VA-T-EN GUERRE Bernard Kouchner, le ministre français des Affaires étrangères, a tenu il y a quelques jours des propos qu’il essaye de modérer. « Je ne suis pas un va-t-en guerre », déclarait-il hier à la presse. Et il précisait même : « je suis un va-t-en paix ! » Précisons tout de suite que le mot « va-t-en paix » n’existe pas en français courant : il est utilisé plaisamment par B. Kouchner, comme l’opposé du « va-t-en guerre », construit de façon tout à fait symétrique. On comprend bien le sens qu’il lui donne. Mais le va-t-en guerre alors, qu’est-ce que c’est ? C’est celui qui veut faire la guerre, en tout cas qui pousse à la guerre. Dans une situation tendue, mais quand aucune guerre n’est en cours, chacun peut prendre sa position, avoir son opinion. Et dans le monde politique surtout (mais pas seulement) on trouve toujours ceux qui sont partisans de la guerre, qui souhaitent qu’elle ait lieu et donc qu’elle commence. Mais ce mot de « va-t-en guerre » est toujours négatif : jamais personne ne se vantera d’en être un. Et quand on l’emploie, on sous-entend aussi que le va-t-en guerre en question fait beaucoup de bruit, parle un peu plus fort qu’il ne conviendrait, et gesticule de façon un peu grotesque. Les partisans à outrance de la paix, on les appelle plutôt les pacifistes, et les partisans de la guerre, les bellicistes, de bellum, qui signifie « guerre » en latin. Ce mot de « va-t-en-guerre », on l’entend après la fin de la Première Guerre, à partir de 1919, et c’est peut-être le romancier Romain Rolland qui l’a popularisé, lui qui défendait un pacifisme vibrant et qui souhaitait faire contrepoids aux bellicistes. L’expression est originale, il s’agit d’un nom formé à partir d’un membre de phrase : celui qui s’en va-ten guerre. Elle est présente dans toute une mémoire française grâce à une vieille chanson, Malbrough : « Malbrough s’en va-t-en guerre, mironton mironton mirontaine… » Mais cette chanson populaire ne prend-elle pas quelques libertés avec la grammaire française ? En effet, d’où vient ce « t » de « va-t-en guerre » ? Il n’a pas sa place ici, en principe, on devrait dire : s’en va en guerre. Seulement le verbe « aller » est bien irrégulier. A l’impératif, il fait « va ». Mais lorsqu’on ajoute à cette forme des adverbes « y » ou « en », on rajoute une consonne, pour faire la liaison. Vieille habitude de la langue ! Il ne s’agit nullement d’une règle rationnelle. Mais pour le « y » on rajoute un « s » : « Vas-y ! », et pour le « en », on rajoute un « t » : « va-t-en ! » Un « s » pour l’un et un « t » pour l’autre, on voit bien que l’irrégularité règne : c’est cela qui fait le charme et la difficulté des langues vivantes. Mais ce qui vaut pour la formule à l’impératif ne vaut pas en principe pour toutes les autres utilisations de la forme « va ». Et nul ne s’y trompe : on dit « il s’en va en claquant la porte » et non « il s’en va-t-en claquant la porte ! » Cette dernière formule peut s’entendre, mais on sait bien qu’elle est fautive.