Bruno Mannoni
AH
Histoire.
Comment comprendre le déclin l’empire Ottoman ?
L'Empire Ottoman est au faîte de sa puissance pendant environ trois siècles, il repose sur une
culture religieuse, une économie et une organisation sociale qui paraissaient intangibles,
comment expliquer son déclin à partir du milieu du 18ème ? Divers types de causes doivent
être recherchées, qui, additionnées, peuvent aider à comprendre ce phénomène à première vue
difficile à saisir.
Je m’arrêterai à la période dite du « début de la question d’Orient » et je vais essayer de
m’attacher à montrer les multiples raisons qui ont abouties a ce que l’on peut considérer
comme un déclin du à une difficulté à s’adapter aux changements survenus en occident.
1 - Les causes internes : Une civilisation peut-elle survivre en stagnant ?
2 La difficulté des réformes et le contre-pouvoir réel cheyk ül-islam face au sultan. Les
effets d’une civilisation/religion profondément opposée aux changements tout en étant
étonnamment tolérante pour son époque. La civilisation Islamique et la religion islamique
sont sans doute a distinguer, le mot étant polysémique signifiant : soumission, paix,
sauvegarde, salut. La résistance « au changement » n’existait pas, au contraire dans la période
du IX ème au XIII ème siècle.
3 - Les causes externes : le développement de la modernité européenne et ses besoins
d'expansion commerciale. Le modèle dominant doit-il être copié ?
4 - Les facteurs circonstanciels eux-mêmes (guerres, etc...).
Très schématiquement nous avons un Empire volant de conquêtes en conquêtes dont
l’expansion semble infinie, puis des revers militaires qui entraînent des difficultés
économiques, demandant des réformes, une succession durant deux siècles d’avancées et de
reculs, et une sorte de soumission à l’occident signant la fin d’un Empire mais le début d’un
Etat républicain qui souhaite entrer dans l’Europe.
Introduction.
L’Empire ottoman est a son apogée, sous Soliman le Magnifique,(1520-1566) ; il s’étend sur
trois continents, comporte 22 millions d’habitants dont 80% habitent en Asie, Constantinople
est forte de 500 000 personnes ;c’est une ville aérée, la hauteur des maisons dépend de la
religion des propriétaires, elles sont regroupées en quartiers qui ne sont pas des ghettos. Les
incendies dévastateurs sont fréquents. Il y a plusieurs épidémies de peste et des tremblements
de terres meurtriers chaque siècle. La ville est bien organisée en distribution d’eau (mais pas
en égouts), en hammams, mais les rues sont étroites et en terre. Les maisons sont construites
en bois, sauf si elles ont fait l’objet d’un incendie.
L’Empire pouvait lever une armée d’environ 100 000 hommes.
Soliman est l’unique roi des rois ; il appelle Charles Quint : le roi d’Espagne, certainement
pas le maître du Saint-Empire.
Décrit comme un despote absolu, le sultan est néanmoins heureusement contraint par la
tradition et la loi islamique. Cependant les « fonctionnaires » de l’empire sont les esclaves du
sultan, mais le concept d’esclave est beaucoup moins connoté qu’en Europe, on peut être un
grand personnage avec un fort pouvoir et être esclave. On peut être affranchi, c’est même
recommandé par la loi islamique ; automatiquement si on est concubin(e)s d’un musulman, à
sa mort, en se convertissant à l’islam, si on est mal traité ... C’est une société sans noblesse ni
aristocratie.
Les Ottomans intégraient à leur service une partie des classes militaires des pays conquis, sans
les obliger à embrasser l’Islam, il s’est trouvé des beys chrétiens commandant dans l’armée
ottomane. En Espagne on a voulu détruire en masse les musulmans par des massacres
organisés. L’administration Ottomane, a l’heure de la réforme, de la contre-réforme, des
guerres de religion en Europe, apparaît comme remarquablement tolérante et équitable pour
les non musulmans, ainsi d’ailleurs que pour les esclaves. Chassés d’Espagne après la chute
de Grenade en 1492 160 000 juifs se réfugièrent dans l’empire ottoman ou en Afrique du
nord. (Cela marque la fin de sept siècles de présence musulmane en Espagne).
Le déclin de cet empire ne peut s’étudier que dans l’après-coup. Les moments ou les premiers
signes apparaissent n’ont pas une importance déterminante, ni la mort du grand Vizir Ibrahim
(Soliman fait assassiner Ibrahim qui commençait à dire du mal de lui et prenait de plus en plus
d’indépendance. Il faut noter qu’il a été repéré sur un marché aux esclaves par le Sultan et
acheté à la vue de sa beauté), la levée du premier siège de Vienne (1529), la défaite de
Lépante (1571), l’échec du second siège de Vienne (1683), la paix de Karlowitz en 1699 (une
trêve d’après la loi islamique) sont des faisceaux d’interférences et de présomptions. De la
seconde moitié du XVI ème siècle à la fin du XVII ème il y a trop d’alternances de victoires
et de défaites, d’effondrements insurrectionnels suivis de redressements pour que seul le récit
événementiel et chronologique soit pertinent.
Braudel disait d’ailleurs : « un monde plutôt qu’un empire ». Un monde musulman, déjà, dont
la shéria fixe de façon immuable l’ensemble des principes juridiques, sociaux et politiques,
qui rend délicat une distinction entre le temporel et le spirituel, ou tout du moins on ne peut
concevoir cet empire séparé de l’institution religieuse.
I.
