C). Les réponses au non droit

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Construction des lieux de cultes musulmans
di Jean C. Hergott
Introduction.
La construction des lieux de cultes musulman en France rencontre les difficultés observées en
Europe ; s’y ajoute le particularisme du régime de laïcité et de séparation des églises et de
l’Etat. Ces deux principes qui renvoient à une manière d’être, à un imaginaire politique et
national compliquent l’insertion d’une nouvelle tradition religieuse comme l’islam.
A cette donnée s’ajoute, également, comme en Europe mais avec des nuances nationales et
post coloniales, le rapport particulier à l’islam, coloré par les débats géopolitiques sur
l’islamisme.
L’islam des caves est aujourd’hui révolu, des projets de construction se multiplient. Mais
nous sommes très loin d’une situation normale et surtout du respect du droit. Par ailleurs, les
projets de construction se développent parallèlement à l’islamophobie, en témoigne le débat
sur les minarets.
La construction des lieux de culte musulmans sera abordée à partir des invariants qui
caractérisent la construction de tout édifice religieux.
Puis j’évoquerai le cadre juridique, et spécialement celui de la liberté de religion et de
l’urbanisme pour, dans une dernière partie, préciser l’attitude des élus locaux et donner
quelques exemples sur le non droit qui fait souvent obstruction à la construction des lieux de
cultes musulmans.
1. Contexte français
Avant de parler des lieux de culte et précisément de la construction des lieux de culte
musulman, je vous propose d’exposer brièvement le contexte des relations entre l’Etat et les
églises en France.
Depuis 1905, ces relations sont sous le régime de la séparation.
On distingue traditionnellement le régime des églises nationales (églises d’Etat
comme dans les pays nordiques où la tradition religieuse est liée à l’histoire de
l’identité nationale), les régimes de reconnaissance ou d’église établies, les régimes
conventionnels (Concordat, ententes…), la séparation (France, Pays Bas).
Si la définition de la liberté de religion est la même pour tous les pays européens
(article 14 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme), il est possible de
1
dire qu’il existe autant de régimes de relation Etat / églises qu’il y a d’histoires des
pays européens et des églises et même davantage (ex : France, Alsace Moselle,
Guyane, Réunion, Marquises)
La loi de 1905 est d’abord la marque d’une histoire complexe :
- celle d’une lutte dés le moyen âge entre le pouvoir royal (temporel) et le pouvoir du pape
(spirituel) avec une affirmation progressive du pouvoir de l’Etat sur l’Eglise, puis les
églises (Philippe le Bel, François 1er).
- Celle de l’émergence de conceptions philosophiques qui affirment une autonomie du
politique vis à vis du religieux et construisent une théorie politique de la séparation
(Lumières mais Michel de L’Hôpital fortement marqué par la guerre de religion entre
catholiques et protestants)
- Celle d’un combat politique contre l’influence idéologique et morale de l’Eglise (notion
de laïcité qui apparaît tardivement, écoles publiques, laïcisation des cimetières).
Fondamentalement, même s’il existe trois anciennes traditions religieuses, catholique,
protestante et juive, cette histoire complexe est celles des relations entre l’Eglise
Catholique et l’Etat (pouvoir royal, Napoléon ou les Républiques). Bruno ETIENNE
définissait la mentalité française comme catho laïque et, pour en définir les évolutions,
BAUBEROT parle de seuils de laïcité. Sur un plan plus strictement lié à l’évolution
des idées politico religieuses, peuvent être cités Marcel GAUCHET ou Stéphane LE
BRAS.
Pour autant, la loi de 1905 est une loi de compromis (CLEMENCEAU : un discordat) entre :
- les partisans d’une mise sous tutelle de l’église et d’une réduction complète de son
influence (Emile COMBES, ancien séminariste) (éradication)
- les partisans d’une réduction de l’influence de l’église dans la société (notion d’églises
« modérées » par référence au discours d’aujourd’hui sur « l’islam modéré »).
« Les diverses croyances religieuses (doivent être) contenues et respectées dans leur
domaine propre. (Cela aboutit à) une République pleine de laïcité et de tolérance absolue,
un régime de paix définitive » ( Jean-Jaurès, Chambre des députés, novembre 1906). De
M de L’Hôpital à JAURES, en passant par Napoléon (le Concordat pour « pacifier la
France »), un spectre hante l’histoire du pays : la crainte des affrontements religieux et le
souhait d’une pacification.
Les premiers comme partie des seconds auront à l’esprit, que de toute manière le religieux ne
pouvait être, face au rationalisme et aux sciences, que dans une logique d’extinction
progressive.
