Bruno Mannoni AH Histoire. Comment comprendre le déclin l’empire Ottoman ? L'Empire Ottoman est au faîte de sa puissance pendant environ trois siècles, il repose sur une culture religieuse, une économie et une organisation sociale qui paraissaient intangibles, comment expliquer son déclin à partir du milieu du 18ème ? Divers types de causes doivent être recherchées, qui, additionnées, peuvent aider à comprendre ce phénomène à première vue difficile à saisir. Je m’arrêterai à la période dite du « début de la question d’Orient » et je vais essayer de m’attacher à montrer les multiples raisons qui ont abouties a ce que l’on peut considérer comme un déclin du à une difficulté à s’adapter aux changements survenus en occident. 1 - Les causes internes : Une civilisation peut-elle survivre en stagnant ? 2 – La difficulté des réformes et le contre-pouvoir réel cheyk ül-islam face au sultan. Les effets d’une civilisation/religion profondément opposée aux changements tout en étant étonnamment tolérante pour son époque. La civilisation Islamique et la religion islamique sont sans doute a distinguer, le mot étant polysémique signifiant : soumission, paix, sauvegarde, salut. La résistance « au changement » n’existait pas, au contraire dans la période du IX ème au XIII ème siècle. 3 - Les causes externes : le développement de la modernité européenne et ses besoins d'expansion commerciale. Le modèle dominant doit-il être copié ? 4 - Les facteurs circonstanciels eux-mêmes (guerres, etc...). Très schématiquement nous avons un Empire volant de conquêtes en conquêtes dont l’expansion semble infinie, puis des revers militaires qui entraînent des difficultés économiques, demandant des réformes, une succession durant deux siècles d’avancées et de reculs, et une sorte de soumission à l’occident signant la fin d’un Empire mais le début d’un Etat républicain qui souhaite entrer dans l’Europe. Introduction. L’Empire ottoman est a son apogée, sous Soliman le Magnifique,(1520-1566) ; il s’étend sur trois continents, comporte 22 millions d’habitants dont 80% habitent en Asie, Constantinople est forte de 500 000 personnes ;c’est une ville aérée, la hauteur des maisons dépend de la religion des propriétaires, elles sont regroupées en quartiers qui ne sont pas des ghettos. Les incendies dévastateurs sont fréquents. Il y a plusieurs épidémies de peste et des tremblements de terres meurtriers chaque siècle. La ville est bien organisée en distribution d’eau (mais pas en égouts), en hammams, mais les rues sont étroites et en terre. Les maisons sont construites en bois, sauf si elles ont fait l’objet d’un incendie. L’Empire pouvait lever une armée d’environ 100 000 hommes. Soliman est l’unique roi des rois ; il appelle Charles Quint : le roi d’Espagne, certainement pas le maître du Saint-Empire. Décrit comme un despote absolu, le sultan est néanmoins heureusement contraint par la tradition et la loi islamique. Cependant les « fonctionnaires » de l’empire sont les esclaves du sultan, mais le concept d’esclave est beaucoup moins connoté qu’en Europe, on peut être un grand personnage avec un fort pouvoir et être esclave. On peut être affranchi, c’est même recommandé par la loi islamique ; automatiquement si on est concubin(e)s d’un musulman, à sa mort, en se convertissant à l’islam, si on est mal traité ... C’est une société sans noblesse ni aristocratie. Les Ottomans intégraient à leur service une partie des classes militaires des pays conquis, sans les obliger à embrasser l’Islam, il s’est trouvé des beys chrétiens commandant dans l’armée ottomane. En Espagne on a voulu détruire en masse les musulmans par des massacres organisés. L’administration Ottomane, a l’heure de la réforme, de la contre-réforme, des guerres de religion en Europe, apparaît comme remarquablement tolérante et équitable pour les non musulmans, ainsi d’ailleurs que pour les esclaves. Chassés d’Espagne après la chute de Grenade en 1492 160 000 juifs se réfugièrent dans l’empire ottoman ou en Afrique du nord. (Cela marque la fin de sept siècles de présence musulmane en Espagne). Le déclin de cet empire ne peut s’étudier que dans l’après-coup. Les moments ou les premiers signes apparaissent n’ont pas une importance déterminante, ni la mort du grand Vizir Ibrahim (Soliman fait assassiner Ibrahim qui commençait à dire du mal de lui et prenait de plus en plus d’indépendance. Il faut noter qu’il a été repéré sur un marché aux esclaves par le Sultan et acheté à la vue de sa beauté), la levée du premier siège de Vienne (1529), la défaite de Lépante (1571), l’échec du second siège de Vienne (1683), la paix de Karlowitz en 1699 (une trêve d’après la loi islamique) sont des faisceaux d’interférences et de présomptions. De la seconde moitié du XVI ème siècle à la fin du XVII ème il y a trop d’alternances de victoires et de défaites, d’effondrements insurrectionnels suivis de redressements pour que seul le récit événementiel et chronologique soit pertinent. Braudel disait d’ailleurs : « un monde plutôt qu’un empire ». Un monde musulman, déjà, dont la shéria fixe de façon immuable l’ensemble des principes juridiques, sociaux et politiques, qui rend délicat une distinction entre le temporel et le spirituel, ou tout du moins on ne peut concevoir cet empire séparé de l’institution religieuse. I. La période de splendeur de l’empire Ottoman commence à l’avènement de Mehmed II (1451) La date la plus connue de cette période est la prise de Constantinople le 29 Mai 1453. Ce fut un des grands faits de l’histoire du monde dont certains historiens affirment qu’il clôt le moyen âge et marque le début des temps