MARIE DE LA PASSION

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MARIE DE LA PASSION
EN FACE DE SON
SIECLE
Il est nécessaire de replacer Marie de la Passion dans son contexte historique:



pour comprendre ses écrits: allusions aux événements de son temps, vocabulaire
de son temps;
pour mieux connaître sa personnalité, influencée par la mentalité, les conceptions
religieuses de son temps;
pour mieux comprendre aussi les situations actuelles: l'histoire, tout en évoluant,
se répète et les attitudes de Marie de la Passion peuvent encore aujourd'hui
inspirer nos attitudes et nos réactions.
Nous étudions ce contexte sous trois aspects:



Enracinement social et ecclésial de Marie de la Passion
Les grands axes de la spiritualité du XIXème siècle
La vie spirituelle opérant dans l'Eglise.
I - ENRACINEMENT SOCIAL ET ECCLESIAL
DE MARIE DE LA PASSION
Coup d'oeil général sur le XIXème siècle
Siècle d'évolution rapide préparant la grande mutation culturelle de notre
siècle: de la culture classique, statique, normative à la culture moderne, subjective,
pluraliste, toujours en évolution. Le XIXème siècle appartient encore à la culture
classique, mais déjà il y a des indices d'une transformation, préparée par le
développement technique, qui engendre une évolution socio-économique.
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Développement technique

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Invention de la machine à vapeur (1769), suivie de multiples applications
pratiques.
Electricité, photographie, téléphone.
Progrès de la médecine et de la chirurgie: vaccination, opérations.
Evolution socio-économique, conséquence de ce progrès technique

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
La grande industrie substituant le travail artisanal
Le développement des villes où se concentre l'industrie; faubourgs ouvriers, foyers
de misère à la périphérie.
Apparition du capitalisme, puissance anonyme de l'argent aboutissant à
l'exploitation du faible ; naissance du prolétariat, "esclavage de la machine".
Développement des moyens de communication permettant les échanges culturels.
Conséquences de cette évolution:
positives:
développement des relations sociales, ouverture aux autres, sens ecclésial et
missionnaire.
négatives:
- orgueil de l'homme; devenu moins dépendant des lois de la nature, il pense
pouvoir se passer de Dieu;
- déstabilisation par la perte de la protection du milieu naturel, l'anonymat des villes
et des grandes usines.
- déséquilibre dû à l'exploitation abusive de la nature et de l'homme: en notre siècle
on commence à se rendre compte de ce déséquilibre (écologie).
Cette évolution va conduire à d'importants bouleversements politiques et
contribuer à la naissance de courants de pensée qui préparent ceux du XXème
siècle.
Les grandes étapes historiques du XIXème siècle
On peut distinguer cinq étapes, en remontant quelques années avant 1800 jusqu'au
grand événement de la Révolution française qui a influencé tout le siècle. Les
deux premières étapes n'ont pas été vécues directement par Marie de la Passion,
mais elle a été marquée par ce qu'ont vécu ses parents et grand-parents, les adultes
de son entourage d'enfance; il est donc utile d'en parler brièvement.
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Ces étapes sont les suivantes:
-
1789 - 1815 :
1815 - 1830 :
1830 - 1848 :
1848 - 1871 :
1871 - 1904 :
Charnière du siècle
Contre-révolution manquée
Vers un monde nouveau
Réactions et luttes
Conflits et ouverture.
1789 - 1815 : CHARNIERE DU SIECLE
La Société
La Révolution française (1789-1799):
Soutenue au début par le bas clergé, elle est dirigée contre les privilèges de
l'Eglise, non contre l'Eglise. Mais bientôt évolue contre l'Eglise.
En 1789:
Déclaration des droits de l'homme - abolition des privilèges.
En 1790:
Constitution civile du clergé, qui met l'Eglise de France sous le contrôle de l'Etat;
résistance d'une grande partie du clergé; condamnation de cette constitution par
Pie VI.
En conséquence, guerre civile en Vendée et en Bretagne (les Chouans),
massacres et persécution religieuse. La grande "Terreur" en 1793.
La Révolution entre en guerre contre les Etats d'Europe; devient bientôt
victorieuse et propage en Europe les idées révolutionnaires.
Consulat et Empire (1799 - 1815) :
Napoléon Bonaparte prend le pouvoir en 1799; veut l'ordre et la réconciliation
nationale: retour de nombreux émigrés; rétablissement du culte catholique.
Napoléon est couronné empereur par le Pape en 1804, gouverne despotiquement, mais
conserve les principes de la Révolution.
L'Empire est marqué par des guerres continuelles et par les victoires de
Napoléon, qui conquiert une partie de l'Europe, mais à partir de la campagne de
Russie (1812), commencent les défaites, l'invasion de la France et, en 1814, la chute
de Napoléon, puis, après un bref retour en 1815, son exil à l'île Sainte-Hélène.
L'Eglise
Elle semble anéantie par la Révolution: Pie VI meurt en exil en France en
1799. Cependant elle survit et se purifie.
Pie VII (1800-1823), conciliant et ferme à la fois, secondé par un Secrétaire
d'Etat éminent, le cardinal Consalvi, négocie avec Napoléon le Concordat qui rend à
la France la paix religieuse, malgré ses tendances gallicanes.
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Plus tard, Napoléon entre en conflit avec Pie VII pour des questions politiques,
non idéologiques. Le Pape, qui défend courageusement l'indépendance spirituelle de
l'Eglise, est fait prisonnier. Les évêques de France refusent de se séparer du SaintSiège et la chute de Napoléon rend la liberté à Pie VII, dont le courage relève le
prestige de l'Eglise.
En résumé : L'autorité est remise en question, l'Eglise est ruinée matériellement,
mais montre sa vitalité spirituelle.
Marie de la Passion
Les familles de Chappotin et du Fort sont en exil pendant la Révolution.
Charles de Chappotin, son père, naît à Cuba en 1799, Sophie du Fort, sa mère, naît à
Nantes en 1803.
1815 - 1830 : CONTRE-REVOLUTION MANQUEE
La Société
Restauration monarchique en France: règnes de Louis XVIII, puis de Charles
X, frères de Louis XVI; les ultra-royalistes sont au pouvoir; mesures favorables à
l'Eglise, mais pas toujours opportunes (loi contre les sacrilèges).
Réaction des libéraux: en 1830 Charles X part en exil après une révolution non
sanglante.
En Europe, la "Sainte Alliance" (Russie, Prusse, Autriche), sous le couvert
d'une vague religiosité, veut dominer l'Europe et étouffer l'aspiration à la liberté: en
conséquence, naissent des révoltes et révolutions (Belgique, Pologne).
Les colonies espagnoles de l'Amérique du Sud s'émancipent durant cette
période.
L'Eglise
Fin du Pontificat de Pie VII; brefs pontificats de Léon XII (1823-1829) et Pie
VIII (1829-1830), Papes âgés et malades.
En résumé : l'Eglise cherche avec difficulté l'équilibre d'une position délicate
entre la réaction conservatrice et le libéralisme.
Marie de la Passion:
Mariage de ses parents en 1827.
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1830 - 1848 : VERS UN MONDE NOUVEAU
La Société
En France, monarchie constitutionnelle de Louis-Philippe, cousin du roi
légitime; considéré comme un usurpateur par la plus grande partie de la noblesse, il
s'appuie sur la bourgeoisie, généralement anticléricale.
Réaction contre l'Eglise, trop liée au régime précédent. Les catholiques
libéraux luttent pour les libertés politiques et sociales et rapprochent l'Eglise du
peuple.
C'est aussi une période d'expansion coloniale et de progrès techniques.
Montée du socialisme et du matérialisme.
En 1832 Mazzini fonde une Association pour promouvoir l'unité italienne.
L'Eglise
Pontificat de Grégoire XVI, Pape pieux, mais conservateur (1831-1846). Il
publie l'encyclique "Mirari nos" contre le libéralisme. Lamennais, chef des
catholiques libéraux se sépare de l'Eglise.
Début du Pontificat de Pie IX (1846-1878); il montre des tendances libérales
et est accueilli avec enthousiasme; mais une tentative de réforme dans les Etats de
l'Eglise échoue et Pie IX est débordé par la révolution. Garibaldi s'empare de Rome et
Pie IX part en exil à Gaète.
