Corrigé : Peut-on envisager une régulation accrue des

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Corrigé : Peut-on envisager une régulation accrue des échanges internationaux ?
La crise financière de 2008, qui débouche sur la plus grave crise économique de l’après-guerre, montre de façon dramatique les risques d’une
mondialisation sans règles : des particuliers découvrent qu’ils ont investi sans le savoir dans des produits financiers américains très risqués, des
banques sont victimes de défaillances survenues à des milliers de kilomètres et échappant totalement au regard des régulateurs nationaux. Les
institutions internationales comme les gouvernements nationaux réfléchissent donc à une plus forte régulation des échanges, par quoi il faut
entendre la mise en place de règles ou d’organismes de surveillance des échanges commerciaux, monétaires et financiers.
Cette régulation peut avoir des motivations variées. Il s’agit de limiter les déséquilibres internationaux commerciaux ou les variations brutales des
taux de change, d’organiser une surveillance de la finance, mais aussi de favoriser le respect de normes communes dans des domaines tels que la
protection de l’environnement ou les conditions de travail. Dans ces domaines, en effet, la concurrence internationale affaiblit la possibilité de
règles nationales.
Cependant, il s’agit d’une entreprise très difficile, car elle exige de trouver un accord entre de nombreux pays aux intérêts et à la philosophie
divergents et de surmonter l’hostilité des entreprises à toute forme de limitation de leur liberté de mouvement. En outre, la régulation suppose un
certain transfert de pouvoir des Etats nationaux vers des institutions internationales, ce qui rencontre de sérieuses réticences. Enfin, il faut prendre
garde aux risques qu’entraînerait un encadrement excessif des échanges internationaux.
Nous verrons donc qu’une régulation accrue des échanges apparaît souhaitable, mais qu’elle est bien difficile à mettre en œuvre.
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Une régulation accrue des échanges apparaît souhaitable. En effet, les échanges internationaux provoquent des risques de crise, alors que des
règles sont nécessaires dans certains domaines.
Les déséquilibres des échanges commerciaux entraînent le risque de crises. Les échanges commerciaux sont de plus en plus fortement
déséquilibrés : énormes excédents de la Chine ou de l’Allemagne, inquiétant déficit américain (document 2). Ces déséquilibres externes traduisent
des problèmes internes : incapacité de la Chine ou de l’Allemagne à faire progresser leur demande intérieure, insuffisance d’épargne aux EtatsUnis. Ces déséquilibres peuvent déboucher sur un problème d’endettement d’un pays (menaçant des pays tels que la Hongrie ou l’Argentine) ou
sur une crise monétaire mondiale, la confiance dans le dollar pouvant s’effondrer à tout moment.
La relation entre les Etats-Unis et leurs créanciers, notamment la Chine, est complexe : les Etats-Unis se trouveraient dans une situation financière
très difficile si les Chinois cessaient de recycler leurs excédents commerciaux sur les marchés financiers américains, alors que la Chine perdrait
beaucoup d’argent en cas de dévalorisation du dollar et verrait sa croissance compromise si le marché américain s’effondrait. Aucun des deux
pays n’a donc intérêt à remettre en cause la situation actuelle, mais celle-ci se traduit par un endettement croissant des Etats-Unis, ce qui n’est pas
tenable.
Les risques de crise financière se sont concrétisés récemment. Ils sont liés à la nature même de la finance, qui a connu un développement sans
précédent au cours du dernier quart de siècle, mais résultent aussi de la mondialisation financière, qui réduit considérablement les possibilités de
contrôle des autorités bancaires. Ainsi, une grande partie des fonds spéculatifs, qui peuvent prendre des risques très dangereux pour eux-mêmes,
mais aussi pour l’ensemble du système financier, sont localisés dans des « paradis bancaires », si bien que les risques qu’ils prennent ne peuvent
être contrôlés, ni même évalués. La récente réunion du G20 a reconnu la nécessité d’une plus grande régulation (document 3).