modernes. Braudel lui est plus attaché à la victoire essentielle de Mohacs en aôut 1526 qui ouvre l’Europe centrale et la conquête de la Hongrie en 1540-1541. Cette bataille a lieu dans un contexte difficile pour la France défaite le 24 Février 1525 à Pavie : François Ier défait est prisonnier de Charles Quint, les Habsbourg dominent l’Europe. Le deuxième émissaire envoyé par la reine mère , Louise de Savoie, Jean Frangipani obtient la parole de Soliman d’être prêt à la guerre. A peine François Ier a renvoyé son messager (il vient de quitter sa geôle en laissant ses enfants en otage) pour remercier Soliman que les Turcs écrasent les Hongrois : Louis II roi de Hongrie, beau-frère de Charles Quint est tué. Une partie de son trône revient au voivode (roi de Transylvanie) Jean Zapaolya, allié des Français et des Ottomans, grâce à la médiation d’un Espagnol passé au service de la France. Sur le plan symbolique la fin de l’Empire byzantin est important, sur le plan militaire, l’ouverture vers la Hongrie est capital. Sur le plan des religions, les cicatrices du concile de Nicée sont encore présentes, et les éléments ariens de l’Islam peuvent être bien accueillis en Orient. Lorsque Süleyman Ier, connu en occident comme Soliman le Magnifique devient sultan en 1520, le cherif de la Mecque s’était déjà soumis en 1517 ; il est donc à la tête de la première puissance de l’Islam qui comprend aussi l’Egypte et la Syrie et les trois villes Saintes : Jérusalem, Médine et la Mecque. L’Empire ottoman qui s’est toujours désigné sous le nom d’Etat ottoman est une puissance méditerranéenne qui a réuni sous une direction turque de nombreuses populations : arabes, kurdes, arméniens, slaves, latins, albanais qu’ils soient musulmans chrétiens ou juifs. Il faut souligner un certain nombre de caractéristiques liées à cet empire qui obéit à la loi islamique : L’Empire ottoman est assimilé au dâr-al Islam (territoire de l’Islam) destiné à s’étendre au monde entier à mesure que la dâr al-harb (territoire de la guerre) se réduit. Mais cela ne signifie pas que tous les sujets de l’Empire doivent devenir musulmans. Chrétiens et juifs, considérés comme des gens du Livre (ehl ül-kitab), bénéficient du statut prévu par la charî’a : il leur reconnaît une place dans l’Etat, le droit de pratiquer librement leur religion, mais il les maintient dans une certaine ségrégation par rapport aux « vrais croyants » (tout en étant très tolérant, par exemple pour les affaires de justice ou aucun musulman n’est impliqué) en leur imposant une capitation marquant leur soumission. La religion musulmane est ainsi le fondement de l’identité, le premier objet de fidélité et l’unique source d’autorité légitime. Afin de pouvoir continuer son expansion l’Empire a besoin d’augmenter sans cesse son armée. Pour cela les Ottomans intégraient à leur service une partie des classes militaires des pays conquis, sans les obliger à embrasser l’Islam, il s’est trouvé des beys chrétiens gouverneurs militaires. (Les orthodoxes disaient préférer le croissant à la mitre). L’Empire a été une entreprise militaire en perpétuelle expansion. L’équilibre de l’ensemble résidait dans l’appropriation de nouvelles ressources nées de la prédation, permettant de garantir le salaire de l’administration et de l’armée, et l’utilisation du devshirmeh (impôt sur le sang) pour augmenter les troupes des yeni tcheri (janissaires == nouvelle troupe). Cette levée en terre chrétienne à ses règles, aucun homme marié ne peut être enrôlé, d’ou certains mariages précoces a 12 ans. Ces levées se font tous les 7 ans en principe, mais peuvent avoir lieu tous les quatre ans. L’entraînement dure plusieurs années, il commence a 13 ans. Convertis, les garçons changent de noms. Sur 6 000 recrues 1 200 sont sélectionnées pour les écoles royales. Les recrues apprennent le turc, des notions d’arabe et de persan, à lire et à calligraphier. A 18 ans la recrue est enrôlée dans une compagnie. Ajoutons que la condition d’esclave dans le monde musulman est nettement meilleure que celle de l’esclave grec ou romain en raison des préceptes coraniques. Un maître doit à son esclave des soins médicaux, une alimentation correcte et l’entretien dans ses vieux jours. Si un maître manque à ses obligations, le juge peut l’obliger à les remplir ou le pousser à vendre ou affranchir son esclave. L’affranchissement est non seulement possible mais recommandé par le Coran. L’islam ne reconnaît ni caste ni aristocratie, rien de comparable avec les patriciens et les plébéiens de l’ancienne Rome, les nobles de l’Europe féodale ; cependant dans les faits on constate l’existence et la persistance de grandes familles qui se transmettent des charges de père en fils. Pour pouvoir continuer sur son modèle l’Empire a besoin de toujours plus de ressources, humaines, monétaires, alimentaires qu’il ne peut obtenir que par des nouvelles conquêtes. En 1570 la conquête de Chypre est considérée comme la dernière grande victoire militaire ottomane ; Lépante (1571), dont Cervantès dit : « jour de bonheur pour la chrétienté ou toutes les nations qui avaient cru les turcs invincibles réalisent leur erreur », la première grande défaite. Cela étant la flotte est rapidement reconstruite, ce qui fait dire à Braudel « en cette année 1574, les deux empires assis aux deux extrémités de la méditerranée ont fait match nul : honneurs aux vainqueurs de Lépante ! Honneur aux vainqueurs de Tunis ! » On a d’ailleurs deux empires bien distincts : un empire méditérannéen et l’empire atlantique de Philippe II . Cette bataille qui a coûté la vie a plus de 60 000 Ottomans, détruit près de 