Repères historiques sur la Résistance en France

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ANTHOLOGIE
Poètes en résistance
Source : RESEAU-CANOPE
La Seconde Guerre mondiale et les années d’occupation ont provoqué de nombreuses
réactions chez les écrivains. Afin de témoigner, d’inciter à la réflexion et à l’action,
d’exprimer leur révolte, ou encore d’échapper à la censure, des poètes se sont engagés en
utilisant toutes les richesses de la langue française.
Poésie et engagement
La multiplicité de la production poétique pendant la Seconde Guerre mondiale et la notion
même de l’« engagement » littéraire soulèvent de nombreuses questions. Trois enjeux
méritent examen.
Tout d’abord, la représentation que le poète a de lui-même et de son rôle. Si écrire est acte de
résistance, si la poésie est en soi résistance, cela ne signifie pas nécessairement que la
participation résistante des poètes à l’Histoire se confonde avec leur écriture. « Engagement »
et « engagement littéraire » sont à dissocier.
Deuxième enjeu : le rapport du poète avec son public. Les « poètes de la résistance » ont
remporté une éclatante victoire : ils ont réconcilié la poésie et son lectorat,
traditionnellement confidentiel et élitiste. Cela s’est traduit par une audience sans précédent.
La production poétique a conquis par la simplicité de son lexique, l’efficacité de sa prosodie
et la charge émotionnelle qu’assumait son discours. Poésie populaire ou censée pouvoir le
devenir, elle offrait aux consciences en quête d’identification personnelle un miroir
accessible.
Dernière question : la relation du poète au langage. Outil de libération civique aux accents
voulus comme intemporels, assurément.
Louis Aragon
Écrivain et poète, Louis Aragon est né en 1897. Il a à peine 20 ans et poursuit des études de
médecine lorsqu’il rencontre André Breton. Tous deux admirent Mallarmé, Rimbaud et
Apollinaire. Parti pour le front des Ardennes en juin 1918, Aragon en revient décoré de la
croix de guerre. Aragon devient l’un des chefs de file de l’avant-garde littéraire. Avec André
Breton et Philippe Soupault, il crée la revue Littérature. C’est le début des années
vingt. À Paris, la saison « dada » bat son plein.
1920-1938. Le procès Barrès (1921) marque la scission entre Tzara et les futurs surréalistes.
Aragon publie ses premiers textes (Feu de joie, 1920 ; Anicet ou le Panorama, 1921 ; Les
Aventures de Télémaque, 1922) et signe avec Breton le Premier Manifeste du surréalisme
(1924). Tous deux adhèrent au parti communiste français en 1927. Aragon fait ensuite la
rencontre décisive d’Elsa Kagan (séparée de son mari, André Triolet). Ensemble, ils voyagent
en URSS et représentent les surréalistes lors du congrès des écrivains révolutionnaires de
Kharkov (1930). Après l’affaire du poème « Front rouge », Aragon opère une mise au point
dans L’Humanité qui entraînera la rupture définitive avec André Breton. Il se lance dans le
militantisme, et se consacre parallèlement à l’écriture romanesque (Les Cloches de Bâle,
1934 ; Les Beaux Quartiers, 1936) et journalistique (L’Humanité, secrétaire général de la
revue Commune, puis rédacteur en chef du quotidien Ce soir en 1937).
1939-1945. La déroute de la France conduit Aragon jusqu’à Périgueux. Capturé, il parvient à
s’échapper, se réfugie en zone libre et rencontre Pierre Seghers (1940) et Henri Matisse
(1941). Il s’engage en politique – utilisant ses romans pour illustrer le réalisme socialiste et
prôner l’avènement du communisme (Aurélien, 1944 ; Les Communistes, 1949-1951) – et
participe à la Résistance en créant avec Elsa Triolet le Comité national des écrivains pour la
zone Sud et le journal La Drôme en armes. Il s’engage aussi par ses poèmes, publiés dans la
clandestinité, dans lesquels l’amour de la femme (Les Yeux d’Elsa, 1942) rejoint l’amour de la
patrie (« Le Musée Grévin », 1943 ; « La Rose et le Réséda », 1944).
1945-1982. Aragon reste fidèle à la ligne générale du Parti, et fonde Les Lettres françaises.
Anéanti par la disparition d’Elsa Triolet (juin 1970), il décide de léguer au CNRS ses archives
personnelles ainsi que celles d’Elsa. Il meurt le 24 décembre 1982.
Louis Aragon laisse une œuvre considérable qui explore les ressorts classiques ou novateurs,
lyriques ou politiques, de l’écriture romanesque et poétique.
« La Rose et le Réséda », Louis Aragon, 1946 (Il s'agit d'un appel à l'unité dans la
Résistance, par-delà les clivages politiques et religieux.)
À Gabriel Péri et d’Estienne d’Orves comme à Guy Môquet et Gilbert Dru
Celui qui croyait au ciel celui qui n’y croyait pas
Tous deux adoraient la belle prisonnière des soldats
Lequel montait à l’échelle et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel celui qui n’y croyait pas
Qu’importe comment s’appelle cette clarté sur leur pas
Que l’un fut de la chapelle et l’autre s’y dérobât
Celui qui croyait au ciel celui qui n’y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles des lèvres du cœur des bras
Et tous les deux disaient qu’elle vive et qui vivra verra
Celui qui croyait au ciel celui qui n’y croyait pas
Quand les blés sont sous la grêle fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles au cœur du commun combat
Celui qui croyait au ciel celui qui n’y croyait pas
Du haut de la citadelle la sentinelle tira
Par deux fois et l’un chancelle l’autre tombe qui mourra
Celui qui croyait au ciel celui qui n’y croyait pas
Ils sont en prison Lequel a le plus triste grabat
Lequel plus que l’autre gèle lequel préfère les rats
Celui qui croyait au ciel celui qui n’y croyait pas
Un rebelle est un rebelle deux sanglots font un seul glas
Et quand vient l’aube cruelle passent de vie à trépas
Celui qui croyait au ciel celui qui n’y croyait pas
Répétant le nom de celle qu’aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge ruisselle même couleur même éclat
Celui qui croyait au ciel celui qui n’y croyait pas
Il coule, il coule, il se mêle à la terre qu’il aima
Pour qu’à la saison nouvelle mûrisse un raisin muscat
Celui qui croyait au ciel celui qui n’y croyait pas
L’un court et l’autre a des ailes de Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelle le grillon rechantera
Dites flûte ou violoncelle le double amour qui brûla
L’alouette et l’hirondelle la rose et le réséda
Louis Aragon, mars 1943 (repris dans La Diane française, 1944)
Les Fusillés de Châteaubriant
1941 est une année importante pour la Résistance en France. Les groupes et les réseaux
se développent. Particulièrement après l’engagement officiel du Parti communiste dans la
lutte provoquée par l’attaque allemande contre l’URSS, les attentats et les sabotages contre
l'occupant se multiplient. La réaction de celui-ci est de plus en plus violente. À la suite de
l'attentat survenu le 21 août contre l'aspirant Moser, dans le métro à Paris, une ordonnance
allemande décrète que tous les Français mis en état d'arrestation seront considérés comme
otages et, qu' "en cas d'un nouvel acte, un nombre d'otages correspondant à la gravité de l'acte
criminel commis sera fusillé". Si les fusillés de Châteaubriant ne sont pas les premiers otages
exécutés, leur massacre est le point de départ des exécutions massives perpétrées à titre de
représailles par les Allemands.
