LA MYTHOLOGIE ROMAINE
Lisez le texte et répondez aux questions.
(6) Les faits qui ont précédé ou accompagné
la fondation de Rome se présentent embellis
par des récits fabuleux, plutôt qu'appuyés sur
le témoignage irrécusable de l'histoire : je ne
veux pas plus les affirmer que les contester.
(7) On pardonne à l'antiquité cette
intervention des dieux dans les choses
humaines, qui imprime à la naissance des
villes un caractère plus prestigieux. Or, s'il
est permis à un peuple de rendre son origine
plus sacrée, en la rapportant aux dieux, certes
c'est au peuple romain; et quand il veut faire
du dieu Mars le père du fondateur de Rome
et le sien, sa gloire dans les armes est assez
grande pour que l'univers le souffre, comme
il a souffert sa domination. (8) Au reste,
qu'on rejette ou qu'on accueille cette
tradition, cela n'est pas à mes yeux d'une
grande importance. (9) Mais ce qui importe,
et doit occuper surtout l'attention de chacun,
c'est de connaître la vie et les mœurs des
premiers Romains, de savoir quels sont les
hommes, quels sont les arts qui, dans la paix
comme dans la guerre, ont fondé notre
puissance et l'ont agrandie […]
Histoire romaine, Préface, Tite-Live
(6) Quae ante conditam condendamue urbem
poeticis magis decora fabulis quam
incorruptis rerum gestarum monumentis
traduntur, ea nec adfirmare nec refellere in
animo est. (7) Datur haec venia antiquitati, ut
miscendo humana divinis primordia urbium
augstiora faciat; et si cui populo licere
oportet consecrare origines suas et ad deos
referre auctores: ea belli gloria est populo
Romano, ut, cum suum conditorisque sui
parentem Martem potissimum ferat, tam et
hoc gentes humanae patiantur aequuo animo,
quam imperium patiuntur. (8) Sed haec et his
similia, utcumque animadversa aut
existimata erunt, haud in magno equidem
ponam discrimine: (9) ad illa mihi pro se
quisque acriter intendat animum, quae vita,
qui mores fuerint, per quos viros quibusque
artibus domi militiaeque et partum et auctum
imperium sit.
Ab Urbe Condita, Praefatio
1- Qui est l’auteur du texte ? Rappelez le titre de son œuvre et son contenu.
2- Pour vous, quel est la mission d’un historien ?
3- Comment l’auteur traite-t-il dans son œuvre l’histoire des origines de Rome ? Citez le
texte pour justifier votre réponse.
4- Par quels mots est traduit fabulis (6) ? Quels mots français pouvez-vous rattacher à ce
mot latin ?
5- Quel dieu l’auteur désigne-t-il comme le fondateur de Rome ? Pourquoi ce choix à
votre avis ?
6- Comment l’historien justifie-t-il son recours aux fabulae pour faire de l’Histoire ?
LA MYTHOLOGIE ROMAINE
Lorsqu’on la compare à la mythologie grecque, on a souvent tendance à considérer que la
mythologie romaine est pauvre, dans la mesure elle se contente, à première vue,
d’assimiler, après les avoir renommées, les divinités hellénistiques.
Il existe pourtant une mythologie spécifiquement romaine. Elle ne s’exprime pas, comme
celle des Grecs, dans la cosmogonie
1
ou la théogonie
2
, mais prend pour sujet, ce qui est
parfaitement novateur, l’histoire romaine.
Les Romains composent ainsi des mythes nationaux pour raconter l’histoire des origines de
Rome, et c’est Tite-Live notamment, historien de son état, qui en rapporte les principales
légendes dans les deux premiers livres de son Ab Urbe Condita.