200 galères, rougit la mer du sang des combattants a été saluée en Occident et traitée comme une « banale » défaite en Orient. On voit bien qu’une expansion perpétuelle arrive nécessairement à terme, notre terre n’étant pas infinie comme le serait notre univers et que les revers militaires avait des effets immédiats sur l’économie et la stabilité du modèle. II. Cependant, l’empire commerçait. Si le Turc apparaît comme l’ennemi commun en Europe, cela n’empêchait pas les affaires, et les bulles In Coena Domini, prononcées solennellement à Rome le jeudi Saint de chaque année, qui condamnent dès 1470 (Paul II) le commerce avec les ennemis du nom chrétien, puis excommunient et anathémisent à partir de Pie IV en 1563 les marchands, ne l’empêchent pas. Mais seules certaines marchandises sont interdites, celles pouvant favoriser l’effort de guerre. Ces affaires sont d’ailleurs des péchés réservés au Pape. Le Très Chrétien François Ier va unir le lys et le croissant, en se posant en protecteur des chrétiens d’Orient, avec des arrières pensées commerciales, et l’on verra que le commerce entre dans les faisceaux de présomptions qui ont menés au déclin de l’empire. 1536 : traité des capitulations (étendus à d’autres états à la fin du XVIe) mais la France est privilégiée avec 3% de droits de douanes contre 5% aux autres pays. Onze ans après l'envoi des premiers émissaires de la reine mère, Français et Ottomans livrent pour la première fois bataille côte à côte en septembre 1536. Les hommes du baron de Saint-Blancard et de Barberousse s'emparent de l'île d'Ibiza et razzient sans vergogne la côte espagnole.A ces escarmouches, succède une vaste offensive sur l'Italie. Tout est prévu: les Turcs attaqueront Naples alors que les Français fondront sur Milan pour venger Pavie. Inconstance congénitale de François ? Scrupule à combattre aux côtés des "infidèles"? Peur d'un allié trop puissant (Barberousse compte 250 navires contre 60 vaisseaux français)? Rien ne se passe comme prévu. Le roi abandonne ses rêves italiens et attaque en Flandres. Les Turcs délaissent Naples pour dévaster Corfou. En 1538, sur la médiation du pape Paul III, François 1er et Charles Quint font finalement mine de se réconcilier. Le Valois, une fois encore, jure ses grands dieux qu'il a rompu avec le Grand Turc. En 1543, Barberousse ravage les côtes italiennes, la Corse, la Sardaigne, débarque à Marseille, va sur Nice qui résiste, se replie à Toulon et ne regagnera Istanbul que contre 800 000 ducats en 1544. François Ier signe a nouveau un traité de paix avec Charles Quint, la traité de Crepy-en-Laonnois en 1544, mais en 1547 envoie une ambassade secrète à Soliman pour préparer une nouvelle attaque. Soliman promet une armée de 30 000 hommes et une flotte, mais François Ier meurt le 31 mars avant d’avoir reçu la réponse. Soliman lui survivra 19 ans. Jack Lang appelle cette alliance un « souper avec le diable » en soulignant qu’elle est l’ébauche d’une politique étrangère laïque : l’intérêt de l’Etat prime sur le fait religieux. Henri II maintient ensuite cette alliance, alors que les Ottomans soutiennent les protestants contre Charles Quint. Cette politique sera maintenue au début du XVIIe : une croisade unie catholiques reformés est écartée. Les principales acquisitions des marchands francs sont les suivantes : soie, laine, coton, blé, fil, tissus, tapis ainsi qu’épices, drogues et parfums. L’empire lui reçoit des draps de laine de la quincaillerie, du papier de l ‘étain et de l’acier, de la monnaie d’argent (qui devient plus abondante par les Amériques) par laquelle les partenaires comblent les déficits des échanges. Mais l’empire est déficitaire dans ses rapports avec l’Orient, en particulier avec la Perse et l’Inde. Dès 1550 l’ordre et l’équilibre commencent à s’ébranler (Soliman meurt en 1566) : il y a des révoltes dues à des mécanismes économiques étranges : L’impôt est fixé une fois pour toute, par exemple la taxe sur le mouton est restée la même alors que le prix du mouton avait quintuplé, ce qui entraîne une diminution des revenus pour l’Etat qui lève des impôts exceptionnels qui deviennent réguliers (pour la dîme, l’impôt en nature). Pour la tenure (impôt en argent sur la terre) il nécessite pour la paysannerie de dégager un surproduit et de le transformer en monnaie ce qui provoque un endettement et accélère un phénomène d’usure, qui, s’il est interdit pas la loi islamique, est détourné par des juristes rusés mais pas très catholiques ! En 1554 Soliman réévalue les timârs (concession fiscales consenties aux Sipahis, l’Etat leur abandonne ses revenus fiscaux liés à un domaine que les Sipahis font exploiter, ce n’est donc pas une concession foncière de type médiévale) et les tenures. Les paysans commencent à abandonner les villages, apparaît une nouvelle population (dans une société ou la noblesse n’existe pas) les levend (vauriens). Les petits timâriotes , n’ayant pas de pouvoir administratif sur leur domaine, vont rejoindre les levend dans le banditisme. Les timâriotes avec timârs libre augmentent les impôts ce qui aggrave la situation de la paysannerie. A l’avènement de Selîm II, en 1566, on tire 450 aspres d’un poids d’argent de100 dirhem, ce qui réduit le poids d’argent de chaque pièce à 0,682g contre 0,731g auparavant. Braudel a dit, de cette dévaluation initiale de 1566 qu’elle « était le premier signe de fatigue de l’empire ». Ce ne fût qu’une étape dans l’effondrement de l’aspre qui ne contenait plus que 0,306g en 1618, soit plus de 50% de dévaluation en 50 ans. III La coutume qui était de faire étrangler, avec un lacet de soie pour que le sang ne