Conférence-débat de Malek Chebel : Islam et laïcité
20ème anniversaire de Convergence à La Source 25 novembre 2004, salle F. Pellicer
(Le texte ci-dessous a été revu avec M. Chebel)
De l’Andalousie à la laïcité
Il y a une dizaine d’années, lors du débat sur l’Andalousie, l’idée était déjà de dire que l’islam n’était
pas incompatible avec la pensée plurielle. Aujourd’hui c’est sur un autre chemin que nous nous
engageons, un chemin assez délicat car la question de la laïcité n’est pas une question facile. Je
l’aborde par différents angles, complémentaires et, pour certains, un peu contradictoires. Mais c’est
justement dans ce travail entre la contradiction qui existe entre ces différents angles que je vais vous
exposer, que se trouve le gisement d’idées nouvelles et de nouvelles perspectives.
La France, aujourd’hui, me semble-t-il, puisque je peux également parler de ce pays qui m’a adopté.
J’ai passé la moitié de ma vie (un demi siècle) en France, plus un an. À un moment donné, il y a un
déclic psychologique qui renvoie à l’identité, qui renvoie à son adhésion, qui renvoie à son
implantation, à toute cette mise scène individuelle voire anthropologique, dans la mesure où je perçois
mon individualité comme étant le produit d’un exil intellectuel, un exil voulu, je n’ai pas subi de
violence particulière sauf celle qui me poussait à aller quérir la science jusqu’aux limites de la Chine,
comme nous le disons facilement chez nous, et donc c’est à cette aune, dans cette perspective que je
m’inscris dans le schéma français.
À partir de ce moment là, parlant de la France, je dois dire que la France elle-même a été bousculée
par les questions que l’islam a amenées, que l’immigration musulmane a posées à ce pays depuis un
certain nombre d’années. Et l’un des problèmes, me semble-t-il, face à la laïcité que connaît la France,
c’est de se sentir poussé dans ses cordes pour pouvoir, pour devoir, redéfinir le concept de laïcité en
fonction de ce que les communautés allogènes demandent. Et l’idée, en effet, est que la laïcité est un
concept très vivant, très actif, très moderne, encore dynamique, qui a donné déjà énormément de
choses à la nation et qui, ayant un siècle maintenant, demande à être réévalué dans cette perspective.
Donc, de ce point de vue là, on peut dire que le concept de laïcité à la française doit être désormais
réévalué à la lumière des questionnements qu’il subit depuis quelque temps.
Les musulmans de France : un apport pour la République
Donc, si la laïcité est encore un phénomène vivant en France, c’est-à-dire un concept qui nous
interpelle et si elle n’est pas devenue une autre religion, et comme toutes les religions avec son dogme,
cela voudrait dire que la France est encore un pays interactif, lui-même prêt à appréhender la
modernité. C’est le même protocole qu’il faut aux français et à la France, de même qu’aux musulmans
de France et à l’islam de France. On est exactement dans deux logiques similaires qui me font dire que
globalement les musulmans de France, les musulmans en général, c’est un peu ma perspective, n’ont
pas à avoir honte de ce qu’ils sont. C’est le message que je leur donne. Ils n’ont même pas à avoir
honte de leur activité, de leur présence.
Globalement, depuis le début de l’histoire de l’immigration jusqu’à nos jours, les musulmans ou les
immigrés d’origine étrangère musulmane, maghrébine ou autre, ont été un apport positif pour la
France. Et la France doit le reconnaître. Je crois que les musulmans sont d’abord à cette quête de
comment et quand la France va reconnaître qu’ils sont plus un apport qu’un inconvénient ou un
handicap. Ce n’est peut-être pas diplomatique de dire cela, mais je trouve que les musulmans sont une
richesse supplémentaire à ce pays. D’abord, ils ne lui ont rien pris, ils ne lui ont rien coûté, et tout ce
qu’ils ont fait depuis le début jusqu’à nos jours, cela a été pour enrichir le tissu national, la diversité
linguistique, culturelle, humaine de ce pays, pour l’humaniser un peu plus et lui donner des éléments
de force, qui l’aident à se défendre dans le concert des nations.
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Donc, premier point, réglons ce problème et considérons l’immigration maghrébine ou la présence des
musulmans, pour parler islam et laïcité, est d’abord un apport.