Mais dés 1914, se noue à nouveau « l’union sacrée » entre l’Etat et l’église catholique ainsi
qu’avec les autres traditions religieuses.
Union sacrée
En fait, la loi de 1905 est ambiguë ; cette ambiguïté se lit dans la loi :
- la séparation est imparfaite
- l’église catholique apparaît favorisée au regard de la situation des autres cultes
loi de 1905
2
-
les deux premiers articles posent le principe de la liberté de culte (qui n’est pas à
proprement parlé la liberté de religion), de la fin de la reconnaissance, la suppression de la
prise en charge des traitements du clergé et l’interdiction des subventions.
En apparence, ces articles définissent un régime de séparation. Ils peuvent être comparés avec
les articles 7 et 8 de la constitution italienne qui définissent deux régimes conventionnels, l’un
pour le Vatican, l’autre pour les autres cultes.
constitution italienne
Mais, les articles de la loi de 1905 posent également le principe de la propriété publique des
lieux de culte et de leur mise à disposition gratuite aux églises.
-
-
* il s’en suit que l’église catholique se retrouve dans la situation de bénéficier d’un
important patrimoine cultuel à titre gratuit, patrimoine qui restant public est pour son
entretien à la charge de l’Etat ou des collectivités locales.
Si la loi fera l’objet d’une contestation idéologique très forte de la part du Vatican, le
clergé français va assez rapidement y reconnaître un intérêt. Les tensions vont s’apaiser
d’autant plus fortement que la droite catholique va rester une donnée importante de
l’histoire française jusque dans les années soixante. La séparation à la française est en
réalité très différente d’une séparation absolue comme celle-ci existe aux Etats-Unis ou
encore aux Pays Bas (ces deux derniers modèles étant très différents l’un de l’autre)
-
- rompues, les relations diplomatiques seront rétablies dès le début des années 20. Le droit
local d’Alsace Moselle est maintenu (droit des cultes, enseignement de la religion dans
l’école publique) Un président du conseil radical socialiste remet pour la première fois, à
titre officiel les pieds à Notre Dame de Paris, Léon Blum autorise la construction de
nouvelles églises autour de Paris par le biais de baux emphytéotiques. La jurisprudence et
le législateur apporteront des aménagements notamment fiscaux. Dans les années 80,
l’expression d’une laïcité apaisée est juste même si les débuts de la cinquième république
sont marqués en 1958, et dans les années 80 par des débats et des manifestations massives
sur le développement de l’enseignement libre, c’est à dire confessionnel. Remarquons que
la laïcité est devenue un principe constitutionnel, article 1er de la Constitution.
-
Peuvent être observés, à titre d’exemples le retour des décrets créant des Congrégations (à
l’initiative de F MITTERRAND), la participation des églises aux comités publics sur
l’éthique.
En fait et en droit, l’évolution de l’application de la loi de 1905 présente 3 caractéristiques :
-
une rémanence du régime des cultes reconnus (l’expression est de Magali FLORES
LONJOU) : la République implicitement mais concrètement « reconnaît » sinon en droit,
mais dans le fait des relations politiques, financières avec les cultes à des degrés plus ou
moins forts. L’ancienne hiérarchie entre catholiques, protestants et juifs est maintenue.
-
Une implication financière de l’Etat malgré la lettre de l’article 2 de la loi de 1905.
loi de finances 2007
Sur l’évolution de l’application de la loi de 1905 et le contexte paradoxal, voici un exemple
caractéristique. La République ne salarie, ni ne subventionne les cultes. Dans le projet de loi
3
de finances pour 2007, on trouve un programme (ministère de l’intérieur) qui regroupe
l’engagement de l’Etat pour la vie politique, (élections et soutien aux partis), la vie
associative et les cultes.
-
Une influence du droit européen qui oblige à une dialectique entre une conception
nationale centrée sur la notion « institutionnelle » de cultes et une conception européenne
centrée sur la liberté (individuelle et collective) de religion.
Cette évolution s’inscrit dans un contexte paradoxal :
-
elle est sans doute contraire à ce que pouvait envisager le législateur de 1905 au sens où
l’Etat entretient toujours des relations complexes et soutenues avec les religions.
Elle se développe dans un contexte important de déprise religieuse, de sécularisation
massive de la société. L’évolution du code civil, (adultère, divorce, avortement, PACS)
comme la chute de fréquentation des églises en sont de excellents indicateurs.
Au début des années 80, la question laïque ou, vice versa, la question religieuse sont, semblet-il, des problèmes d’histoire mais plus des sujets d’actualité politique.