En résumé, l'Eglise reste sur la défensive en face du progrès - échec d'un essai de
libéralisme.
Marie de la Passion
Naissance en 1839.
1848 - 1871 : REACTIONS ET LUTTES
La Société
En France, IIème République (1848-1852), plutôt favorable à l'Eglise: c'est le
résultat de l'action des catholiques libéraux. Les troupes françaises combattent pour
rendre Rome au Pape.
En juin 1848, émeutes sociales à Paris, provoquant une réaction vers le
principe d'autorité et le conservatisme social.
La même année, insurrections en Autriche-Hongrie, Allemagne, Italie.
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IIème Empire (1852-1870):
Le prince Louis-Napoléon devient empereur sous le nom de Napoléon III.
Les catholiques se rallient en majorité à l'Empire qui semble garantir l'ordre,
mais restent divisés dans leurs convictions politiques et sociales.
Evolution de l'Empire vers le libéralisme, mais aussi vers l'anticléricalisme,
car la question du pouvoir temporel du Pape oppose les catholiques à l'empereur.
Luttes nationalistes en Europe, particulièrement en Italie - profonde
transformation du monde. Prospérité économique en France, mais misère des ouvriers
exploités.
1870: guerre franco-prussienne, défaite de la France et chute de l'Empire.
1871: La misère des ouvriers provoque une révolte populaire: la Commune de
Paris est écrasée par les troupes gouvernementales; la répression est très dure et les
catholiques paraissent compromis avec le parti de l'ordre.
L'Eglise
Réaction antilibérale de Pie IX après son retour à Rome, au point de vue
politique (gouvernement des Etats Pontificaux) et religieux (Syllabus en 1864).
Cependant son prestige grandit comme chef spirituel.
1860: défaite des troupes pontificales à Castelfidardo.
1870: Concile Vatican I - dogme de l'infaillibilité pontificale.
22 septembre 1870: prise de Rome par l'Italie; Pie IX se considère comme
"prisonnier" - ainsi se crée la "question romaine", résolue seulement en 1929.
En résumé, l'Eglise apparaît en opposition avec le courant d'évolution du monde,
mais grandit spirituellement en proportion du déclin de son pouvoir temporel.
Marie de la Passion
1849: mort de Joseph du Fort dans les combats qui rendent Rome au Pape.
1860: entrée chez les Clarisses.
1861: appel à s'offrir en victime.
1864: entrée dans la Société de Marie Réparatrice.
1865: départ pour l'Inde.
1871 - 1904 : CONFLITS ET OUVERTURE
La Société
En France, IIIème République (1871-1940).
D'abord conservatrice et catholique (voeu national pour l'érection de la
basilique du Sacré-Coeur de Montmartre), après l'échec de la restauration
monarchique, elle évolue vers l'anticléricalisme sous l'action de la Franc-maçonnerie.
En 1880, puis 1901, lois contre les congrégations religieuses.
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En 1904, rupture des relations diplomatiques de la France avec le Saint Siège.
Initiatives sociales des catholiques, mais ils restent désunis.
L'Eglise
Dernières années de Pie IX: il pressent la nécessité d'un changement, mais son
grand âge maintient la stagnation.
Léon XIII (1878-1903), Pape de grande intelligence, ouvert et clairvoyant, lui
succède. Il encourage un renouveau intellectuel: études thomistes, début de l'exégèse.
Il donne naissance à la doctrine sociale de l'Eglise par l'encyclique "Rerum Novarum"
(1891), encourage les catholiques français à se rallier à la République (1892).
Début du pontificat de Pie X (1903-1914), qui promeut un renouveau spirituel,
mais la crise moderniste va amener une réaction conservatrice à l'égard des recherches
théologiques et bibliques.
En résumé, l'Eglise s'ouvre prudemment au monde moderne .
Marie de la Passion
C'est l'époque de son activité de fondatrice :
1877: fondation de l'Institut.
1882: rédaction des Constitutions, fondation à Rome, entrée dans le Tiers-Ordre
franciscain.
1885: première approbation des Constitutions.
1896: approbation définitive des Constitutions.
Courants de pensée du XIXème siècle
L'HUMANISME ATHEE: L'homme dieu à la place de Dieu. C'est le grand
"drame" du siècle (P. de Lubac).



Rationalisme scientifique : de l'idole Raison à l'idole Science.
critique historique: vise à détruire la Révélation (Strauss, Renan)
matérialisme historique, rejetant l'idée d'un Dieu créateur et lui opposant
l'évolution
Positivisme: n'est vrai que ce qui peut se vérifier par l'expérience (Auguste
Comte)
Socialisme: au début idéaliste et utopique; rejette l'Eglise, mais n'est pas athée;
admire la personne humaine de Jésus et l'Evangile.
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
Marxisme (Karl Marx): se base sur la philosophie du matérialisme dialectique;
seule la matière existe, la religion est une aliénation.
Peu à peu le marxisme absorbe les autres socialismes.
L'HUMANISME CHRETIEN (Chateaubriand, Lamennais, Lacordaire)
Il est influencé par le courant du romantisme: religion du sentiment;
expérience du coeur plus que de la raison - optimisme, philosophie chrétienne
de l'Histoire.
Manque de culture scientifique au début du siècle; effort de renouveau ensuite.
LIBERALISME ET LAICISME
Deux courants d'idées qui ne sont pas en eux-mêmes antireligieux, mais au
XIXème siècle sont souvent dirigés contre l'Eglise.
Libéralisme: propagé par la Révolution française, il revendique la liberté sous tous
ses aspects:
- liberté de l'homme dans l'Etat (démocratie, liberté de conscience, liberté de
presse);
- liberté des peuples de disposer d'eux-mêmes; mais contradiction du colonialisme;
- liberté sociale (égalité de tous, abolition des privilèges, mais oubli des droits de la
femme).
Ce courant est en lui-même légitime, mais, dans le contexte de l'époque, il est
souvent dirigé contre l'autorité de l'Eglise. Il existe un mouvement libéral chrétien
(Lamennais, Lacordaire, Montalembert), qui reste suspect et sera condamné par
Grégoire XVI.
En réalité, le terme "libéralisme" peut avoir divers sens: rejet de toute loi
divine, de toute autorité, exaltation abusive de l'individualisme, déviations conduisant
au despotisme sous prétexte de liberté (massacres de la Révolution française) Contradiction aussi du libéralisme économique qui exploite le plus faible.
D'où les mises en garde de l'Eglise.
Cependant la juste notion de liberté mûrit peu à peu et aboutira, lors du
Concile Vatican II, au Décret sur la liberté religieuse.
Laïcisme: en soi, c'est la séparation des domaines spirituels et temporels,
ecclésiastiques et profanes.
Il est légitime dans une certaine mesure: l'Eglise au Moyen-Age avait dû, par
suite de la carence des autres pouvoirs, absorber des tâches temporelles (éducation,
assistance sociale, défense de la cité); mais ces services étaient devenus un "pouvoir".
Il y a aussi une conception abusive du laïcisme: refus à l'Eglise d'intervenir
dans des aspects de la vie sociale qui touchent au domaine religieux (éducation,
famille).
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- Aspects positifs du laïcisme: indépendance et liberté de l'Eglise; plus grande
authenticité de la foi.
- Aspects négatifs: négation des droits de Dieu dans le domaine social.
En France, le mot laïcisme avait pris souvent ce sens négatif, du fait de la
franc-maçonnerie athée alors au pouvoir. Actuellement, on parle plutôt de laïcité,
redécouverte dans son sens positif. Dans une déclaration du 13 novembre 1945, les
évêques de France déclarent que: "la souveraine autonomie de l'Etat dans son
domaine de l'ordre temporel... est pleinement conforme à la doctrine de l'Eglise".
En résumé, l'Eglise au XIXème siècle se trouve affrontée à trois défis principaux:
- un défi politique: soif de liberté, progrès de la démocratie;
- un défi social:
la question ouvrière, résultant de l'industrialisation;
- un défi spirituel: la proposition de la foi en face de la science moderne.
Les catholiques éclairés, et en particulier Léon XIII, ont commencé à relever
ces défis des "signes des temps". Vatican II continuera cette tâche.
