Intervention Coloque religion

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On peut tourner autour du pot autant que l’on veut : l’humour et la religion ne font
vraiment pas bon ménage. Ca ne fait absolument aucun doute. Si l’on veut être plus
précis, je crois que c’est surtout le sacré et l’humour qui ne vont pas ensemble. Et le sacré
et la religion sont quand même des valeurs souvent liées. Certaines sous-petites
religions comme les clubs de football qui ont leurs supporters, ou les Gilles de Binche par
exemple, sont souvent aussi censeurs et aussi frileux vis-vis de l’humour qu’on peut faire
à leur égard que ne le sont les religions.
Mais ne disons pas ce qui n’est pas : les religions n’aiment pas l’humour. L’humour est
souvent effectivement dénigrant, et est souvent là pour dépasser les limites. Si on dit qu’il
n’est plus de l’humour parce qu’il ne fait pas rire certains, le serpent, la réflexion se
mangent la queue. Il est de l’humour. On peut dénigrer, non pas les personnes (même si,
dans la caricature, on le fait bien sûr un peu, voilà), mais on peut dénigrer des idées. Et les
religions sont des idées. On a donc le droit de le faire parce que, si on ne pouvait jamais
dénigrer aucune idée, nous vivrions tous avec celles du premier qui en a une. Il faut
toujours ne pas perdre cela de vue. On peut donc vraiment dire que l’on ne croit pas à
quelque chose, se moquer de l’idée de quelqu’un d’autre. Ne jamais choquer les autres ?
Moi je veux bien. Mais, pour ne choquer aucun des pratiquants des trois grandes religions
monothéistes, il faudrait déjà que je ne travaille pas le vendredi, pour ne pas déplaire aux
musulmans, le samedi pour ne pas déplaire aux juifs et le dimanche pour ne pas déplaire
aux catholiques. Comme indépendant, je ne peux pas me le permettre. Si on fait l’addition
de tout ce qui est interdit par toutes les religions, on ne peut plus rien faire.
Pourquoi les religions n’aiment-elles pas qu’on dise des choses comme ça, un petit peu
souriantes ? Parce qu’elles fonctionnent quand même toujours sur la peur. Qu’on se
souvienne du film d’Anaud Le nom de la rose et le libre d’Umberco Eco qui est à sa base.
parce qu’il est plus souvent au cinéma que le livre qui est à l’origine, avec ce fameux livre
interdit que les moines qui veulent le lire meurent parce que les bords des pages sont
empoisonnés. À la fin du film, le moine dit : « Il ne faut pas lire ce livre parce que
l’humour diminue la peur, et sans peur il n’y a pas de foi ». Je crois que c’est la clé des
craintes qu’ont les religions par rapport à l’humour : l’humour est un peu comme un
enfant qui siffle en marchant dans les bois pour avoir moins peur. Pourquoi rit-on de la
mort, du sexe ? Parce que c’est des choses qui nous font peur. Et je pense que les religions
fonctionnent énormément sur la peur, qu’on les ait inventées, qu’elles soient nées, qu’elles
soient révélées. Je n’entends pas rentrer dans le débat, je ne suis même pas sur de mes
propres convictions là-dessus. Mais en tous cas, toutes, elles ont un propos sur l’après, sur
la mort, qui est bien quelque chose qui nous fait peur, sur les origines, sur toutes ces
choses qui nous font peur.
En petit, au quotidien, c’est la même chose: on a beaucoup de mal à être détendu à propos
de religions et même de celles des autres, et à la limite encore plus parce qu’on a peur de
les vexer, peut-être a-t-on peur qu’ils vous coupent la tête ? On doit en tout cas
fonctionner tout le temps avec la peur.
