Idéal démocratique, inégalités et justice sociale

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Idéal démocratique, inégalités et justice sociale
Dossier documentaire
(Classe de Terminale)
Document 1
« La société américaine proclame la valeur de tout être humain. Elle garantit à tous les citoyens l’égalité devant la
justice et les droits politiques. Le privilège d’une prompte intervention des sapeurs pompiers et de l’accès aux
monuments publics est le même pour chacun. Tous les citoyens américains sont membres d’un même club. Pourtant,
nos institutions nous disent aussi qu’il faut “trouver un emploi ou crever de faim”, “réussir ou souffrir”. Elles nous
incitent à nous pousser de l’avant pour surpasser notre prochain sur le plan économique, après nous avoir enjoint de
respecter l’égalité sociale. Et les primes qu’elles leur accordent permettent aux gros gagnants de mieux nourrir leurs
animaux domestiques que les perdants ne peuvent nourrir leurs enfants.
Deux poids, deux mesures, donc, dans une démocratie capitaliste qui prétend tendre à un système politico-social
égalitaire et qui, en même temps, creuse des disparités choquantes sur le plan du bien-être économique. Ce mélange
d’égalité et d’inégalité frise parfois l’incohérence, voire même l’hypocrisie. »
Okun Arthur, Égalité versus efficacité,
Paris, Economica, 1982, p. 1.
Document 2
Déloye Yves, Sociologie historique du politique, Paris, La Découverte, 1996, coll. « Repères ».
Document 3
« Si l’égalité empirique de tous est probablement l’ennemie de la liberté, l’aspiration à l’égalité suppose la liberté. Dans
les sociétés démocratiques, les individus ne peuvent prétendre à l’égalité que s’ils sont libres, que si, comme le dit
Rousseau, “tout homme naît libre et maître de lui-même”. Cette maîtrise de soi, cette capacité d’être souverain, n’est
pas la garantie d’une égalité réelle, mais elle est la condition d’une égalité des chances et donc d’inégalités justes parce
qu’issues d’une compétition entre égaux. C’est en ce sens que la liberté et l’égalité qui peuvent être si souvent
opposées, ont aussi partie liée. »
Dubet François, Les Inégalités multipliées,
La Tour-d’Aigues (Vaucluse), Éditions de l’Aube, 2001, coll. « L’aube intervention ».
1
(Plusieurs documents : Saint-Upéry sur l’utilitarisme, Van Parijs sur le libertarisme, sur le marxisme éthique et sur
l’égalitarisme libéral.)
(Document(s) sur Egalité et efficacité économique)
Document 4
L'utilitarisme est en premier lieu la tentative de transformer l'éthique en une science positive de la conduite humaine,
science dont Bentham voulait qu'elle soit .exacte comme la mathématique-. Aux impératifs moraux d'origine
religieuse ou métaphysique se substitue la considération exclusive des mobiles réels qui déterminent l'action humaine
et qui peuvent se résumer à la recherche du plaisir ou du bien-être (1' « utilité ») et au rejet de la douleur et du
malheur. Le .calcul des utilités-, qui permet de maximiser le bonheur global, a deux autres attraits : il apparaît
radicalement égalitaire, au sens où le bien particulier d'un individu n'a pas plus d'importance que celui de n'importe
quel autre ( we count everyone for one, no one for more than one., disait Bentham); il se présente comme une morale du
résultat qui n'obéit pas à des règles abstraites mais à une analyse détaillée des conséquences concrètes réelles ou
possibles des actions individuelles et/ou des dispositifs institutionnels (c'est pourquoi l'on parle d'une éthique
conséquentiaIiste). Tout cela semble faire de l'utilitarisme un candidat idéal pour orienter une théorie économique du
bien-être. Mais la doctrine utilitariste doit pour ce faire surmonter un certain nombre de difficultés intrinsèques.
La première est la définition du bien-être, du bonheur ou de la satisfaction. Le philosophe américain Robert Nozick a
élaboré l'argument le plus dévastateur à l'encontre de la conception hédoniste du bonheur qui informe l'utilitarisme
originel. Imaginons, dit-il, que des neuropsychologues nous attachent à une «machine d'expérience» qui nous injecte
certaines drogues. Ces drogues créent les états de conscience les plus agréables qu'on puisse imaginer. Si le plaisir
comme tel était notre bien suprême, nous voudrions tous être ainsi maintenus dans un état de volupté perpétuelle.
