l`anthropologie économique - fonds pour la recherche en ethique

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L’anthropologie économique, un retour au sujet ?
François Régis MAHIEU
( Cemotev, Université de Versailles) et UMI « Résiliences » (IRD)
27 Mai 2015
Résumé
Le statut et l’objet de l’anthropologie économique sont très discutés en sciences sociales, sauf
en économie, depuis la condamnation de cette méthode "raciste"par Frank Knight en 1941.
Cette méthode permet une vision alternative à l’homo oeconomicus, celle de la « personne
totale », intégrant ses différentes dimensions, notamment psychologiques. Elle rend
l’économie responsable en élargissant le crime économique jusqu’à toute décision pouvant
augmenter la souffrance dans son domaine.
Economic Anthropology is a matter of huge debates in social sciences ; except for
economics since its condemnation by Frank Knight (1941). However, this method allows a
new approach of the economic agent , not only "homo economicus" but a whole person with
a complex of social relations;. enlarging economic responbilities to all decisions which create
suffering.
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" On comprend d'autant mieux la partialité de l'économiste qu'il a pour objet d'étude un agent
conscient et agissant, autrement dit un sujet.." André NicoÎaï (1960).
Introduction
Si la phénoménologie désigne ordinairement l’approche philosophique des phénomènes,
l’anthropologie économique étudie les phénomènes économiques. Elle est une application de
la phénoménologie ; Merleau-Ponty (1953) a, de façon magistrale, analysé le lien entre la
phénoménologie et les sciences sociales. En particulier, il rappelle que pour Husserl, citant
Lévy-Bruhl, la philosophie ne peut se passer de l’expérience anthropologique. Il est
important, selon Husserl, «de nous projeter dans une humanité fermée sur sa socialisation
vivante et traditionnelle, et de la comprendre en tant que, dans sa vie sociale et à partir
d’elle, cette humanité possède le monde. Celui ci n’est pas pour elle une «représentation du
monde», mais le monde qui, pour elle, est réel». La méthode pour analyser les phénomènes
est clairement développée par Marcel Mauss (1967) dans son manuel d’ethnographie :
l’anthropologie économique se caractérise par des phénomènes de masse, des représentations
collectives, et fait disparaître les notions de besoin et d’utilité. L’anthropologie économique
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élargit le champ de l’analyse économique en prenant en compte tous les aspects de la
personne, notamment psychologiques. Elle rend l’économie responsable en élargissant le
crime économique jusqu’à toute décision pouvant augmenter la souffrance Le statut de
l’anthropologie économique est discuté préalablement (1) ainsi que son statut (2), avant de
repréciser ses exigences (3), d’illustrer son opposition au modèle standard. (4) et d’élargir ses
implications (5) De nouvelles perspectives avec introduction des phénomènes de
vulnérabilité et de résilience permettant d’élargir notre champ. Deux approches de
l'anthropologie économique, l’une formaliste et l’autre substantiviste sont opposées ,depuis
Polanyi (1944).. Ces deux étiquettes sont caractéristiques d'une auto valorisation des auteurs
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. Elles se révèlent être, au sens wébérien, des "séquences types" ou idéal-typiques. Ainsi la
démarche substantiviste s'honore de comprendre la réciprocité et la redistribution. Polanyi
(1944) définit ainsi le substantivisme: "Procès institutionnalisé d'interaction entre l'homme et
son environnement qui se traduit par la fourniture continue des moyens matériels permettant
la satisfaction,des besoins". La démarche formaliste, souvent assimilée à la théorie néo
classique est une "mauvaise" méthode réductrice et rationnelle. Les deux démarches sont
cependant indissociables dans le cadre d'une anthropologie économique de la personne, celle
ci étant à l'interférence entre individu et structure. Cette synthèse développée par l'école
d'Abidjan utilise à fois la théorie des comportements économiques et l'analyse structurale
pour former une micro-économie élargie. Elargie au niveau du sujet,( la personne) de la
méthode (compréhensive) et des ingrédients ( surtout la psychanalyse). Elle s'inspire
largement des travaux d'André Nicolaî (1960) sur "le système' comme complexe cohérent et
spécifique de structures et comportements."