D’autre part, l’explosion des échanges financiers entraîne des mouvements très violents à l’échelle des pays émergents. Ainsi, des sorties de
capitaux spéculatifs représentant 10% à 15% du PIB en quelques mois ont entraîné les crises mexicaine et asiatique des années 1990. Les pays
qui ont rétabli un certain contrôle des entrées et sorties de capitaux à cette époque, comme la Malaysia ou le Chili, s’en sont d’ailleurs bien trouvé.
Le caractère particulier des activités financières et l’ampleur des échanges financiers doivent donc être pris en compte.
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Des règles semblent nécessaires dans certains domaines. Le libre échange doit pouvoir être amendé du fait du caractère essentiel de certaines
activités. Ainsi, dans le domaine de l’agriculture, le libre-échange se traduit par des rapports de force très déséquilibrés entre firmes multinationales
de l’agro-alimentaire, comme Nestlé ou Unilever, et la paysannerie peu organisée des pays en développement, ce qui conduit à la baisse des prix
et à la désorganisation de la production.
Les industries culturelles sont un autre domaine où des exceptions au principe de libre-échange peuvent être justifiées. En effet, elles jouent un
rôle important dans la construction et la stabilité de l’identité nationale, qu’il s’agisse de la langue ou des valeurs et croyances. Chaque Etat
cherche à protéger la langue nationale (par exemple par l’obligation de doubler les films) ou ses valeurs (par exemple en censurant les films
pornographiques ou en interdisant l’importation d’alcool ou d’opium).
Par ailleurs, la concurrence internationale défavorise les pays qui prennent des mesures de protection de l’environnement ou des conditions de
travail des salariés et l’instauration de normes internationales dans ces domaines semble la seule voie permettant de concilier ces objectifs et le
maintien d’une concurrence loyale. Par exemple, les pays qui interdisent le travail des enfants ou qui réglemente le travail dans un milieu chargé en
amiante ou en matériaux radioactifs perdent des marchés au profit de pays plus libéraux dans ces domaines. Si bien que les protections risquent
d’être sacrifiées sur l’autel de la concurrence internationale en l’absence de règles acceptées par tous.
La question est encore plus vive pour ce qui est de la protection de l’environnement. Un pays ne peut pas prendre des mesures de protection de
l’environnement sans perdre des parts de marché, car ces mesures sont coûteuses (document 4, paragraphe 2). C’est d’autant plus paradoxal que
le plus souvent, il s’agit d’un objectif qui intéresse tous les pays (lutte contre le réchauffement climatique ou les pluies acides, protection de la
biodiversité,…). Des normes communes devraient donc être adoptées, afin de concilier concurrence loyale et protection de l’environnement.
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Cependant, il est bien difficile de parvenir à une régulation mondiale. La régulation se heurte à de sérieux obstacles, même si des solutions
progressent. Les obstacles à une plus forte régulation des échanges sont nombreux, car la régulation attente à la souveraineté et aux intérêts des
Etats et peut remettre en cause les acquis de la mondialisation. Toute régulation implique d’accepter des règles communes ou de confier un
pouvoir à une institution internationale. Ce type d’abandon de souveraineté est rarement consenti par les Etats les plus puissants, comme les
Etats-Unis, puisque ils parviennent généralement à obtenir de leurs partenaires un alignement sur leurs positions par des accords bilatéraux ou par
la force normative de leurs décisions.
D’autre part, les intérêts des grandes puissances sont souvent liés à ceux de leurs entreprises, qui n’ont généralement pas intérêt à la moindre
entrave à leur liberté de commercer ou de produire. Ainsi, toute régulation de la finance se heurte à l’hostilité des banques anglo-saxonnes (dont
les contributions financières pèsent très lourd dans les campagnes électorales américaines), alors que la pression sur les paradis fiscaux contrarie
les intérêts des particuliers fortunés qui bénéficient de leurs services.