soit pas versé, toute la fratrie pouvant prétendre au trône, culmina avec Mehemet III (1593-1603) qui fit mourir 19 frères et 20 soeurs lorsqu’il accéda au pouvoir. De même, grand vizir était un poste à risque ; 12% ont été exécutés. Cette pratique du fratricide abolie, les prétendants étaient enfermés dans un endroit secret du palais ce qui fait qu’ont accédé au trône des sultans ayant été enfermés durant 40 ans ; c’est l’époque de la puissance des mères du sultan. Durant 250 ans, jusqu’a la mort de Soliman, neuf membres de la dynastie d’Osman, chacun fils du précédent, se succèdent, avec le fratricide érigé en règle. Puis en moins d’un siècle douze sultans vont se succéder, cinq seront déposés, dont deux assassinés. L’aspect de l’Empire au XVIIe est moins brillant, on remarque un affaiblissement de l’Etat qui est caractérisé par le passage du pouvoir des mains du sultan à celles des sultanes mères et des principaux dignitaires du harem, des clans se forment. La résistance à l’innovation est une constante d’un Empire qui se considérera comme supérieur au reste du monde jusqu’au milieu du XVIIIe. Jusqu’en 1830 la société se considère comme immuable reposant sur l’interdiction théologique de bid’art qu’on traduit par innovation mais qui est plus proche d’un révisionnisme hétérodoxe. (C’est un peu l’opposé de la période IX-XIIIe siécle ou les avancées scientifiques en terre d’Islam sont majeures. Mais l’irruption des Mongols, qui au milieu du XIIIè s’emparent d’une partie de l’Iran et de l’Anatolie est à l’origine de profonds changements socioculturels). Toute volonté de réforme se heurte à l’hostilité de la population des fonctionnaires et de l’armée. Ainsi la tentative de remise en ordre menée par Osman II échoue, pour la première fois un sultan est non seulement déposé, mais aussi exécuté. Osman II estime que l’affaiblissement de l’armée est due a l’hétérogénéité du recrutement du devchirme et voulant réduire les privilèges des hommes de religions, les oulémas il se heurte à l’opposition des janissaires qui s’insurgent et réclament l’élimination des principaux conseillers du sultan avec l’approbation du cheyk ul-islam. L’autorité de ce dernier s’était considérablement accrue sous le règne de Soliman et il devient un personnage essentiel de l’Etat, même s’il ne siégeait pas au divan, il est a égalité protocolaire avec le grand vizir et a autorité sur l’ensemble des clercs. La construction de cette espèce d’Eglise musulmane, fortement structurée et hiérarchisée, liée à l’Etat et rétribuée par lui, est un phénomène sans équivalent dans la tradition islamique. Le 20 Mai 1622 un sultan est exécuté, pendant 10 ans vont régner les sultanes mères. Le chah d’Iran attaque en Irak et prend Bagdad, les troupes doivent combattre sur plusieurs fronts, les finances de l’Etat ne peuvent être remises à flot ; les impôts et les taxes ne sont qu’irrégulièrement perçus, les revenus liés au commerce sont en baisse. Le ravitaillement des villes devient difficile, d’ou une hausse des prix et un mécontentement de la population. Il faut attendre 1632 pour que Murâd IV remette l’Empire en ordre. Après l’incendie de 1633 qui a détruits les 4/5 eme d’Istanbul le sultan promulgue un firman interdisant l’usage du café, du tabac, du vin, et la fermeture des débits de boisson. Il remet les finances de l’Etat à flot, restaure les valeurs religieuses et morales, reconquiert Bagdad, conclut une paix avantageuse avec les Iraniens. A sa mort, le 9 février 1640, l’empire ottoman est dans une situation favorable : la paix intérieure est rétablie, les ennemis de l’extérieur sont vaincus, les relations avec les grandes puissances occidentales sont bonnes. Malheureusement le successeur de Murâd IV, son frère Ibrahim I er, surnommé Deli (le fou) va empêcher que cette situation perdure. Le grand vizir est exécuté au début de 1644 et ses successeurs ne seront pas brillants ; la guerre de Crète contre Venise contribue, avec les dilapidations dues aux excès du sultan, à la ruine du Trésor. Les janissaires mal payés ou pas payés, se révoltent et prennent de plus en plus de libertés avec leur statut. Certains sipahis transforment leur timâr en propriété personnelles, tandis que d’autres timâr vont à des favoris ou des favorites du palais. Cette introduction de fait d’une propriété de la terre, transmissible, est une remise en cause totale du modèle économique. Conformément à la loi coranique, les sultans sont propriétaires de la terre et du sous-sol. Mais, pour assurer la mise en valeur de leurs domaines, ils en ont cédé la jouissance aux paysans, parfois même la pleine propriété, tout en se réservant la possibilité de revenir sur ces concessions. Mehmed II a ainsi confisqué des biens en plein propriété pour les transformer en timar. Un timariote ottoman ne gardait normalement pas le même timâr plus de trois ans. Il y a donc une sorte de privatisation de la terre accompagnée de concessions fiscales qui de temporaires, se transmettent. L’Etat ottoman connaît une période dramatique. Le nombre de fonctionnaires est passé de 60 000 en 1640 a plus de 100 000 en 1648 (l’Empire compte 22 millions d’habitants et Constantinople 600 000 personnes.) Le budget montre un déficit de 150 millions d’aspres soit 150 tonnes d’or. On ne peut payer tout le monde et des révoltes éclatent parmi le personnel du sérail et les sipahî. Le grand vizir frappe les timar d’un impôt exceptionnel de 50%, fait doubler l’impôt du camp, instaure en système officiel la vénalité des charges, procède à une dévaluation forcée : les grands vizir sont destitués voir assassinés les uns après les