2. L’islam : la réception d’une nouvelle tradition religieuse et crispation sur la laïcité.
La sociologie des religions semble au début des années 80 une discipline en perte de vitesse
faute d’objet à étudier. Or, nous sommes aujourd’hui réunis et bien présents.
Deux phénomènes :
- à l’échelon français mais également européen : crise des églises établies mais dans le
même temps : recomposition du religieux (Danielle HERVIEU LEGER) réorganisation du
marché de la croyance (Frank FREGOSI) et « born again » dans toutes les traditions
religieuses.
- Islam en Europe
Cette nouvelle tradition va s’apprécier sous un triple aspect :
-
-
local avec la demande de lieux de culte, de cimetières….
National, au sens où le contexte politique et institutionnel n’est pas nécessairement adapté
aux questions que pose l’insertion de cette tradition et, où la question religieuse impacte le
discours sur l’immigration qui lui-même n’est pas sans lien avec le passé colonial.
International, ou mondialisé pour reprendre l’expression d’Olivier ROY, dans la mesure
où l’islam est porteur de cet item appelé « le choc des civilisations » qui mêle l’histoire la
plus lointaine (les Croisades) et la géopolitique actuelle, qui fait émerger la figure « d’un
nouvel ennemi » (Karl SCHMITT), le « péril islamique » Gilles KEPEL, ou en Italie,
Oriana FALACI.
C’est dans ce contexte, éclairé par un régime de séparation qui a la caractéristique d’être
plastique que se pose la question de la construction des lieux de culte. De 1905 au début des
années 90, la séparation a évolué dans le sens d’une atténuation avec une question de laïcité
qui a fini par être une donnée historique plutôt qu’une donnée politique. La recomposition du
religieux, la place du religieux dans un nouveau contexte géopolitique et notamment de
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l’islam, la visibilité du fait religieux musulman avec la revendication de lieux de culte, la
montée de revendications identitaires et communautaires ont conduit à une crispation de la
question laïque et à une émergence de l’islamophobie dont l’extrême droite s’est emparée.
Cette crispation touche toute la classe politique y compris l’extrême gauche (cf. : débat sur
une candidate NPA voilée).
opinion et mosquées / minarets
Le sondage IFOP de 2009 est intéressant. Le nombre des opposants a globalement doublé
depuis 2001, majoritairement à droite mais également de façon significative à gauche. A
remarquer le % important de favorables en Alsace où prévaut un régime de cultes reconnus.
Xavier Bertrand : « la France n’a pas besoin de minarets », Christian Estrosi, ministre et
maire de Nice, « il n’y aura pas de minarets à Nice »
Ce n’est pas qu’un problème français : sondage du Spiegel : 78% contre les minarets.
Il serait intéressant d’étudier l’évolution des opinions européennes : le débat tend à
s’homogénéiser, les variables historiques tendent à s’atténuer.
3. La construction des lieux de culte musulmans.
Quelques chiffres.
mosquées, France / Allemagne / Espagne / Pays Bas
France :
-
39000 églises
1700 lieux de culte musulman dont 8 à 10 mosquées, 0,1% avec minaret
1100 temples
300 synagogues
100 pagodes
Allemagne :
-
2600 lieux de culte musulman dont 70 mosquées + 30 en projet, 159 ont une coupole et un
minaret (nombre de musulmans : 3,5M)
Espagne :
-
800 lieux de culte dont 427 légalement reconnus (population : 1,5M)
Pays Bas
- 300 mosquées (population : 400 000)
En fait, en France, parler de la construction de lieux de culte pour les musulmans relève du
paradoxe. On pourrait davantage parler de la difficulté de construire dans un pays où
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s’opposent fortement le nombre d’édifices relevant de traditions religieuses établies de longue
date et le nombre d’édifices pour l’islam. Ainsi, ce qui apparaît, c’est l’inégalité de situation
des traditions religieuses en matière de lieux de culte rapportés à la population de fidèles.
lieux de culte et population de fidèles : inégalité de surface
Toutefois, depuis quelques années, une évolution est observée avec une accélération.
Plusieurs dizaines de projets sont en cours. Pour autant, on ne peut pas parler de la fin d’un
tabou (expression de Xavier TERNISIEN dans la France des Mosquées). Car, l’évolution que
l’on observe est très loin de se développer de manière normale, conformément aux règles
d’urbanisme applicables à toute construction.
La construction reste du domaine de l’exception.
