ANTHOLOGIE Poètes en résistance Source : RESEAU-CANOPE La Seconde Guerre mondiale et les années d’occupation ont provoqué de nombreuses réactions chez les écrivains. Afin de témoigner, d’inciter à la réflexion et à l’action, d’exprimer leur révolte, ou encore d’échapper à la censure, des poètes se sont engagés en utilisant toutes les richesses de la langue française. Poésie et engagement La multiplicité de la production poétique pendant la Seconde Guerre mondiale et la notion même de l’« engagement » littéraire soulèvent de nombreuses questions. Trois enjeux méritent examen. Tout d’abord, la représentation que le poète a de lui-même et de son rôle. Si écrire est acte de résistance, si la poésie est en soi résistance, cela ne signifie pas nécessairement que la participation résistante des poètes à l’Histoire se confonde avec leur écriture. « Engagement » et « engagement littéraire » sont à dissocier. Deuxième enjeu : le rapport du poète avec son public. Les « poètes de la résistance » ont remporté une éclatante victoire : ils ont réconcilié la poésie et son lectorat, traditionnellement confidentiel et élitiste. Cela s’est traduit par une audience sans précédent. La production poétique a conquis par la simplicité de son lexique, l’efficacité de sa prosodie et la charge émotionnelle qu’assumait son discours. Poésie populaire ou censée pouvoir le devenir, elle offrait aux consciences en quête d’identification personnelle un miroir accessible. Dernière question : la relation du poète au langage. Outil de libération civique aux accents voulus comme intemporels, assurément. Louis Aragon Écrivain et poète, Louis Aragon est né en 1897. Il a à peine 20 ans et poursuit des études de médecine lorsqu’il rencontre André Breton. Tous deux admirent Mallarmé, Rimbaud et Apollinaire. Parti pour le front des Ardennes en juin 1918, Aragon en revient décoré de la croix de guerre. Aragon devient l’un des chefs de file de l’avant-garde littéraire. Avec André Breton et Philippe Soupault, il crée la revue Littérature. C’est le début des années vingt. À Paris, la saison « dada » bat son plein. 1920-1938. Le procès Barrès (1921) marque la scission entre Tzara et les futurs surréalistes. Aragon publie ses premiers textes (Feu de joie, 1920 ; Anicet ou le Panorama, 1921 ; Les Aventures de Télémaque, 1922) et signe avec Breton le Premier Manifeste du surréalisme (1924). Tous deux adhèrent au parti communiste français en 1927. Aragon fait ensuite la rencontre décisive d’Elsa Kagan (séparée de son mari, André Triolet). Ensemble, ils voyagent en URSS et représentent les surréalistes lors du congrès des écrivains révolutionnaires de Kharkov (1930). Après l’affaire du poème « Front rouge », Aragon opère une mise au point dans L’Humanité qui entraînera la rupture définitive avec André Breton. Il se lance dans le militantisme, et se consacre parallèlement à l’écriture romanesque (Les Cloches de Bâle, 1934 ; Les Beaux Quartiers, 1936) et journalistique (L’Humanité, secrétaire général de la revue Commune, puis rédacteur en chef du quotidien Ce soir en 1937). 1939-1945. La déroute de la France conduit Aragon jusqu’à Périgueux. Capturé, il parvient à s’échapper, se réfugie en zone libre et rencontre Pierre Seghers (1940) et Henri Matisse (1941). Il s’engage en politique – utilisant ses romans pour illustrer le réalisme socialiste et prôner l’avènement du communisme (Aurélien, 1944 ; Les Communistes, 1949-1951) – et participe à la Résistance en créant avec Elsa Triolet le Comité national des écrivains pour la zone Sud et le journal La Drôme en armes. Il s’engage aussi par ses poèmes, publiés dans la clandestinité, dans lesquels l’amour de la femme (Les Yeux d’Elsa, 1942) rejoint l’amour de la patrie (« Le Musée Grévin », 1943 ; « La Rose et le Réséda », 1944). 1945-1982. Aragon reste fidèle à la ligne générale du Parti, et fonde Les Lettres françaises. Anéanti par la disparition d’Elsa Triolet (juin 1970), il décide de léguer au CNRS ses archives personnelles ainsi que celles d’Elsa. Il meurt le 24 décembre 1982. Louis Aragon laisse une œuvre considérable qui explore les ressorts classiques ou novateurs, lyriques ou politiques, de l’écriture romanesque et poétique. « La Rose et le Réséda », Louis Aragon, 1946 (Il s'agit d'un appel à l'unité dans la Résistance, par-delà les clivages politiques et religieux.) À Gabriel Péri et d’Estienne d’Orves comme à Guy Môquet et Gilbert Dru Celui qui croyait au ciel celui qui n’y croyait pas Tous deux adoraient la belle prisonnière des soldats Lequel montait à l’échelle et lequel guettait en bas Celui qui croyait au ciel celui qui n’y croyait pas Qu’importe comment s’appelle cette clarté sur leur pas Que l’un fut de la chapelle et l’autre