autres. Révolte de la population, des jannissaires, voire des gouverneurs, la guerre avec Venise, panique à Istanbul en 1656 avec la perte des Dardanelles et des îles de Limnos, Samothrace et Ténédos. Le Sultan s’enfuit ! On le voit il n’y a plus de conqûetes, donc plus de butin et moins de revenus, d’autant qu’il faut continuer à entretenir une armée coûteuse 59 200 militaires en 1635, 85 000 en 1652, les jannissaires représentant les 2/3 de ces chiffres. Les populations ne souhaitent pas voir modifier des textes juridiques qu’elles considèrent comme une protection, les fonctionnaires en souhaitent pas de changements pouvant les obliger à revoir leurs habitudes, voire leurs avantages. Le statu quo est de rigueur, mais entraîne une sclérose. Il va cependant y avoir une période de plus de vingt ans de stabilité gouvernementale avec la famille Köprülü (père, fils et gendre) de 1656 à 1683. Il remet en ordre l’empire, fait procéder à une épuration des corps militaires et civils, sévit contre les fonctionnaires sans titre officiel renouvelle les diplômes (concessions) moyennant le versement d’une taxe. En 1661 le budget de l’Etat est à l’équilibre. L’empire s’empare totalement de la Crête et complète sa domination en Méditerranée orientale. Les Français font l’objet de représailles, en raison de l’aide apportée sporadiquement aux Vénitiens en Crète. Il faudra attendre 1673 pour obtenir le renouvellement des capitulations avec abaissement des droits de douane. L’Etat Ottoman connaît alors sa plus forte extension et contrôle sans aucun obstacle la totalité du bassin oriental de la Méditerranée. Mais il n’est plus la puissance redoutable du XVIe. En 1676, le nouveau grand vizir Kara Mustafa Pacha mène des campagnes militaires peu heureuses, il doit reconnaître le tsar comme souverain de la Russie, son droit de protection sur l’Eglise orthodoxe de Jérusalem, la création d’un patriarcat orthodoxe à Moscou. De tout cela vont découler les prétentions des Russes à protéger les orthodoxes de l’Empire ottoman et des conflits avec le patriarche de Constantinople. Puis survient l’épisode du siège de Vienne, mené afin d’éviter toute menace venant de l’occident. Commencé le 14 juillet 1683, il est levé le 12 septembre. Cet échec à un très large écho en Europe et éveillé de grands espoirs de revanche sur les Turcs que l’on estime abattu par cette défaite. Une coalition est mise sur pied regroupant Autrichiens, Russes, Polonais, Venise et la papauté. L’Empire ottoman est obligé de taxer d’offices de sommes considérables toutes les villes, de puiser dans ses réserves, de faire face à une sécheresse exceptionnelle en 1687. L’inflation revient, les paysans désertent les villages et forment des bandes de pillards, les soldats privés de solde et de ravitaillement marchent sur Istanbul. Suivent une série d’assassinats, de défaites militaires, de remise à flot de l’Etat aboutissant au premier traité défavorable à l’Empire la paix de Kralowitz avec les autrichiens, les polonais, les vénitiens le 26 janvier 1699 signée par les russes le 15 juillet 1700. Ce traité marque le début du retrait Ottoman en Europe, les frontières sont désormais ouvertes aux influences et aux incursions étrangères. IV Les nombreuses guerres que la République de Venise a menée contre l’empire ottoman ont eu une influence négative sur le commerce vénitien. Le commerce Français a supplanté le commerce vénitien après 1573. Il y a établissement de comptoirs portugais sur les côtes de l’Inde et dans certains pays du golfe persique. La route du Cap de Bonne Espérance est encore irrégulière. Les Hollandais créent la « Levant Company » en 1612, alors que les Anglais l’ont crée en 1581. Le centre européen des épices passe de Venise à Amsterdam. Le développement et la mécanisation font qu’Anglais Français et Hollandais savent fabriquer des draps de qualité moyenne supérieure au détriment de Venise et attaquent le marché Turc, qui refuse de s’industrialiser . A la fin du XVIe et au début du XVIIe, le commerce du Levant sous pavillon français a connu une époque brillante, atteignant 30 millions de livres par an, en moyenne. En 1630, il tombe a 13 millions et de 1635 a 1648 il chute encore de moitié a 6 millions pour atteindre 3 millions en 1660 Les produits facturiers français ne pouvaient plus supporter la concurrence anglaise et hollandaise, cela peut-être imputé à la politique de Louis XIV privilégiant le terrien sur les intérêts commerciaux et aux lourdes charges pesant sur le secteur manufacturier. La bourgeoisie marchande Française réagira, avec l’aide de Colbert a partir de 1660. Dans la deuxième moitié du XVIIe Anglais et Hollandais s’intéressent de plus en plus aux marchés de l’Amérique et surtout de l’Asie délaissent quelque peu celui de la Méditerranée. Pour les Français, l’expansion commerciale commence en 1665, expansion ou les Marseillais vont avoir un rôle de premier plan. Les Vénitiens, en représailles de la guerre de Crète et de la guerre de la Sainte Ligue font alors commerce sous pavillon Français. V Le XVIIIe siècle est marqué, pour l’Etat ottoman, par deux aspects majeurs : des conflits intermittents avec les Etats voisins, en particulier la Russie et l’Autriche, source de perte de territoires pour les Ottomans mais surtout d’une dégradation considérable de leur « image de marque ». Cette dégradation l’est tant aux yeux des Occidentaux qu’a ceux des sujets de l’Empire. La nécessité de réformes dans le fonctionnement essentiel des rouages de l’Etat apparaît à quelques personnalités Ottomanes éclairées. L’empire n’a plus l’appui, même moral, de la France ou de l’Angleterre. Les