Mais il est clair que, loin d'y voir la meilleure vie que nous puissions souhaiter, la plupart des gens considéreraient
cette forme d'existence comme totalement vaine et dénuée de sens. Notons bien que la machine peut reproduire non
seulement des plaisirs grossiers, mais des états mentaux plus complexes et éthérés, comme les angoisses stimulantes
de la création artistique. Le problème, c'est que nous ne souhaitons pas seulement jouir de la sensation de créer de
l'art, nous voulons créer de l'art, et il en va de même pour toutes les activités auxquelles nous accordons une valeur.
[…]
Tout cela ne nous dit toujours pas comment mesurer les plaisirs, la satisfaction des désirs ou l'intensité d'une
préférence. En l'absence d'un «thermomètre moral » ou d'un «hédonomètre efficace », l'utilitarisme perd beaucoup de
son attrait. Mais, quand bien même on disposerait d'un tel instrument, cela ne résoudrait pas un autre problème :
l'égalitarisme apparent de la doctrine ne se reflète pas nécessairement au niveau du résultat des calculs d'utilité. […]
Un des reproches les plus fréquents fait au calcul utilitariste, c'est qu'on pourrait sacrifier la liberté ou même la vie
d'un individu pour maximiser l'utilité de tous les autres. Prenons un exemple de la vie réelle: dans certains pays
d'Amérique latine, la police est tellement incapable d'assurer la sécurité des citoyens les plus pauvres (les riches
disposant de polices privées) que les actes d'autodéfense débouchant sur des lynchages brutaux se multiplient. On
pourrait considérer qu'avec la disparition d'un dangereux délinquant l'utilité de tous les citoyens (comme satisfaction
de leur préférence pour la vengeance dans le présent et/ou pour la sécurité dans l'avenir) est maximisée, et ce à
moindre coût pour le budget de l'État. Mais notre intuition morale (du moins celle de pas mal de gens) nous dit qu'il
s'agirait là d'une injustice, même si la victime était coupable de crimes horribles. Ce type d'intuition morale s'exprime
généralement dans un langage des droits, de l'inviolabilité de la personne humaine, etc., que Bentham considérait
comme des fictions absurdes et nuisibles et qui n'entre pas non plus en ligne de compte dans le raisonnement
économique.
Saint-Upéry Marc, Amartya Sen ou l’économie comme science morale,
Introduction à l’ouvrage de SEN Amartya, L’économie est une science morale, La Découverte, Coll. Essais, 2003, p.21-25.
Document 5
Vous avez dit «trop riche »…?
Supposons que notre société compte 100 millions de membres, tous à peu près égaux quant à la richesse - 100 euros
chacun - et aux talents tout à fait semblables, à une petite exception près: les chansons de MC Solaar nous plaisent
tellement que nous sommes tous désireux d'acheter le nouvel album qu'il vient de mettre en vente au prix unitaire de
10 euros, Notre patrimoine chute sur le champ à 90 euros, tandis que celui de MC Solaar passe sans tarder à 1000
000 100 d'euros (abstraction faite de quelques broutilles en frais de production et de promotion, dont on nous
pardonnera de ne pas tenir compte). Voilà donc notre rappeur plus de onze millions de fois plus riche que chacun
d'entre nous! Cela par le simple effet d'une juste circulation des droits de propriété à partir de la (non moins juste)
situation égalitaire initiale. L'État ne pourra pas arguer de l'inégalité résultante pour effectuer quelque redistribution
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que ce soit, ce serait là bafouer la liberté qu'a chacun de nous d'user à sa guise de la richesse et des talents qu'en toute
justice il détient.
Cette parabole constitue une paraphrase du célèbre exemple du joueur de basket-ball Wilt Chamberlain [Nozick, 1974].
Quelle liberté? La parabole de l'île
Sans qu'aucun des autres principes libertariens n'ait fait l'objet d'une violation quelconque, une île est devenue la
propriété exclusive d'un seul de ses habitants. Chacun des autres habitants est le plein propriétaire de lui-même et
aura peut-être, dans les variantes « de gauche », reçu un petit paiement, correspondant à sa part de la valeur
marchande de la terre (à l'état brut). Il est néanmoins parfaitement possible que chacun d'entre eux n'ait pas d'autre
option que de peiner seize heures par jour pour le propriétaire de l'île en échange de la maigre pitance qu'il daigne lui
concéder. Si, en outre, celui-ci se pique de ne permettre aux agriculteurs de travailler sur ses terres que s'ils portent un
chapeau rouge, sifflotent La Marseillaise ou s'abstiennent de prononcer le mot « liberté », la parfaite conformité aux
principes libertariens ne s'en trouve aucunement altérée. Bien entendu, rien ne l'autorise à forcer les agriculteurs à
travailler, ni du reste à les retenir dans l'île. Mais s'ils n'ont ni le moyen de trouver sur l'île une autre source de
subsistance, ni celui de construire le bateau qui leur permettrait de s'en échapper, ce n'est pas son affaire, ni celle des
libertariens : l'île n'en demeure pas moins, à leurs yeux, un paradigme de société libre !