s’y dérobât Celui qui croyait au ciel celui qui n’y croyait pas Tous les deux étaient fidèles des lèvres du cœur des bras Et tous les deux disaient qu’elle vive et qui vivra verra Celui qui croyait au ciel celui qui n’y croyait pas Quand les blés sont sous la grêle fou qui fait le délicat Fou qui songe à ses querelles au cœur du commun combat Celui qui croyait au ciel celui qui n’y croyait pas Du haut de la citadelle la sentinelle tira Par deux fois et l’un chancelle l’autre tombe qui mourra Celui qui croyait au ciel celui qui n’y croyait pas Ils sont en prison Lequel a le plus triste grabat Lequel plus que l’autre gèle lequel préfère les rats Celui qui croyait au ciel celui qui n’y croyait pas Un rebelle est un rebelle deux sanglots font un seul glas Et quand vient l’aube cruelle passent de vie à trépas Celui qui croyait au ciel celui qui n’y croyait pas Répétant le nom de celle qu’aucun des deux ne trompa Et leur sang rouge ruisselle même couleur même éclat Celui qui croyait au ciel celui qui n’y croyait pas Il coule, il coule, il se mêle à la terre qu’il aima Pour qu’à la saison nouvelle mûrisse un raisin muscat Celui qui croyait au ciel celui qui n’y croyait pas L’un court et l’autre a des ailes de Bretagne ou du Jura Et framboise ou mirabelle le grillon rechantera Dites flûte ou violoncelle le double amour qui brûla L’alouette et l’hirondelle la rose et le réséda Louis Aragon, mars 1943 (repris dans La Diane française, 1944) Les Fusillés de Châteaubriant 1941 est une année importante pour la Résistance en France. Les groupes et les réseaux se développent. Particulièrement après l’engagement officiel du Parti communiste dans la lutte provoquée par l’attaque allemande contre l’URSS, les attentats et les sabotages contre l'occupant se multiplient. La réaction de celui-ci est de plus en plus violente. À la suite de l'attentat survenu le 21 août contre l'aspirant Moser, dans le métro à Paris, une ordonnance allemande décrète que tous les Français mis en état d'arrestation seront considérés comme otages et, qu' "en cas d'un nouvel acte, un nombre d'otages correspondant à la gravité de l'acte criminel commis sera fusillé". Si les fusillés de Châteaubriant ne sont pas les premiers otages exécutés, leur massacre est le point de départ des exécutions massives perpétrées à titre de représailles par les Allemands. À la mi-octobre, des groupes armés, dont les membres sont présentés comme des "terroristes" par les Allemands, programment une série d'opérations à Bordeaux, à Nantes et à Rouen. Ces actions visent à obliger l'occupant à maintenir des troupes sur l'ensemble du territoire en entretenant un climat d'insécurité ainsi qu'à développer la lutte armée. Le 19 octobre, un sabotage provoque le déraillement d'un train sur la ligne Rouen-Le Havre. Le lendemain, vers 8 h 00 du matin, un officier allemand, le lieutenant-colonel Holtz, est abattu à Nantes. Gilbert Brustlein et Guisco Spartaco, deux jeunes Parisiens, rencontrent sur leur chemin, près de la cathédrale, deux officiers, Holtz et le médecin-capitaine Sieger et leur emboîtent le pas. Au moment de tirer, l'arme de Spartaco s'enraye mais le revolver de Brustlein atteint Holtz qui s'effondre. La réaction de l’occupant est immédiate. À Châteaubriant, des troupes allemandes viennent renforcer la gendarmerie française qui assure la garde du camp de prisonniers de Choisel, dont la population est notamment constituée de détenus politiques arrêtés par le gouvernement du maréchal Pétain. Le jour même, un officier allemand se présente au camp pour y consulter la liste des détenus. Le lendemain, le général Von Stülpnagel, commandant militaire en France, fait annoncer par voie d'affiche que, "en expiation de ce crime", cinquante otages seront fusillés ainsi que cinquante autres si les coupables ne sont pas arrêtés avant le 23 octobre à minuit. Une récompense de quinze millions de francs est offerte pour la dénonciation des auteurs de l'attentat. Le choix des otages est laissé à la discrétion du gouvernement de Vichy. Sur la liste de cent détenus présentée par les Allemands au ministre de l'intérieur Pierre Pucheu, les noms de cinquante personnes sont retenus, essentiellement des communistes. Tandis que se prépare ainsi l'exécution du premier groupe d'otages, un autre officier, le conseiller d'administration militaire Reimers, est abattu à son tour à Bordeaux par Pierre Rebière. La riposte est la même : cinquante otages fusillés, cinquante en sursis jusqu'à l'arrestation des coupables, offre d'une récompense de quinze millions de francs aux dénonciateurs. Le 22 octobre, vingt-sept otages sont fusillés à Châteaubriant. En début d'après-midi, ce mercredi, les Allemands regroupent les otages dans une