À la mi-octobre, des groupes armés, dont les membres sont présentés comme des
"terroristes" par les Allemands, programment une série d'opérations à Bordeaux, à Nantes et à
Rouen. Ces actions visent à obliger l'occupant à maintenir des troupes sur l'ensemble du
territoire en entretenant un climat d'insécurité ainsi qu'à développer la lutte armée. Le 19
octobre, un sabotage provoque le déraillement d'un train sur la ligne Rouen-Le Havre. Le
lendemain, vers 8 h 00 du matin, un officier allemand, le lieutenant-colonel Holtz, est abattu à
Nantes. Gilbert Brustlein et Guisco Spartaco, deux jeunes Parisiens, rencontrent sur leur
chemin, près de la cathédrale, deux officiers, Holtz et le médecin-capitaine Sieger et leur
emboîtent le pas. Au moment de tirer, l'arme de Spartaco s'enraye mais le revolver de
Brustlein atteint Holtz qui s'effondre.
La réaction de l’occupant est immédiate. À Châteaubriant, des troupes allemandes
viennent renforcer la gendarmerie française qui assure la garde du camp de prisonniers de
Choisel, dont la population est notamment constituée de détenus politiques arrêtés par le
gouvernement du maréchal Pétain. Le jour même, un officier allemand se présente au camp
pour y consulter la liste des détenus. Le lendemain, le général Von Stülpnagel, commandant
militaire en France, fait annoncer par voie d'affiche que, "en expiation de ce crime", cinquante
otages seront fusillés ainsi que cinquante autres si les coupables ne sont pas arrêtés avant le 23
octobre à minuit. Une récompense de quinze millions de francs est offerte pour la
dénonciation des auteurs de l'attentat.
Le choix des otages est laissé à la discrétion du gouvernement de Vichy. Sur la liste de
cent détenus présentée par les Allemands au ministre de l'intérieur Pierre Pucheu, les noms de
cinquante personnes sont retenus, essentiellement des communistes. Tandis que se prépare
ainsi l'exécution du premier groupe d'otages, un autre officier, le conseiller d'administration
militaire Reimers, est abattu à son tour à Bordeaux par Pierre Rebière. La riposte est la même
: cinquante otages fusillés, cinquante en sursis jusqu'à l'arrestation des coupables, offre d'une
récompense de quinze millions de francs aux dénonciateurs.
Le 22 octobre, vingt-sept otages sont fusillés à Châteaubriant. En début d'après-midi, ce
mercredi, les Allemands regroupent les otages dans une des baraques du camp de Choisel où
ils peuvent écrire une dernière lettre avant d'être conduits à la carrière de la Sablière, à la
sortie de la ville, lieu de leur exécution. Celle-ci se déroule en trois salves, à 15 h 50, 16 h 00
et 16 h 10. Tous refusent d'avoir les yeux bandés et les mains liées. Ils meurent en chantant la
Marseillaise. Le même jour, seize otages sont également exécutés à Nantes, au champ de tir
du Bèle, et cinq autres au Mont- Valérien. Le lendemain, les Allemands dispersent les vingtsept corps dans neuf cimetières des environs. Le dimanche suivant, malgré les interdictions,
des fleurs sont déposées à l'emplacement des neuf poteaux par la population de Châteaubriant
et de ses alentours. Dans le discours prononcé par le maréchal Pétain à la radio le soir du 22,
nulle condamnation de ces exécutions. Il dénonce au contraire les auteurs d'attentats et enjoint
aux Français de se dresser contre eux en les poussant à la délation : "Par l'armistice, nous
avons déposé les armes. Nous n'avons plus le droit de les reprendre pour frapper les
Allemands dans le dos… Aidez la justice. Je vous jette ce cri d'une voix brisée : ne laissez
plus faire de mal à la France."
Le 23 octobre, le secrétariat général à l'information diffuse un communiqué destiné à
apaiser les esprits : "Il est établi que les autorités occupantes ne choisissent pas les otages
destinés à être exécutés parmi les personnes arrêtées après un attentat, mais parmi les suspects
internés dont la culpabilité a été nettement prouvée".
Le 24 octobre, cinquante otages sont fusillés à Souges, près de Bordeaux, à la suite de
l'attentat du 21 octobre contre le conseiller militaire Reimers. Dans le même temps, le
maréchal Pétain propose de se livrer lui-même aux Allemands comme otage. Rencontrant
l'opposition de ses ministres, il renonce à son projet et Pierre Pucheu est chargé de négocier
avec les autorités d’occupation.
Les Allemands ont menacé de fusiller de nouveaux otages si les coupables ne sont pas
découverts. L'offre de récompense pour la dénonciation des auteurs de l'attentat n'ayant pas
porté ses fruits, Stülpnagel essaie d'amener les Français à coopérer en promettant aux familles
qui apporteront leur concours la libération des détenus en Allemagne et le retour des
prisonniers dans leur foyer. Au terme de ses tractations avec les autorités de Vichy,
Stülpnagel renonce finalement aux exécutions complémentaires.
Alors que l'autorité allemande pensait faire de la fusillade de Châteaubriant un exemple,
elle obtient l'effet inverse. Partout, cette exécution suscite l'indignation et la colère. Elle
frappe de manière irréversible la conscience des habitants de la région et l'ensemble de la
population française, jouant un rôle important dans la mobilisation des énergies pour
combattre l'occupant. Son retentissement est considérable dans le pays comme à l'extérieur.
« Les Fusillés de Châteaubriant », René-Guy Cadou, 1978
Ils sont appuyés contre le ciel
Ils sont une trentaine appuyés contre le ciel,
Avec toute la vie derrière eux
Ils sont pleins d’étonnement pour leur épaule
Qui est un monument d’amour
Ils n’ont pas de recommandation à se faire
Parce qu’ils ne se quitteront jamais plus
L’un d’eux pense à un petit village
Où il allait à l’école
Un autre est assis à sa table
Et ses amis tiennent ses mains
Ils ne sont déjà plus du pays dont ils rêvent
Ils sont bien au dessus de ces hommes
Qui les regardent mourir
Il y a entre eux la différence du martyre
Parce que le vent est passé là où ils chantent
Et leur seul regret est que ceux
Qui vont les tuer n’entendent pas
Le bruit énorme des paroles
Ils sont exacts au rendez-vous
Ils sont même en avance sur les autres
Pourtant ils disent qu’ils ne sont plus des apôtres
Et que tout est simple
Et que la mort surtout est une chose simple
Puisque toute liberté se survit.
« Octobre », Pierre Seghers, 1941
Le vent qui pousse les colonnes de feuilles mortes
Octobre, quand la vendange est faite dans le sang
Le vois-tu avec ses fumées, ses feux, qui emporte
Le Massacre des Innocents
Dans la neige du monde, dans l’hiver blanc, il porte
Des taches rouges où la colère s’élargit ;
Eustache de Saint-Pierre tendait les clefs des portes
Cinquante fils la mort les prit,
Cinquante qui chantaient dans l’échoppe et sur la plaine,
Cinquante sans méfaits, ils étaient fils de chez nous,
Cinquante aux regards plus droits dans les yeux de la haine
S’affaissèrent sur les genoux
Cinquante autres encore, notre Loire sanglante
Et Bordeaux pleure, et la France est droite dans son deuil.