J’aime l’houmous, cette purée de pois chiches qui provient du Moyen-Orient, c’est-à-dire
qu’il est à la fois juif en Israël, chrétien au Liban, ou musulman en Palestine. L’houmous
importé en Belgique vient d’Israël et il y est spécifié qu’il est contrôlé par le rabbin « de je
ne sais où » pour s’assurer qu’il a été bien fait dans des conditions kasher. J’ai envie de
dire : enfin, détendez-vous un peu ! Si vous êtes juifs, est-il dramatique de manger une
cuillère d’houmous qui n’est pas passée entre les mains d’un pauvre rabbin qui a vérifié
comment il a été fait ? C’est vrai, je suis pas juif. Mais, quand je dis ça, je sais que je vais
recevoir deux tonnes de courrier me traitant d’antisémite ou de nazi parce que j’ai dit
quelque chose sur une purée de pois chiches. De telles peurs, on les rencontre tout le
temps dans les journaux.
Maintenant, gardons les mots pour ce qu’ils veulent vraiment dire. La censure officielle en
Belgique, n’existe pas ou est fort rare. Lorsque un journal refuse de passer un dessin, on
peut être très fâché, mais cela s’appelle un refus, pas réellement une censure.
Je ne suis pas propriétaire du journal qui’est le mien. Il y a un rédacteur en chef, c’est un
travail collectif. Si, un jour, on me dit que je ne peux pas publier un dessin, je ne vois pas
pourquoi j’aurais plus de droits qu’un journaliste à qui on dit on ne publie pas son article.
En soi, ce n’est pas de la censure.
Eric de Beukelaer m’a dit un jour que la chose la plus difficile dans les images que je
dessinais à propos de la religion chrétienne concernait la croix. La croix du Christ est
vraiment le sacré des sacrés, c’est la souffrance, c’est la renaissance, la résurrection….
C’est donc la chose qui choque, qui fait le plus mal aux croyants fervents. Je lui ai
expliqué que je comprenais le point de vue mais que, lorsque je la dessinais, parce que je
me permets cette transgression, c’était à chaque fois réfléchi. Je n’ai jamais fait un dessin
idiot avec le Christ qui dit « Ramenez-moi des clous je glisse », comme le racontent les
blagues de potaches. Je vais prendre un dessin fait dans un débat sur l’euthanasie : « J’ai
mal » dit Jésus sur sa croix et le Père lui répond « ca va passer », je pense que ça en dit
long sur le fait que l’euthanasie, vous savez les cas dans lequel c’est pratiqué, les cas où
ils ne le sont pas, etc. Un que j’aime vraiment beaucoup : le Christ sur la croix qui dit à
son à Dieu : « La prochaine fois tu viendras toi-même. ». Il faut une certaine culture pour
pouvoir faire ce dessin, pour le comprendre.
Je voudrais qu’on en appelle à écarter les débats basés sur les gens qui n’ont pas du tout
compris. Parce qu’il y en a qui ne veulent pas comprendre, qui veulent juste voir qu’on a
fait cette transgression et qu’on n’avait pas à la faire. Ceux-là, ils s’excluent du débat
d’avance.
À la fameuse question tarte à la crème « est-ce qu’on peut rire de tout », ma première
réponse est d’abord : on n’est pas obligé. Je ne considère pas comme un idiot quelqu’un
qui ne rit pas de quelque chose que je fais. À notre époque mondialisée, allez discuter
avec un moudjahidin afghan dans ses montagnes du fait que vous prenez à la légère des
choses sacrées pour lui ! Ce n’est que si l’comprend la même chose qu’on peut en
discuter.
À propos de la question sur les déclarations du pape sur le préservatif, je m’étais permis
de dessiner le Pape et le Christ qui se faisaient dos, le Christ en croix disant cette phrase
qui décidément m’inspire souvent : « Pardonne-leur, , il ne sait pas ce qu’il dit ». J’ai moimême demandé au Soir si on pouvait la diffuser. Je m’attendais à beaucoup de réactions et
j’étais prêt, s’il fallait en débattre. Car, comme Eric mde Beukelaer me l’a souvent dit, le
Christ il est en quelque sort en chacun de nous. Il m’appartient donc un peu autant
qu’àaux autres, et donc moi je peux lui faire dire ce que j’entends, si je l’ai compris ainsi.
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