Certes, nous sommes passés de l’islam des caves à celui des entrepôts ou de constructions
banalisées. Mais la réalisation d’une mosquée au sens cultuel et au sens que lui donne la
liberté de religion reste encore du domaine de l’impossibilité, de la difficulté, de l’exception
au droit.
type de lieux de culte musulman
Les lieux de culte musulman sont essentiellement des petites salles de prière. Lorsqu’il existe
de grandes surfaces, ce sont des hangars ; il n’y a que très peu de grandes mosquées
La règle, l’Etat ne subventionne aucun culte, est une loi d’airain ; l’islamophobie est une
réalité forte. Les projets de mosquées connaissent des gestations difficiles et longues :
- Mosquée de Paris, première évocation 1847, inauguration 1926 (réponse du président du
conseil à la question « pourquoi la France laïque, la France de la séparation, finance la
mosquée de Paris ? On ne peut pas faire moins pour les musulmans que pour les
catholiques en 1905 » ; le deuxième registre de réponse était « France, puissance
musulmane » (LYAUTE)
- Mosquée de Marseille, première pierre 1935, la seconde n’est pas encore posée
- Mosquée de Lyon : environ 20 ans de batailles juridiques
De ce point de vue, situation pas très différente la Mosquée de Rome réalisée par
PORTOGHESI a connu des difficultés identiques, celle de Grenade également (devant les
tribunaux, était reproché le fait que la Mosquée portait atteinte au site historique et protégé de
l’Alhambra).
Les difficultés sont de plusieurs ordres.
Elles sont d’ordre juridique alors que le droit de la construction ne prévoit aucune particularité
pour la construction des lieux de culte. Mais le droit de la séparation, le principe de laïcité ont
« sécularisé » le droit de l’urbanisme. S’il est historique, le lieu de culte a sa place dans le
paysage, il peut même être protégé et subventionné. Neuf, il se heurte à des dispositions
juridiques qui ne connaissent pas le religieux.
Elles sont de l’ordre de la mentalité pour reprendre l’expression de Monique TRIBALAT.
L’islamophobie s’oppose aux lieux de culte, aux minarets. Par ailleurs, les pouvoirs publics, à
commencer par les élus locaux ont tendance à vouloir régenter l’islam, à s’immiscer dans les
affaires de culte à l’encontre de toutes les règles de droit.
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Elles sont également d’ordre financier (inégalité entre l’islam et les anciennes traditions
religieuses, pauvreté des communautés musulmanes).
Elles sont d’ordre méthodologique. Les associations porteuses de projet sont souvent fragiles,
guère en capacité d’assurer une maîtrise d’ouvrage et peu armées pour porter un projet où les
batailles juridiques, les batailles médiatiques sont la règle générale.
Il se déduit deux points.
● La construction de lieux n’est pas détachable du contexte sociétal dans lequel elle s’inscrit,
avec une remarque importante : historiquement, toutes les traditions religieuses rencontrent
des difficultés similaires. De ce point de vue, l’islam ne fait pas exception.
● La construction s’apprécie dans un cadre juridique de la liberté de religion et le droit de
l’urbanisme dont l’application est particulière pour l’islam compte tenu des raisons
historiques et politiques,qui viennent d’être évoquées.
A) .La construction des édifices religieux : un invariant
Sans vouloir brosser un tableau de l’histoire de la construction des lieux de culte, notons que :
a). définition du sol : Pour pratiquement toutes les traditions s’est posée à un moment ou un
autre la question de la définition et de la caractérisation du sol sur lequel est édifié un lieu de
culte avec les conséquences classiques d’imprescriptibilité, d’inaliénation qui doivent être
conjuguées avec le droit moderne, bail emphytéotique, titre de propriété.
Dans les entrelacs des références théologiques que se partagent les religions du Livre, la
tradition talmudique a développé très tôt la nécessité d’édifices spécifiques pour le culte avec
une notion de sacralité pour le terrain de construction. La tradition islamique a une préhistoire
araméenne dont Saint Paul et saint Augustin s’écarteront radicalement. En France, la tradition
juive a été assimilée avec la création du Consistoire Central par Napoléon. Une procédure
existe pour une éventuelle désaffectation. Sur cet aspect, la tradition musulmane n’a pas
« d’outil » d’adaptation aux réalités du droit moderne ; certaines sensibilités refusent même
l’idée d’une construction sur un terrain loué.
b). implantation.
Dans la Rome d’avant l’établissement du culte officiel chrétien, les lieux ont d’abord été en
périphérie (catacombes) ; ils ont été plus ou moins tolérés. Ensuite, les chrétiens ont investi
les bâtiments des anciennes institutions romaines ; ils se sont installés dans les basilicae qui
auparavant étaient des lieux de justice. La comparaison peut être faite avec l’islam des caves
puis des friches industrielles ou commerciales. (Strasbourg, Mosquée : usine de foie gras)
c). le financement.