La France, première puissance musulmane d’Europe
Deuxième point, plus récent. Je considère que même sur les problèmes de sécurité, qui ont l’air de
focaliser un certains nombre de craintes et d’inquiétudes en France, les musulmans ont été un
stabilisateur de premier plan. Le fait qu’il y ait des musulmans dans ce pays a permis de stabiliser et
d’alléger la charge sécuritaire sur la France. Et j’ai beau observer, méticuleusement, tous les jours, le
comportement des musulmans, collectivement et individuellement, depuis le 11 septembre, il n’y a pas
eu un seul incident de nature politique, de nature à être mis en relation avec un problème de sécurité
nationale. On a beau les suspecter de toutes les perversions ; on a beau dire que les musulmans ne sont
pas intégrés, qu’ils ne font pas partie du fait national français ; on les a « anathémisés », on les a mis
au ban de la société, jamais les musulmans n’ont répondu en se désolidarisant du fait national. Et
même le ministère de l’Intérieur l’admet : il n’y a pas un seul cas, venant de musulmans, qui pouvait
mettre en péril la sécurité du pays. Il y a eu Madrid et d’autres bavures en Belgique, en Allemagne, en
Angleterre, en France, je ne vois pas.
Et même quand il y a eu des évènements impliquant des musulmans qui avaient la nationalité
française, c’est au Maroc qu’ils ont commis leur forfait et pas en France. Et je trouve cela assez
spectaculaire car il ne faut pas oublier que la France doit aujourd’hui se considérer comme une
puissance musulmane et il faut qu’elle l’affirme, que dans sa politique étrangère, elle l’affirme aux
regards du monde entier et notamment ceux des pays arabes. Avec quatre millions et demi de
musulmans (chiffres du ministère de l’Intérieur), la France est à la 25ème position par rapport aux pays
de l’Organisation de la conférence islamique (OCI).
Nous sommes plus importants que quatre pays du Golfe réunis, nous sommes à la même hauteur qu’un
certain nombre de pays moyens du Proche Orient et il suffisait juste qu’on ait une seule instance
éditoriale, qui parle en notre nom, une seule instance morale ou religieuse pour décréter que les points
de vue, les avis juridiques des musulmans de France ont autorité de loi, d’abord dans ce pays et
également en Europe puisque la France, puissance musulmane, est le pays qui, en Europe et également
dans le monde non musulman, accueille le plus de musulmans. Tous ces éléments sont très importants.
La France ne veut pas prendre conscience de cela et pourtant elle le sait, car il semble que l’islam peut
être un frein, pour je ne sais quoi d’ailleurs.
Parce que les relations avec l’Europe ne peuvent pas pâtir de la présence des musulmans en France, au
contraire. Moi qui voyage dans l’ensemble des pays européens, je le vois dans tous les cas, en
Angleterre, en Belgique, au Luxembourg, en Suisse, où je suis régulièrement, notamment en Belgique
où je suis toutes les semaines pour mes cours à l’université. Et je discute avec les musulmans de
Belgique et également les autorités belges ; il y a des ministres d’origine marocaine dans le parlement
de Bruxelles. Je ne sais pas si vous avez lu un papier récent qui date d’hier ou d’avant-hier sur un
jeune turc de 34 ans qui est ministre de l’éducation et de la recherche scientifique en Suède. Il n’est
même pas né en Suède ; il est venu immigré. Ce ne sont que des exemples évidemment mais ils ont
une force symbolique très forte.
Aujourd’hui, en France, il semble que les autorités nationales aient pris conscience d’un retard assez
marqué de la non représentation, à la proportionnelle, de la population étrangère. Et il y a quelques
initiatives qui ont été prises, sous l’impulsion directe de la présidence de la République. Il semble que
des directives aient été données par Jacques Chirac lui-même d’essayer de chercher des personnalités
représentatives, dans une sorte de discrimination positive qui ne dit pas son nom, pour les aider à sortir
du lot et à investir un certain nombre de postes politiques de député, de sénateur ou ailleurs. Et on a
aujourd’hui quelques personnalités d’origine maghrébine qui arrivent encore, avec beaucoup de
circonlocutions, à affirmer leur identité maghrébine, arabe, tout en étant évidemment des républicains
parfaits. Beaucoup sont même nés ici.