Arnsperger Christian, Van Parijs Philippe, Ethique économique et sociale,
La Découverte, Coll. Repères, 2000, pp.37 et 44.
Document 6
Les trois types d'exploitation selon Roemer
Dans l'approche de l'exploitation proposée par Roemer, ce qui importe n'est pas l'inégalité des dotations en ellemême, mais bien l'inégalité de sort matériel que la distribution non égalitaire des dotations induit.
Situation
contre factuelle
de référence
si la liberté
formelle
était accordée
à tous
si le capital
était réparti
de manière égale
si les
qualifications
étaient réparties
de manière égale
Type
d'exploitation
Féodale
Capitaliste
Socialiste
Victime
(dont le sort
s'améliorerait)
Serf
Prolétaire
Non qualifié
Bénéficiaire
(dont le sort
se dégraderait)
Seigneur
Capitaliste
Qualifié
Arnsperger Christian, Van Parijs Philippe, Ethique économique et sociale,
La Découverte, Coll. Repères, 2000, p. 54.
Document 7
Les biens premiers selon RAWLS
 Naturels
Santé ; Talents
 Sociaux
Libertés fondamentales:
Droit de vote et d'éligibilité
Liberté d'expression et de réunion
Liberté de conscience et de pensée
Liberté de la personne de détenir de la propriété personnelle
Protection contre l'arrestation et la dépossessions arbitraire
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Chances d'accès aux positions sociales
Avantages socio-économiques:
Revenu et richesse
Pouvoirs et prérogatives
Bases sociales du respect de soi
Loisir
Arnsperger Christian, Van Parijs Philippe, Ethique économique et sociale,
La Découverte, Coll. Repères, 2000, p. 58. [d’après J. Rawls, 1993]
Les trois principes de justice de Rawls [1971]
1. Principe d'égale liberté: le fonctionnement des institutions doit être tel que toute personne a un droit égal à l'ensemble
le plus étendu de libertés fondamentales égales qui soit compatible avec un ensemble semblable de libertés pour tous.
2. Les éventuelles inégalités sociales et économiques engendrées dans le cadre de ces institutions doivent satisfaire
deux conditions:
a. Principe de différence: elles doivent être au plus grand bénéfice des membres les moins avantagés de la société.
b. Principe d'égalité équitable des chances: elles doivent être attachées à des fonctions et positions auxquelles tous ont le
même accès, à talents donnés.
Clause de priorité lexicographique : le principe d'égale liberté (1) est strictement prioritaire par rapport au principe d'égalité
équitable des chances (2b), lui-même strictement prioritaire par rapport au principe de différence (2a).
Arnsperger Christian, Van Parijs Philippe, Ethique économique et sociale, La Découverte, Coll. Repères, 2000, p. 58.
Principe de différence et option pour les plus pauvres
Pour comprendre le contenu du principe de différence, il peut être utile de le comparer à 1'« option préférentielle pour
les pauvres », telle qu'on peut par exemple la trouver aujourd'hui dans la théologie de la libération et ailleurs dans la
pensée chrétienne. À cette fin, considérons une société fictive composée de trois groupes de personnes A, B et C.
Supposons que les libertés fondamentales et les chances d'accès aux positions sociales y soient réparties de manière
égale. Restent les avantages socioéconomiques, que nous mesurerons à l'aide d'un indice unique. Supposons enfin que
trois (et seulement trois) options institutionnelles efficientes soient possibles et qu'elles conduisent aux répartitions
(Pareto-optimales) suivantes :
Option I : A = 10 ; B = 13 ; C = 10,2
Option II : A = 11 ; B = 12 ; C = 10
Option III : A = 21 ; B = 11 ; C = 31
Telle qu'elle est interprétée le plus souvent, l'option préférentielle pour les plus pauvres suppose que, dans le cadre de
l'option institutionnelle effectivement réalisée (mettons II), on compare la situation des trois groupes (A, B, C), que
l'on identifie le groupe le plus défavorisé (C) et qu'on focalise l'action collective sur l'amélioration de son sort. Le
principe de différence de Rawls, en revancbe, ne s'applique pas à un cadre institutionnel donné; il offre un critère de
choix entre diverses options institutionnelles. Il exige que l'on compare les trois options institutionnelles (I, II, III) en
évaluant à chaque fois les espérances du groupe qui y occupe la position la plus défavorisée (respectivement A, C et
B), puis de choisir l'option dans laquelle le groupe le plus défavorisé (éventuellement, comme ici, différent à chaque
fois) puisse espérer l'indice d'avantages le plus élevé – en l'occurrence l'option III, qui est certes plus inégalitaire que I
ou II, mais où les plus défavorisés connaissent un meilleur sort.