(6) Les faits qui ont précédé ou accompagné
la fondation de Rome se présentent embellis
par les fictions de la poésie, plutôt
qu'appuyés sur le témoignage irrécusable de
l'histoire : je ne veux pas plus les affirmer
que les contester. (7) On pardonne à
l'antiquité cette intervention des dieux dans
les choses humaines, qui imprime à la
naissance des villes un caractère plus
prestigieux. Or, s'il est permis à un peuple de
rendre son origine plus sacrée, en la
rapportant aux dieux, certes c'est au peuple
romain; et quand il veut faire du dieu Mars le
père du fondateur de Rome et le sien, sa
gloire dans les armes est assez grande pour
que l'univers le souffre, comme il a souffert
sa domination. (8) Au reste, qu'on rejette ou
qu'on accueille cette tradition, cela n'est pas à
mes yeux d'une grande importance. (9) Mais
ce qui importe, et doit occuper surtout
l'attention de chacun, c'est de connaître la vie
et les mœurs des premiers Romains, de
savoir quels sont les hommes, quels sont les
arts qui, dans la paix comme dans la guerre,
ont fondé notre puissance et l'ont agrandie
[…]
Histoire romaine, Préface, Tite-Live
(6) Quae ante conditam condendamue urbem
poeticis magis decora fabulis quam
incorruptis rerum gestarum monumentis
traduntur, ea nec adfirmare nec refellere in
animo est. (7) Datur haec venia antiquitati, ut
miscendo humana divinis primordia urbium
augstiora faciat; et si cui populo licere
oportet consecrare origines suas et ad deos
referre auctores: ea belli gloria est populo
Romano, ut, cum suum conditorisque sui
parentem Martem potissimum ferat, tam et
hoc gentes humanae patiantur aequuo animo,
quam imperium patiuntur. (8) Sed haec et his
similia, utcumque animadversa aut
existimata erunt, haud in magno equidem
ponam discrimine: (9) ad illa mihi pro se
quisque acriter intendat animum, quae vita,
qui mores fuerint, per quos viros quibusque
artibus domi militiaeque et partum et auctum
imperium sit.
Ab Urbe Condita, Praefatio
1
Ensemble de récits mythiques cherchant à expliquer l’origine et l’évolution de l’univers.
2
Récit mythologique de l’origine des dieux et de leur généalogie.
Pour nous, le travail de l’historien consiste à étudier le passé avec un souci de vérité. Tite-
Live, lui, ne cache pas qu’il embellit l’Histoire des origines de Rome en introduisant des
récits fabuleux (fabulae). Il justifie ainsi le glorieux destin de Rome et nourrit la fierté des
Romains qui se considère comme le peuple de Mars.
Il existe donc bien une mythologie romaine : elle est essentiellement nationale et
historique.
« Rome a eu sa mythologie, et cette mythologie nous est conservée. Seulement elle n'a jamais
été fantasmagorique ni cosmique : elle a été nationale et historique.
Tandis que la Grèce et l'Inde développaient en images grandioses ce qu'elles croyaient avoir
été la genèse et les temps du monde, les chaos et les créations, l'œuvre et les aventures des
dieux organisateurs du "Tout", Rome a prétendu simplement retracer, avec la simplicité de
procès-verbaux, ses propres débuts et ses propres périodes, sa fondation et ses progrès,
l'œuvre et les aventures des rois qui, croyait-elle, l'avaient successivement formée.
Mais ces récits, datés et situés dans une perspective proche, n'en étaient pas moins en grande
partie fictifs et hérités du temps Rome n'existait pas encore, et ils n'en remplissaient pas
moins le même rôle que, chez les Grecs et les Indiens, les récits prodigieux : ils justifiaient, ils
authentifiaient les rituels, les lois, les mœurs et toutes les composantes de la société romaine,
du caractère et de l'idéal romains; ils distrayaient aussi les fils de la louve (et il ne faut pas
négliger ce service des mythes), tout en les confirmant dans leur estime d'eux-mêmes et dans
une belle confiance en leurs destins.
Pratiquement, c'est dans les deux premiers livres de Tite-Live qu'il faut chercher l'équivalent
des théogonies et des cosmogonies d'autres peuples indo-européens. Ainsi lues, toutes ces
légendes royales reçoivent un surcroît d'intérêt. »
Horace et les Curiaces, Georges Dumézil, Gallimard, 1942
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