CRAN - CARREFOUR DE REFLEXION ET D’ACTION CONTRE LE RACISME ANTI-NOIR
OBSERVATOIRE DU RACISME ANTI-NOIR EN SUISSE
Case postale 251 CH-3000 Berne 7
1ÈRE CONFÉRENCE EUROPÉENNE SUR LE RACISME ANTI-NOIR – GENÈVE, 17-18 MARS 2006
CERAN’06 - 1ERE CONFERENCE EUROPEENNE SUR LE RACISME ANTI-NOIR – GENEVE, 17-18 MARS 2006 5 de 6
Des vérités historiques assez embarrassantes
Mais, la vérité est parfois têtue. Au début des années 1980, Pierre Pluchon publia « Nègres et Juifs
au XVIIIe siècle », un essai où l’auteur dénonce l’antisémitisme français au siècle des lumières. Il
veut démontrer que, concernant l’antisémitisme, le progrès est du côté de l’absolutisme royal et la
réaction du côté des Lumières. Pour illustrer cette hypothèse il rappelle que dès le mois août 1550,
le Roi Henri II signe à Saint-Germain-en-Laye, des lettres patentes qui octroient aux Juifs appelés
Portugais ou Espagnols, « les privilèges, franchises et libertés » dont jouissent les sujets du
royaume.
Cette décision royale sera enregistrée par le Parlement de Paris dès le 22 décembre 1550 et par la
chambre des Comptes, le 25 juin 1551. Pluchon regrette qu’en 1685, l’article 1er du Code
Noir ordonne aux Juifs « ennemis déclarés du nom Chrétien », de quitter les îles dans les trois mois,
« à peine de confiscation de corps et de biens ». Mais, il est soulagé de nous faire savoir que ce
texte, enregistré deux ans plus tard par le Conseil Supérieur du Petit-Goâve, à Saint-Domingue, sera
suivi, le 1er septembre 1688, d’un ordre du Roi appelant à la conciliation et dérogeant l’expulsion
des Juifs. Et pour cause ! Les esclavagistes juifs possèdent un savoir faire précieux concernant la
canne à sucre et son utilisation dans la production du rhum.
Malgré la jalousie et les nombreuses tracasseries qu’on leur opposait à cause de leur réussite, les
négriers juifs (commerçants, armateurs, banquiers ou planteurs) n’étaient pas à plaindre. Pluchon
rappelle avec bonheur que plusieurs parmi eux furent même anoblis par le Roi. Ce fut le cas de
Joseph Nunès Pereyre un banquier à qui le Roy donne en 1720 les titres de vicomte de la Ménaude
et de baron d’Ambès. Un autre négrier, Abraham Gradis, obtient des lettres de noblesse en 1751.
Celui qui voudrait mieux connaître la trajectoire esclavagiste de ces familles, peut consulter le livre
d’Eric Saugera « Bordeaux, port négrier ». Ceci étant dit, il ne faut pas oublier que le monopole sur
le prosélytisme religieux demeurait la chasse gardée des Chrétiens. Le christianisme étant, avec la
supériorité de la race blanche, le pilier idéologique sur lequel reposait la politique génocidaire dans
l’univers concentrationnaire d’Amérique.
Aux Etats-Unis, le rabbin Ralph G. Bennett a publié une Histoire des Juifs des Caraïbes sous le titre
« History of the Jews the Caribean ». Il s’agit d’un travail visant à reconnaître aux pionniers juifs,
leur contribution à l’essor de l’économie de plantation dans les pays de la Caraïbe. Ils y auraient
introduit, dès le 17ème siècle, la canne à sucre et des nombreux esclaves noirs pour mettre en valeur
la terre. L’auteur affirme que ces Juifs « étaient à l’avant-garde des colons qui apportèrent une
contribution essentielle à la colonisation du Nouveau Monde ». Or, « la colonisation du Nouveau
Monde » a inauguré la systématisation juridique d’une déshumanisation dont la barbarie nazie aura
été l’aboutissement en Europe*.
A présent, il est certainement gênant que des groupes ayant participé au génocide africain-américain
du fait de leur appartenance à la race des Seigneurs, quelques décennies plus tard soient devenus,
eux aussi, victimes de cette même politique de déshumanisation et de négation de l’humanité
appliquée à l’intérieur de la race blanche. On voudrait bien que les choses ne se soient pas passées
de cette manière. Tout comme nous voudrions que jamais aucun Africain n’eusse contribué à
l’anéantissement d’autres Africains quelles que soient les circonstances qui se trouveraient en
amont. Hélas ! Les faits sont ce qu’ils sont et la censure ne pourra pas, indéfiniment, voiler la vérité
historique.
*Voir Plumelle-Uribe, La férocité blanche, Paris, 2001