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On est dans cette situation où, en effet, l’islam doit montrer patte blanche quelque part et montrer ses
bonnes intentions, face à une laïcité et à un système politique qui a mûri à son rythme, qui a eu tout un
siècle pour évoluer. Et je comprend les hésitations des uns et des autres à considérer que les
musulmans puissent être capables de s’intégrer à ce schéma là, qui est très évolutif, celui de la laïcité à
la française. Parce que celle-ci a été gagnée de haute lutte. Il ne faut pas oublier le traumatisme que
cela a constitué au début, vu que l’Église n’acceptait pas de se départir d’un pouvoir régalien qu’elle
avait sur, pas seulement les âmes, - aujourd’hui, on parle de pouvoir sur les âmes et il faut que la
personne qui a cette âme se présente devant vous pour que vous puissiez avoir un minimum de
puissance sur elle -, mais aussi sur les consciences, les directions morales, parfois les biens, et sur les
personnes. Elle avait un pouvoir absolu sur les gens. Et le combat de cette nation consistait à trouver
comment limiter le pouvoir de l’Église à son territoire spirituel. Et le Vatican n’a admis totalement le
fait accompli de la laïcité à la française qu’en 1946, c’est-à-dire après la guerre. Si nous avons fêté le
premier siècle de la laïcité, le Vatican va fêter seulement le cinquantenaire. C’est dire l’évolution
fantastique qu’il y a eu depuis le début.
Islam et laïcité
Et nous arrivons sur ce potentiel fabuleux qu’est le dispositif imaginé par les pères fondateurs de cette
laïcité avec une religion qui, elle, ne fait pas la séparation entre le politique et le spirituel. Dans son
histoire à elle, l’islam, religion monothéiste, prônant la vénération du même Dieu et ayant un prophète
qui reconnaît l’ensemble des prophètes qui l’ont précédé, n’a pas fait la séparation, autant parce que
peut-être par essence elle s’est forgée à partir de l’action d’un prophète (Mohamed) qui était aussi un
organisateur, un administrateur, un chef politique, un chef militaire et un guide spirituel. Par sa
personnalité même, il n’y avait pas place pour une diversité de postes de pouvoir. L’islam a toujours
été dans cette ligne là.
Les califes, à leur arrivée, se sont emparés des mêmes pouvoirs qu’avait le prophète. Il y a peut-être eu
là, en l’occurrence, une erreur stratégique qui nous a enfermé dans un schéma de pouvoir, unique et
sans changement depuis le début. Le prophète étant prophète, le calife n’est pas un prophète ; c’est un
être humain qui accompagne, conduit l’action du prophète après sa mort. Peut-être le problème que
nous avons eu depuis le début, jusqu’au XXe siècle et aujourd’hui, c’est que le calife a toujours été à la
fois le chef spirituel de la nation musulmane et le chef politique. À travers la personne du calife, on a
l’ensemble des facettes du pouvoir en Islam. D’où la difficulté que nous avons eue depuis le début à
distinguer les deux niveaux.
Ceci étant, aucun musulman aujourd’hui, de bonne foi, ne récuse l’idée que l’islam a toujours eu par
de vers lui, ou cultivé, une forme de laïcité concrète, au quotidien, une laïcité qui n’était pas théorisée
évidemment. Personne ne me croirait si je disais qu’il y avait un théoricien de la laïcité en islam au
VIIIe siècle ; sur l’amour courtois, oui, sur la vie sensuelle, sur la vie quotidienne, sur le raffinement,
oui. Sur les quatorze siècles et demi que compte maintenant l’islam, les musulmans ont vécu sept
siècles en Andalousie où la laïcité était pratiquement chez elle, plus deux siècles au moins chez les
abbassides, soit environ dix siècles durant lesquels les deux pouvoirs ont coexisté assez pacifiquement.
Si bien que toute une civilisation fondée sur le vivre ensemble, sur le raffinement des formes
interpersonnelles, sur le lien à l’autre, sur la présence de l’autre, sur le respect de cet autre, comme
faisant partie du dispositif global de l’islam, était admis et reconnu par tous.
En Andalousie, je me rappelle la formule d’un théologien qui, lorsque le muezzin appelait à la prière,
s’exclamait en disant : voyez-vous comme l’islam est devenu décadent puisqu’au moment où le
muezzin appelle à la prière, il y a encore des gens qui jouent au tric trac et qui ne quittent pas leur
divertissement pour aller prier. Déjà au XIe siècle, on trouvait que l’islam avait commencé à mourir de
sa belle mort parce qu’il y avait encore des gens qui, lorsqu’on appelle à la prière, préfèrent vénérer
leurs jeux et leurs divertissements profanes. Cette dualité là s’est toujours maintenue quels que soient
les régimes.
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Il y avait donc séparation de fait entre les deux pouvoirs et les deux dispositifs intellectuels, sans qu’il
y ait évidemment de discours d’établi. Mais, dans les faits, la société profane, la société des arts et des
lettres, la société des marchands et la société des politiques a toujours vécu séparément de la mosquée.
Il y a eu, évidemment, à des moments précis lors des grandes fêtes, des grandes cérémonies, une
fusion totale et le calife reprenait alors ses droits par rapport au religieux et devenait le chef spirituel.