Cette méfiance est également alimentée par les leçons de l’histoire, qui ont montré que la nécessité d’une certaine régulation était souvent utilisée
comme prétexte pour protéger les intérêts de certaines entreprises ou de certaines régions capables de se mobiliser. De ce point de vue,
l’expérience des années 1930 a marqué les esprits : la réaction protectionniste face à la crise de 1929 a aggravé la situation économique à partir
de 1932-33. Ce serait évidemment encore plus grave aujourd’hui, car la division internationale des processus productifs entraîne une imbrication
des économies telle que le protectionnisme entraîne des coûts de réorganisation importants.
L’exemple des marchés agricoles illustre la nécessité de ne pas confondre régulation et protectionnisme. Ces dernières années ont vu la
déréglementation des marchés du café ou du cacao, qui a eu des conséquences graves pour les producteurs (forte concentration de la production
et baisse importante des prix), nettement plus positives pour les grandes sociétés de négoce. Mais, dans le même temps, les subventions agricoles
versées par les grands pays représentent toujours des sommes considérables.
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Des solutions plus limitées avancent néanmoins dans certains domaines. L’agriculture échappe toujours au libre-échange et la culture aussi : la
reconnaissance du principe d’exception culturelle, longtemps combattu par les Etats-Unis, permet à la France comme à d’autres pays de protéger
son cinéma, par des aides à la production (avance sur recettes) ou des quotas de diffusion à la télévision. Ces mesures permettent de sauvegarder
la part de marché du cinéma français, qui semblait très menacé dans les années 1980 (document 6).
Des accords internationaux existent en matière de protection de l’environnement, concernant la protection de la couche d’ozone (protocole de
Montréal) ou les émissions de carbone (protocole de Kyoto, cité dans le document 4). En matière financière, des discussions ont lieu en attendant
le G20 qui doit se réunir à Washington en septembre 2009. Les moyens du FMI ont été renforcés, mais aucun mécanisme de correction des
déséquilibres des balances courantes n’est en vue.
La régulation peut résulter des acteurs économiques eux-mêmes. Dans l’agriculture, il est possible de peser sur les rapports de force entre
paysans et firmes de négoce par des formes de régulation faisant intervenir les consommateurs, comme le commerce équitable. Cependant, si le
document 5 montre un développement assez rapide de ce type d’initiative, les volumes concernés demeurent dérisoires au regard du commerce
mondial. L’action des consommateurs pèse également sur les conditions de travail, les menaces de boycott ou le souci de l’image de marque
poussant les entreprises à signer des chartes de bonne conduite garantissant, par exemple, que les sous-traitants n’emploient pas de salariés
âgés de moins de 14 ans. Dans le domaine de l’environnement, la labellisation du bois tropical (par le Forest stewardship council) ou d’autres
produits influence de manière croissante les décisions des consommateurs.
Les entreprises elles-mêmes anticipent de plus en plus ces actions. L’exemple de Total, obligé de commanditer un rapport à un ancien humanitaire
au chômage dans l’espoir de se dédouaner d’accusations d’emploi de travail forcé au Myanmar, a laissé des traces. Au-delà des fondations et
autres actions de communication, des bilans sociaux et environnementaux sont souvent publiés, l’audit se développe dans ces domaines.
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Aucun marché ne peut s’autoréguler, ce qui est à l’origine de l’intervention de l’Etat. Les marchés étant mondiaux, une régulation internationale est
souhaitable. Mais il n’existe pratiquement pas d’organisme supranational, ce qui explique la faiblesse de la régulation à ce niveau. L’accord de tous
les grands pays est bien difficile à obtenir, malgré certains succès. Peut-être la pression de crises graves et répétées permettra-t-elle de modifier
les rapports de force en faveur d’une régulation internationale à la hauteur du développement des échanges mondiaux.
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