des baraques du camp de Choisel où ils peuvent écrire une dernière lettre avant d'être conduits à la carrière de la Sablière, à la sortie de la ville, lieu de leur exécution. Celle-ci se déroule en trois salves, à 15 h 50, 16 h 00 et 16 h 10. Tous refusent d'avoir les yeux bandés et les mains liées. Ils meurent en chantant la Marseillaise. Le même jour, seize otages sont également exécutés à Nantes, au champ de tir du Bèle, et cinq autres au Mont- Valérien. Le lendemain, les Allemands dispersent les vingtsept corps dans neuf cimetières des environs. Le dimanche suivant, malgré les interdictions, des fleurs sont déposées à l'emplacement des neuf poteaux par la population de Châteaubriant et de ses alentours. Dans le discours prononcé par le maréchal Pétain à la radio le soir du 22, nulle condamnation de ces exécutions. Il dénonce au contraire les auteurs d'attentats et enjoint aux Français de se dresser contre eux en les poussant à la délation : "Par l'armistice, nous avons déposé les armes. Nous n'avons plus le droit de les reprendre pour frapper les Allemands dans le dos… Aidez la justice. Je vous jette ce cri d'une voix brisée : ne laissez plus faire de mal à la France." Le 23 octobre, le secrétariat général à l'information diffuse un communiqué destiné à apaiser les esprits : "Il est établi que les autorités occupantes ne choisissent pas les otages destinés à être exécutés parmi les personnes arrêtées après un attentat, mais parmi les suspects internés dont la culpabilité a été nettement prouvée". Le 24 octobre, cinquante otages sont fusillés à Souges, près de Bordeaux, à la suite de l'attentat du 21 octobre contre le conseiller militaire Reimers. Dans le même temps, le maréchal Pétain propose de se livrer lui-même aux Allemands comme otage. Rencontrant l'opposition de ses ministres, il renonce à son projet et Pierre Pucheu est chargé de négocier avec les autorités d’occupation. Les Allemands ont menacé de fusiller de nouveaux otages si les coupables ne sont pas découverts. L'offre de récompense pour la dénonciation des auteurs de l'attentat n'ayant pas porté ses fruits, Stülpnagel essaie d'amener les Français à coopérer en promettant aux familles qui apporteront leur concours la libération des détenus en Allemagne et le retour des prisonniers dans leur foyer. Au terme de ses tractations avec les autorités de Vichy, Stülpnagel renonce finalement aux exécutions complémentaires. Alors que l'autorité allemande pensait faire de la fusillade de Châteaubriant un exemple, elle obtient l'effet inverse. Partout, cette exécution suscite l'indignation et la colère. Elle frappe de manière irréversible la conscience des habitants de la région et l'ensemble de la population française, jouant un rôle important dans la mobilisation des énergies pour combattre l'occupant. Son retentissement est considérable dans le pays comme à l'extérieur. « Les Fusillés de Châteaubriant », René-Guy Cadou, 1978 Ils sont appuyés contre le ciel Ils sont une trentaine appuyés contre le ciel, Avec toute la vie derrière eux Ils sont pleins d’étonnement pour leur épaule Qui est un monument d’amour Ils n’ont pas de recommandation à se faire Parce qu’ils ne se quitteront jamais plus L’un d’eux pense à un petit village Où il allait à l’école Un autre est assis à sa table Et ses amis tiennent ses mains Ils ne sont déjà plus du pays dont ils rêvent Ils sont bien au dessus de ces hommes Qui les regardent mourir Il y a entre eux la différence du martyre Parce que le vent est passé là où ils chantent Et leur seul regret est que ceux Qui vont les tuer n’entendent pas Le bruit énorme des paroles Ils sont exacts au rendez-vous Ils sont même en avance sur les autres Pourtant ils disent qu’ils ne sont plus des apôtres Et que tout est simple Et que la mort surtout est une chose simple Puisque toute liberté se survit. « Octobre », Pierre Seghers, 1941 Le vent qui pousse les colonnes de feuilles mortes Octobre, quand la vendange est faite dans le sang Le vois-tu avec ses fumées, ses feux, qui emporte Le Massacre des Innocents Dans la neige du monde, dans l’hiver blanc, il porte Des taches rouges où la colère s’élargit ; Eustache de Saint-Pierre tendait les clefs des portes Cinquante fils la mort les prit, Cinquante qui chantaient dans l’échoppe et sur la plaine, Cinquante sans méfaits, ils étaient fils de chez nous, Cinquante aux regards plus droits dans les yeux de la haine S’affaissèrent sur les genoux Cinquante autres encore, notre Loire sanglante Et Bordeaux pleure, et la France est droite dans son deuil. Le ciel est vert, ses enfants criblés qui toujours chantent Le Dieu des Justes les accueille Ils ressusciteront vêtus de feu dans nos écoles Arrachés aux bras de leurs enfants ils