Un peu comme cela a été le cas pour Hassan II. On ne peut dire qu’il ait été vraiment le
fondamentaliste qu’on nous décrit par ailleurs. Il est pourtant à la fois chef spirituel et chef politique
de la nation. Sur ce modèle là, l’islam a connu des cas tout à fait spectaculaires où il y avait
véritablement séparation des deux régimes.
La France a une histoire qui est très condensée sur un siècle. Finalement, la laïcité à la française est
très récente ; elle est encore toute jeune. Et c’est pourquoi d’ailleurs, elle est un peu inquiète de son
espace, de ses concepts, de son identité. Et je pense que dans de nombreux cas, elle n’est pas encore
tout à fait comprise par la population. Les gens vivent d’une manière laïque, républicaine,
démocratique, dans un espace de liberté et de respect de l’autre. Mais quand on leur dit : est-ce que
savez que vos arrières grands parents ne vivaient pas sous ce régime là ; ils n’avaient pas accès à tous
les avantages que permet la république d’aujourd’hui. Inquiète de ce qu’elle est, elle est toujours
frileuse quand quelqu’un de l’extérieur vient et la titille avec des concepts nouveaux.
Sauf que, je suis de ceux qui disent, au nom des musulmans, que l’islam n’est pas un danger pour la
laïcité. Si l’islam est un danger, il l’est déjà pour lui-même, parce que si les musulmans veulent faire
l’audit de ce que l’islam connaît, apporte ou n’apporte pas, c’est d’abord par rapport à eux-mêmes, par
rapport à leur définition de ce qu’ils sont en tant que musulmans. Or quand on regarde l’échiquier
musulman, on sait qu’il y a des éléments qui sont absolument incontournables, communs à toutes les
confréries, toutes les tendances, toutes les sensibilités de l’islam. Mais, au-delà, au niveau des
pratiques collectives ou individuelles, du rapport à l’autre, il y a un certain nombre de différences qui
vont s’exprimer au niveau doctrinal.
L’islam, une religion pacifique ?
Et c’est souvent ce niveau doctrinal qui est pris comme prétexte par un certain nombre de gens pour
montrer ou la fusion totale, une perspective « unitariste » mais non intellectuelle, ou la diversité totale.
Du coup, on voit des gens qui vous disent : les chiites et les sunnites ce n’est pas la même chose : oui,
comme l’iranien et l’arabe ce n’est pas la même chose. D’autres disent aussi qu’à l’intérieur des
chiites, il y a différentes catégories, bien sûr. Mais tous se reconnaissent sur quelques points
essentiels : l’unicité de Dieu, la prophétie du Prophète, la sainteté du Coran et le caractère absolument
inviolable de la foi humaine.
Ces quatre points, si certains m’ont lu, ils savent que je ne les touche jamais. Je ne touche ni à Dieu, ni
au Prophète, ni au Coran. Quant-à la foi de chacun, c’est son espace intime ; je n’ai pas le droit de m’y
insérer ou d’inférer sur cette foi intime. C’est le respect, basique, que je dois à l’altérité, à la différence
qu’on a les uns par rapport aux autres. Et c’est pourquoi, je dis aux musulmans : 1) qu’ils n’ont pas à
avoir honte de ce qu’ils sont, 2) qu’ils ont l’obligation désormais de dire que la religion est leur
religion à titre individuel. Il faut qu’ils s’approprient l’islam d’une manière individuelle, sans vouloir
l’imposer à qui que ce soit.
D’où les deux tendances. D’abord, ceux qui considèrent que l’islam est la règle commune, la règle de
vie de demain pour l’ensemble de la planète. Et il faut que l’ensemble de la planète soit musulmane
avant qu’elle n’obtienne le minimum de sécurité et de paix qu’elle escompte.
Et la 2ème tendance qui considère que l’islam dispose déjà suffisamment d’espaces, souvent désertiques
ou semi-désertiques (et quand ils ne le sont pas, on pousse les gens à les quitter, notamment les
intellectuels, les artistes, les femmes, les jeunes, et même les jeunes ouvriers qui ne trouvent pas de
travail car une minorité accapare les richesses et il n’y a pas de redistribution et de fixation des
populations), et a suffisamment de population (un milliard deux cents millions sur la planète), pour
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qu’il y ait de quoi islamiser à l’intérieur de l’islam. Et la plupart de ces gens sont musulmans un peu
formellement et il reste beaucoup à faire pour faire prendre conscience aux musulmans, dans les terres
musulmanes, de la vivacité, de la profondeur de la spiritualité de leur propre religion. S’il y a une terre
de djihad, une terre d’islamisation, s’il y a une croisade à mener, c’est la croisade contre l’ignorance,
islamiser l’islam et redonner aux musulmans un minimum de vertus humanistes et universalistes pour
que leur religion, si elle n’est pas « universalisable » dans l’immédiat, qu’elle soit un peu plus
comprise, un peu moins redoutée comme étant une religion de croisade et de mort.
