Biomimétisme
Marcher sur l'eau, petit miracle de la robotique
LE MONDE | 14.09.04
Des chercheurs américains ont réussi à reproduire le mode de locomotion d'une "araignée
d'eau".
Pourquoi les petits insectes qui vont sur l'eau ont-ils des pattes ? Parce que s'ils n'en
avaient pas, ils ne rameraient pas efficacement. C'est la réponse apportée par des
équipes de Massachusetts Institute of Technology (MIT) et de l'université Carnegie
Mellon, qui ont à la fois étudié le comportement des gerris - une punaise aquatiques
connue aussi sous le nom de patineur d'eau, ciseau ou encore tic-tic - et mis au point
de petits robots capables de reproduire leurs mouvements.
Metin Sitti, responsable du Nanorobotics Lab de Carnegie Mellon, vient ainsi de
fabriquer une
"araignée d'eau"
mécanique, constituée essentiellement de huit pattes
faites de fines tiges métalliques recouvertes de matière plastique hydrophobe et
longues de 7 centimètres environ. Son corps en fibre de carbone supporte des
actionneurs piézo-électriques, qui font office de muscles en se déformant en fonction
du courant électrique qui les parcourt. Pas de cerveau ni de source propre d'énergie :
la bestiole reçoit l'électricité par des fils, et trois circuits permettent de contrôler ses
mouvements.
Ce gramme de technologie, non seulement tient sur l'eau sans y sombrer, mais
"baratte"
en avant et en arrière, grâce à deux pattes mobiles qui agissent comme des
rames. Metin Sitti n'est pas peu fier de ce résultat.
"Je pense que construire ce type
d'engin, c'est le défi ultime de la microrobotique,
a-t-il confié à l'agence Associated
Press.
Il faut que ce soit très léger et très compact."
PROPULSÉ PAR UN ÉLASTIQUE
Il ne s'agit, pour l'heure, que d'un prototype assez simple, mais son créateur imagine
une version plus élaborée qui pourrait effectuer des mesures chimiques, par
exemple, sur des eaux stagnantes.
A vrai dire, la question :
"Comment ça marche ?"
a devancé l'inévitable
"A quoi ça
sert ?"
dans la démarche des chercheurs. L'équipe de John W. M. Bush, du
département de mathématiques et de génie mécanique du MIT, y a répondu, durant
l'été 2003. Elle a décrit, dans la revue
Nature
, le mode de locomotion des
Gerridae
,
qui se déplacent à 1 m/s, soit plus de 700 km/h, s'ils avaient taille humaine...
Leur capacité à se maintenir à la surface de l'eau n'est pas un grand mystère : elle
découle de la tension de surface entre ce milieu et l'air environnant. Les poils qui
couvrent les pattes des insectes augmentent leur surface de contact et pourraient,
théoriquement, permettre la sustentation de spécimens mesurant 25 centimètres.
Le débat, chez les entomologistes, portait sur la propulsion des "Jesus bugs":
comment mettaient-ils en œuvre la troisième loi de Newton, qui veut que, pour
avancer, il faille exercer une force dans la direction opposée ? Certains pensaient
que les pattes s'appuyaient sur des vagues minuscules - dites capillaires - créées par
leur mouvement à la surface de l'eau. Mais comment expliquer le déplacement des
jeunes gerridés, incapables de faire battre leurs membres à 25 cm/s, vitesse
minimale pour engendrer ces vagues ?
En les plaçant dans de l'eau teintée et sous une caméra à haute vitesse, M. Bush et
ses collègues ont découvert le secret. En fait, les hémiptères poussent l'eau vers le
bas, créant des tourbillons en forme de fer à cheval, lesquels se traduisent par un
mouvement d'eau en sens inverse - à l'instar des vortex créés par les oiseaux et les
poissons pour évoluer dans leurs fluides respectifs.
Pour parfaire sa démonstration, l'équipe Bush a fabriqué une araignée d'eau en
métal, propulsée par un élastique. M. Sitti a reproduit ce petit miracle. Sous sa forme
plus élaborée, il n'a demandé que des pièces existant dans le commerce et ne
coûtant, tout compris, pas plus de 10 dollars...
Hervé Morin
ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 15.09.04
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