entendront Avec la guerre, l’exil et la fausse parole D’autres enfants dire leurs noms Alors ils renaîtront à la fin de ce calvaire Malgré l’Octobre vert qui vit cent corps se plier Aux côtés de la Jeanne au visage de fer Née de leur sang de fusillés Pierre Seghers, 1941 (repris dans La Résistance et ses Poètes. France 1940-1945, 1975) René Char René Char est né en 1907 dans le Vaucluse à L’Isle-sur-la-Sorgue. L’enfance dans la grande maison familiale du pays des Névons reste un refuge et une source d’inspiration poétique intarissable pour l’adolescent solitaire et épris de liberté. La perte – du père, de la jeunesse, du pays natal – nimbe ses poèmes d’une tendre mélancolie et d’une beauté douloureuse. La rencontre avec Éluard en 1929 incite le jeune homme de 22 ans à rejoindre Paris où il découvre Aragon, Breton et les surréalistes, groupe auquel il adhère un temps avant de s’en éloigner en 1934. Durant les années 1939-1945, période névralgique de la Seconde Guerre mondiale, René Char, homme de révolte et de colère, ne peut se contenter d’un attentisme passif. Sous le nom de capitaine Alexandre, il participe activement à la résistance. Cette implication politique et historique retentit durablement sur le sens et la forme de sa quête poétique, dont l’unité vole en éclats. Seuls des notes éparses, des fragments de récits discontinus, des îlots de pensée, qui deviendront une fois la paix revenue les Feuillets d’Hypnos, permettent de « résister » à l’occupant, de témoigner de l’engagement nécessaire, de conjuguer souffrance et espérance. Fragment « 128 » des Feuillets d’Hypnos Le boulanger n’avait pas encore dégrafé les rideaux de fer de sa boutique que déjà le village était assiégé, bâillonné, hypnotisé, mis dans l’impossibilité de bouger. Deux compagnies de S.S. et un détachement de miliciens le tenaient sous la gueule de leurs mitrailleuses et de leurs mortiers. Alors commença l’épreuve. Les habitants furent jetés hors des maisons et sommés de se rassembler sur la place centrale. Les clés sur les portes. Un vieux, dur d’oreille, qui ne tenait pas compte assez vite de l’ordre, vit les quatre murs et le toit de sa grange voler en morceaux sous l’effet d’une bombe. Depuis quatre heures j’étais éveillé. Marcelle était venue à mon volet me chuchoter l’alerte. J’avais reconnu immédiatement l’inutilité d’essayer de franchir le cordon de surveillance et de gagner la campagne. Je changeai rapidement de logis. La maison inhabitée où je me réfugiai autorisait, à toute extrémité, une résistance armée efficace. Je pouvais suivre de la fenêtre, derrière les rideaux jaunis, les allées et venues nerveuses des occupants. Pas un des miens n’était présent au village. Cette pensée me rassura. À quelques kilomètres de là, ils suivraient mes consignes et resteraient tapis. Des coups me parvenaient, ponctués d’injures. Les S.S. avaient surpris un jeune maçon qui revenait de relever des collets. Sa frayeur le désigna à leurs tortures. Une voix se penchait hurlante sur le corps tuméfié : « Où est-il ? Conduis-nous », suivie de silence. Et coups de pied et coups de crosse de pleuvoir. Une rage insensée s’empara de moi, chassa mon angoisse. Mes mains communiquaient à mon arme leur sueur crispée, exaltaient sa puissance contenue. Je calculais que le malheureux se tairait encore cinq minutes, puis, fatalement, il parlerait. J’eus honte de souhaiter sa mort avant cette échéance. Alors apparut jaillissant de chaque rue la marée des femmes, des enfants, des vieillards, se rendant au lieu de rassemblement, suivant un plan concerté. Ils se hâtaient sans hâte, ruisselant littéralement sur les S.S., les paralysant « en toute bonne foi ». Le maçon fut laissé pour mort. Furieuse, la patrouille se fraya un chemin à travers la foule et porta ses pas plus loin. Avec une prudence infinie, maintenant des yeux anxieux et bons regardaient dans ma direction, passaient comme un jet de lampe sur ma fenêtre. Je me découvris à moitié et un sourire se détacha de ma pâleur. Je tenais à ces êtres par mille fils confiants dont pas un ne devait se rompre. J’ai aimé farouchement mes semblables cette journée-là, bien au-delà du sacrifice. René Char, Feuillets d’Hypnos, Paris, Gallimard, 1946 Fragment 138 « Horrible journée », 1938 Horrible journée ! J’ai assisté, distant de quelque cent mètres, à l’exécution de B. Je n’avais qu’à presser la détente du fusil-mitrailleur et il pouvait être sauvé ! Nous étions sur les hauteurs dominant Céreste, des armes à faire craquer les buissons et au moins égaux en nombre aux SS. Eux ignorant que nous étions là. Aux yeux qui imploraient partout autour de moi le signal d’ouvrir le feu, j’ai répondu non de la tête… Le soleil de juin glissait un froid polaire