1. Le statut de l’anthropologie économique
L’anthropologie traite des phénomènes humains et, à ce titre, est une méthode
appliquant la phénoménologie. Dans son manuel d’ethnographie, Marcel Mauss (1967)
énumère les phénomènes à observer, économiques, juridiques, moraux, religieux ; eux-mêmes
classés en sous-phénomènes. L’interaction entre ces phénomènes montre bien le souhait de
construire un «phénomène social total
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». Georges Bataille (1980) fait appel à l’ «économie
générale» qui définit « le caractère explosif de ce monde », avec l’intervention de données
historiques et de données présentes, tout en insistant sur le rôle de l’homme. Seul l’homme
peut, selon lui, lever cette malédiction. Erich Fromm (1941) décrit un individu souffrant de sa
solitude, déshumanisé et aliéné qui de façon perverse utilise sa liberté pour la détruire. Olivier
Leroy (1927) a développé «la raison primitive» et donc la relativité locale des rationalités.
Cette approche sera violemment combattue par les économistes, notamment par Von Mises
(1949) en tant que « totalisme » ( tout est dans tout) et « historicisme » (tout est relatif) .
L’influence de l'institutionnalisme sur l’anthropologie (Herskovits, 1952) est très importante.
Elle creuse une opposition définitive entre l'anthropologie économique fondée sur des
comparaisons «réelles» et l'analyse économique «déductive» (Knight, 1941).
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L'histoite de la pensée économique abuse de ces oppositions telles classique/ vulgaire; scientifique/
idélologique, Standard vs Nouveau,
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La critique du totalisme anthropologique est très fréquente. La totalité prend un sens particulier dans la
philosophie de l’arithmétique de Husserl.
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Les chercheurs
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francophones développent une anthropologie économique sous
l’impulsion d’André Nicolaï, dans les années 1960. Cette approche est très attachée au terrain,
plutôt pluridisciplinaire, monographique, qualitative plutôt que quantitative, et essayant de ne
pas tomber dans l’ethnocentrisme. Elle «est davantage une démarche, une méthode qu’une
théorie de référence» selon Gastellu (1984). A l'image d'autres perspectives, l'anthropologie
économique n'est pas une discipline, elle représente une problématique de l'homme sous
l'angle économique. L'anthropologie constitue une partie de l'analyse économique ; partie
méconnue, car les besoins de la politique économique obligent à la macroéconomie.
L’approche est particulière, à la fois du point de vue du domaine de réflexion et du point de
vue de la méthode. Si l’anthropologie économique est souvent assimilée à l'ethnologie
économique, à savoir l’étude des sociétés primitives, elle s’en détache pour traiter de la
personne dans la société contemporaine.
2. Son objet
Le point de vue anthropologique en économie traite des mœurs de l'homme
économique dans son universalité et son altérité. La totalité
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ne veut pas dire le totalisme,
mais une totalité construite par interactions entre structures et comportements. Tel est le
vieux conflit entre holisme et individualisme. Le point de vue anthropologique postule
l'individu et son autonomie (dans l'universalité) dans sa capacité à créer le social (même
inconsciemment) et à en adapter les contraintes. L'homme est le point de passage obligé des
normes, fussent-elles l'expression de contraintes sociales très fortes. L'anthropologie étudie
comment l'homme internalise les normes, l'individu permettant d'analyser par son réseau
sociétal, les normes sociales. L'anthropologie n'oppose pas l'individu au social ;
l'individualisme méthodologique consiste à util
iser l'individu comme représentation des contraintes sociales, tout en sachant que c’est
la relation entre le pouvoir de la communauté et celui de l’individu qui fonde le Malaise dans
la culture (Freud, 1930).