CONCLUSION : Marie de la Passion en marche avec son temps
SON TEMPS
Un siècle n'est pas un point, c'est un mouvement. La période d'activité de
Marie de la Passion comme fondatrice est le dernier quart du siècle, très différente du
début; aube du XXème siècle, elle est très dynamique.
Marie de la Passion a été marquée par les événements des premières périodes
du siècle, mais elle sent très bien l'évolution. Sa propre vie n'est pas statique, mais est
en marche sous l'action de l'Esprit.
ENRACINEMENT ET OUVERTURE
Elle est à la fois enracinée dans le passé et ouverte à un souffle nouveau
- Par son hérédité: la Bretagne est une terre de fidélité, de traditions; sa famille est
fière de son passé d'honneur et de fidélité. Mais la Bretagne est aussi ouverte sur le
large, terre de marins, de missionnaires; Nantes est un port ouvert sur l'Amérique, où
Charles de Chappotin est né et a fait ses études.
- Par sa personnalité: Elle est très attachée aux traditions, surtout à celles de l'Eglise.
Mais elle est observatrice, attentive aux signes des temps, et surtout docile aux
inspirations de l'Esprit.
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- Par sa mission: Fondatrice, elle est enracinée dans l'Eglise de son temps, en suit les
directives, ressent ses souffrances. Missionnaire, elle est attentive au monde, ouverte
à des mentalités et cultures diverses.
SES ATTITUDES
On en discerne trois principales:
- lucidité, recherche objective de la vérité;
- équilibre et réalisme;
- courage et initiative; son équilibre n'est pas médiocrité.
Mais ces attitudes psychologiques jaillissent plus profondément de son amour
de la vérité et de la charité qu'elle contemple en Dieu. Elle écrit:
"J'ai voulu qu'on cherche la vérité et qu'on pratique la charité,
c'est toute ma politique et je n'en veux pas d'autre."
Ces attitudes se manifestent face à l'évolution du monde et de l'Eglise.
Face à l'évolution du monde:
- Marie de la Passion peut sembler parfois pessimiste, elle parle souvent de
"temps mauvais", "malheureux"; en fait, elle est lucide, pressent un déséquilibre à
côté du progrès. Elle est en réalité optimiste, parce qu'elle veut agir, cherche les
signes d'espérance, travaille pour un renouveau.
- Elle s'intéresse au monde, en particulier à la jeunesse ouvrière ou
intellectuelle, force de l'avenir, à la femme. Si elle est , selon la mentalité de son
temps, pour la femme au foyer, elle comprend l'importance du rôle de la femme dans
la société et dans l'Eglise, encourage le sociologue Decurtins dans ses travaux sur le
féminisme.
- Elle s'intéresse au progrès, l'apprécie, utilise les innovations techniques, voit
dans ces progrès techniques favorisant la communication, un moyen d'unité dont
devraient profiter les Ordres religieux (lettre au Père Raphaël, 26-8-1897).
- Dans la vie politique, Marie de la Passion dépasse les convictions rigides de
son milieu royaliste. L'amour pour l'Eglise domine tout, même son amour pour le roi.
Elle accepte le ralliement loyal à la République auquel invite Léon XIII en 1892,
reproche à son milieu d'origine, l'aristocratie, son attitude rigide qui l'empêche de se
soumettre aux directives du Pape.
Pratiquement, elle accepte de collaborer avec le gouvernement républicain
pour la fondation de Madagascar et, pour obtenir l'approbation civile de l'Institut,
entre en rapport avec des ministres anticléricaux (Waldeck-Rousseau), qui admirent
sa largeur de vue.
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- C'est surtout dans sa conception de l'action sociale que Marie de la Passion
montre sa compréhension des signes des temps, collaborant avec les promoteurs de
cette action en divers pays, travaillant à la promotion de la jeunesse ouvrière par des
ateliers et des écoles professionnelles.
Il en sera question d'une manière plus détaillée quand on parlera de l'action
missionnaire de Marie de la Passion., comme fondatrice.
Face à l'Eglise de son temps:
Marie de la Passion a la mentalité de son temps; elle est très attachée à la
hiérarchie (conception pyramidale de l'Eglise), déplore la perte du pouvoir temporel
du Pape, considéré comme "prisonnier". Son offrande pour le Pape se fait dans ce
contexte.
Cependant elle voit avec clairvoyance les déficiences de l'Eglise de son temps
et aspire à un renouveau évangélique de la vérité , de la charité, de la justice dans
l'Eglise. En 1882-1883, elle se demande si l'heure est venue pour la liberté du Pape: il
faut d'abord libérer "les vertus évangéliques prisonnières". Elle désire toujours cette
liberté du Pape, mais dans un sens plus spirituel.
Dans sa conception de l'Eglise, elle est à la fois très fidèle et très libre, comme
Catherine de Sienne.
En résumé, on peut dire que :
Marie de la Passion est de son temps, mais non enfermée dans son temps.
Elle avance avec son temps,
choisit le meilleur de son temps (relations, spiritualité),
devance son temps par certaines intuitions,
regarde lucidement son temps avec ses tendances positives et négatives.
Comme François, elle est de son temps et le dépasse par le retour à l'Evangile,
toujours nouveau, toujours actuel: "Je suis de l'Evangile", affirme-t-elle.
Consciente de vivre un temps de transition, elle nous donne comme modèle
pour vivre cette transition la Vierge Marie qui a vécu la plus grande transition: de
l'Ancien au Nouveau Testament.
"Le temps où vivait la Sainte Vierge était un temps de transition comme le nôtre...
Elle est l'élue de la réconciliation".
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II - LES GRANDS AXES DE LA SPIRITUALITE
"... au coeur du donjon, brillant plus fort
au vent de la tempête, la flamme éternelle."
Caractéristiques générales
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



Renouveau croissant, partant de la base plutôt que de la hiérarchie.
Peu de progrès doctrinal, mais langage nouveau (symboles, lyrisme).
Religion de sentiment, d'où parfois déviation dans la mièvrerie.
Dynamisme de l'action, mais non activisme.
Vie intérieure intense, floraison de sainteté.
Développement du sens social, ecclésial, mais forme encore individualiste de la
piété.
Les Sources spirituelles du XIXème siècle
LA BIBLE
- Nombreuses éditions et traductions au XIXème siècle; on lit surtout les
livres sapientiaux, les Psaumes, le Nouveau Testament.
- Un renouveau biblique s'amorce dès avant 1870 pour répondre aux attaques
de la critique historique. Le mouvement s'intensifie sous Léon XIII, favorisé par la
création des Universités catholiques et suscite des travaux sérieux (Dictionnaire de la
Bible de Vigouroux).
- Développement de l'exégèse catholique avec l'Ecole biblique de Jérusalem,
fondée par le Père Lagrange en 1890 - L'encyclique Providentissimus Deus de Léon
XIII (1893) encourage les recherches - En 1902, création de la Commission biblique.
LA PATRISTIQUE ET LES DOCTEURS DE L'EGLISE
-
Edition critique de tous les Pères grecs et latins par l'abbé Migne: oeuvre
monumentale et toujours actuelle - nombreuses traductions, en particulier
de St Augustin et St Bernard. Parmi les Docteurs, St Bonaventure et
surtout St François de Sales sont très appréciés.
LES MYSTIQUES
- L'Imitation de Jésus-Christ, dont l'auteur est discuté, mais appartient à l'école
mystique rhéno-flamande, est une source importante de la spiritualité du XIXème
siècle.
- Les mystiques espagnols (Ste Thérèse d'Avila, St Jean de la Croix) sont aussi
traduits en français et très appréciés.
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L'ECOLE FRANCAISE DU XVIIème SIECLE
Elle se rattache au cardinal de Bérulle et a pour représentants St Jean Eudes,
Olier; a influencé aussi St Vincent de Paul, Bossuet et autres.
Doctrine christologique: considère le Sacerdoce du Verbe incarné, adorateur
du Père, et notre union à Lui par le sacerdoce baptismal. On y trouve le fondement de
la spiritualité victimale, dont il sera parlé dans la suite.
Cette école spirituelle a eu une influence notable au XIXème siècle et une
influence certaine sur Marie de la Passion.