Le ciel est vert, ses enfants criblés qui toujours chantent
Le Dieu des Justes les accueille
Ils ressusciteront vêtus de feu dans nos écoles
Arrachés aux bras de leurs enfants ils entendront
Avec la guerre, l’exil et la fausse parole
D’autres enfants dire leurs noms
Alors ils renaîtront à la fin de ce calvaire
Malgré l’Octobre vert qui vit cent corps se plier
Aux côtés de la Jeanne au visage de fer
Née de leur sang de fusillés
Pierre Seghers, 1941 (repris dans La Résistance et ses Poètes. France 1940-1945, 1975)
René Char
René Char est né en 1907 dans le Vaucluse à L’Isle-sur-la-Sorgue. L’enfance dans la
grande maison familiale du pays des Névons reste un refuge et une source d’inspiration
poétique intarissable pour l’adolescent solitaire et épris de liberté. La perte – du père, de la
jeunesse, du pays natal – nimbe ses poèmes d’une tendre mélancolie et d’une beauté
douloureuse.
La rencontre avec Éluard en 1929 incite le jeune homme de 22 ans à rejoindre Paris où il
découvre Aragon, Breton et les surréalistes, groupe auquel il adhère un temps avant de s’en
éloigner
en
1934.
Durant les années 1939-1945, période névralgique de la Seconde Guerre mondiale, René
Char, homme de révolte et de colère, ne peut se contenter d’un attentisme passif. Sous le nom
de capitaine Alexandre, il participe activement à la résistance. Cette implication politique et
historique retentit durablement sur le sens et la forme de sa quête poétique, dont l’unité vole
en éclats. Seuls des notes éparses, des fragments de récits discontinus, des îlots de pensée, qui
deviendront une fois la paix revenue les Feuillets d’Hypnos, permettent de « résister » à
l’occupant, de témoigner de l’engagement nécessaire, de conjuguer souffrance et espérance.
Fragment « 128 » des Feuillets d’Hypnos
Le boulanger n’avait pas encore dégrafé les rideaux de fer de sa boutique que déjà le village
était assiégé, bâillonné, hypnotisé, mis dans l’impossibilité de bouger. Deux compagnies de
S.S. et un détachement de miliciens le tenaient sous la gueule de leurs mitrailleuses et de leurs
mortiers. Alors commença l’épreuve.
Les habitants furent jetés hors des maisons et sommés de se rassembler sur la place centrale.
Les clés sur les portes. Un vieux, dur d’oreille, qui ne tenait pas compte assez vite de l’ordre,
vit les quatre murs et le toit de sa grange voler en morceaux sous l’effet d’une bombe. Depuis
quatre heures j’étais éveillé. Marcelle était venue à mon volet me chuchoter l’alerte. J’avais
reconnu immédiatement l’inutilité d’essayer de franchir le cordon de surveillance et de gagner
la campagne.
Je changeai rapidement de logis. La maison inhabitée où je me réfugiai autorisait, à toute
extrémité, une résistance armée efficace. Je pouvais suivre de la fenêtre, derrière les rideaux
jaunis, les allées et venues nerveuses des occupants. Pas un des miens n’était présent au
village. Cette pensée me rassura. À quelques kilomètres de là, ils suivraient mes consignes et
resteraient tapis. Des coups me parvenaient, ponctués d’injures. Les S.S. avaient surpris un
jeune maçon qui revenait de relever des collets. Sa frayeur le désigna à leurs tortures. Une
voix se penchait hurlante sur le corps tuméfié : « Où est-il ? Conduis-nous », suivie de silence.
Et coups de pied et coups de crosse de pleuvoir. Une rage insensée s’empara de moi, chassa
mon angoisse. Mes mains communiquaient à mon arme leur sueur crispée, exaltaient sa
puissance contenue. Je calculais que le malheureux se tairait encore cinq minutes, puis,
fatalement, il parlerait. J’eus honte de souhaiter sa mort avant cette échéance. Alors apparut
jaillissant de chaque rue la marée des femmes, des enfants, des vieillards, se rendant au lieu de
rassemblement, suivant un plan concerté. Ils se hâtaient sans hâte, ruisselant littéralement sur
les S.S., les paralysant « en toute bonne foi ». Le maçon fut laissé pour mort. Furieuse, la
patrouille se fraya un chemin à travers la foule et porta ses pas plus loin. Avec une prudence
infinie, maintenant des yeux anxieux et bons regardaient dans ma direction, passaient comme
un jet de lampe sur ma fenêtre. Je me découvris à moitié et un sourire se détacha de ma
pâleur. Je tenais à ces êtres par mille fils confiants dont pas un ne devait se rompre.
J’ai aimé farouchement mes semblables cette journée-là, bien au-delà du sacrifice.
René Char, Feuillets d’Hypnos, Paris, Gallimard, 1946
Fragment 138
« Horrible journée », 1938
Horrible journée ! J’ai assisté, distant de quelque cent mètres, à l’exécution de B. Je n’avais
qu’à presser la détente du fusil-mitrailleur et il pouvait être sauvé ! Nous étions sur les
hauteurs dominant Céreste, des armes à faire craquer les buissons et au moins égaux en
nombre aux SS. Eux ignorant que nous étions là. Aux yeux qui imploraient partout autour de
moi le signal d’ouvrir le feu, j’ai répondu non de la tête… Le soleil de juin glissait un froid
polaire dans mes os.
Il est tombé comme s’il ne distinguait pas ses bourreaux et si léger, il m’a semblé, que le
moindre souffle de vent eût dû le soulever de terre.
Je n’ai pas donné le signal parce que ce village devait être épargné à tout prix. Qu’est-ce
qu’un village ? Un village pareil à un autre ? Peut-être l’a-t-il su, lui, à cet ultime instant
Marianne Cohn
Marianne Cohn est née à Mannheim en 1922, dans une famille d’universitaires de gauche
d’origine juive mais plutôt détachée de la tradition juive et fortement assimilée. Cette famille
est bouleversée par l’irruption du nazisme. Entre 1934 et 1944, elle connaît plusieurs exils : la
famille part pour l’Espagne, Marianne et sa sœur sont envoyées à Paris.
Dès 1941, la jeune Marianne entre en résistance puis participe à la construction du MJS
(mouvement de la jeunesse sioniste). De septembre 1942 à janvier 1944, sous le pseudonyme
de Colin, elle a pour tâche de faire passer des enfants juifs vers la Suisse. Arrêtée en 1943,
elle est relâchée au bout de trois mois. C’est de cette période que l’on date – sans en être
absolument
sûr –
la
composition
du
poème
« Je
trahirai
demain ».
Le 31 mai 1944, elle est à nouveau arrêtée à Annemasse (probablement dénoncée) alors
qu’elle a en charge une trentaine d’enfants et que seulement 200 mètres les séparent de la
frontière suisse. Malgré la torture, elle ne livre aucune information à la Gestapo et refuse la
proposition d’évasion de son réseau par crainte des représailles sur les enfants.
Emmenée dans la nuit du 7 au 8 juillet 1944 par la Gestapo, elle est assassinée à coups de
bottes et de pelles.