provinces européennes sont convoitées par les russes et les autrichiens, les provinces arabes font preuve d’une propension à l’autonomie que ce soit en Syrie, en Egypte ou en Afrique du Nord. Sans rentrer dans les détails des nouvelles guerres, les points saillants sont : Paix de Passarowitz, 21 juillet 1718 favorable à l’Autriche, Venise ne jouera plus aucun rôle. Arrivée de la flotte turque en méditerranée (1770), paix de Kütchük-Kaynardja en 1774, qui consacre Catherine II, la place prise par les Russes dans les affaires internationales, le succès de leur expansion ; la Crimée est reconnue indépendante. Dans les années 1700-1774 on constate une alternance au pouvoir de réformistes et des conservateurs, les notables prennent une place de plus en plus importante au détriment des classes sociales plus humbles, notamment les paysans. Grand vizir de la famille des Köprülü de 1699 à 1702 Amdjazâde Hüseyin Pacha a compris le retard de l’empire et la nécessité de réformes. Contrairement à ses prédécesseurs il diminue les taxes, accorde des exemptions d’impôts aux paysans retournant sur leurs terres, aux marchands reprenant leurs activités, favorise la sédentarisation des nomades. La diminution des rentrées d’impôts est compensés par une baisse des kapïkulu, les esclaves de la porte provenant du devchirme. Ils passent de 83 700 en 1691 à 59 100 en 1701, les janissaires passant eux de 70 000 à 34 000. Ces mesures de réductions d’impôts et de réductions des fonctionnaires (!) permettent une réévaluation de la monnaie : le sequin vénitien ne vaut plus que 315 aspres au lieu de 400, et un assainissement des finances. La marine est rénovée. Mais dès que le grand vizir entreprend de mettre de l’ordre dans les services internes du gouvernement et du Palais il se heurte aux gens en place conduit par le cheykh ül-islâm. De 1702 à 1717 suit une alternance de vizirs et de sultans, il faut noter de 1718 à 1730 une période de stabilité institutionnelle même grand vizir, même cheykh ül-islâm (Effendi), même grand amiral, même « ministre des finances », même « secrétaire général du gouvernement ». Ibrâhîm Pacha multiplie les contacts avec l’Europe, envoie des observateurs-ambassadeurs dans les principales capitales : Vienne, Paris, Moscou et en Pologne. Mehmed Effendi se fait le propagandiste de la culture, de la civilisation et des techniques françaises. Le sultan Ahmed III adopte cet état d’esprit et fait venir à Istanbul des artistes étrangers et organises des divertissements coûteux. Il y a un véritable changement des mentalités dans les milieux dirigeants, puis dans les classes sociales à haut revenu. Le temps est à la distraction, au renouvellement intellectuel, à l’édification de mosquées, medreses, fontaines, édifices divers. Les dirigeants ont pris conscience que l’Empire n’est plus l’Etat dominant de l’Europe et du Levant. Les Occidentaux cherchent à mieux connaître la culture et la civilisation du monde musulman. C’est ainsi que la première imprimerie en caractère arabe du monde musulman sera autorisée par une fatwa du cheikh ul-islam en 1727. Elle ne peut, pour des raisons évidentes, n’imprimer ni le coran, ni les textes canoniques. Jusqu’en 1745 elle édite vingt volumes, mais est fermée à la mort de son « imprimeur » en 1745 par les oulémas conservateurs. En 1730 la guerre iranienne reprend, entraînant une révolte des janissaires, l’exécution du grand vizir et la démission du sultan. C’est la révolte dite de Patrona Khalîl, l’un des janissaires qui répandent la terreur dans Istanbul. Le sultan arrive à étouffer cette révolte et à faire exécuter ses membres. Jusqu’en 1754, Mahmûd Ier va agir dans deux directions : la rénovation de l’armée, plus spécialement de l’artillerie confiée à un Français, le comte de Bonneval. la restauration de la paix et de la confiance dans les provinces L’histoire a tendance à se répéter : l’école d’ingénieurs fondée par le Comte de Bonneval est fermée peu après la mort de celui ci, en 1750, sous la pression des oulémas conservateurs. Ce sultan conduit une politique de paix, verse régulièrement leur solde aux janissaires, contrôle l’administration. Il fait construire des bibliothèques, des mosquées, des réservoirs d’eau, la situation économique et financière s’améliore et le Trésor se remplit. A sa mort le falot Osmân III devient Sultan ; durant son règne se sont succédés six vizirs et deux redoutables incendies. L’avènement de Mustafâ III (1757) est accueilli avec enthousiasme. Il garde en place le dernier grand vizir Kodja Mehmed Raghîb Pacha, un remarquable homme d’Etat qui restera plus de six ans en fonction. Il a renforcé la justice, promu des lois protégeant la population contre les abus des notables contraints les timariotes à respecter leurs obligations, maintenu de bonnes relations avec les puissances étrangères. VI Durant tout le XVIIie siècle, c’est la France qui effectue le principal trafic avec le levant, laissant loin derrière les Anglais, cela tient au fait que, surtout après 1763, la France n’a presque plus de colonies (perte des Antilles, occupées par les Britanniques), les Anglais s’intéressent à l’Inde et l’Amérique. L’essentiel de l’économie turque a pour base l’agriculture, productrice de grains, de riz, d’huile, de coton, de peaux, de laine, mais la majeure partie de cette production sert à l’approvisionnement des villes ; la production ottomane, faute d’innovations techniques, demeure stagnante en qualité comme en quantité : elle réussit à satisfaire les besoins des populations de l’empire mais n’est pas toujours à même de répondre aux demandes extérieures de matières