L'HAGIOGRAPHIE
Les vies des saints sont très lues au XIXème siècle. Les Bollandistes, jésuites
hollandais, continuent leurs études visant à une meilleure critique historique des
légendes des saints. Marie de la Passion utilise leurs ouvrages.
AUTEURS SPIRITUELS DU XVIIIème SIECLE
Saint Alphonse de Liguori, traduit et lu, contribue à développer une piété
plus chaude, plus concrète. Son influence tempère la morale rigoriste, fruit du
Jansénisme.
St Louis-Marie Grignion de Montfort, dont le "Traité de la vraie dévotion à
la Sainte Vierge" est publié seulement au XIXème siècle, influence le développement
de la piété mariale.
AUTEURS CONTEMPORAINS DE MARIE DE LA PASSION
Sylvain-Marie GIRAUD, missionnaire de la Salette (+ 1885), considéré
comme "un des plus grands spirituels des temps modernes". Ses oeuvres principales
sont: "De l'union à N.S. Jésus-Christ dans sa vie de victime" (1873), "De l'esprit et de
la vie de sacrifice dans l'état religieux" (1870). Il était très apprécié et recommandé
par Marie de la Passion et il sera question de sa doctrine spirituelle à propos de la
vocation victimale dans les grandes orientations spirituelles du siècle.
Mgr Charles GAY (+ 1892), avec qui Marie de la Passion fut en rapport. Son
oeuvre principale: "De la vie et des vertus chrétiennes considérées dans l'état
religieux" (1874) eut un grand retentissement. Sa doctrine est que la morale jaillit des
profondeurs du dogme, les vertus sont l'épanouissement de la vie divine en nous et
l'union à Jésus est l'essence de la sainteté.
Prosper GUERANGER, abbé de Solesmes (+1875), qui a contribué au
renouveau de la Liturgie par son ouvrage "L'Année liturgique", utilisé par Marie de la
Passion pour composer ses Méditations liturgiques à l'usage de l'Institut.
FABER, oratorien anglais (+ 1863), dont les ouvrages traduits en français:
"Tout pour Jésus", "Bethléem", "Au pied de la Croix" favorisent le développement
de dévotions concrètes.
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Marie de la Passion a puisé à ces diverses sources spirituelles. Il est difficile de
préciser l'influence sur elle de chacune. Elle n'en a pas reçu son charisme, mais a
pu y trouver une inspiration pour le formuler. Ces divers auteurs sont témoins du
courant spirituel de son temps.
Les orientations spirituelles du XIXème siècle
Ce siècle est noté comme un siècle de dévotions. Ce mot, déprécié
aujourd'hui, avait encore, à l'époque, son sens étymologique : dédition à Dieu. Les
"dévotions" ne sont que des aspects de cette dévotion essentielle. Le philosophe Jean
Guitton explique les rapports de la dévotion et de la Foi: la dévotion est un effort de
synthèse autour d'une image concrète, communicable, qui aide à assimiler le contenu
de la Foi; elle n'est pas un morcellement de pratiques. C'est ce que St Jean Eudes
explique à ses religieux: "La dévotion des dévotions, c'est de n'avoir point d'attache à
aucune pratique ou exercice particulier de dévotion, mais d'avoir un grand soin dans
tous vos exercices et actions de vous donner au Saint Esprit de Jésus".
Les dévotions du XIXème siècle sont concrètes; elles ont un caractère
christocentrique et ne sont pas en elles-mêmes sentimentales, mais il y a toujours le
danger de déviations. Elles ont un double aspect, christologique et social.
Les principales dévotions du siècle sont: le Coeur de Jésus, l'Eucharistie,
surtout sous l'aspect de l'adoration, la Vierge Marie.
LE COEUR DE JESUS
Cette dévotion a ses racines au Moyen-Age (Ste Gertrude, St Bernard, St
Bonaventure); il s'agit surtout alors du côté percé du Christ. Elle est propagée en
France au XVIIème siècle par St Jean Eudes; le coeur est pris par lui au sens biblique,
pas seulement centre des affections, mais centre du dynamisme profond de l'être, avec
un accent sur la louange du Christ au Père.
Avec les apparitions du Sacré-Coeur à Ste Marguerite-Marie (1674), cette
dévotion prend un caractère plus sensible, plus humain: le Coeur de chair de Jésus,
avec l'idée de souffrance, de compassion et réparation.
Au XIXème siècle, cet aspect sensible se développe, parfois dans un sens
romantique et doloriste, d'où une réaction actuelle.
Cependant la dévotion en elle-même reste fortement théologique; elle est
recommandée par les Papes dans diverses encycliques, se fonde sur le Nouveau
Testament (St Jean, St Paul): elle nous aide à "connaître l'amour du Christ", en qui se
révèle l'amour du Père.
Aspect contemplatif: désir de conformité, d'expiation, de réparation.
Aspect social et apostolique: s'exprime dans la Consécration des familles,
des nations (en France, le Sacré-Coeur de Montmartre). En 1875, Pie IX consacre
l'Eglise au Sacré-Coeur; en 1899, Léon XIII lui consacre le monde: C'est l'affirmation
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de l'appartenance du monde au Christ, qui se développera au XXème siècle par le
culte du Christ-Roi.
L'aspect apostolique et ecclésial donne naissance à l'Apostolat de la prière,
fondé par des Pères Jésuites de Toulouse: offrande et prière pour les grandes
intentions de l'Eglise; ce mouvement se répand dans les campagnes, apprend au
peuple chrétien à dilater sa prière aux dimensions du Corps du Christ.
La dévotion au Coeur de Jésus se prolonge en deux autres dévotions du siècle :
la Sainte Face (chère à Thérèse de Lisieux), le Chemin de Croix.
L'EUCHARISTIE
Elle tient une grande place dans la piété du XIXème siècle. Nous avons
tendance à déprécier cette piété eucharistique à cause des grands progrès théologiques
et liturgiques de notre temps. Pour juger plus objectivement ses valeurs et déficiences,
il sera utile de replacer cette piété eucharistique du siècle passé dans l'évolution
historique du culte eucharistique dans l'Eglise.
Le culte eucharistique à travers les siècles.
- Dans l'Eglise primitive, il est centré sur la célébration dominicale du mystère
pascal. Il n'y a pas de culte spécifique de la présence réelle, mais la réserve
eucharistique est gardée avec respect pour la communion des malades ou des absents.
- Du IVème au VIIème siècle, c'est l'âge d'or de l'Eucharistie, célébrée
solennellement dans les grandes basiliques avec enrichissement progressif des rites.
La communion est fréquente jusqu'au VIème siècle et toujours considérée
comme participation au Sacrifice.
L'adoration de la présence réelle est attestée par les attitudes, la lumière, mais
sans culte spécifique.
Les Pères de l'Eglise développent la théologie de l'Eucharistie.
- Du VIIème au XIIème siècle, l'évolution du culte a certains aspects négatifs:
La célébration de la Messe devient dévotionnelle, souvent privée, sans
assistance, multipliée pour les "fruits" plus que pour la louange. Les Messes en
présence du peuple deviennent un spectacle artistique sans vraie participation.
La communion est dissociée du Sacrifice et devient exceptionnelle, par un
sentiment de crainte; c'est une approche individuelle du sacrement, et non plus
communautaire.
L'adoration de la présence réelle comme culte proprement dit, commence vers
le IXème siècle en réaction aux négations des hérétiques: Ceci est un enrichissement
positif, mais l'accent est mis sur la présence plus que sur le Sacrifice du Christ.
- Du XIIIème au XVIIIème siècle, il y a efflorescence du culte d'adoration
eucharistique: fête du Saint-Sacrement, processions, ostensions, élévation solennelle
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après la consécration. Ce culte d'adoration a des effets positifs, parce qu'il nourrit la
vie spirituelle des fidèles et l'expérience mystique des saints (cf. François et Claire),
mais reste une substitution à la communion et est dissocié de la célébration du
Sacrifice.
La Réforme protestante, au XVIème siècle, porte en réaction le Concile de
Trente à insister sur l'adoration de la présence réelle. Les catholiques considèrent
l'Eucharistie surtout dans son sens vertical d'adoration, tandis que les Réformés
accentuent le sens horizontal: repas, communion.