« Je trahirai demain », Marianne Cohn, 1943
Je trahirai demain pas aujourd’hui.
Aujourd’hui, arrachez-moi les ongles,
Je ne trahirai pas.
Vous ne savez pas le bout de mon courage.
Moi je sais.
Vous êtes cinq mains dures avec des bagues.
Vous avez aux pieds des chaussures
Avec des clous.
Je trahirai demain, pas aujourd’hui,
Demain.
Il me faut la nuit pour me résoudre,
Il ne faut pas moins d’une nuit
Pour renier, pour abjurer, pour trahir.
Pour renier mes amis,
Pour abjurer le pain et le vin,
Pour trahir la vie,
Pour mourir.
Je trahirai demain, pas aujourd’hui.
La lime est sous le carreau,
La lime n’est pas pour le barreau,
La lime n’est pas pour le bourreau,
La lime est pour mon poignet.
Aujourd’hui je n’ai rien à dire,
Je trahirai demain.
Robert Desnos
Robert Desnos est né le 4 juillet 1900 à Paris. Il passe son enfance dans un quartier populaire
où son père, Lucien, est mandataire aux Halles pour la volaille et le gibier. Il lit Hugo et
Baudelaire, se passionne pour la culture populaire, les romans et les bandes dessinées. En
1919, Desnos devient secrétaire de Jean de Bonnefon et gérant de sa maison d’édition. Dans
une revue d’avant-garde, Trait d’union, il publie quelques poèmes, parfois influencés par
Apollinaire.
Robert Desnos rencontre Benjamin Péret qui lui fait découvrir le mouvement « Dada » et lui
présente André Breton. Il rejoint le groupe des surréalistes et participe à leurs expériences –
années d’expérimentation du langage et de ses possibilités. André Breton lui offre un véritable
hommage dans le Journal littéraire (5 juillet 1924) : « Le surréalisme est à l’ordre du jour et
Desnos est son prophète. » Mais peu à peu, les liens avec les surréalistes vont se distendre,
notamment quand Breton, Éluard et Aragon s’engagent activement au parti communiste.
Robert Desnos connaît l’aventure radiophonique et se déplace de l’écrit vers des formes
orales. L’essentiel est alors de communiquer – la littérature est un moyen parmi d’autres – et
d’estomper les barrières entre milieux cultivés et milieux incultes.
En 1918, Robert Desnos publie des textes dans la Tribune des jeunes, une revue de tendance
socialisante ; il est ensuite journaliste à Paris-Soir (1925-1926), puis aux journaux Le Soir
(1926-1929), Paris-Matinal (1927-1928) et Le Merle. En 1930, il se contente de donner
quelques chroniques dans des hebdomadaires édités par la Nouvelle Revue française (les
journaux ont fait faillite ou ont interrompu leur publication en raison de la crise qui touche
alors sévèrement la France).
Desnos s’engage de plus en plus. Son refus d’adhérer au parti communiste ne signifie pas
qu’il se désintéresse de la politique. Épris de liberté, son engagement politique ne va cesser de
croître avec la « montée des périls ». Dès 1934, il participe au mouvement frontiste et adhère
aux mouvements d’intellectuels antifascistes (comme l’Association des écrivains et artistes
révolutionnaires). Choqué par la guerre d’Espagne et le refus de Blum d’y engager la France,
dans une conjoncture internationale de plus en plus menaçante, Desnos renonce à ses
positions pacifistes : la France doit se préparer à la guerre, pour défendre son indépendance,
sa culture et son territoire, et pour faire obstacle au fascisme.
Après la défaite, la vie à Paris est difficile : ses activités radiophoniques se font rares et sont
étroitement surveillées. Desnos entre comme chef des informations dans le journal d’Henri
Jeanson et Robert Perrier, Aujourd’hui. Mais l’indépendance du journal est de courte durée :
Jeanson est arrêté et le journal devient le porte-parole de l’occupant. Desnos continuera
cependant d’y écrire régulièrement jusqu’en décembre 1943 (sous son nom, sous pseudonyme
ou anonymement). Il ruse avec la censure et doit surveiller ses paroles. Cette activité lui
permet néanmoins de couvrir ses activités dans le réseau de résistance Agir auquel il
appartient depuis juillet 1942.
Mais le 22 février 1944, Robert Desnos est arrêté à son domicile par la Gestapo et déporté
dans plusieurs camps. En avril 1945, il est transféré jusqu’en Tchécoslovaquie, dans le camp
de concentration de Theresienstadt, à Terezin. Épuisé par les privations, malade du typhus, il
meurt le 8 juin 1945.
« Ce coeur qui haïssait la guerre », Robert Desnos, 1943
Ce cœur qui haïssait la guerre voilà qu’il bat pour le combat et la bataille !
Ce cœur qui ne battait qu’au rythme des marées, à celui des saisons, à celui des heures du jour
et de la nuit,
Voilà qu’il se gonfle et qu’il envoie dans les veines un sang brûlant de salpêtre et de haine.
Et qu’il mène un tel bruit dans la cervelle que les oreilles en sifflent,
Et qu’il n’est pas possible que ce bruit ne se répande pas dans la ville et la campagne,
Comme le son d’une cloche appelant à l’émeute et au combat.
Écoutez, je l’entends qui me revient renvoyé par les échos.
Mais non, c’est le bruit d’autres cœurs, de millions d’autres cœurs battant comme le mien à
travers la France.
Ils battent au même rythme pour la même besogne tous ces cœurs,
Leur bruit est celui de la mer à l’assaut des falaises
Et tout ce sang porte dans des millions de cervelles un même mot d’ordre :
Révolte contre Hitler et mort à ses partisans !
Pourtant ce cœur haïssait la guerre et battait au rythme des saisons,
Mais un seul mot : Liberté a suffi à réveiller les vieilles colères
Et des millions de Français se préparent dans l’ombre à la besogne que l’aube proche leur
imposera.
Car ces cœurs qui haïssaient la guerre battaient pour la liberté au rythme même des saisons et
des marées,
du jour et de la nuit.
Robert Desnos, 1943 (paru dans L’Honneur des poètes)
« La voix », Robert Desnos, 1940
La Voix
Une voix, une voix qui vient de si loin
Qu'elle ne fait plus tinter les oreilles,
Une voix, comme un tambour, voilée
Parvient pourtant, distinctement, jusqu'à nous.
Bien qu'elle semble sortir d'un tombeau
Elle ne parle que d'été et de printemps.
Elle emplit le corps de joie,
Elle allume aux lèvres le sourire.
Je l'écoute. Ce n'est qu'une voix humaine
Qui traverse les fracas de la vie et des batailles,
L'écroulement du tonnerre et le murmure des bavardages.
Et vous ? Ne l'entendez-vous pas ?
Elle dit "La peine sera de courte durée"
Elle dit "La belle saison est proche."
Ne l'entendez-vous pas ?
Robert Desnos - Contrée (1936-1940)
« Le veilleur du Pont-au-change », Robert Desnos, 1975
Je suis le veilleur de la rue de Flandre,
Je veille tandis que dort Paris.
Vers le nord un incendie lointain rougeoie dans la nuit.
J’entends passer des avions au-dessus de la ville.