Là également, la comparaison n’est pas dénuée d’intérêt. Quatre flux financiers se sont
assemblés pour la construction des cathédrales : le casuel, petite part, la contribution des
riches particuliers, patriciens, bourgeois, le financement institutionnel avec la capitalisation
organisée au sein des traditions monachiques qui précéderont les banques, parfois le
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financement du roi. Notons, que ces flux n’avaient pas de frontière. Aujourd’hui, même au
niveau des fidèles, on observe un don et un contre don pour reprendre l’expression de Marcel
MAUSS qui va très au-delà des seules communautés concernées par la construction d’un
édifice.
B). le cadre juridique. Français de la construction des lieux de culte
1°. Deux sources
Internes : principe d’égalité des cultes posés par la loi de 1905 mais également inscrit dans la
déclaration de 1789
Problèmes : la pratique évolue vers une reconnaissance implicite, donc vers une inégalité des
cultes avec trois conséquences principales :
- inégalité financière mise en évidence notamment par le rapport DAUZIERE sur les fonds
publics Etat consacrés aux cultes (montant supérieur au montant de l’impôt ecclésial en
Allemagne).
- Pour les musulmans, la mise en place du CFCM, une matrice du XIX siècle
Pour répondre aux questions du XXI posées par l’insertion de l’islam dans un
pays
sécularisé et laïcisé. Manifestement, on peut soulever la question de la pertinence, de
l’anachronisme de cette démarche des pouvoirs publics.
- mentalité : gestion sécuritaire de l’islam
Strasbourg : « le maire souhaite que la réunion porte sur les lieux de culte et la problèmes de
sécurité auxquels la ville est confronté » (2002) ; titre du Monde : le maire de Strasbourg
somme les imams de faire baisser la délinquance (novembre 2003).
Externes : droit européen qui emprunte au droit français la notion d’égalité entre les cultes
(cf. : plusieurs décisions de la CEDH), inspiration anglo saxonne et droit international,
davantage marqués par la notion de liberté de religion, voire de liberté absolue de religion que
l’Etat ne saurait connaître sans attenter à la liberté de conscience ou à la liberté individuelle.
(USA)
Peut être notée une orientation récente de la CEDH qui introduit dans sa jurisprudence la
notion de laïcité (décisions REFAH PARTISI)
-
article 9 CEDH … « liberté de manifester sa religion par le culte », restrictions :
uniquement du domaine de la loi et proportionnées à la protection de l’ordre public ou des
droits d’autrui.
Il s’en suit que les restriction apportées par un exécutif communal (en matière d’urbanisme
d’organisation du culte sont illégales)
Le droit européen pose le principe de l’unicité de la liberté de religion mais pose le principe
de subsidiairité pour les relations entre les églises et les Etat.
S’agissant du droit international, peuvent être évoqués la déclaration universelle de 1948, le
pacte additionnel de New York de 1966, la convention européenne des droits de l’enfant, la
déclaration sur l’élimination de toute forme d’intolérance, 1981). Ce dernier texte offre la
définition de la liberté de religion la plus complète : liberté d’établir des lieux de culte, liberté
de fonder des institutions appropriées, liberté de recevoir des contributions financières…
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C). Liberté de financement
Cf. : déclaration de l’ONU qui vient d’être citée mais également traité de Rome sur la
circulation des capitaux, article 56, avec décision Cour de Luxembourg 1er mars 2000 : « une
restriction à la liberté de circulation des capitaux qui a pour objet de faire obstacle à la
liberté de religion est contraire aux dispositions du traité de Rome ».
Toute affirmation « d’interdiction en provenance de l’étranger » est donc illégale (cf. :
Champs Elysée)
D). Le contrôle
Contrôle des constructions au travers des plans de financement, des projets. N’est possible
pour une autorité publique que si la collectivité participe en tant que partenaire, à l’édification
du lieu, soit en louant le terrain, soit en accordant une garantie d’emprunt ou une subvention.
E). Les moyens d’intervention publique
-
L’emphytéose (séparation) : 1936, chantiers du cardinal Verdier, location de longue durée,
à l’issue de la location, possibilité d’acquérir ou bien devient patrimoine public. J’ai
proposé l’hypothèse d’un retour dans le patrimoine public pour les mosquées à l’effet
d’avoir le même régime que pour les lieux de cultes relevant de la loi de 1905.