La période de splendeur de l’empire Ottoman commence à l’avènement de Mehmed II (1451)
La date la plus connue de cette période est la prise de Constantinople le 29 Mai 1453. Ce fut
un des grands faits de l’histoire du monde dont certains historiens affirment qu’il clôt le
moyen âge et marque le début des temps modernes. Braudel lui est plus attaché à la victoire
essentielle de Mohacs en aôut 1526 qui ouvre l’Europe centrale et la conquête de la Hongrie
en 1540-1541.
Cette bataille a lieu dans un contexte difficile pour la France défaite le 24 Février 1525 à
Pavie : François Ier défait est prisonnier de Charles Quint, les Habsbourg dominent l’Europe.
Le deuxième émissaire envo par la reine mère , Louise de Savoie, Jean Frangipani obtient
la parole de Soliman d’être prêt à la guerre. A peine François Ier a renvoyé son messager (il
vient de quitter sa geôle en laissant ses enfants en otage) pour remercier Soliman que les
Turcs écrasent les Hongrois : Louis II roi de Hongrie, beau-frère de Charles Quint est tué.
Une partie de son trône revient au voivode (roi de Transylvanie) Jean Zapaolya, allié des
Français et des Ottomans, grâce à la médiation d’un Espagnol passé au service de la France.
Sur le plan symbolique la fin de l’Empire byzantin est important, sur le plan militaire,
l’ouverture vers la Hongrie est capital. Sur le plan des religions, les cicatrices du concile de
Nicée sont encore présentes, et les éléments ariens de l’Islam peuvent être bien accueillis en
Orient.
Lorsque Süleyman Ier, connu en occident comme Soliman le Magnifique devient sultan en
1520, le cherif de la Mecque s’était déjà soumis en 1517 ; il est donc à la tête de la première
puissance de l’Islam qui comprend aussi l’Egypte et la Syrie et les trois villes Saintes :
Jérusalem, Médine et la Mecque.
L’Empire ottoman qui s’est toujours désigné sous le nom d’Etat ottoman est une puissance
méditerranéenne qui a réuni sous une direction turque de nombreuses populations : arabes,
kurdes, arméniens, slaves, latins, albanais qu’ils soient musulmans chrétiens ou juifs.
Il faut souligner un certain nombre de caractéristiques liées à cet empire qui obéit à la loi
islamique :
L’Empire ottoman est assimilé au dâr-al Islam (territoire de l’Islam) destiné à s’étendre
au monde entier à mesure que la dâr al-harb (territoire de la guerre) se réduit.
Mais cela ne signifie pas que tous les sujets de l’Empire doivent devenir musulmans.
Chrétiens et juifs, considérés comme des gens du Livre (ehl ül-kitab), bénéficient du
statut prévu par la charî’a : il leur reconnaît une place dans l’Etat, le droit de pratiquer
librement leur religion, mais il les maintient dans une certaine ségrégation par rapport
aux « vrais croyants » (tout en étant très tolérant, par exemple pour les affaires de
justice ou aucun musulman n’est impliqué) en leur imposant une capitation marquant
leur soumission. La religion musulmane est ainsi le fondement de l’identité, le premier
objet de fidélité et l’unique source d’autorité légitime.
Afin de pouvoir continuer son expansion l’Empire a besoin d’augmenter sans cesse son
armée. Pour cela les Ottomans intégraient à leur service une partie des classes militaires des
pays conquis, sans les obliger à embrasser l’Islam, il s’est trouvé des beys chrétiens
gouverneurs militaires. (Les orthodoxes disaient préférer le croissant à la mitre).
L’Empire a été une entreprise militaire en perpétuelle expansion. L’équilibre de l’ensemble
résidait dans l’appropriation de nouvelles ressources nées de la prédation, permettant de
garantir le salaire de l’administration et de l’armée, et l’utilisation du devshirmeh (impôt sur
le sang) pour augmenter les troupes des yeni tcheri (janissaires == nouvelle troupe).
Cette levée en terre chrétienne à ses règles, aucun homme marié ne peut être enrôlé,
d’ou certains mariages précoces a 12 ans. Ces levées se font tous les 7 ans en principe,
mais peuvent avoir lieu tous les quatre ans.
L’entraînement dure plusieurs années, il commence a 13 ans. Convertis, les garçons
changent de noms. Sur 6 000 recrues 1 200 sont sélectionnées pour les écoles royales. Les
recrues apprennent le turc, des notions d’arabe et de persan, à lire et à calligraphier. A
18 ans la recrue est enrôlée dans une compagnie.
Ajoutons que la condition d’esclave dans le monde musulman est nettement meilleure que
celle de l’esclave grec ou romain en raison des préceptes coraniques. Un maître doit à son
esclave des soins médicaux, une alimentation correcte et l’entretien dans ses vieux jours. Si
un maître manque à ses obligations, le juge peut l’obliger à les remplir ou le pousser à vendre
ou affranchir son esclave. L’affranchissement est non seulement possible mais recommandé
par le Coran.
L’islam ne reconnaît ni caste ni aristocratie, rien de comparable avec les patriciens et les
plébéiens de l’ancienne Rome, les nobles de l’Europe féodale ; cependant dans les faits on
constate l’existence et la persistance de grandes familles qui se transmettent des charges de
père en fils.
Pour pouvoir continuer sur son modèle l’Empire a besoin de toujours plus de
ressources, humaines, monétaires, alimentaires qu’il ne peut obtenir que par des
nouvelles conquêtes.
En 1570 la conquête de Chypre est considérée comme la dernière grande victoire militaire
ottomane ; Lépante (1571), dont Cervantès dit : « jour de bonheur pour la chrétienté ou toutes
les nations qui avaient cru les turcs invincibles réalisent leur erreur », la première grande
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