Je suis le veilleur du Point-du-Jour.
La Seine se love dans l’ombre, derrière le viaduc d’Auteuil,
Sous vingt-trois ponts à travers Paris.
Vers l’ouest j’entends des explosions.
Je suis le veilleur de la Porte Dorée.
Autour du donjon le bois de Vincennes épaissit ses ténèbres.
J’ai entendu des cris dans la direction de Créteil
Et des trains roulent vers l’est avec un sillage de chants de révolte.
Je suis le veilleur de la Poterne des Peupliers.
Le vent du sud m’apporte une fumée âcre,
Des rumeurs incertaines et des râles
Qui se dissolvent, quelque part, dans Plaisance ou Vaugirard.
Au sud, au nord, à l’est, à l’ouest,
Ce ne sont que fracas de guerre convergeant vers Paris.
Je suis le veilleur du Pont-au-Change
Veillant au cœur de Paris, dans la rumeur grandissantev
Où je reconnais les cauchemars paniques de l’ennemi,
Les cris de victoire de nos amis et ceux des Français,
Les cris de souffrance de nos frères torturés par les Allemands d’Hitler.
Je suis le veilleur du Pont-au-Change
Ne veillant pas seulement cette nuit sur Paris,
Cette nuit de tempête sur Paris seulement dans sa fièvre et sa fatigue,
Mais sur le monde entier qui nous environne et nous presse.
Dans l’air froid tous les fracas de la guerre
Cheminent jusqu’à ce lieu où, depuis si longtemps, vivent les hommes.
Des cris, des chants, des râles, des fracas il en vient de partout,
Victoire, douleur et mort, ciel couleur de vin blanc et de thé,
Des quatre coins de l’horizon à travers les obstacles du globe,
Avec des parfums de vanille, de terre mouillée et de sang,
D’eau salée, de poudre et de bûchers,
De baisers d’une géante inconnue enfonçant à chaque pas dans la terre grasse de chair
humaine.
Je suis le veilleur du Pont-au-Change
Et je vous salue, au seuil du jour promis
Vous tous camarades de la rue de Flandre à la Poterne des Peupliers,
Du Point-du-Jour à la Porte Dorée.
Je vous salue vous qui dormez
Après le dur travail clandestin,
Imprimeurs, porteurs de bombes, déboulonneurs de rails, incendiaires,
Distributeurs de tracts, contrebandiers, porteurs de messages,
Je vous salue vous tous qui résistez, enfants de vingt ans au sourire de source
Vieillards plus chenus que les ponts, hommes robustes, images des saisons,
Je vous salue au seuil du nouveau matin.
Je vous salue sur les bords de la Tamise,
Camarades de toutes nations présents au rendez-vous,
Dans la vieille capitale anglaise,
Dans le vieux Londres et la vieille Bretagne,
Américains de toutes races et de tous drapeaux,
Au-delà des espaces atlantiques,
Du Canada au Mexique, du Brésil à Cuba,
Camarades de Rio, de Tehuantepec, de New York et San Francisco.
J’ai donné rendez-vous à toute la terre sur le Pont-au-Change,
Veillant et luttant comme vous. Tout à l’heure,
Prévenu par son pas lourd sur le pavé sonore,
Moi aussi j’ai abattu mon ennemi.
Il est mort dans le ruisseau, l’Allemand d’Hitler anonyme et haï,
La face souillée de boue, la mémoire déjà pourrissante,
Tandis que, déjà, j’écoutais vos voix des quatre saisons,
Amis, amis et frères des nations amies.
J’écoutais vos voix dans le parfum des orangers africains,
Dans les lourds relents de l’océan Pacifique,
Blanches escadres de mains tendues dans l’obscurité,
Hommes d’Alger, Honolulu, Tchoung-King,
Hommes de Fez, de Dakar et d’Ajaccio.
Enivrantes et terribles clameurs, rythmes des poumons et des cœurs,
Du front de Russie flambant dans la neige,
Du lac Ilmen à Kief, du Dniepr au Pripet,
Vous parvenez à moi, nés de millions de poitrines.
Je vous écoute et vous entends. Norvégiens, Danois, Hollandais,
Belges, Tchèques, Polonais, Grecs, Luxembourgeois, Albanais et Yougo-Slaves, camarades
de lutte.
J’entends vos voix et je vous appelle,
Je vous appelle dans ma langue connue de tous
Une langue qui n’a qu’un mot :
Liberté !
Et je vous dis que je veille et que j’ai abattu un homme d’Hitler.
Il est mort dans la rue déserte
Au cœur de la ville impassible j’ai vengé mes frères assassinés
Au Fort de Romainville et au Mont Valérien,
Dans les échos fugitifs et renaissants du monde, de la ville et des saisons.
Et d’autres que moi veillent comme moi et tuent,
Comme moi ils guettent les pas sonores dans les rues désertes,
Comme moi ils écoutent les rumeurs et les fracas de la terre.
À la Porte Dorée, au Point-du-Jour,
Rue de Flandre et Poterne des Peupliers,
À travers toute la France, dans les villes et les champs,
Mes camarades guettent les pas dans la nuit
Et bercent leur solitude aux rumeurs et fracas de la terre.
Car la terre est un camp illuminé de milliers de feux.
À la veille de la bataille on bivouaque par toute la terre
Et peut-être aussi, camarades, écoutez-vous les voix,
Les voix qui viennent d’ici quand la nuit tombe,
Qui déchirent des lèvres avides de baisers
Et qui volent longuement à travers les étendues
Comme des oiseaux migrateurs qu’aveugle la lumière des phares
Et qui se brisent contre les fenêtres du feu.
Que ma voix vous parvienne donc
Chaude et joyeuse et résolue,
Sans crainte et sans remords
Que ma voix vous parvienne avec celle de mes camarades,
Voix de l’embuscade et de l’avant-garde française.
Écoutez-nous à votre tour, marins, pilotes, soldats,
Nous vous donnons le bonjour,
Nous ne vous parlons pas de nos souffrances mais de notre espoir,
Au seuil du prochain matin nous vous donnons le bonjour,
À vous qui êtes proches et, aussi, à vous
Qui recevrez notre vœu du matin
Au moment où le crépuscule en bottes de paille entrera dans vos maisons.
Et bonjour quand même et bonjour pour demain !
Bonjour de bon cœur et de tout notre sang !
Bonjour, bonjour, le soleil va se lever sur Paris,
Même si les nuages le cachent il sera là,
Bonjour, bonjour, de tout cœur bonjour !
Robert Desnos, Le Veilleur du Pont-au-Change, 1942
« Demain », Robert Desnos, 1942
Âgé de cent mille ans, j’aurais encor la force
De t’attendre, ô demain pressenti par l’espoir.
Le temps, vieillard souffrant de multiples entorses,
Peut gémir : Le matin est neuf, neuf est le soir.
Mais depuis trop de mois nous vivons à la veille,
Nous veillons, nous gardons la lumière et le feu,
Nous parlons à voix basse et nous tendons l’oreille
À maint bruit vite éteint et perdu comme au jeu.
Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore
De la splendeur du jour et de tous ses présents.
Si nous ne dormons pas c’est pour guetter l’aurore
Qui prouvera qu’enfin nous vivons au présent.