Evolution récente de la jurisprudence : classiquement le Conseil d’Etat considérait en
matière d’emphytéose que les communes devaient louer au prix du marché quand elles
louaient pour une activité économique susceptible de produire des bénéfices (principe
d’égalité pour le coût du foncier). En revanche, le Conseil d’Etat admettait un loyer
symbolique (1€) pour les activités non lucratives. C’est ainsi que la Grande Mosquée de Lyon
a pu bénéficier d’un loyer symbolique dans les années 90. Mais récemment, le Conseil d’Etat
a unifié sa jurisprudence pour le cas des Mosquées en considérant, loi de 1905, que les
communes ne pouvaient accepter un loyer symbolique lorsque la loi interdit toute subvention.
Cela a été le cas à Montreuil et à Marseille en notant que les recours ont été introduits à
l’initiative de partis d’extrême droite.
-
garantie d’emprunt (séparation), prévue à l’origine pour les villes nouvelles, étendues à
toutes les collectivités
-
avantages fiscaux (séparation) : régime de déduction fiscale pour les donateurs,
exonération de taxe
-
subventions publiques (uniquement en Alsace Moselle).
F). L’urbanisme
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Un lieu de culte s’inscrit dans le paysage et de ce fait relève comme toute construction du
droit de l’urbanisme et de la construction. Première difficulté, l’article 1er du code
l’urbanisme.
« le territoire appartient au patrimoine de la nation », ce qui signifie, ab initio, deux légitimités
juridiques, celles des autorités publiques, gardiennes d’une conception, d’une définition
historique du patrimoine de la nation (les minarets ne font pas partie du paysage), celle du
propriétaire constructeur (qui peut construire ce qui n’est pas expressément interdit, donc les
minarets). L’urbanisme n’est ainsi pas indépendant des conceptions philosophiques,
idéologiques et politiques qui organisent une société. Un édifice ancien du culte peut ainsi
bénéficier d’une protection en tant que monument, un édifice nouveau se heurte à des
réglementations, conformes à une société sécularisée, qui ne prennent pas en compte la
construction d’un lieu de culte.
Les musulmans rencontrent aujourd’hui le problème qu’a rencontré l’église catholique dans
les années trente et que rencontrent aujourd’hui d’autres traditions religieuses.
Se posent, par exemple, les questions lourdes de sens sur la possibilité de construire une
mosquée en centre ville par rapport à une construction en périphérie, sur les signes
architecturaux d’une mosquée sans même évoquer le minaret, sur, dans les documents
d’urbanisme, la possibilité d’affecter des zones à la réalisation d’édifices cultuels. En 1988, le
Conseil d’Etat a reconnu un caractère d’intérêt général à une réserve foncière en vue de
réaliser un lieu de culte. Pour autant, dans les Plans Locaux d’Urbanisme comme dans les
opérations de rénovation urbaine, la réalisation d’édifices cultuels est rarement envisagée. A
l’heure actuelle, il est possible d’affirmer que dans le domaine de l’urbanisme, le souci cultuel
n’est plus clandestin mais il n’a pas le caractère d’obligation d’où une inégalité selon les
positions politiques des municipalités.
S’agissant de l’urbanisme, cette similitude de situations entre traditions religieuses (la
différence ne porte que sur les traditions qui disposent d’un patrimoine et celles qui n’en n’ont
pas) a deux raisons :
- une définition de la liberté de religion qui vaut pour toutes les religions.
- Une double fonctionnalité d’un lieu de culte, quelle que soit la tradition religieuse.
Elément essentiel d’une confession, selon FLORES LONJOU, régulateur de la vie
paroissiale selon LE BRAS, un lieu de culte donne à voir également à l’ensemble de la
cité. C’est un signe d’identification d’une confession et un élément du paysage urbain.
Le projet est un point d’identification de la communauté musulmane au sein de notre ville. Il
s’agit de construire un édifice symbolique pour démontrer la visibilité de l’islam à Strasbourg
tout en tenant compte de l’intégration dans le paysage social et urbain (présentation du projet
de grande mosquée à Strasbourg).
Ces deux légitimités qui sont issues de la fonction même d’un lieu de culte impliquent qu’un
projet de construction ne peut s’envisager qu’avec l’approbation de l’autorité publique. C’est
l’un des paradoxes de la séparation : construire passe par le débat avec une autorité publique
qui, en droit, ne connaît les cultes et qui en fait ne les connaît pas davantage.
Similitudes entre les traditions mais également des spécificités propres au culte musulman.
Comment construire un lieu de culte islamique dans un contexte d’émergence d’islam
européen, de tradition cultuelle « mutante ». Peut-on se contenter de la translation d’un objet
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délocalisé ? La translation culturelle est une question essentielle pour les porteurs de projets
(cf. : Strasbourg et débat avec Zaha HADID) avec une remarque. Lorsque la construction
projetée ne relève pas du religieux, ses caractéristiques islamiques ne font pas débat.
