
Sur un tel plateau, nous n'allons pas additionner des constats, mais plutôt contester
nos modèles (ce qui ne veut pas dire qu'on s'"engueule", cela se passe vraiment très bien)
tous les jeudis matins. Le moment fort du centre de langage a lieu au moment de la synthèse
du jeudi matin. Pendant le reste de la semaine, on réalise des bilans, on reçoit les enfants,
on fait les différentes approches. Mais le moment où le Centre du langage développe
vraiment toute son envergure et prend toute son ampleur, c'est celui de la synthèse : chaque
professionnel y est alors testé à son tour, après l'enfant ; là, c'est le professionnel. C'est alors
que l'on va faire revivre le seul et vrai théoricien, finalement, c'est-à-dire l'enfant lui-même.
Il faut savoir que les cas particuliers des enfants que l'on voit et qui sont en échec et en
difficulté sont très souvent et presque systématiquement ceux d'enfants qui n'ont pas
participé à la constitution des épreuves qu'on leur présentait. C'est-à-dire qu'on va leur
présenter des tests de QI, des épreuves psychométriques, des exercices d'orthophonie et
ainsi de suite ; et ces épreuves-là sont des épreuves standardisées. Elles refont un rapport à
la moyenne des enfants de leur âge et finalement rendent compte d'une norme et d'un
fonctionnement classiques.
Ce qu'ils nous apprennent, c'est que toutes nos théories s'écroulent, au bout du
compte. L'intérêt de ce type d'approche pluridisciplinaire, c'est cette remise en scène du réel
théoricien, lui qui n'a rien demandé, pour se sentir soudainement revendiqué par des
professionnels, mais qui va justement nous en apprendre énormément sur les choses qui
résistent. Et c'est à ce moment-là précisément que, dans l'échange, dans la confrontation des
modèles, on peut faire revivre cette démarche-là.
La première question que l'on pose - cela ne signifie pas que la façon dont je vais vous
présenter les éléments soit systématique -, c'est celle de la spécificité du trouble. Pour l'avoir
croisé professionnellement au Centre du langage et dans d'autres pratiques, je sais que cela
reste une question douloureuse pour les parents. En effet, à partir du moment où on l'interroge
sur la spécificité du trouble, on pourrait être pris comme ne considérant pas le trouble pour
lequel ils viennent consulter : la dyslexie, la dyspraxie ou la dysphasie.
Cependant, nous avons besoin de savoir si la difficulté touche essentiellement une
fonction particulière ou si elle est partagée avec d'autres territoires. Autrement dit, par
exemple à propos du problème de la lecture, la question que l'on pose, c'est de savoir si cet
enfant-là présente un trouble spécifique de la lecture ou s'il présente d'autres troubles qui
affecteraient la lecture, le langage ou la praxie.
Ou alors, troisième éventualité - c'est une question qui m'incombe, je n'en suis pas
spécialiste non plus, puisque chacun y va de sa pratique et de son ancienneté, et de son sens
clinique : ne s'agit-il pas d'un trouble du locuteur, du lecteur, du manipulateur, si j'ose dire, ou
en tout cas du bricoleur pour la praxie. Vous voyez donc que la première recherche porte sur
la spécificité.
Quand on voit des enfants, très souvent on ne voit pas le trouble à vif : on est en
présence de choses aménagées. Tous les enfants que l'on teste, sauf les très petits, ont fait
l'objet d'une démarche, d'une intervention pédagogique, d'une intervention rééducative et la
description du dysfonctionnement nécessite, une fois de plus, d'être décomposée.
Par exemple, on reçoit des enfants pour lesquels on va se rendre compte que les
diagnostics des orthophonistes sont impeccables, très pertinents. Ces diagnostics-là
soulignent le privilège d'une voie de traitement des données (je reviens à la dyslexie). Vous
avez peut-être entendu parler de cette voie d'adressage ou de la voie de l'assemblage que M.
Gombert a évoquées précisément tout à l'heure :
- l'enfant va-t-il cibler une reconnaissance du mot en image, ou bien
- l'enfant est-il dans une situation où il va construire ou bricoler le mot ? Mais il faut
savoir que cela ne constitue pas le trouble, mais peut déjà représenter un
réaménagement du trouble, traduisant déjà la correction de quelque chose qu'il s'agirait
de rechercher plus profondément.