Rien ne me peine plus que d’entendre quelqu’un me dire que l’islam est une religion guerrière, fondée
sur le rapport de force et uniquement sur la guerre sainte et la djihad. Déjà dans l’histoire de l’islam, il
y a un siècle de djihad pure, le premier siècle de l’Islam, du VIIe au VIIIe siècle. À partir de 750, il n’y
a pas eu une seule mort au nom de l’Islam, commise par les musulmans pour asseoir leur religion. À
partir du moment où l’Andalousie était devenue un espace des musulmans, il n’y a plus eu de guerre
sainte. Je conteste donc la validité de toute guerre au nom de Dieu, après le VIIIe siècle. La guerre
sainte proprement dite, pour imposer l’islam par la violence et un combat meurtrier, ce n’était valable
qu’au premier siècle. Le reste, c’est la deuxième prédication.
Toute l’Asie musulmane, par exemple, a été convertie à l’Islam, sans qu’il y ait jamais un sabre tiré de
son fourreau. Toute l’Asie musulmane, c’est-à-dire les 8/10èmes des musulmans, en nombre, à l’est de
l’Iran. L’Iran, lui, a été islamisé par la force, au temps des califes. L’Inde, le Pakistan, la Malaisie, etc.
ont été islamisés par la conviction interne, par un travail de maillage sur plusieurs siècles, de
cohabitation pacifique. Sociologiquement, cet exemple là suffit à lui seul pour clouer le bec à tous
ceux qui pensent que l’islam est une religion de guerre, de mort et de violence. Statistiquement
parlant, la plupart des musulmans sont devenus musulmans sans qu’ils aient eu à subir la moindre
pression de qui que ce soit, ni à être soumis comme ennemis, ni à être violentés, ni à être persécutés.
Ce qui a été islamisé par la force, c’est l’Iran, le Proche Orient et le Maghreb.
Une clef, l’apprentissage des langues des musulmans
Depuis 1492, les musulmans ont reflué des terres européennes, où ils étaient présents dès le VIIIe
siècle après Jésus-Christ, en grand nombre et sur 7 siècles : Portugal, Espagne, sud de la France, Italie,
Balkans. Et ils étaient maîtres sur ces terres. Il faut considérer cette perspective historique à la manière
de Fernand Braudel, pas à la manière d’un historien étriqué ou de certains, en France, qui considèrent
que l’islam est une religion indigente, faite pour des indigents, ce qui justifie que des spécialistes
indigents parlent d’elle. J’ai physiquement rencontré des personnes ayant un DEA et se disant
spécialistes de l’Iraq ou de l’Afghanistan, en n’y ayant jamais mis les pieds. Ils ne comprenaient
évidemment ni le pachtou, l’urdu ou l’afgani, ni l’arabe, ou le persan.
La première condition pour être spécialiste de quoi que ce soit, c’est de pouvoir communiquer, de
connaître la langue. Aujourd’hui, en France, on peut être spécialiste, avec même une étiquette et des
fonds publics, sans connaître la langue d’un pays. Je suis, depuis peu, expert auprès de la Commission
européenne pour les questions de culture, notamment la culture euro-méditerranéenne. Récemment,
lors d’une intervention à la fondation Ana Lindt, j’ai dit à tous les spécialistes présents, eux de culture
européenne, que nous (arabes) avions gagné la première mi-temps en apprenant vos langues (anglais,
français, néerlandais, etc.) et qu’il leur restait à eux, en tant que spécialistes de renommée
internationale, à apprendre l’arabe, le persan, l’hébreu, le kabyle. Pratiquement personne n’y avait
pensé. Et je leur ai dit, voilà le programme que nous devrons maintenant proposer. Voilà où l’islam
peut être créatif : il peut proposer à toute l’Europe de l’aider à apprendre l’arabe. Ce qui permettra,
déjà, d’avoir des nuances en deux langues et, par ce seul fait, d’avoir une avance sur les semeurs de
guerre et de haine.
En disant à mes camarades européens, certains venant des pays du Nord, qu’il faut apprendre l’arabe,
c’est un ancien monde qui tombe et un nouveau qui se lève. Ce sont des horizons qui s’ouvrent à vous,
400 millions de gens que vous allez pouvoir travailler au corps à corps, dans leur langue. Et peut-être
même un jour lire leurs textes sacrés : le Coran lu, non pas dans des traductions biseautées et
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