Le XVIIème siècle amène un approfondissement théologique de la piété
eucharistique par l'Ecole française de spiritualité, qui remet en valeur l'unité du
mystère (sacrifice, communion, présence), la participation des fidèles parle sacerdoce
baptismal, l'intériorisation de l'Eucharistie dans la vie, son sens ecclésial et
apostolique. Marie de la Passion a été très imprégnée de cette spiritualité.
Au XVIIIème siècle, le développement du culte du Sacré-Coeur contribue à la
ferveur du culte eucharistique et, à la fin du siècle, la persécution religieuse, en privant
du culte, amène à mieux apprécier la grâce de l'Eucharistie.
La spiritualité eucharistique au XIXème siècle
Le Sacrifice eucharistique est célébré dignement, mais la participation active;
fait encore défaut; cependant les missels commencent à se répandre.
La communion devient plus fréquente, mais non encore quotidienne, même
pour les religieuses généralement (jours de communion prescrits dans les règles; le
confesseur peut permettre davantage). Elle reste un acte de piété individuelle, détaché
de sa source, le mystère pascal du Christ.
L'adoration eucharistique se développe beaucoup, devient l'expression
privilégiée de la vie contemplative, accessible à tous, même aux plus simples.
Elle se manifeste sous divers aspects: visites au Saint-Sacrement, bénédiction
eucharistique, heure sainte, mais aussi adoration prolongée avec exposition dans
l'ostensoir, encouragée par Pie IX. Diverses congrégations religieuses se vouent à
l'adoration, mais l'adoration des laïcs s'organise aussi. En 1839 commence l'adoration
perpétuelle dans les diocèses et il se forme des associations de laïcs adorateurs.
L'adoration reste liée à la communion, en suscite le désir, mais reste trop
séparée du Sacrifice (pas cependant pour Marie de la Passion).
L'adoration eucharistique, comme les autres dévotions présente une double
dimension:
- contemplation, réparation, expiation, en relation au culte du Sacré-Coeur;
- dimension sociale et ecclésiale, orientée vers le règne du Christ sur la société.
A ce sens ecclésial se rattache le sens apostolique, qui pour Marie de la
Passion devient dynamisme missionnaire.
17
Le sens social s'exprime aussi dans les congrès eucharistiques qui
commencent en 1881 par l'intuition d'une laïque, en réponse aux lois antireligieuses de
1880; ils offrent un témoignage de foi dans une société déchristianisée.
Cependant il y a le danger d'un certain triomphalisme, à comprendre dans la
mentalité du temps (cours royales, décorum)
Le XIXème siècle a un saint eucharistique, Pierre Julien Eymard (1811-1868),
fondateur des Prêtres et des Servantes du Saint-Sacrement. Marie de la Passion a lu et
apprécié ses écrits. Il offre un modèle d'expérience eucharistique vécue, basée sur
l'unité de tous les aspects su mystère. On note aussi chez lui l'intériorisation de la vie
eucharistique sous l'action du Saint-Esprit. Il a également le sens apostolique de
l'Eucharistie et cherche à en promouvoir le culte.
Conclusion : Le culte eucharistique au XIXème siècle a des lacunes et des
déficiences. Notre siècle a approfondi la théologie de l'Eucharistie, sa signification
pascale, alors qu'au siècle passé on y voyait surtout le "mémorial" de la Passion. Nous
avons retrouvé aussi sa dimension communautaire, festive. La participation active a
été favorisée par les réformes liturgiques.
Cependant, tout en retournant aux sources de la primitive Eglise, Vatican II a
conservé l'enrichissement apporté au cours des siècles, surtout en Occident, par le
culte de la présence eucharistique. Ce culte permet d'assimiler dans la foi la grâce de
la célébration eucharistique (cf. K. RAHNER).
Dans le processus historique du culte eucharistique, le siècle de Marie de la
Passion présente, à côté des lacunes, des aspects positifs :
- intériorisation du culte, en vue d'une vie spirituelle profonde;
- progression vers la communion fréquente;
- sens ecclésial et social, malgré la forme dévotionnelle;
- union de la contemplation et de l'apostolat.
MARIE
La dévotion mariale s'était déjà développée au XVIIème siècle: réflexion
théologale de l'Ecole française, intériorisation: "Le coeur de Marie est un Evangile
vivant, dans lequel la vie de N.S. Jésus-Christ est écrite par le Saint-Esprit (St Jean
Eudes).
Le XIXème siècle sera "le siècle de Marie".
- Apparitions de la Vierge : La Salette (1846), Lourdes (1858), Pontmain
(1871).
- Congrégations religieuses mariales, féminines et masculines.
- Publication du "Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge" de Grignion
de Montfort.
- Définition du dogme de l'Immaculée Conception en 1854.
- La doctrine mariale est profonde, christologique, mais il y a peu de progrès
théologique, même à l'occasion de la proclamation du dogme de l'Immaculée
18
Conception. L'approfondissement se fera en notre siècle. Parfois déviation dans des
pratiques accessoires; l'accent est trop mis sur l'extraordinaire dans la vie de Marie.
- Chez les meilleurs auteurs, dévotion solide se traduisant en un esprit
d'abandon, d'enfance spirituelle, qui informe toute la vie.
L'aspect social et ecclésial de la dévotion mariale apparaît surtout dans les
pèlerinages, manifestation de foi dans une société laïcisée.
A la dévotion mariale se rattachent celles à St Joseph et à la Sainte Famille,
favorisées par les Papes, en particulier Léon XIII (aspect social de cette dévotion).
Mais parfois il y a exagération dans l'expression de cette dévotion, aussi Léon XIII
interdit toute innovation.
Les Jésuites du Maduré répandaient cette dévotion, en l'appuyant solidement
sur des textes de l'Ecriture, des Pères et des Docteurs de l'Eglise.
Pour Marie de la Passion, Nazareth a un sens très fort dépassant la
traditionnelle dévotion à la Sainte Famille.
SENS ECCLESIAL
Non seulement les dévotions ont toutes un aspect ecclésial, mais la théologie
du Corps mystique commence à se développer (MOELHER, théologien allemand).
En France, le gallicanisme décline et la dévotion au Pape augmente.
Le sens de responsabilité et solidarité de tous les membres du Corps mystique
se traduit par la réparation pour les pécheurs, la dévotion aux âmes du Purgatoire
(indulgences), le zèle apostolique.
L'OFFRANDE EN VICTIME est pour nous un aspect très important
de cette spiritualité ecclésiale du siècle. Même exprimée aujourd'hui en termes
différents, cette offrande sans réserve de nous-mêmes reste, nous dit S. Maura, le
"centre de gravité" de notre vocation.
Elle rentre dans un courant plus large, la "spiritualité victimale". Une étude
théologique parue dans le Dictionnaire de spiritualité permet de l'approfondir, en
considérant:
1.
2.
3.
Le fondement biblique
La spiritualité victimale dans l'histoire de l'Eglise, surtout au XIXème siècle
La théologie actuelle de la spiritualité victimale
1. Fondement biblique
Le mot "victime" est actuellement dévié de son sens original et déprécié dans
un sens passif. Il faut en chercher les équivalents dans les diverses langues, mais
garder la référence biblique de ce mot pour en conserver le vrai sens.
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Dans l'Ancien Testament, le Sacrifice est un don fait à Dieu pour entrer en
communion avec lui: Dieu répond par son pardon et par la communication de son
amour et de sa vie (symbole de la fumée, du parfum de suave odeur: P.S. 140).
Le sang de la victime a une grande importance, parce qu'il signifie la vie qui
appartient à Dieu: C'est pourquoi le peuple est aspergé de ce sang: c'est un don
d'amour de Dieu à l'homme plus qu'une offrande de l'homme à Dieu (cf. l'Agneau
pascal: son sang donne le salut)
Le Serviteur de Yahvé (Is. 52, 13-53,12) est une figure mystérieuse de
l'offrande en victime d'expiation pour les péchés de la multitude. Il se comprend à la
lumière de la Passion et Résurrection du Christ.
Dans le Nouveau Testament, on trouve de nombreuses allusions au Serviteur
de Yahvé. Le Christ est "victime d'expiation" (Jn, 2,2), dès son Incarnation en totale
disponibilité d'amour , qui culmine dans l'obéissance de la Passion (Heb. 10,7; 5,8-9).