dans mes os. Il est tombé comme s’il ne distinguait pas ses bourreaux et si léger, il m’a semblé, que le moindre souffle de vent eût dû le soulever de terre. Je n’ai pas donné le signal parce que ce village devait être épargné à tout prix. Qu’est-ce qu’un village ? Un village pareil à un autre ? Peut-être l’a-t-il su, lui, à cet ultime instant Marianne Cohn Marianne Cohn est née à Mannheim en 1922, dans une famille d’universitaires de gauche d’origine juive mais plutôt détachée de la tradition juive et fortement assimilée. Cette famille est bouleversée par l’irruption du nazisme. Entre 1934 et 1944, elle connaît plusieurs exils : la famille part pour l’Espagne, Marianne et sa sœur sont envoyées à Paris. Dès 1941, la jeune Marianne entre en résistance puis participe à la construction du MJS (mouvement de la jeunesse sioniste). De septembre 1942 à janvier 1944, sous le pseudonyme de Colin, elle a pour tâche de faire passer des enfants juifs vers la Suisse. Arrêtée en 1943, elle est relâchée au bout de trois mois. C’est de cette période que l’on date – sans en être absolument sûr – la composition du poème « Je trahirai demain ». Le 31 mai 1944, elle est à nouveau arrêtée à Annemasse (probablement dénoncée) alors qu’elle a en charge une trentaine d’enfants et que seulement 200 mètres les séparent de la frontière suisse. Malgré la torture, elle ne livre aucune information à la Gestapo et refuse la proposition d’évasion de son réseau par crainte des représailles sur les enfants. Emmenée dans la nuit du 7 au 8 juillet 1944 par la Gestapo, elle est assassinée à coups de bottes et de pelles. « Je trahirai demain », Marianne Cohn, 1943 Je trahirai demain pas aujourd’hui. Aujourd’hui, arrachez-moi les ongles, Je ne trahirai pas. Vous ne savez pas le bout de mon courage. Moi je sais. Vous êtes cinq mains dures avec des bagues. Vous avez aux pieds des chaussures Avec des clous. Je trahirai demain, pas aujourd’hui, Demain. Il me faut la nuit pour me résoudre, Il ne faut pas moins d’une nuit Pour renier, pour abjurer, pour trahir. Pour renier mes amis, Pour abjurer le pain et le vin, Pour trahir la vie, Pour mourir. Je trahirai demain, pas aujourd’hui. La lime est sous le carreau, La lime n’est pas pour le barreau, La lime n’est pas pour le bourreau, La lime est pour mon poignet. Aujourd’hui je n’ai rien à dire, Je trahirai demain. Robert Desnos Robert Desnos est né le 4 juillet 1900 à Paris. Il passe son enfance dans un quartier populaire où son père, Lucien, est mandataire aux Halles pour la volaille et le gibier. Il lit Hugo et Baudelaire, se passionne pour la culture populaire, les romans et les bandes dessinées. En 1919, Desnos devient secrétaire de Jean de Bonnefon et gérant de sa maison d’édition. Dans une revue d’avant-garde, Trait d’union, il publie quelques poèmes, parfois influencés par Apollinaire. Robert Desnos rencontre Benjamin Péret qui lui fait découvrir le mouvement « Dada » et lui présente André Breton. Il rejoint le groupe des surréalistes et participe à leurs expériences – années d’expérimentation du langage et de ses possibilités. André Breton lui offre un véritable hommage dans le Journal littéraire (5 juillet 1924) : « Le surréalisme est à l’ordre du jour et Desnos est son prophète. » Mais peu à peu, les liens avec les surréalistes vont se distendre, notamment quand Breton, Éluard et Aragon s’engagent activement au parti communiste. Robert Desnos connaît l’aventure radiophonique et se déplace de l’écrit vers des formes orales. L’essentiel est alors de communiquer – la littérature est un moyen parmi d’autres – et d’estomper les barrières entre milieux cultivés et milieux incultes. En 1918, Robert Desnos publie des textes dans la Tribune des jeunes, une revue de tendance socialisante ; il est ensuite journaliste à Paris-Soir (1925-1926), puis aux journaux Le Soir (1926-1929), Paris-Matinal (1927-1928) et Le Merle. En 1930, il se contente de donner quelques chroniques dans des hebdomadaires édités par la Nouvelle Revue française (les journaux ont fait faillite ou ont interrompu leur publication en raison de la crise qui touche alors sévèrement la France). Desnos s’engage de plus en plus. Son refus d’adhérer au parti communiste ne signifie pas qu’il se désintéresse de la politique. Épris de liberté, son engagement politique ne va cesser de croître avec la « montée des périls ». Dès 1934, il participe au mouvement frontiste et adhère aux mouvements d’intellectuels antifascistes (comme l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires). Choqué par la guerre d’Espagne et le refus de Blum d’y engager la France, dans une conjoncture internationale de plus en plus menaçante, Desnos renonce à ses positions pacifistes : la France