Exemples : le palais Sammezzano, l’institut du monde arabe à Paris, le beffroi de Cardiff :
l’islam oui mais sans musulman !
projet Zaha HADID
Concours international avec HADID, PORTOGEISI, BOTTA, WILLMOTTE…le projet
HADID avait la faveur du jury mais débat sur sa modernité.
5. La construction des lieux de culte musulman et les élus locaux
Nous venons de voir le contexte national, plus précisément, le contexte dans la logique du
régime de séparation. Concrètement le permis de construire est une prérogative du maire et les
projets sont portés par des associations locales.
Comment se passe le débat localement, comment les élus régulent à l’échelon local le
pluralisme religieux issu de la recomposition du religieux et l’insertion de l’islam comme
nouvelle tradition religieuse ?
L’islam c’est une peu comme l’Europe. Vu de loin c’est une évidence, mais de près rien n’est
moins sûr. Si je prends l’exemple de Strasbourg, une quinzaine de sensibilités cultuelles
différentes, des rites différents, des langues et des cultures d’origine différentes, des
musulmans qui revendiquent d’être français, anciens combattants, des responsables
d’association de nationalité étrangère.
Première observation, dans une société sécularisée, les élus locaux sont radicalement
ignorants de la réalité et des revendications qui commencent à émerger au début des années
90.
géographie des lieux de culte musulman dans le Bas-Rhin.
Concrètement, la revendication n’est pas distribuée de manière homogène sur le territoire ;
elle correspond à une géographie de peuplement liée à des bassins industriels, des bassins
d’emplois. Elle concerne majoritairement des villes de plus de 2000 habitants qui peuvent se
situer également dans un secteur rural.
Deuxième observation, pour les élus de cette période, la question n’est pas inscrite à leur
agenda politique.
C’est donc dans l’urgence, face aux revendications posées, que les autorités locales vont
réagir selon trois grandes logiques :
-
l’une est caractéristique du tropisme français avec la recherche du bon islam qui sera
qualifié d’islam républicain et qui, bien entendu, ne pourra être porté que par des
musulmans français, anciens combattants d’Algérie. En fait, c’est le modèle colonial qui
resurgit, qui immédiatement dénonce l’islam étranger qui ne peut être que radical,
fondamentaliste et fanatique. « L’islam républicain » est soutenu par la Mosquée de Paris
11
qui a toujours eu la revendication de porter « l’islam de France ». L’image principale qui
est donnée est celle d’un islam français donc modéré.
-
la seconde, en méconnaissance complète des principes de séparation et de laïcité, a
cherché à fédérer les musulmans, les sensibilités dans un cadre républicains. De gauche ou
de droite, des élus ont cherché à résoudre des querelles schismatiques.
-
La troisième a tenté de prendre la mesure de la diversité. Réaliser plusieurs lieux de culte
dans une agglomération, ne pas choisir ses interlocuteurs musulmans, faire comprendre à
ses mêmes interlocuteurs que les projets se hiérarchisent, qu’ils obéissent à des règles
précises qui permettent de passer de l’intention à la concrétisation (élaboration d’un
projet, concrétisation d’une maîtrise d’ouvrage, élaboration d’un plan de financement).
Dans la complexité et les contradictions, s’est développée tant parmi les pouvoirs publics que
parmi les responsables musulmans une notion neuve, celle de religion minoritaire dans un
contexte sécularisé avec une articulation entre la dogmatique et le droit positif (cette
articulation prend différentes formes : conseil européen des Fatwa, Charria de minorité,
etc…). Cette notion neuve est articulée au dialogue inter religieux avec cette idée que le
développement de l’insertion de l’islam se fait finalement dans un contexte radicalement
différent des anciennes traditions, lesquelles se sont affirmées dans une histoire de » guerre de
religions qui a constitué une partie importante de l’histoire européenne. Le paradoxe est
d’observer que ce qui est souvent craint, critiqué conspué sous forme d’islamisme, prend
place dans le paysage européen dans un cadre juridique fondé sur un principe d’égalité même
si celui-ci est loin d’être appliqué.
6. Le non droit dans la construction.
A). Non droit.
Deux significations pour cette expression
La première postule que le sujet de non droit ne relève pas du droit commun. Dans cette
définition le non droit infériorise celui qui en est le sujet. Appliqué aux musulmans, le non
droit renvoie à une histoire de l’Europe vis à vis du monde musulman. Cette définition est
souvent fortement présente dans le propos islamophobe cf. : la suprématie de l’Occident,
Sophie BESSIS.