Robert Desnos, 1942
Paul Eluard
Paul Éluard naît en 1895 sous le nom d’Eugène Grindel, à Saint-Denis dans la banlieue
parisienne. Atteint de tuberculose, il se fait hospitaliser en Suisse en 1912 : il découvre alors
la poésie, commence à écrire et rencontre l’amour en la personne de Gala, une jeune Russe
qu’il épousera en 1917. Mobilisé entre-temps en 1914, il part sur le front avant d’être éloigné
des combats en raison d’une bronchite aiguë. Cette expérience de la guerre et de ses champs
de bataille le traumatise et lui inspire Poèmes pour la Paix (publiés en 1918). Repéré alors par
Jean Paulhan, il rencontre l’avant-garde littéraire et artistique de l’époque qu’il rejoint :
Breton, Aragon, Soupault, De Chirico, Dali, Picasso et Max Ernst. Il adhère à l’idée dadaïste
de renouveler la langue puis, en octobre 1924, signe avec son ami André Breton le Manifeste
du surréalisme. Ses problèmes de santé, ses difficultés conjugales et ses souffrances
sentimentales inspireront sa poésie surréaliste, lyrique et sensible – Capitale de la douleur
(1926) ; L’Amour, la Poésie (1929) ; La Vie immédiate (1932) ; Les Yeux fertiles (1936).
Libre en amour comme en poésie, il sera très affecté par le départ de Gala, qui le quitte en
1929 pour vivre avec Dali. Il retrouvera le bonheur avec Maria Benz, surnommée Nusch, qu’il
épousera en 1944. Le 1er septembre 1939, Paul Éluard est mobilisé dans le Loiret comme
lieutenant dans l’Intendance. Il intervient auprès du président de la République pour faire
libérer le peintre Max Ernst, interné comme « ressortissant allemand ». Démobilisé après
l’armistice de 1940, l’exode l’entraîne dans le Tarn, puis il revient à Paris auprès de son
épouse. Entré dans la Résistance en 1942, il rencontre le fondateur des Éditions de Minuit,
Pierre de Lescure, avec qui il collabore. Le recueil Poésie et Vérité (1942), publié semiclandestinement, sans visa de censure, rassemble des poèmes s’élevant nettement contre le
nazisme et la collaboration, dont le plus célèbre, « Liberté », traduit en dix langues, fut
parachuté par la Royal Air Force sur les contrées occupées. Paul Éluard y expose son « but
poursuivi : retrouver, pour nuire à l’occupant, la liberté d’expression ». Il continue le combat
armé d’une plume : il écrit Sept Poèmes d’amour en guerre (1943) et publie Au rendez-vous
allemand (1945), composé de poèmes écrits dans la clandestinité, sous les pseudonymes de
Jean
du
Haut
ou
de
Maurice
Hervent.
Après la guerre, le poète produit des Poèmes politiques (1948) et mêle continûment simplicité
de la langue et force des images (Poésie ininterrompue I, 1946 ; Corps mémorable, 1947 ;
Poésie ininterrompue II, 1953, recueil posthume). Paul Éluard reste un poète empreint de
fièvre révolutionnaire, d’aspiration humaniste.
« Courage », Paul Eluard, 1944
Paris a froid Paris a faim
Paris ne mange plus de marrons dans la rue
Paris a mis de vieux vêtements de vieille
Paris dort tout debout sans air dans le métro
Plus de malheur encore est imposé aux pauvres
Et la sagesse et la folie
De Paris malheureux
C’est l’air pur c’est le feu
C’est la beauté c’est la bonté
De ses travailleurs affamés
Ne crie pas au secours Paris
Tu es vivant d’une vie sans égale
Et derrière la nudité
De ta pâleur de ta maigreur
Tout ce qui est humain se révèle en tes yeux
Paris ma belle ville
Fine comme une aiguille forte comme une épée
Ingénue et savante
Tu ne supportes pas l’injustice
Pour toi c’est le seul désordre
Tu vas te libérer Paris
Paris tremblant comme une étoile
Notre espoir survivant
Tu vas te libérer de la fatigue et de la boue
Frères ayons du courage
Nous qui ne sommes pas casqués
Ni bottés ni gantés ni bien élevés
Un rayon s’allume en nos veines
Notre lumière nous revient
Les meilleurs d’entre nous sont morts pour nous
Et voici que leur sang retrouve notre coeur
Et c’est de nouveau le matin un matin de Paris
La pointe de la délivrance
L’espace du printemps naissant
La force idiote a le dessous
Ces esclaves nos ennemis
S’ils ont compris
S’ils sont capables de comprendre
Vont se lever.
« Liberté », Paul Eluard, 1942
Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom
Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom
Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom
Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom
Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nom
Sur tous mes chiffons d’azur
Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom
Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom
Sur chaque bouffée d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom
Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom
Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J’écris ton nom
Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom
Sur la lampe qui s’allume
Sur la lampe qui s’éteint
Sur mes maisons réunies
J’écris ton nom
Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J’écris ton nom
Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J’écris ton nom
Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J’écris ton nom
Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom
Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom
Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom
Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom
Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté.
Paul Eluard
« Gabriel Péri », Paul Eluard, 1944
« Gabriel Péri »
Un homme est mort qui n’avait pour défense
Que ses bras ouverts à la vie
Un homme est mort qui n’avait d’autre route
Que celle où l’on hait les fusils
Un homme est mort qui continue la lutte
Contre la mort contre l’oubli
Car tout ce qu’il voulait
Nous le voulions aussi
Nous le voulons aujourd’hui
Que le bonheur soit la lumière
Au fond des yeux au fond du cœur
Et la justice sur la terre
Il y a des mots qui font vivre
Et ce sont des mots innocents
Le mot chaleur le mot confiance
Amour justice et le mot liberté
Le mot enfant et le mot gentillesse
Et certains noms de fleurs et certains noms de fruits
Le mot courage et le mot découvrir
Et le mot frère et le mot camarade
Et certains noms de pays de villages
Et certains noms de femmes et d’amies
Ajoutons-y Péri
Péri est mort pour ce qui nous fait vivre
Tutoyons-le sa poitrine est trouée
Mais grâce à lui nous nous connaissons mieux
Tutoyons-nous son espoir est vivant.
Paul Éluard
Au rendez-vous allemand, Paris, Éditions de Minuit, 19457
« Nuit et brouillard », Jean Ferrat, 1963
Nuit et Brouillard est une chanson écrite et composée par Jean Ferrat. Elle sort en 1963 sur
son album du même nom. Le nom de la chanson, Nuit et brouillard est en fait le nom d’un
Décret d’Adolf Hitler de 1941 (en allemand Nacht und Nebel) sur les sanctions réservées aux
opposants du Reich dans les pays occupés. Le décret s’appliquait uniquement aux condamnés
à morts. Si la sentence n’était pas appliquée sous huit jours, les condamnés étaient déportés en
Allemagne et le Reich se réservait le droit de ne donner aucune information à leur sujet à
quiconque. Une fois les condamnés déportés, leurs familles ne pouvaient pas savoir où leurs
proches se trouvaient ni même s’ils étaient en vie.
Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants
Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent
Ils se croyaient des hommes, n’étaient plus que des nombres
Depuis longtemps leurs dés avaient été jetés
Dès que la main retombe il ne reste qu’une ombre
Ils ne devaient jamais plus revoir un été
La fuite monotone et sans hâte du temps
Survivre encore un jour, une heure, obstinément
Combien de tours de roues, d’arrêts et de départs
Qui n’en finissent pas de distiller l’espoir
Ils s’appelaient Jean-Pierre, Natacha ou Samuel
Certains priaient Jésus, Jéhovah ou Vichnou
D’autres ne priaient pas, mais qu’importe le ciel
Ils voulaient simplement ne plus vivre à genoux
Ils n’arrivaient pas tous à la fin du voyage
Ceux qui sont revenus peuvent-ils être heureux
Ils essaient d’oublier, étonnés qu’à leur âge
Les veines de leurs bras soient devenues si bleues
Les Allemands guettaient du haut des miradors
La lune se taisait comme vous vous taisiez
En regardant au loin, en regardant dehors
Votre chair était tendre à leurs chiens policiers
On me dit à présent que ces mots n’ont plus cours
Qu’il vaut mieux ne chanter que des chansons d’amour
Que le sang sèche vite en entrant dans l’histoire
Et qu’il ne sert à rien de prendre une guitare
Mais qui donc est de taille à pouvoir m’arrêter?
L’ombre s’est faite humaine, aujourd’hui c’est l’été
Je twisterais les mots s’il fallait les twister
Pour qu’un jour les enfants sachent qui vous étiez
Vous étiez vingt et cent, vous étiez des milliers
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiriez la nuit de vos ongles battants
Vous étiez des milliers, vous étiez vingt et cent
Le massacre d’Oradour-sur-Glane
Les faits.
C'est jour de distribution de tabac, la vision d'Oradour bascule dans l'effroi. C'est une belle
journée de printemps qui s'annonce, les enfants retournent en classe et le déjeuner se termine
doucement (…). Il y a quatre jours que le débarquement en Normandie a eu lieu, les troupes
de soldats allemands remontent sur le front. La résistance fait tout pour les retarder ou les en
empêcher.
Depuis le débarquement, la Résistance amplifie ses actes contre la progression des Allemands
et leur remontée vers la Normandie. Plusieurs incidents et la position de faiblesse des S.S. va
motiver l'exécution d'un acte destiné à impressionner (et surprendre) la population et (peutêtre) calmer l'ardeur des résistants. C'est une méthode que les S.S. ont eu l'habitude de
pratiquer sur le front de Russie. Ainsi les Allemands choisissent un village sans passé avec le
maquis ou la résistance, un lieu tranquille, pour se venger. Le choix est aussi fait en fonction
de la taille du village et des capacités des S.S.
En début d'après-midi, les Waffen S.S. encerclent Oradour et rabattent vers le centre-bourg les
personnes qui travaillent dans les champs. La population est rassemblée sur la place principale
(le Champ de Foire) pour le prétexte d'un contrôle d'identité. Les hommes sont séparés des
femmes et des enfants qui seront menés dans l'église.
Les hommes sont répartis en six groupes et menés dans les plus grandes remises ou granges
d'Oradour où les Allemands ont installé des mitrailleuses.
A 16 heures, et en quelques secondes les hommes sont abattus sans comprendre pourquoi.
Certaines victimes recevront le coup de grâce. Les Allemands recouvrent les corps de
matériaux combustibles et mettent le feu dans ces lieux de supplices ainsi qu'aux maisons.
Seulement cinq hommes pourront sortir de la grange Laudy sans être abattus par les
bourreaux.
A 17 heures, c'est malheureusement au tour des femmes et des enfants (400 personnes) réunis
dans la petite église. Les Allemands déposent une caisse au milieu de la foule, au milieu de
l'édifice. Il en dépasse un cordon qu'ils allument. Cette caisse destinée à asphyxier, explose et
met en éclat les vitraux. L'asphyxie ne s'opère alors pas comme les Allemands le prévoyaient.
C'est alors qu'ils tirent sur les femmes et les enfants. (Aujourd'hui, on peut encore voir les
impacts des balles sur les murs intérieurs de l'église). Une femme, Mme Rouffanche, parvient
à s'enfuir par un vitrail. Elle est suivie par une autre femme et son bébé. Les cris du bébé
alertant les Allemands, ces trois personnes sont mitraillées. Seule Mme Rouffanche, bien que
blessée, survit en se cachant dans un rang de petits pois dans le jardin du presbytère.
A 19 heures, le tramway venant de Limoges arrive sur Oradour. Les occupants sont emmenés
dans une ferme proche. Ce n'est qu'en fin de soirée qu'ils sont relâchés.
Le pillage et la destruction du village se poursuivent en fin d'après-midi. Les personnes qui
sont simplement blessées meurent brûlées vives.
Au lendemain, il n'existe plus que des pans de murs calcinés desquels s'échappent encore de la
fumée. Oradour-sur-Glane est rayé de la carte avec ses habitants (328 constructions et 642
victimes). On ne compte que six survivants au massacre (personnes s'étant échappées des
lieux de supplice) : 5 hommes et une femme. Quelques autres personnes échappent à la
tragédie car elles sont absentes du bourg ou se sont cachées ou enfuies à l'arrivée des
allemands par crainte
« Oradour » Jean Tardieu, 1944
Oradour n'a plus de femmes
Oradour n'a plus un homme
Oradour n'a plus de feuilles
Oradour n'a plus de pierres
Oradour n'a plus d'église
Oradour n'a plus d'enfants
Plus de fumée plus de rires
Plus de toîts plus de greniers
Plus de meules plus d'amour
Plus de vin plus de chansons.
Oradour, j'ai peur d'entendre
Oradour, je n'ose pas
Approcher de tes blessures
De ton sang de tes ruines,
je ne peux je ne peux pas
Voir ni entendre ton nom.
Oradour je crie et hurle
Chaquefois qu'un coeur éclate
Sous les coups des assassins
Une tête épouvantée
Deux yeux larges deux yeux rouges
Deux yeux graves deux yeux grands
Comme la nuit la folie
Deux yeux de petits enfants:
Ils ne me quitteront pas.
Oradour je n'ose plus
Lire ou prononcer ton nom.
Oradour honte des hommes
Oradour honte éternelle
Nos coeurs ne s'apaiseront
Que par la pire vengeance
Haine et honte pour toujours.
Oradour n'a plus de forme
Oradour, femmes ni hommes
Oradour n'a plus d'enfants
Oradour n'a plus de feuilles
Oradour n'a plus d'église
Plus de fumées plus de filles
Plus de soirs ni de matins
Plus de pleurs ni de chansons.
Oradour n'est plus qu'un cri
Et c'est bien la pire offense
Au village qui vivait
Et c'est bien la pire honte
Que de n'être plus qu'un cri,
Nom de la haine des hommes
Nom de la honte des hommes
Le nom de notre vengeance
Qu'à travers toutes nos terres
On écoute en frissonnant,
Une bouche sans personne,
Qui hurle pour tous les temps.
Jean Tardieu, Oradour
Repères historiques sur la Résistance en France
Berthe Albrecht, née Bertie Wild (1893 - 1943).
Résistante française. Décédée à la prison de Fresnes.
© Gérald Bloncourt / Rue des Archives
La dimension plurielle de la Résistance
Les écrits des poètes de la Résistance s’inscrivent tous dans un contexte singulier, qu’ils
soient datés de 1940 ou des années suivantes, à savoir celui des années de l’occupation
allemande en France et du régime autoritaire de Vichy.