doit se préparer à la guerre, pour défendre son indépendance, sa culture et son territoire, et pour faire obstacle au fascisme. Après la défaite, la vie à Paris est difficile : ses activités radiophoniques se font rares et sont étroitement surveillées. Desnos entre comme chef des informations dans le journal d’Henri Jeanson et Robert Perrier, Aujourd’hui. Mais l’indépendance du journal est de courte durée : Jeanson est arrêté et le journal devient le porte-parole de l’occupant. Desnos continuera cependant d’y écrire régulièrement jusqu’en décembre 1943 (sous son nom, sous pseudonyme ou anonymement). Il ruse avec la censure et doit surveiller ses paroles. Cette activité lui permet néanmoins de couvrir ses activités dans le réseau de résistance Agir auquel il appartient depuis juillet 1942. Mais le 22 février 1944, Robert Desnos est arrêté à son domicile par la Gestapo et déporté dans plusieurs camps. En avril 1945, il est transféré jusqu’en Tchécoslovaquie, dans le camp de concentration de Theresienstadt, à Terezin. Épuisé par les privations, malade du typhus, il meurt le 8 juin 1945. « Ce coeur qui haïssait la guerre », Robert Desnos, 1943 Ce cœur qui haïssait la guerre voilà qu’il bat pour le combat et la bataille ! Ce cœur qui ne battait qu’au rythme des marées, à celui des saisons, à celui des heures du jour et de la nuit, Voilà qu’il se gonfle et qu’il envoie dans les veines un sang brûlant de salpêtre et de haine. Et qu’il mène un tel bruit dans la cervelle que les oreilles en sifflent, Et qu’il n’est pas possible que ce bruit ne se répande pas dans la ville et la campagne, Comme le son d’une cloche appelant à l’émeute et au combat. Écoutez, je l’entends qui me revient renvoyé par les échos. Mais non, c’est le bruit d’autres cœurs, de millions d’autres cœurs battant comme le mien à travers la France. Ils battent au même rythme pour la même besogne tous ces cœurs, Leur bruit est celui de la mer à l’assaut des falaises Et tout ce sang porte dans des millions de cervelles un même mot d’ordre : Révolte contre Hitler et mort à ses partisans ! Pourtant ce cœur haïssait la guerre et battait au rythme des saisons, Mais un seul mot : Liberté a suffi à réveiller les vieilles colères Et des millions de Français se préparent dans l’ombre à la besogne que l’aube proche leur imposera. Car ces cœurs qui haïssaient la guerre battaient pour la liberté au rythme même des saisons et des marées, du jour et de la nuit. Robert Desnos, 1943 (paru dans L’Honneur des poètes) « La voix », Robert Desnos, 1940 La Voix Une voix, une voix qui vient de si loin Qu'elle ne fait plus tinter les oreilles, Une voix, comme un tambour, voilée Parvient pourtant, distinctement, jusqu'à nous. Bien qu'elle semble sortir d'un tombeau Elle ne parle que d'été et de printemps. Elle emplit le corps de joie, Elle allume aux lèvres le sourire. Je l'écoute. Ce n'est qu'une voix humaine Qui traverse les fracas de la vie et des batailles, L'écroulement du tonnerre et le murmure des bavardages. Et vous ? Ne l'entendez-vous pas ? Elle dit "La peine sera de courte durée" Elle dit "La belle saison est proche." Ne l'entendez-vous pas ? Robert Desnos - Contrée (1936-1940) « Le veilleur du Pont-au-change », Robert Desnos, 1975 Je suis le veilleur de la rue de Flandre, Je veille tandis que dort Paris. Vers le nord un incendie lointain rougeoie dans la nuit. J’entends passer des avions au-dessus de la ville. Je suis le veilleur du Point-du-Jour. La Seine se love dans l’ombre, derrière le viaduc d’Auteuil, Sous vingt-trois ponts à travers Paris. Vers l’ouest j’entends des explosions. Je suis le veilleur de la Porte Dorée. Autour du donjon le bois de Vincennes épaissit ses ténèbres. J’ai entendu des cris dans la direction de Créteil Et des trains roulent vers l’est avec un sillage de chants de révolte. Je suis le veilleur de la Poterne des Peupliers. Le vent du sud m’apporte une fumée âcre, Des rumeurs incertaines et des râles Qui se dissolvent, quelque part, dans Plaisance ou Vaugirard. Au sud, au nord, à l’est, à l’ouest, Ce ne sont que fracas de guerre convergeant vers Paris. Je suis le veilleur du Pont-au-Change Veillant au cœur de Paris, dans la rumeur grandissantev Où je reconnais les cauchemars paniques de l’ennemi, Les cris de victoire de nos amis et ceux des Français, Les cris de souffrance de nos frères torturés par les Allemands d’Hitler. Je suis le veilleur du Pont-au-Change Ne veillant pas seulement cette nuit sur Paris, Cette nuit de tempête sur Paris seulement dans sa fièvre et sa fatigue, Mais sur le monde entier qui nous environne et nous presse. Dans l’air froid tous les fracas de la guerre Cheminent jusqu’à ce lieu où, depuis si longtemps, vivent les hommes. Des cris, des