Cet aspect victimal apparaît surtout en Jean (Jn, 1,29-36; 6,51-56; 12,24;
17,19; 19,31-37 - 1Jn, 1,7; 2,2; 4,10 - Apoc, 1,5; 7,14; 14,4-5, et en particulier 5,6.9:
l'Agneau debout et toujours immolé).
Paul, dans ses épîtres, est tout pénétré de cette conception victimale (1Co,
15,34: Phil, 2,6-11, Rm, 3,25; le Christ, "propitiation" pour nos péchés) . Il exprime
aussi la solidarité des souffrances du Christ avec celles de son Corps, l'Eglise (Col,
1,24; phrase citée souvent par Marie de la Passion).
La première épître de Pierre et l'ensemble de l'épître aux Hébreux présentent
aussi la valeur victimale de la mort du Christ (1P, 1,2.18-19; Heb, passim).
2. Spiritualité victimale dans l'histoire de l'Eglise
Cette spiritualité a été formulée d'une manière cohérente seulement au
XIXème siècle, mais elle apparaît déjà dans de multiples courants mystiques dès les
origines de l'Eglise.
Les martyrs témoignent de l'union à la Passion du Christ (Polycarpe, Ignace
d'Antioche).
Au Moyen-Age se développe la mystique de la Passion (François, Claire,
Catherine de Sienne).
Au XVIIème siècle, l'Ecole française (bérullienne) prépare l'apparition de la
spiritualité victimale union au sacerdoce du Christ, oblation.
Au XVIIIème siècle, le développement du culte du Sacré-Coeur amène une
spiritualité d'immolation et de réparation.
Au XIXème siècle, l'offrande victimale est formulée théologiquement
et devient un courant spirituel caractéristique du siècle.
Des congrégations religieuses s'orientent dans ce sens (Adoration Réparatrice,
Victimes du Sacré-Coeur...); des laïcs s'offrent aussi en victime. Léon Harmel fonde
20
en 1870 une Association de victimes volontaires pour la conversion du monde
ouvrier; il s'agit en général de personnalités bien équilibrées et engagées dans l'action
sociale.
Cette spiritualité va être élaborée plus théologiquement par le Père S.M
GIRAUD, (1830-1885) missionnaire de La Salette, considéré par des historiens
comme "un des grands maîtres spirituels des temps modernes".
Sa doctrine se fonde sur celle de l'Ecole française du XVIIème siècle: union du
chrétien au sacerdoce victimal du Christ, en oeuvre dès l'Incarnation (oblation), au
Calvaire (immolation), dans sa Résurrection (transformation), dans son Ascension
(communion à Dieu).
Donc l'offrande victimale ne s'arrête pas à la souffrance, mais a pour but la
transformation dans le Christ. La "disposition fondamentale de la victime est d'être
tout entière vouée à la gloire de Dieu et de n'agir que pour cette gloire."
3. Théologie actuelle de la spiritualité victimale
Dimension christologique et trinitaire
Comme pour GIRAUD, le fondement est le sacerdoce baptismal du chrétien,
par lequel il participe à celui du Christ: ses actions les plus humbles deviennent
sacerdotales et sacrificielles. La liturgie eucharistique doit se prolonger dans la vie,
faire de notre vie une eucharistie.
L'offrande du chrétien est plus qu'un effort moral ou ascétique, elle est vie
avec le Christ, offerte au Père, vivifiée par l'Esprit (cf. Lumen Gentium, 34).
Dimension ecclésiale et apostolique
Le chrétien participe au Christ, prêtre et victime, également dans sa vie
apostolique et sociale: "participer aux épreuves du Christ pour son Corps qui est
l'Eglise" (Col. 1,24). L'apostolat pour Paul est une "liturgie". L'efficacité de
l'apostolat, c'est l'assimilation au Christ, c'est revivre son sacrifice.
Elément essentiel de l'offrande en victime
C'est l'oblation d'amour. Il ne faut pas opposer victime de justice et victime
d'amour. Le péché est refus de l'amour de Dieu, l'expiation consiste à se laisser aimer
par Dieu, à lui rendre amour pour amour (redamatio).
Rôle de la souffrance
Elle n'est pas l'essentiel, mais est appelée à devenir une expérience d'amour,
participation à la Passion du Christ.
Le sacrifice comporte en effet plusieurs éléments:
- sanctification
(séparation, consécration)
- oblation
(offrande: le plus important)
- immolation
(souffrance, mort)
- transformation
(dans le Christ)
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- communion d'amour (avec Dieu: but du sacrifice)
Le XIXème siècle mettait plutôt l'accent sur l'immolation, la souffrance.
Actuellement l'accent est davantage sur le mystère pascal de transformation et
communion (Gal. 2,20), accent pascal qui se trouve aussi chez Marie de la Passion.
En tous temps l'offrande victimale inclut l'expérience de la croix; mais certains
sont appelés à participer plus profondément à la Passion du Christ.
La souffrance est un mystère; il faut en parler avec réalisme et discrétion , la
vivre avec simplicité dans la vie quotidienne.
Voeu de victime et vie de victime
La vocation victimale est donc celle de tout chrétien, mais certains ressentent
un appel plus intense à cette vocation.
GIRAUD parle même d'un voeu de victime, sous la dépendance du
confesseur. Il consisterait à ne pas refuser volontairement un sacrifice, à faire ce qu'on
considère le plus parfait.
Ce voeu pourrait devenir source d'anxiété pour certains tempéraments; aussi
Marie de la Passion ne nous y a pas engagées; nous vivons la vie de victime dans la
fidélité à nos voeux de religion.
Cependant elle-même a fait un voeu privé d'abandon et du plus parfait qui
correspond à sa vocation de victime. Le mot "amour" en forme la trame. En effet,
selon la théologie actuelle le "voeu de victime est essentiellement un voeu de charité".
Voeu d'abandon de Marie de la Passion
(13 avril 1884)
Je fais voeu de m'abandonner aujourd'hui à votre amour, ô Jésus, en m'offrant
à souffrir tout ce que voudra votre amour, en recevant avec soumission tout ce que
m'enverra votre amour, en faisant en tout le plus parfait, c'est-à-dire le bon plaisir de
l'amour et en obéissant en tout à l'amour représenté par l'Ordre Séraphique en la
personne du... . Je m'abandonne ainsi à l'amour pour répondre à votre choix divin qui
m'a donné le nom de Marie Victime de Jésus crucifié, pour les besoins de l'Eglise
militante et souffrante, ceux de l'Ordre Séraphique, de l'Institut et de mon âme. Que
votre grâce m'aide à être fidèle à cette devise : Amour et sacrifice. Amen.
*
Pour ceux qui, sans en faire le voeu, s'offrent en victime, en quoi consiste donc
la vie de victime ? Selon le Dictionnaire de spiritualité, ce serait "une disposition
intérieure à faire en tout la volonté de Dieu", c'est-à-dire concrètement:
1. accepter les croix quotidiennes, en union avec le Christ, comme manifestation
d'amour pour le Père;
2. accepter les joies de la vie comme manifestation de l'amour de Dieu;
3. être des créatures de charité, de joie, de paix, se laissant guider, non par
l'égoïsme,
mais par l'Esprit de Dieu.
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En résumé, c'est un appel "à vivre le Christ en profondeur, généreusement,
avec simplicité, modestie et humilité".
Dans une Note rédigée à l'intention de l'Institut, le théologien François-Xavier
DURRWELL, Rédemptoriste, complète cette présentation actuelle de la vocation
victimale.
Il insiste sur l'idée de sanctification. Le terme "sanctifié" est à peu près
équivalent de "consacré", "sacrifié". En cette sanctification, consécration consiste
l'état de victime.
La victime est transférée dans le domaine de Dieu (symbolisé dans l'Ancien
Testament par l'autel), consumée pour être imprégnée de la sainteté de Dieu. Ainsi elle
peut mettre en communion avec Dieu. Le sacrifice expie le péché en sanctifiant.
Le concept de victime peut s'exprimer aussi par l'adoration, l'accueil de la
sainteté de Dieu. La Passion du Christ est le sommet de toute adoration: il est livré
totalement au Père qui le ressuscite et se communique à lui dans sa sainteté divine.