premières. Le seul produit au XVIIIe dont le commerce connaît un développement certain est le café d’Arabie. VII On ne peut nier que la stagnation ou le déclin de l’empire ottoman est du à une incurie gouvernementale, à la corruption, à la volonté de conserver les privilèges, au refus du changement, à l’inexistence d’une marine marchande internationale. Mais jusqu’en 1774 (mort de Mustafâ III), certains Ottomans ont imposés des réformes. L’empire domine le proche Orient, offre l’aspect d’un état cohérent en dépit des tensions internes, contrôle les voies de communications traditionnelles, est un intermédiaire obligé entre l’Europe et l’Asie. L’Europe des lumières cherche la conquête économique des marchés, l’accaparement des matières premières, la domination politique. Les Occidentaux veulent diminuer le rôle d’intermédiaire de l’Empire ottoman. Apparaît une différenciation de plus en plus marquée entre les économies d’exportation occidentale et ottomane, avec une pression de plus en plus grande de la première la seconde ne disposant pas d’industrie créatrice de produits d’exportation et les industries locales ne travaillant que pour le marché intérieur. VIII Traditionnellement on date de 1774 « les débuts de la Question d’Orient ». Je n’en dirai que quelques mots. Abdïl-Hamid Ier monte sur le trône en 1774 et y restera 15 ans. Le sultan, face aux volontés d’autonomie de l’Anatolie, de la Syrie, des provinces de l’Ouest, de la Serbie, de l’Albanie, du Montenegro ne cherche pas a rétablir l’autorité du gouvernement central par la force. Il compose avec les chefs des mouvements, leur attribuant des titres officiels et des responsabilités. Ces derniers sont de plus en plus indépendants en matière économique et financière, ils conservent les impôts et taxes et traitent directement avec les négociants étrangers. Selim III monte sur le trône en 1789, réforme l’armée. Mais obnubilé par ses problèmes extérieurs (qui sont réels : guerre contre la Russie, l’Autriche, puis contre la France avec la conquête de l’Egypte) et par la politique de défense de l’empire, il n’a pas agi sur le plan intérieur. Soulignons juste un fait psychologique que ni Bonaparte ni Talleyrand n’avaient pressentis. Les musulmans d’Egypte ne se satisfont pas du respect affiché pour leur religion, ils ne sont pas plus touchés d’apprendre par le général que les Français sont les ennemis du pape. De leut point de vue, ils sont tombés sous l’autorité de non-musulmans, sort jusque la réservé à des provinces lointaines comme l’Andalousie ou récemment la Crimée. Le rejet par les Français de la religion catholique, c’est à dire d’une forme du message divin, au propfit de principes puisés dans une prétendue raison humaine, ne paraît guère rassurant. L’isolement du corps expéditionnaire n’est pas seulement matériel : il tient à l’impossibilité de se faire reconnaître une légitimité à gouverner des Croyants. Par ailleurs chronologiquement 1798 constitue pour le monde musulman méditerranéen une date plus importante que 1789. Jamais depuis l’époque des croisades le cœurs du Dar el-Islam n’avait connu l’irruption de forces européennes. Après les Turcs, les Arabes ont , à leur tour, la révélation des transformations de l’Europe. La participation des savants a achevé de démontrer aux Egyptiens éclairés le niveau atteint par les Français dans le domaine scientifique et technique. Les meilleurs d’entre eux, tout en étant persuadés de détenir une Vérité autrement supérieure, n’en ressentent pas moins la nécessité de retrouver la curiosité et l’ouverture aux étrangers qui permit autrefois aux Arabes d’aller si loin dans la voie de la civilisation. La Mecque et Médine sont placés sous une autorité arabe (1804) et il faudra une guerre de sept ans :1811-1818 pour réduire cette insurrection. Encore une fois l’histoire se répète pression russe, renforcée par les britanniques, Selim III peut compter sur l’appui de la France. Mais il a du avoir recours à des expédients (taxes supplémentaires, saisi de biens) qui entraînent un renchérissement des prix. Il mécontente une grande partie de la population, ceux que touchent réformes militaires et financières, aussi bien ceux qui trouvent que l’empire n’a su se moderniser, cette voie mettant en péril les traditions musulmanes et ottomanes. En 1807, face à une révolte des janissaires qui réclame l’abolition des réformes appuyés par une fetwa, Selim III renonce. Il sera assassiné moins d’un an plus tard. Avec sa mort s’achève une période de l’empire au cours de laquelle apparaît au grand jour la pression des grandes puissances en vue d’amoindrir l’empire et sa domination territoriale, tandis que se manifestent les tentatives de réformes, contrecarrées par l’inadaptation des hommes et des mentalités, trop marquées par les traditions, les habitudes et la crainte de la perte de privilèges. Mahmud II va initier les Tanzimat (pluriel de tanzim : mise en ordre) de 1809 à 1839. Les années 1820-1830 apparaissent comme l’épanouissement du phénomène qui pousse les intellectuels occidentaux à rechercher à l’Orient ce qui semble leur échapper : c’est l’Orientalisme. Parallèlement il y a une restauration de l’image de la France comme puissance chrétienne, les gouvernements qui se succèdent depuis 1815 reconnaissent aux religions et notamment au catholicisme une place importante. Les pays musulmans sont eux parcourus de mouvements qui tendent à ébranler les institutions établies au profit de projets plus conformes aux idéaux d’une société qui se sent menacée. La plus grave pour l’Empire ottoman est la révolte des Wahabites (Mohammed Abd-el-Whalab 