Les motivations des résistants ont beaucoup varié, des solitudes initiales du second semestre
de 1940 – où de jeunes Français (isolés ou un peu plus organisés) manifestent leur refus de
l’occupation ou rejoignent le général de Gaulle à Londres – à l’institutionnalisation d’une
Résistance en position de prendre le pouvoir en 1945. La Résistance dans son ensemble a
concerné une infime minorité de Français, et certains d’entre eux n’avaient même pas
conscience qu’ils faisaient de la résistance ; le mot lui-même de « résistance » est popularisé
seulement à partir de 1942.
Dans la mémoire collective, que les historiens ont pris pour objet d’histoire, la Résistance
garde une place à part. Elle est devenue un mythe fondateur qui a permis aux Français de se
donner des valeurs et d’élaborer un projet de société pour l’après-guerre. La Résistance, c’est
avant tout des hommes et des femmes, très souvent désintéressés, héros anonymes pour
beaucoup, animés par des convictions patriotiques et humanitaires.
Pierre
professeur
et
© Rue des Archives / Tal
journaliste
Brossolette,
français,
(1903
– 1944),
résistant.
Le refus et les premiers actes de résistance
À l’origine, les premiers gestes de refus sont symboliques et minimes. Les premiers résistants
sont issus de tous les milieux sociaux et agissent dans toutes les régions. Pour beaucoup, il
s’agit avant tout de « faire quelque chose » pour ne pas subir le joug nazi. Ils réagissent en
leur âme et conscience, sans suivre aucun ordre de mobilisation générale insurrectionnel. Leur
combat est fou, car ils interviennent contre l’opinion commune et en dépit de la présence des
occupants. Mais le choc subi en 1940 provoque chez eux un réflexe de survie inouï.
Le point de départ des premières actions résistantes tient davantage du ressort du réflexe
viscéral que de la réponse idéologique au nazisme. Écrasé par la peur et l’incertitude, dans
une société décomposée, le résistant des premiers mois de l’occupation est très rare. Le sens
du devoir semble l’emporter soit en distribuant des tracts, soit en coupant des lignes
téléphoniques (l’ouvrier agricole Étienne Achavanne, premier résistant français fusillé, le
20 juin 1940), ou encore en refusant d’amener le drapeau français aux Allemands (le maire de
La Rochelle, colonel, le 23 juin 1940). D’autres rejoignent de Gaulle qui a lancé son appel le
18 juin, quasiment pas entendu en France, renouvelé dans les jours suivants ; le fonctionnaire
au ministère du Ravitaillement et militant socialiste Jean Texcier, désespéré du paysage qu’il
découvre en revenant à Paris après l’exode, décide de rédiger ses 33 Conseils à l’occupé sur
un ton humoristique ; le dernier conseil est le réflexe de la clandestinité naissante : « Inutile
d’envoyer tes amis acheter ces Conseils chez le libraire. […] Fais-en des copies que tes amis
copieront
à
leur
tour. »
Progressivement, des groupes d’hommes et de femmes, pour la plupart jeunes et sans vie
sociale et familiale encore bien assise, s’organisent, par exemple au musée de l’Homme à
Paris, ou dans plusieurs lycées parisiens ; le 11 novembre 1940, des étudiants manifestent aux
Champs-Élysées et déposent une gerbe de fleurs au pied de l’Arc de Triomphe, prenant des
risques incroyables. La répression sera très dure. À Londres, avec l’appui de Churchill, de
Gaulle avance à pas lents. Mais rien n’est facile. Il faut non seulement trouver des leaders plus
âgés, mais accepter également de tout abandonner, le plus souvent une vie professionnelle –
quand elle ne sert plus de couverture pour cacher ses activités résistantes – et parfois une
épouse et des enfants.
Jean Moulin, (1899 – 1943), résistant français,
photographié par son ami Marcel Bernard au Peyrou de Montpellier en octobre 1939.
© Rue des Archives / AGIP
S’organiser au mieux et s’unir
En 1941–1942, de part et d’autre de la ligne de démarcation, les résistants cherchent de
l’argent et des armes, mais organisent aussi des mouvements et des réseaux. Les premiers
(Franc-Tireur, Combat, Libération-Sud, Défense de la France, entre autres) ont des visées
politiques et se préparent à prendre en mains les destinées politiques de la France de l’aprèsguerre. Les seconds effectuent des missions militaires et de renseignement. Par ailleurs, la
France libre est en lutte contre les Américains pour faire reconnaître sa légitimité, tandis que
les chefs de la résistance intérieure s’affrontent pour le pouvoir. Leurs objectifs sont parfois
flous, mais progressivement, en suivant les directives de Londres, l’unité d’action semble
possible.
Avec l’invasion de l’URSS par les nazis, en juin 1941, des communistes organisés en triades
commettent plusieurs attentats contre l’armée allemande, occasionnant des mesures de
rétorsion cruelles : exécutions d’otages, arrestations de centaines de résistants par les polices
françaises et deux procès à grand spectacle au Palais-Bourbon et à la Maison de la Chimie, en
mars-avril 1942. Mais le second semestre 1941 marque bien le passage à la Résistance armée
en
métropole.
À l’automne 1942, les résistants ont enfin conscience qu’ils œuvrent pour la Résistance.
Grâce à Jean Moulin – arrêté à Caluire en juin 1943, puis tué sous les coups de Klaus Barbie à
Lyon – qui sait réunir les différentes obédiences de la Résistance intérieure, de Gaulle devient
le chef de la France résistante. Mais les Américains refusent toujours de le voir comme
l’incarnation de la France de l’après-guerre. Pour nombre de résistants, non seulement il faut
chasser désormais les Allemands, détruire le régime de Vichy, mais il faut également réfléchir
aux méthodes de restauration de la République après la Libération.
Combattre encore et prendre le pouvoir
En février 1943, c’est l’instauration du Service du travail obligatoire (STO) : dans le cadre de
la politique de collaboration avec le IIIe Reich, le régime de Vichy décide de participer au
recrutement forcé de jeunes Français pour aller travailler en Allemagne. Beaucoup fuient et
deviennent « réfractaires », allant grossir les rangs de la Résistance dans le cadre de maquis
créés pour l’occasion. Les résistants ont dû passer beaucoup de temps à les former aux armes
et à la prudence. Le réfractaire est devenu un hors-la-loi comme les résistants qui l’ont
devancé
depuis
1940.
Les risques encourus par tous les résistants sont énormes entre 1940 et 1944, car la collusion
policière franco-allemande est très efficace : par exemple, les radios qui envoient des
messages codés à Londres risquent leur vie à tout instant, ou encore ceux qui sabotent les
voies ferrées ou les usines. Pourtant les résistants, français et étrangers (FTP-MOI), s’unissent
malgré leurs différences politiques, sociales et religieuses, et parfois les trahisons. En 1944,
les résistants forment cette armée de guerriers qui va aider à la Libération du territoire
national, comme à Paris où les FFI (les Forces françaises de l’intérieur : le bras armé de la
Résistance au moment de la Libération) contribuent à déclencher l’insurrection avant l’arrivée
de la 2e DB de Leclerc et des unités américaines.
Éric Alary
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