La deuxième signification intéresse plus précisément les élus locaux ; elles concerne le
comportement des institutions publiques vis à vis des revendications musulmanes. Le non
droit va prendre une infinité de nuances concernant le droit de propriété, les règles
d’urbanisme, les règles de construction, les règles de financement et, d’une manière générale,
la liberté de religion.
Prendre la mesure du non droit est important ; c’est le trou noir, le triangle des Bermudes du
droit qui justifie dans les pays anglo saxons des mesures de discrimination positives.
Le non droit n’est pas homogène
Exemples : la création d’une commission pour retarder ou enterrer un problème, le
détournement de pouvoir, le détournement de procédure, de motifs apparents, de faits
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matériellement inexacts, la mauvaise foi, cette dernière caractérisant une croyance erronée
(les lieux de cultes musulmans vont devenir des lieux d’intégrisme) ou, au contraire la
conscience de l’irrégularité commise, notion déjà mise en évidence par le droit romain.
Le non droit peut être conscient ou inconscient avec une volonté affirmée ou dissimulée de
faire obstacle. Il est parfois le résultat de la simple ignorance.
Expression maire : « pour se forger notre religion en la matière, il n’existe que les textes
fondateurs et les garanties communautaires. Pour le reste, il existe une note du ministère de
l’intérieur. Comme appliquer les règles d’urbanisme, comme appliquer les règles de sécurité
dans des locaux qui souvent sont non conformes à la sécurité des personnes ? »
Le non droit est suffisamment important pour avoir susciter un rapport de la commission
européenne contre le racisme et l’intolérance en janvier 2000.
B). Quelques exemples
-
atteinte au droit de propriété : contestation de catholiques intégristes dans un village à
l’occasion de l’achat d’un immeuble par une sensibilité d’origine turque. La mobilisation
de l’extrême droite conduit le département à faire une offre de rachat : « soit ils nous
rendent l’immeuble, soit ils n’y mettront jamais les pieds ». Le ministre de l’intérieur ne
réagit pas. L’association turque préfère dans ces conditions revendre mais avec une
confortable plus value qui a été considérée non pas comme un profit illicite en droit
musulman mais comme la juste contrepartie de l’atteinte à la liberté de religion.
-
droit de préemption. Lorsque qu’un bien immobilier est en vente, l’autorité publique peut
se substituer à un acheteur mais à une condition : avoir avant la décision de préemption un
projet d’intérêt général ou d’intérêt public en préparation. De multiples décisions de
justice ont été rendues en matière de lieux de culte musulman, les communes invoquant
faussement des projets d’intérêt général ou public.
-
déclaration d’utilité publique qui permet l’expropriation. Classiquement, ce mécanisme
met en évidence un conflit d’intérêt entre projet public et projet de lieu de culte. C’est
aujourd’hui complexe car un projet de lieu de culte peut être d’intérêt général.
Généralement, ces conflits sont complexes mais le débat est plus nuancé. Dans les
premiers cas, les protagonistes sont les élus locaux qui reflètent directement l’opinion des
électeurs, dans le second, c’est l’Etat qui est en cause : le droit finit le plus souvent par
prévaloir.
-
les documents d’urbanisme : réglementation pour interdire les minarets (ce n’est pas
exprimé de cette manière, mais c’est la hauteur de construction qui est limitée. Création de
zones qui empêchent de réaliser un lieux de culte ou suppression (en cas d’élections) des
zones prévues pour la construction d elieux de culte.
-
Permis de construire : refus de délivrer un permis parce que « le projet ne plait pas » ;
refus d’instruire malgré condamnation par le tribunal, refus pris sur des motifs irréguliers
(la condamnation est certaine, mais le jugement intervient au bout de deux ans, temps
parfois suffisant pour que l’association rencontre des difficultés pour poursuivre son
projet).
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C). Les réponses au non droit
-
Faire connaître le droit, populariser, faire intervenir la presse, rechercher les soutiens (des
autres cultes) saisir la justice pour demander l’annulation des décisions irrégulières mais
également pour obtenir des condamnations pénales
Toutes ces actions ne sont pas toujours d’évidence pour des associations qui ne disposent pas
toujours des ressources, financières, juridiques, politiques nécessaires.
Mettre en place une politique publique en matière de construction de lieux de culte
Dans ce domaine beaucoup reste à faire : une seule lettre du ministre de l’intérieur en 1999:
« les mosquées et lieux de prière constituent la condition même de l’expression religieuse des
fidèles. Seules les règles d’urbanisme s’appliquent. A défaut, les décisions administratives
sont irrégulières »
Plus de dix ans ont passé : il reste beaucoup à faire.
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