Si, cependant, l'option préférentielle pour les plus pauvres n'inspire pas seulement des actions généreuses dans un
cadre institutionnel donné, mais des réformes institutionnelles modifiant ce que peuvent attendre au fil de leur
existence les divers groupes sociaux, alors elle peut aussi être comprise comme une impulsion qui meut les institutions
dans la direction de la satisfaction du principe de différence - et au-delà. Certes, là où le principe de différence est
satisfait, l'option préférentielle pour les plus pauvres ne peut justifier une lutte pour des réformes qui amélioreraient la
situation relative des plus pauvres - réformes qui, par hypothèse, auraient pour conséquence inévitable de détériorer,
en deçà de son niveau présent, leur situation absolue ou la situation de ceux qui seront alors devenus les plus pauvres.
Mais elle justifierait une action de persuasion pour que, dans ce cadre institutionnel optimal, les mentalités se
modifient de manière à égaliser davantage sans que les plus démunis n'en paient le prix.
Arnsperger Christian, Van Parijs Philippe, Ethique économique et sociale, La Découverte, Coll. Repères, 2000, p. 61.
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Document 8
L’exemple des États-Unis
[Les deux extraits suivants, tirés du n° 636 du Courrier international, peuvent permettre d’alimenter un débat stimulant
dans la classe sur les inégalités justes ou injustes, sur les effets des politiques sociales et sur les objectifs de la
démocratie dans ces domaines].
Document A : La position de Paul Krugman, économiste et éditorialiste du New York Times Magazine
« Nous connaissons actuellement un nouvel âge d’or, aussi extravagant que l’était l’original. Les palais sont de retour.
En 1999, le New York Times Magazine a publié un portrait de Thierry Dupont,“le pape des excès”, un architecte
spécialisé dans les maisons pour richissimes. Ses créations affichent couramment une superficie de 2 000 à 6 000
mètres carrés ; les plus grandes sont à peine plus petites que la Maison blanche. Inutile de dire que les armées de
domestiques sont également de retour. Les yachts aussi. […]
On ne peut comprendre ce qui se passe actuellement aux États-Unis sans saisir la portée, les causes et les
conséquences de la très forte aggravation des inégalités qui a lieu depuis trente ans, et en particulier l’incroyable
concentration des revenus et des richesses entre quelques mains. […] Les salaires mirifiques des présidents des
grandes entreprises constituent-ils une nouveauté ? Eh bien oui. Ces patrons ont toujours été bien payés par rapport
au salarié moyen, mais il n’y a aucune comparaison possible entre ce qu’ils gagnaient il y a seulement une trentaine
d’années et leurs salaires d’aujourd’hui.
Durant ce laps de temps, la plupart d’entre nous n’avons obtenu que de modestes augmentations : le salaire moyen
aux États-Unis, exprimé en dollars de 1998 (c’est-à-dire hors inflation), est passé de 32 522 dollars en 1970 à 35 864
dollars en 1999 – soit une hausse d’environ 10 % en vingt-neuf ans. C’est un progrès, certes, mais modeste. En
revanche, d’après la revue Fortune, la rémunération annuelle des 100 PDG les mieux payés est passée, durant la
même période, de 1,3 million de dollars – soit trente-neuf fois la paie du salarié lambda – à 37,5 millions de dollars
par an, mille fois ce que touchent les salariés ordinaires [et 2 884 % en vingt-neuf ans].