1703-1792 prêcha en Arabie un retour à l’Islam originel et obtint l’apuui de la dynastie séoudienne), mais à la même époque des insurrections violentes agitent la régence d’Alger. Les Wahabites condamnent sévèrement toutes les formes de piété populaires, et notamment le culte des saints. Ils refusent le soufisme, la mystique musulmane. Le traité d’Andrinople complété par la conférence de Londres (1829, 1830) : la France et l’Angleterre réussissent à empêcher la dépeçage des provinces européennes au profit de la Russie, l’indépendance de la Grèce est proclamée et garantie. En 1830 commence la conquête de l’Algérie. IX Le déclin de l’empire au cours du XIXe face a une Europe dont la puissance s’était accrue, malgré ses divisions, apparaît comme une décadence. Les dirigeants amenés à réfléchir, sans remettre en cause l’islam, ciment de l’empire, virent la source du mal dans leur progressive infériorité scientifique et technique (dans le domaine militaire, mais tout est lié le manque de livres traduits peut en être une cause quand on regarde ce qui s’est passé du IXe au XIIIe siècle entre la science et l’islam) et a une certaine inadaptation des institutions à un monde qui avait évolué très rapidement. Le concept de modernité apparu dans les sphères dirigeantes ; l’opinion se fit jour que l’on pouvait innover pour celles des matières séculières qui n’étaient pas régies par le Coran. Face au courant d’occidentalisation, soutenu par les principaux hommes d’Etat, les tenants de l’immuabilité de la tradition islamique menèrent un combat soutenu à la fois par le petit peuple et la plus part des oulémas avec des succès fréquents mais éphémères. Je n’ai pas le temps d’aller plus avant. Mais on ne peut que constater la justesse du diagnostic du prince Alexandre Gorchakov, chancelier d'Empire et ambassadeur du tsar Alexandre II lors du traité de San-Stefano (près d'Istamboul) qui clôt la guerre russo-turque le 3 mars 1878 : «La Turquie est l'homme malade de l'Europe». (L'Empire russe acquiert à cette occasion la Dobroudja et une partie de l'Arménie, pendant que la Serbie et le Monténégro gagnent du terrain. Le déséquilibre ainsi créé est tel que l'Angleterre de Disraeli prend des mesures contre la Russie. Bismarck va se poser en médiateur lors du congrès de Berlin où l'Angleterre obtiendra Chypre à son profit (juillet 1878) avant d'imposer bientôt son protectorat sur l'Égypte en 1882). Durant la première guerre mondiale, l’Angleterre la France et les Etats-Unis se partagèrent le reste de l’empire. T.E. Lawrence (in Revue du monde musulman, 1919, pp 15-22, l’entrée avec Lawrence a Jérusalem en 1917) ressentit comme un sacrilège le fait que son pays se soit servit de lui pour tromper son hôte Faycal. Massignon ressentira la même chose en 1920 lors de la bataille de Meïsseloun. Les Musulmans se sont contentés de promesses, comme s les Européens avaient une parole. En 1920 commencent les années fastes pour l’Occident, surtout pour les Anglais et les Français. Tout ce qui valait la peine d’être conquis le sera. Pas une mouche ne peut se poser sans autorisation de l’un des deux pays. Le général Gouraud, pourra venir donner un coup de pied au tombeau de Salah Eddine Al Ayoubi et s’exclamer: « Saladin nous voici ! ».. La presse mondiale reprendra cette expression. Il n’y avait plus qu’à maintenir la situation telle qu’elle était. L’armée aura son rôle, les orientalistes le leur. La traité de Lausanne du 24 juillet 1923 est conforme aux voeux exprimés par les députés turcs, la république est proclamée le 29 octobre 1923, le 3 mars 1924 il est mis fin au califat. Conclusion. Pour la première fois le grand vizir fait appel a un spécialiste étranger pour réorganiser l’armée, en 1731, un Français, le comte de Bonneval est appelé. L’hostilité des janissaires le contraint à limiter son programme de réforme, mais il en est de même dans toute les corporations : hostiles à toute innovation, elles préfèrent l’artisanat à l’industrie. Il n’y aura pas d’industrie Ottomane compétitive avec l’industrie Européenne. De même les réformes fiscales ne sont pas souhaitées par les fonctionnaires et le peuple. Je vous propose de prendre symboliquement cette date comme le début d’un déclin qui a commencé dix ans avant la mort de Soliman, dont on voit les multiples causes et l’enchevêtrement causes <-->effets : conquête terminée (épuisement par des guerres sur deux voire par moment trois fronts) Passage de l’Europe au capitalisme mercantile qui occupe l’espace maritime. L’empire Ottoman se pense intrinsèquement supérieur jusqu’en 1830 ou le concept de modernité pour les matières séculières non régies par le Coran. Livres consultés : Benoist-Méchin, Mustapaha Kémal ou la mort d’un Empire, Albin Michel Fenand Braudel, Autour de la Méditerranée, Civilisation matérielle économie et capitalisme (3 vol) La méditerranée à l’époque de Philippe II (2 vol). Jacqus Frémeaux, La France et l’Islam depuis 1789 , PUF Gérard Challiand, Guerres et Civilisation, Odile Jacob Syfettin Gürsel, L’Empire Ottoman face au capitalisme, l’Harmattan Ömer Lüfti Barkan Caractère religieux et caractère séculier des institutions Ottomanes Robert Mantran (sous la direction de), Histoire de l’Empire Ottoman, Fayard Robert Mantran L’ Empire Ottoman du XVIe au XVIIIe , Varioran Reprints Louis Massignon Parole donnée Julliard (ensuite ré-édité au Seuil) Géraud Poumarède, Pour en finir avec la Croisade, PUF. Yves Ternon ,L’Empire Ottoman, félin poche T. Zarcone, Sociabilités mystiques en Islam Le Coran, traduction D. Masson, Folio Torah, Bible, Coran, Livres de Parole, Bibliothèque national de France