L’universalité ne renvoie pas à un point de vue ethnocentrique, mais à une lecture
récurrente à partir des progrès de la raison. L'ethnocentrisme peut s'introduire dans les
internalisations et les viations ; par exemple, on peut estimer que les relations familiales
sont de même nature en Afrique et en Amérique du Nord. L’effet de miroir joue dans
l’espace, mais aussi dans le temps. L'histoire nous apprend ainsi qu'il existe des universaux
dans le comportement économique passé et des modalités spécifiques dans leur adaptation.
Les modalités spécifiques d'échange (Potlatch, Kula), de destruction (Bilabia), les facilités de
certaines zones d'abondance (M. Sahlins, 1972) permettent de mieux comprendre l'adaptation
des principes généraux de la maximisation sous contrainte. Le don, la consommation
ostentatoire, la destruction du surplus ont des finalités politiques et culturelles que nous
devons comprendre. L'anthropologie étudie ainsi l'homme dans son universalité et son altérité
; « économique » ; elle met en relation ces caractéristiques avec la pragmatique économique,
les actes économiques quotidiens. La tâche des outils économiques, dans cette perspective,
consiste à mettre en valeur l'universalité et l'altérité. Il est nécessaire de saisir comment
chaque homme se représente le social sous une forme qui lui est propre, spécifique, tout en
étant traitée par une méthode universelle.
3
En particulier de l' Office pour la Recherche Scientifique et Technique en Outre Mer, devenu Institut Français
de Recherche Scientifique pour le développement en coopération et, finalement Institut pour la Recherche pour
le Développement (IRD)
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Objet initial des recherches de Husserl, critiqué par Frege.
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3. Exigences de l’anthropologie économique
Les anthropologues ont énoncé des règles ayant trait à l’anthropologie économique,,
en premier lieu Marcel Mauss avec son manuel d'ethnographie et Lévi Srauss avec son projet
d'enseignement. Les règles recensées de l'anthropologie sont les suivantes :
1. Elle est prioritairement une étude de l’homme. Cet homme n’est pas forcément social,
contrairement à ce qu’affirme Lévi-Strauss (ex. la responsabilité de la personne par rapport à
elle-même chez Sartre). Elle l’étudie dans son unité et sa diversité. Elle le respecte dans sa
dignité de personne, dans son authenticité, hors de tout ethnocentrisme.,
2. Elle privilégie le terrain et donc les enquêtes compréhensives (par exemple en suivi
d'un panel ) plutôt que représentatives. Le terrain implique de se fondre dans le groupe social
étudié afin de garantir l’objectivité de l’analyse. « L’anthropologie cherche, elle, à élaborer
la science sociale de l’observé » (Lévi-Strauss, 1957).
3. Elle préfère travailler sur des personnes au quotidien, au nom d’une rationalité locale. Ces
personnes ont droit au respect au nom d’une éthique de la statistique (Tolstoï,1892 ; Goulet,
1964).
4. Elle fait référence à la totalité, au « fait social total », mais ne prétend pas la saisir. La
totalité ne veut pas dire le totalisme, mais une totalité construite par interactions entre
structures et comportements. L’anthropologie a trait à tous les hommes et à « tout l’homme »
selon la formule de Lebret (1968).
5. Elle procède à des analyses comparatives, à la manière de l’anthropologie en miroirs de
Kluckholn (1985) : je comprends mieux ma société par la compréhension des autres.
6. Elle soumet ses sultats et interroge la théorie en feed back; L’anthropologie économique
n’est qu’une méthode (Gastellu, 1984) ; Lévi-Strauss (1957) insiste sur le rapprochement de
l’anthropologie avec la nouvelle formulation des problèmes économiques, notamment la
théorie des jeux.
4) Deux illustrations de la relation entre l’anthropologie économique et les modèles
standard.