L’explosion des rémunérations des patrons est un phénomène en lui-même stupéfiant et important. Mais il ne s’agit
là que de la manifestation la plus spectaculaire d’un mouvement plus vaste, à savoir la nouvelle concentration des
richesses aux États-Unis. […] Les données du recensement montrent incontestablement qu’une part croissante des
revenus est accaparée par 20 % des ménages et, à l’intérieur de ces 20 %, par 5 %. […] D’autres indices montrent que
non seulement les inégalités s’accroissent, mais que le phénomène s’accentue au fur et à mesure que l’on s’approche
du sommet. Ainsi, ce ne sont pas simplement les 20 % des ménages en haut de l’échelle qui ont vu leurs revenus
s’accroître plus vite que ceux des classes moyennes : les 5 % au sommet ont fait mieux que les 15 % suivants, le 1 %
tout en haut mieux que les 4 % suivants, et ainsi de suite jusqu’à Bill Gates. […]
Bien plus que ne l’imaginent économistes et partisans de l’économie de marché, les salaires, élevés, sont déterminés
par des normes sociales. Dans les années 30 et 40, de nouvelles conceptions de l’égalité se sont imposées, en grande
partie sous l’impulsion des hommes politiques. Dans les années 80 et 90, elles se sont vues remplacées par le “laisserfaire”, avec pour conséquence l’explosion des revenus au sommet de l’échelle. […]
C’est probablement un processus qui se renforce de lui-même. À mesure que le fossé entre les riches et les autres se
creuse, la politique économique défend toujours plus les intérêts de l’élite, pendant que les services publics destinés à
l’ensemble de la population, notamment l’école publique, manquent cruellement de moyens. Alors que la politique
gouvernementale favorise les riches et néglige les besoins de la population, les disparités de revenus ne cessent
d’augmenter. […]
Dans son livre Wealth and Democracy, Kevin Phillips émet cette sombre mise en garde en guise de conclusion : “Soit la
démocratie se renouvelle, avec une renaissance de la vie politique, soit la fortune servira de ciment à un nouveau
régime moins démocratique : une ploutocratie, pour l’appeler par son nom.” […] Même si les apparences de la
démocratie demeurent, elles risquent de se vider de leur sens. »
Courrier international, janvier 2003, no 636, p. 28-35.
Document B : La position de Amity Shlaes, éditorialiste du Financial Times
« L’idée que la croissance est nécessairement liée à l’équité économique est fausse. En réalité, le pays le plus
développé du monde, les États-Unis, qui servent de locomotive à la croissance, est un modèle d’iniquité sociale et
économique. Cependant, cette inégalité s’est révélée positive puisqu’elle a bénéficié à l’ensemble de la société
américaine, d’abord aux grosses fortunes, puis aux plus démunis. Les États-Unis restent une société fondée sur le
concept jeffersonien de l’égalité des chances. Ce pays est également partisan de la mobilité sociale. Mais cela ne
signifie pas qu’il souscrive à l’égalité des résultats, ni qu’il l’encourage. Les caractéristiques qui rendent les Américains
si inégaux sont celles-là mêmes qui favorisent la croissance, laquelle représente le meilleur système d’aide sociale qui
soit.
L’inégalité signifie, pour commencer, qu’il y a quelqu’un au sommet de l’échelle. Et la possibilité d’être au sommet, à
un poste influent et dans le pays le plus riche du monde, est un puissant moteur. D’autres avantages attirent les
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innovateurs aux États-Unis, mais aucun n’est lié, dans l’esprit de ces gens-là, à l’équité économique. Bien au
contraire.
Le premier de ces avantages est le système fiscal. […] Quand on prend en considération l’ensemble des impôts, le
système américain est moins confiscatoire que celui de l’Europe ou celui du Canada. Cette particularité, fort injuste,
permet aux riches d’amasser davantage d’argent. Et elle attire les investisseurs aux États-Unis. […] La croissance
générée par l’importance que les Américains accordent à l’innovation bénéficie en premier lieu aux créateurs. Mais les
riches acteurs de cette économie libérale ne peuvent indéfiniment accumuler des maisons ou des lecteurs de DVD.
Aussi consacrent-ils une partie de leur fortune à créer des emplois, ce qui bénéficie à l’ensemble de cette société
américaine si diversifiée. Ces effets bénéfiques sont tout particulièrement visibles dans le domaine de la santé. En
1968, un Américain âgé de 65 ans pouvait espérer vivre jusqu’à 80 ans. En 1996, cette moyenne était repoussée à 83
ans. […] Cette amélioration des conditions de santé s’est accompagnée d’une croissance des revenus. En 1947, le
revenu moyen d’un ménage américain était de 20 107 dollars (chiffre corrigé pour tenir compte de l’inflation). En
1972, il approchait 40 000 dollars et, en 1997, il était passé à 44 568 dollars. Autrement dit, la société américaine n’est
pas pétrifiée et les couches qui la composent ne sont pas figées ad vitam aeternam. »
Courrier international, op. cit., no 636, p. 38.
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