Ainsi, la victime n'est pas anéantie, mais assumée dans la gloire divine; elle
expie, non par accumulation de souffrance, mais par accumulation en elle de vie
divine, de sainteté et d'amour.
Durrwell souligne aussi l'intuition de Marie de la Passion d'associer l'appel
victimal à la mission (cf. Jn 17,18-19) et à l'adoration eucharistique: adorer, c'est
s'exposer à l'action transformante de la présence du Christ
MENTALITE RELIGIEUSE DU XIXème SIECLE
Aspects positifs :
- Importance donnée au mystère du salut dans le Christ.
- Piété concrète, fervente.
- Sens de l'action, optimisme sur la destinée de l'Eglise.
- Sérieux de la vie chrétienne, esprit de foi.
Aspects négatifs :
- Intolérance, polémique.
- Réfutation des erreurs plus que proclamation des merveilles de Dieu.
- Moralisme plus que théologie: faire son salut, gagner le ciel.
- Légalisme: accent sur le devoir, la crainte plus que sur l'amour.
- Dualisme de l'âme et du corps; mépris du temporel.
Il ne faut cependant pas généraliser ces aspects négatifs; c'est souvent question de
vocabulaire plus que de conception profonde.
III - LA VIE SPIRITUELLE OPERANT DANS L'EGLISE
Si l'action de l'Esprit Saint opère à l'intérieur des coeurs, elle s'exprime aussi
par ses manifestations extérieures dans l'Eglise. On peut la considérer dans différents
cercles et sous différents aspects.
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LA VIE SACERDOTALE
Il y a de grands évêques, mais ils ne sont pas la majorité, surtout au début du
siècle: ils sont souvent gallicans, peu ouverts au progrès, au sens social. Surtout ils ne
font pas corps, comme aujourd'hui avec les conférences épiscopales. Ils agissent de
manière isolée, chacun selon ses convictions.
Le clergé est en général saint et zélé, après la purification opérée par la
Révolution (le Curé d'Ars en reste le modèle). Mais il manque de préparation
intellectuelle. Des efforts sont faits dans ce sens vers le milieu du siècle (école des
Carmes à Paris) et donneront leur résultat à la fin du siècle.
LE LAICAT
Il y a une élite de laïcs qui sont les artisans du renouveau. Ils unissent souvent
la sainteté et la vie mystique au dynamisme de l'action politique et sociale. Quelques
noms sont plus connus: Ozanam, Montalembert, Albert de Mun, Léon Harmel, Sophie
Swetchine, Pauline Jaricot). Avec plusieurs d'entre eux Marie de la Passion
entretiendra des relations de collaboration ou d'amitié.
LES MASSES POPULAIRES
On travaille à faire passer le renouveau spirituel dans le peuple par:
- les missions paroissiales, qui emploient des moyens un peu spectaculaires et
mêlent souvent le politique au spirituel, mais ont cependant de féconds résultats pour
la rechristianisation;
- l'enseignement du catéchisme, auquel est donné une grande importance: on
cherche à unifier les divers catéchismes diocésains; un catéchisme, dit de
persévérance, continue l'approfondissement de la foi après la première communion;
- des retraites, organisées par des congrégations religieuses fondées avec ce
but principal (religieuses du Cénacle, Réparatrices);
- des pèlerinages et des congrès;
- des lectures, dont l'usage commence à se répandre, même dans les
campagnes: collections de "bonnes lectures", de valeur très diverse, création de la
"Bonne Presse" et du Journal "La Croix".
LA VIE RELIGIEUSE
Après la Révolution, elle renaît, purifiée et enrichie.
- Restauration des anciens Ordres: Jésuites en 1814, Bénédictins en 1837,
Dominicains en 1839, Frères mineurs en 1844, etc.. Ils restaurent la Règle dans toute
sa rigueur primitive après le relâchement qui avait précédé la Révolution: culte de la
"Sainte Règle".
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Mais dans cette restauration, on n'a pas assez tenu compte de l'évolution
sociale, d'où le risque de formalisme dans l'observance. C'est pourquoi Vatican II a
demandé une rénovation adaptée de la vie religieuse.
- Fondations nouvelles: elles sont très nombreuses, surtout féminines (175 en
France seulement de 1825 à 1904)
- Evolution vers la vie mixte. Dans les siècles précédents les religieuses
devaient être cloîtrées, avoir un genre de vie monastique. Au XVIIème siècle,
quelques essais de congrégations de vie apostolique à voeux simples, réticences de
l'Eglise. Au XIXème siècle, ces congrégations, dites mixtes, se multiplient, en raison
des circonstances sociales et politiques.
Cependant cette forme de vie religieuse ne sera canoniquement reconnue qu'à
la fin du XIXème siècle; on les nomme "soeurs", non "religieuses": Elles se font
accepter par les fruits qu'elles portent dans l'Eglise.
- Centralisation: Ces nouvelles congrégations sont centralisées autour d'une
supérieure générale; elles ne forment plus des maisons autonomes, comme dans la
forme de vie monastique.
Elles sont soumises aussi à une forte centralisation romaine, c'est-à-dire
qu'elles dépendent très étroitement des Congrégations romaines, même pour des
décisions secondaires, et tendent donc à avoir leur Maison généralice à Rome.
Conception de la vie religieuse: elle est assez différente de celle préconisée
par Vatican II.
 Voie de la perfection, qui sépare de l'ensemble des baptisés.
 Uniformité des usages, minutie des détails, dont l'observance constitue la fidélité
religieuse.
 Responsabilité remise aux supérieures, d'où danger de formalisme dans la pratique
de la pauvreté et de l'obéissance.
Cependant beaucoup de soeurs ont vécu cela avec un grand sens de responsabilité
spirituelle, dans l'amour.
LE FRANCISCANISME
Le XVIIIème siècle avait peu apprécié saint François, le XIXème siècle voit un
renouveau franciscain pour diverses raisons (cf. A. GEMELLI, Le Message de saint
François au monde moderne) :

romantisme littéraire, sensible à la poésie franciscaine;

recherches historiques des sources biographiques (cf. Sabatier);

aspect social du franciscanisme;

influence de Léon XIII, qui voit dans le Tiers-Ordre un ferment de rénovation
sociale (encyclique Auspicato en 1882);
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
personnalité exceptionnelle du Père Bernardin de Portogruaro, qui rénove l'Ordre
au point de vue spirituel, apostolique et intellectuel (Collège Saint-Antoine maison
d'étude de Quaracchi)
Union des quatre familles de l'Observance, décrétée par Léon XIII en 1897.
C'est un acte très important auquel le Père R. Delarbre a pris une grande part
comme Procureur de l'Ordre et auquel Marie de la Passion a pris grand intérêt.
Il s'agissait de réunir les différentes branches qui s'étaient formées au cours des
siècles et dépendaient toutes du même ministre général, avec des constitutions et
provinces particulières: les Réformés, les Récollets, les Alcantarins, les Observants
proprement dits.
Cette union devait donner plus de vigueur à l'Ordre des Frères mineurs, mais
elle ne se réalisa pas facilement et requit intervention personnelle du Pape.
Développement du Tiers-Ordre séculier et régulier.
Le Tiers-Ordre séculier est marqué par d'éminentes personnalités, en
particulier des laïcs engagés dans l'action sociale (Harmel); il tient des Congrès
sociaux.
Le Tiers-Ordre régulier s'enrichit par l'affiliation de nombreuses congrégations
religieuses, surtout féminines.
Enfin la spiritualité franciscaine attire aussi les protestants et anglicans: en
1892, fondation d'un Tiers-Ordre protestant.
L'ACTIVITE MISSIONNAIRE
En 1820, en raison des circonstances historiques, l'activité missionnaire de
l'Eglise est au plus bas point: environ 50 missionnaires dispersés dans le monde entier.
En 1870, l'Evangile est annoncé dans toutes les parties du monde, on compte
environ 18.000 missionnaires hommes et 30.000 religieuses missionnaires. Dans le
dernier quart du siècle, cet essor missionnaire s'accentuera encore. Ce renouveau est
favorisé par diverses causes, en particulier les progrès techniques, les découvertes
géographiques, l'émulation due à l'activité missionnaire des protestants, à partir de la
fin du XVIIIème siècle. Il est surtout favorisé par le renouveau spirituel à l'intérieur de
l'Eglise.