L'anthropologie économique privilégie la compréhension du phénomène avant tout
rapprochement avec des modèles standards. Les funérailles en Afrique de l'Ouest. servent à
évaluer les participants .Le maître des cérémonies annonce l'argent donné et donc le statut
social de chaque participant.Le chercheur sera tenté d'utiliser sa boite à outils
immédiatement; en l'analysant par tâtonnement walrasien.. De même, l'analyse d'un groupe
ethnique peut être effectuée en utilisant des éléments de la théorie de l'altruisme, par exemple
la théorie des clubs, sans comprendre préalablement son rôle social., ses interdits, ses tabous.
Deux exemples sont développés ici, le cas des transferts inter vivos et celui de la bière de
banane dans l'Afrique des grands lacs.
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41-Phénoménologie des transferts inter vivos en Côte d’Ivoire
Les transferts inter vivos en Côte d’Ivoire ont suscité de nombreuses controverses. A
première vue, il semble que ces transferts sont gigantesques. Par exemple une enquête sur les
fonctionnaires de Daoukro montre qu’un tiers des fonctionnaires ont des obligations
supérieures à leur revenu. L’importance de ce phénomène se révèle dans les enquêtes sur le
niveau de vie ; avec des signaux anthropologiques, le fait par exemple de constater l’angoisse
de la fin de semaine. Cette fin de semaine peut être concernée par des funérailles, occasions
d’une vaste redistribution. On peut parler d’un signal anthropologique qui se manifeste dans
les salutations : « Ici on souffre car nous avons trop de problèmes ». L’anthropologie
chercher à estimer le niveau de ces transferts, leur degré de contrainte et les réactions des
personnes concernées. Face à cette responsabilité, elles réagiront rationnellement en essayant
de minimiser leur statut social. Mais ces transferts sont effectués sous la contrainte de la
communauté vis-à-vis de laquelle il faut rester raisonnable sous peine d’exclusion. Chaque
personne doit évaluer ses droits et ses obligations qui contraignent son comportement.
Cette contrainte n’est pas prise en compte par les experts de la Banque Mondiale, notamment
Fafchamps (1992) et Ravallion (1987) qui défendent l’universalité d’un système d’échange
volontaire. Les transferts communautaires seraient analogues à des assurances et donc
relèvent de modèles intergénérationnels.
En fait la redistribution est universelle. Il serait faux de particulariser l’Afrique sur ce
phénomène ; des enquêtes postérieures montrent que les transferts dépendent de la valeur du
dollar marginal transféré. Ainsi les Etats-Unis, pays réputé égoïste, ont un niveau de transfert
record car donner un dollar quand on en gagne des milliers par an est peu ressenti. A
l’inverse, donner un dollar que l’on ne gagne même pas sur un jour est très mal ressenti, par
exemple en Afrique des grands lacs.
L’Afrique ne saurait être particularisée par la redistribution car celle-ci est universelle, mais
la pression communautaire et le ressenti personnel de ce racket lui sont particuliers.
-42 Phénomène de la bière de banane au Burundi
Le signal anthropologique apparaît sous la forme de collines peuplées de bananiers
dont l’inutilité est dénoncée par les experts. Les bananes servent à fabriquer de la bière, par
la fermentation des grains. Cette activité fonde une hiérarchie sociale liée au mode de
consommation. Dans les enquêtes, les hommes déclarent « se promener » traduction
mécanique du mot kirundi « Gutembere ». Mais ce mot signifie dans le double langage local
« se promener afin de rechercher l’endroit finit de fermenter la bière de banane ». La
consommation de cette bière répond à des règles précises, notamment de la place de chacun
dans les cercles de buveurs de banane. La vie est ainsi marquée par le respect d’une
progression dans cette hiérarchie.
La bière de banane régit l’ordre social dans une société très pauvre chacun réagit par une
pluriactivité sur de l’agriculture en terrasse, Cette société est très vulnérable et risque
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