d'une transformation artisanale et industrielle, avec notamment l'ouverture d'usines d'armement et d'industrie agroalimentaires modernes et qui permet de limiter les importations, a permis l'édification d'un commerce plus stable et plus prospère. En protégeant le système de la concurrence par des taxes douanières élevées, l'enrichissement de l'Égypte autorise de nouvelles réformes couteuses. Méhémet-Ali entreprend en effet de grands travaux tels que la construction d'un réseau routier efficace, de ponts, de canaux, mais aussi d'établissements administratifs ou publics, d'hôpitaux ou encore de palais. Il assainit aussi Le Caire en y construisant de larges avenues et de grands jardins. C'est lui qui est aussi à l'origine de projets comme le canal de Suez ou du chemin de fer s'étendant du Caire au port de Suez, bien qu'il mourut avant de les avoir réalisé. Enfin il réalisa quelques innovations administratives empruntées au modèle français, telles que la mise en place de provinces, de départements et de ministères. Si, vers la fin de son règne, la pression des puissances européennes l'obligera à abandonner l'étatisation et les barrières douanières, sa modernisation est incontestable et constitua l'élan vital à sa monter en puissance. III. L'émancipation de l'Égypte de la tutelle ottomane et le désir d'expansion A) La campagne d'Arabie Après avoir consolider la construction interne se son pays, Méhémet-Ali va chercher à faire de celui-ci un vaste empire émancipé de l'Empire ottoman. Ainsi dès 1811, son armée, dirigée par son fils Ahmad Tosson, part combattre, au nom du Sultan Mahmud II, les Wahhâbittes d'Arabie qui occupaient les villes saintes depuis le début du siècle. Il récupère, l'année suivante, les villes saintes de Médine et de la Mecque mais poursuit son combat à travers une deuxième campagne qui dure jusqu'en janvier 1815, date à laquelle il soumet les Wahhâbittes à Koulakh et impose un traité humiliant à leur chef, Abdallah. Enfin, en 1816, après la mort de son fils Ahmad Tosson, MéhémetAli, secondé d'Ibrahim Pacha, un autre de ses fils, anéanti ce qu'il reste des Wahhâbittes et de leur pouvoir et rentre enfin au Caire, triomphant, en 1819. Sa puissance ainsi affirmé, le Pacha peut se lancer dans des conquêtes plus personnelles, avec pour motivation l'expansion de son empire. B) La campagne de Nubie et du Soudan Une fois la campagne d'Arabie achevée, Méhémet-Ali poursuit son action vers la Haute-Égypte, et plus particulièrement le Soudan et la Nubie dont son armée, dirigée cette fois par son fils Ismâ'il, s'empare en 1820, avec la bataille de Shayqiya, et en 1822 avec la prise de la ville de Kordofan au Soudan. Le Pacha installe alors son autorité sur le pays conquis et fait de Khartoum la capitale de celui-ci. Le but de Méhémet-Ali est ici de contrôler le cours supèrieur du Nil et les caravanes venant d'Afrique centrale, de mettre la main sur les mines locales, de fournir son armée en esclaves noirs et enfin, d'éliminer les derniers Mamlûks qui avaient pu s'échapper. Si le Pacha opère donc une première extension de son territoire, c'est surtout après la guerre de Grèce, que s'affirmera sa volonté d'expansion et d'autonomie, et la puissance de son armée. C) La conquête de la Syrie et la rupture avec l'Empire ottoman En 1823, le Sultan fait de nouveau appel à Méhémet-Ali lors de la campagne de Grèce. Son armée conquiert alors la Crète, Chypre, la Morée et Athène, mais en 1827, la coalition des Grecs, des Français, des Anglais et des Russes entraine la destruction de la flotte turco-égyptienne dans la baie de Navarin. Ibrahim Pacha est de ce fait contraint de rentrer en Égypte. Méhémet-Ali réclame alors, en dédommagement de cette perte, le contrôle de la Syrie, ce que le Sultan refuse, causant ainsi la rupture entre l'Empire ottoman et l'Égypte. En 1831, l'armée égyptienne est donc envoyée en Palestine et en Syrie, dont elle s'empare en 1832, et marche ensuite vers Istambul. Cependant, les intérêts personnels des puissances européennes les poussent à intervenir, la Russie s'alliant à Mahmud II, et la France et l'Angleterre à Méhémet-Ali. La paix de Koutayeh est ainsi imposée en mai 1833, et Méhémet-Ali devient Wali de la Grande-Syrie et de la Crète, étendant ainsi l'espace de son Empire qui comprenait déjà l'Égypte, le Soudan et la Nubie. L'empire reste toutefois sous le contrôle ottoman, ce qui ne satisfait évidemment pas le Pacha qui réclame rapidement son indépendance. La rupture est alors confirmée, et Mahmud II envoie une armée en Syrie afin de déloger le Pacha. Les troupes d'Ibrahim Pacha mettent alors en déroute l'armée turque en juin 1839, obligeant le nouveau Sultan, Abd al-Madjid, à concéder à Méhémet-Ali l'hérédité de la fonction de gouverneur d'Égypte. Ce dédommagement ne lui convient cependant pas et il réclame la Syrie, ce qui est finalement empêché par une seconde intervention des puissances européennes, qui forment un blocus sur les côtes syriennes et égyptiennes et bombardent plusieurs de leurs villes, comme Beyrouth, et imposent enfin le traité de Londres, en 1840, par lequel l'armée égyptienne est contrainte d'évacuer la Syrie (ainsi que la Crète et l'Arabie), de démanteler sa flotte et de réduire son armée, en échange de quoi Méhémet-Ali peut transmettre son titre de gouverneur à ses héritiers et obtient l'autorisation de gouverner le Soudan jusqu'à sa mort, en 1849.