Cet élan missionnaire se manifeste:
- au plan des idées : élaboration d'une théologie missionnaire;
- au plan de l'action: intense activité apostolique.
Elaboration d'une théologie missionnaire
1. Prise de position des Papes :
Grégoire XVI insiste sur le sens spirituel de la mission, cherche à la dégager des
influences politiques.
26
Il indique le but de la mission: former des églises locales autochtones avec, le
plus tôt possible des évêques autochtones (Instruction "Neminem profecto", 1845).
Pie IX et Léon XIII continuent dans le même sens, mais ne sont pas assez
suivis par les missionnaires (en 1893, encyclique de Léon XIII sur le clergé de l'Inde).
2. Pionniers de la missiologie:
Le Cardinal LAVIGERIE veut se faire "arabe avec les arabes", transformer l'Afrique
par les Africains.
LIBERMANN, fondateur des Spiritains, converti du judaïsme, a des idées très
modernes sur la mission:
- spiritualité de l'envoi primant l'activité; le missionnaire est avant tout
"envoyé de Jésus";
- préparer dès le début de l'évangélisation une église autochtone avec des
prêtres, catéchistes, mais aussi enseignants et techniciens du pays;
- ne pas transporter la civilisation occidentale;
- conserver l'indépendance vis-à-vis des pouvoirs politique - aller vers les plus
démunis.
CHARLES DE FOUCAULD à la fin du siècle conçoit, à la suite de Marie de la
Passion, la mission comme présence, contemplation eucharistique, mais aussi comme
"fraternité universelle" et inculturation (dictionnaire touareg, recherches
ethnologiques).
3. Prise de conscience de la mission de l'Eglise.
Le développement du sens ecclésial amène à comprendre que l'Eglise est tout
entière missionnaire: De nombreuses lettres pastorales des évêques suscitent l'intérêt
du peuple chrétien pour les missions.
Naissance des oeuvres missionnaires et des revues missionnaires, où s'exprime
la solidarité du peuple de Dieu dans l'activité apostolique.
4. Lacunes et déficiences de ce début de théologie missionnaire.
- manque d'inculturation profonde;
- ignorance des valeurs contenues dans les religions non chrétiennes;
- "hors de l'Eglise, pas de salut", d'où l'importance du baptême;
- conversion au sens d'une rupture totale avec le passé;
- mission comprise comme "don" de la vérité, plus que comme accueil .
Intense activité apostolique.
1. Extension des champs d'apostolat.
L'Evangile pénètre dans des territoires encore inexplorés:
- innombrables îles du Pacifique (P. Damien);
- centre de l'Afrique;
- régions polaires (premier baptême d'Esquimau en 1860) ;
27
- réouverture du Japon à l'évangélisation (1860).
2. Organisation de la mission.
L'activité missionnaire est placée sous la direction de la Congrégation romaine
dite "de la Propagande", fondée en 1622. Elle joue un grand rôle au XIXème siècle :
- création progressive de préfectures et vicariats apostoliques, dépendant
directement de la Propagande;
- répartition des ressources et du personnel missionnaire; rôle qu'on appellerait
aujourd'hui: planification de l'activité missionnaire;
- contrôle et décision dans les tâtonnements et parfois dans les conflits:
innombrables instructions et directives.
3. Structuration des activités apostoliques.
L'activité apostolique s'oriente vers des oeuvres structurées, correspondant à
l'évolution sociale des pays évangélisés: orphelinats, écoles, hôpitaux, dispensaires,
léproseries.
L'enseignement catéchétique se fera en grande partie à travers ces structures,
bien que l'apostolat direct se fasse aussi, dans les villages isolés, par le missionnaire
ou le catéchiste.
4. Soutien de l'activité missionnaire.
Les oeuvres structurées demandent des ressources: elles seront fournies en
grande partie par les Oeuvres missionnaires qui représentent la contribution du
peuple chrétien à la mission d'avant-garde :
- La Propagation de la Foi, fondée en 1822 sous l'inspiration de Pauline
Jaricot, à Lyon; réseaux d'associés donnant une minime contribution chaque mois,
mais qui en se développant dans tous les pays arrivent à fournir d'immenses
ressources.
- La Sainte-Enfance, fondée en 1837 à Nancy par Mgr Forbin-Janson, pour
éveiller l'esprit missionnaire chez les jeunes enfants, soutient de nombreux orphelinats
et crèches en mission; elle subsiste actuellement sous une autre forme.
- L'Oeuvre apostolique, destinée à fournir linge d'autel, ornements, vêtements
aux missionnaires:
- L'Oeuvre de Saint Pierre Apôtre, fondée en 1889 par Jeanne Bigard et sa
mère pour la formation du clergé autochtone (séminaires et bourses d'étude): oeuvre
d'une grande importance que Marie de la Passion adoptera en 1904 sur demande de
Jeanne Bigard, malade.
A côté des Oeuvres missionnaires, la presse missionnaire contribue à stimuler
la conscience missionnaire des chrétiens, en un temps où la lecture se vulgarise. Elle
suscite vocations et ressources. Les principales revues missionnaires sont:
- les Annales de la Propagation de la Foi (1822);
- les Missions catholiques (1868), de forme plus officielle;
- les revues publiées par diverses congrégations missionnaires.
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5. Les ouvriers de l'expansion missionnaire.
Ce sont surtout des religieux ou des Sociétés missionnaires. Diverses
congrégations masculines sont fondées avec le but spécifique des missions "ad gentes"
( Spiritains, Missions africaines de Lyon, Missionnaires d'Afrique du cardinal
Lavigerie, Missionnaires de Scheut, etc.), tandis que d'autres congrégations, non
spécifiquement missionnaires, prennent aussi cette orientation.
Surtout, les progrès techniques vont permettre aux religieuses de participer
aussi à l'apostolat jusque "dans les missions les plus périlleuses et les plus éloignées".
Beaucoup de congrégations féminines exerçant leur activité en Europe acceptent d'y
ajouter une orientation missionnaire. D'autres, dont les F.M.M., vont se consacrer
spécifiquement à la mission "ad gentes". Des moniales vont aussi porter la vie
contemplative dans les nouvelles chrétientés (Carmélites à Saigon, Trappistines au
Japon).
Cet apostolat de la religieuse missionnaire est dans la ligne de la promotion de
la femme. La religieuse a naturellement sa place dans les oeuvres éducatives et
hospitalières, mais surtout prépare la voie au missionnaire: elles sont parfois le seul
lien possible, à cause des traditions et des usages, avec la population féminine aident
ainsi à construire des familles chrétiennes.
Tout en se considérant, selon la mentalité du siècle, comme de simples
"auxiliaires" du prêtre, elles sont très conscientes de leur rôle irremplaçable.
6. Ombres et limites de cette activité missionnaire.
- manque d'un climat oecuménique, rivalités avec les missions protestantes;
- rôle trop directif du missionnaire européen, qui ne donne pas sa place à
l'initiative et à la capacité du prêtre autochtone;
- manque d'insertion dans le peuple, surtout dans les grands centres, où la
mission forme un enclos, parfois protégé par des murs;
- cloisonnement des missions, chacune étant confiée exclusivement à un Ordre
ou congrégation, d'où le risque de se refermer sur elle-même;
- ingérence politique des gouvernements colonisateurs, provoquant l'hostilité
des populations; rivalités nationales parfois parmi les missionnaires eux-mêmes.
De ces erreurs l'évangélisation porte encore le poids en bien des pays. Cela ne
doit pas cependant faire oublier le grand élan de foi et de charité qui au XIXème siècle
a porté L'Evangile jusqu'aux extrémités du monde et a suscité l'héroïsme d'une légion
de martyrs.
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CONCLUSION DE CE CONTEXTE HISTORIQUE
On peut affirmer que le XIXème siècle, malgré ses déficiences, a été un grand
siècle spirituel. Il a été marqué par une efflorescence de sainteté et d'activité qui ont
conduit aux progrès de notre siècle.
Nous avons tendance à le déprécier, parce que nous sommes en réaction contre
certains aspects de sa mentalité. Il faut savoir le juger objectivement et distinguer
l'accessoire (vocabulaire, mentalité) des valeurs essentielles qu'il nous a transmises.
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