chants, des râles, des fracas il en vient de partout, Victoire, douleur et mort, ciel couleur de vin blanc et de thé, Des quatre coins de l’horizon à travers les obstacles du globe, Avec des parfums de vanille, de terre mouillée et de sang, D’eau salée, de poudre et de bûchers, De baisers d’une géante inconnue enfonçant à chaque pas dans la terre grasse de chair humaine. Je suis le veilleur du Pont-au-Change Et je vous salue, au seuil du jour promis Vous tous camarades de la rue de Flandre à la Poterne des Peupliers, Du Point-du-Jour à la Porte Dorée. Je vous salue vous qui dormez Après le dur travail clandestin, Imprimeurs, porteurs de bombes, déboulonneurs de rails, incendiaires, Distributeurs de tracts, contrebandiers, porteurs de messages, Je vous salue vous tous qui résistez, enfants de vingt ans au sourire de source Vieillards plus chenus que les ponts, hommes robustes, images des saisons, Je vous salue au seuil du nouveau matin. Je vous salue sur les bords de la Tamise, Camarades de toutes nations présents au rendez-vous, Dans la vieille capitale anglaise, Dans le vieux Londres et la vieille Bretagne, Américains de toutes races et de tous drapeaux, Au-delà des espaces atlantiques, Du Canada au Mexique, du Brésil à Cuba, Camarades de Rio, de Tehuantepec, de New York et San Francisco. J’ai donné rendez-vous à toute la terre sur le Pont-au-Change, Veillant et luttant comme vous. Tout à l’heure, Prévenu par son pas lourd sur le pavé sonore, Moi aussi j’ai abattu mon ennemi. Il est mort dans le ruisseau, l’Allemand d’Hitler anonyme et haï, La face souillée de boue, la mémoire déjà pourrissante, Tandis que, déjà, j’écoutais vos voix des quatre saisons, Amis, amis et frères des nations amies. J’écoutais vos voix dans le parfum des orangers africains, Dans les lourds relents de l’océan Pacifique, Blanches escadres de mains tendues dans l’obscurité, Hommes d’Alger, Honolulu, Tchoung-King, Hommes de Fez, de Dakar et d’Ajaccio. Enivrantes et terribles clameurs, rythmes des poumons et des cœurs, Du front de Russie flambant dans la neige, Du lac Ilmen à Kief, du Dniepr au Pripet, Vous parvenez à moi, nés de millions de poitrines. Je vous écoute et vous entends. Norvégiens, Danois, Hollandais, Belges, Tchèques, Polonais, Grecs, Luxembourgeois, Albanais et Yougo-Slaves, camarades de lutte. J’entends vos voix et je vous appelle, Je vous appelle dans ma langue connue de tous Une langue qui n’a qu’un mot : Liberté ! Et je vous dis que je veille et que j’ai abattu un homme d’Hitler. Il est mort dans la rue déserte Au cœur de la ville impassible j’ai vengé mes frères assassinés Au Fort de Romainville et au Mont Valérien, Dans les échos fugitifs et renaissants du monde, de la ville et des saisons. Et d’autres que moi veillent comme moi et tuent, Comme moi ils guettent les pas sonores dans les rues désertes, Comme moi ils écoutent les rumeurs et les fracas de la terre. À la Porte Dorée, au Point-du-Jour, Rue de Flandre et Poterne des Peupliers, À travers toute la France, dans les villes et les champs, Mes camarades guettent les pas dans la nuit Et bercent leur solitude aux rumeurs et fracas de la terre. Car la terre est un camp illuminé de milliers de feux. À la veille de la bataille on bivouaque par toute la terre Et peut-être aussi, camarades, écoutez-vous les voix, Les voix qui viennent d’ici quand la nuit tombe, Qui déchirent des lèvres avides de baisers Et qui volent longuement à travers les étendues Comme des oiseaux migrateurs qu’aveugle la lumière des phares Et qui se brisent contre les fenêtres du feu. Que ma voix vous parvienne donc Chaude et joyeuse et résolue, Sans crainte et sans remords Que ma voix vous parvienne avec celle de mes camarades, Voix de l’embuscade et de l’avant-garde française. Écoutez-nous à votre tour, marins, pilotes, soldats, Nous vous donnons le bonjour, Nous ne vous parlons pas de nos souffrances mais de notre espoir, Au seuil du prochain matin nous vous donnons le bonjour, À vous qui êtes proches et, aussi, à vous Qui recevrez notre vœu du matin Au moment où le crépuscule en bottes de paille entrera dans vos maisons. Et bonjour quand même et bonjour pour demain ! Bonjour de bon cœur et de tout notre sang ! Bonjour, bonjour, le soleil va se lever sur Paris, Même si les nuages le cachent il sera là, Bonjour, bonjour, de tout cœur bonjour ! Robert Desnos, Le Veilleur du Pont-au-Change, 1942 « Demain », Robert Desnos, 1942 Âgé de cent mille ans, j’aurais encor la force De t’attendre, ô demain pressenti par l’espoir. Le temps, vieillard souffrant de multiples entorses, Peut gémir : Le matin est neuf, neuf est le soir. Mais depuis trop de mois nous vivons à la veille, Nous veillons, nous gardons la lumière et le feu, Nous parlons à voix basse et nous tendons l’oreille À maint bruit vite éteint et perdu comme au jeu. Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore De la splendeur du jour et de tous ses présents. Si nous ne dormons pas c’est pour guetter l’aurore Qui prouvera qu’enfin nous vivons au présent. Robert Desnos, 1942 Paul Eluard Paul Éluard naît en 1895 sous le nom d’Eugène Grindel, à Saint-Denis dans la banlieue parisienne. Atteint de tuberculose, il se fait hospitaliser en Suisse en 1912 : il découvre alors la poésie, commence à écrire et rencontre l’amour en la personne de Gala, une jeune Russe qu’il épousera en 1917. Mobilisé entre-temps en 1914, il part sur le front avant d’être éloigné des combats en raison d’une bronchite aiguë. Cette expérience de la guerre et de ses champs de bataille le traumatise et lui inspire Poèmes pour la Paix (publiés en 1918). Repéré alors par Jean Paulhan, il rencontre l’avant-garde littéraire et artistique de l’époque qu’il rejoint : Breton, Aragon, Soupault, De Chirico, Dali, Picasso et Max Ernst. Il adhère à l’idée dadaïste de renouveler la langue puis, en octobre 1924, signe avec son ami André Breton le Manifeste du surréalisme. Ses problèmes de santé, ses difficultés conjugales et ses souffrances sentimentales inspireront sa poésie surréaliste, lyrique et sensible – Capitale de la douleur (1926) ; L’Amour, la Poésie (1929) ; La Vie immédiate (1932) ; Les Yeux fertiles (1936). Libre en amour comme en poésie, il sera très affecté par le départ de Gala, qui le quitte en 1929 pour vivre avec Dali. Il retrouvera le bonheur avec Maria Benz, surnommée Nusch, qu’il épousera en 1944. Le 1er septembre 1939, Paul Éluard est mobilisé dans le Loiret comme lieutenant dans l’Intendance. Il intervient auprès du président de la République pour faire libérer le peintre Max Ernst, interné comme « ressortissant allemand ». Démobilisé après l’armistice de 1940, l’exode l’entraîne dans le Tarn, puis il revient à Paris auprès de son épouse. Entré dans la Résistance en 1942, il rencontre le fondateur des Éditions de Minuit, Pierre de Lescure, avec qui il collabore. Le recueil Poésie et Vérité (1942), publié semiclandestinement, sans visa de censure, rassemble des poèmes s’élevant nettement contre le nazisme et la collaboration, dont le plus célèbre, « Liberté », traduit en dix langues, fut parachuté par la Royal Air Force sur les contrées occupées. Paul Éluard y expose son « but poursuivi : retrouver, pour nuire à l’occupant, la liberté d’expression ». Il continue le combat armé d’une plume : il écrit Sept Poèmes d’amour en guerre (1943) et publie Au rendez-vous allemand (1945), composé de poèmes écrits dans la clandestinité, sous les pseudonymes de Jean du Haut ou de Maurice Hervent. Après la guerre, le poète produit des Poèmes politiques (1948) et mêle continûment simplicité de la langue et force des images (Poésie ininterrompue I, 1946 ; Corps mémorable, 1947 ; Poésie ininterrompue II, 1953, recueil posthume). Paul Éluard reste un poète empreint de fièvre révolutionnaire, d’aspiration humaniste. « Courage », Paul Eluard, 1944 Paris a froid Paris a faim Paris ne mange plus de marrons dans la rue Paris a mis de vieux vêtements de vieille Paris dort tout debout sans air dans le métro Plus de malheur encore est imposé aux pauvres Et la sagesse et la folie De Paris malheureux C’est l’air pur c’est le feu C’est la beauté c’est la bonté De ses travailleurs affamés Ne crie pas au secours Paris Tu es vivant d’une vie sans égale Et derrière la nudité De ta pâleur de ta maigreur Tout ce qui est humain se révèle en tes yeux Paris ma belle ville Fine comme une aiguille forte comme une épée Ingénue et savante Tu ne supportes pas l’injustice Pour toi c’est le seul désordre Tu vas te libérer Paris Paris tremblant comme une étoile Notre espoir survivant Tu vas te libérer de la fatigue et de la boue Frères ayons du courage Nous qui ne sommes pas casqués Ni bottés ni gantés ni bien élevés Un rayon s’allume en nos veines Notre lumière nous revient Les meilleurs d’entre nous sont morts pour nous Et voici que leur sang retrouve notre coeur Et c’est de nouveau le matin un matin de Paris La pointe de la délivrance L’espace du printemps naissant La force idiote a le dessous Ces esclaves nos ennemis S’ils ont compris S’ils sont capables de comprendre Vont se lever. « Liberté », Paul Eluard, 1942 Sur mes cahiers d’écolier Sur mon pupitre et les arbres Sur le sable sur la neige J’écris ton nom Sur toutes les pages lues Sur toutes les pages blanches Pierre sang papier ou cendre J’écris ton nom Sur les images dorées Sur les armes des guerriers Sur la couronne des rois J’écris ton nom Sur la jungle et le désert Sur les nids sur les genêts Sur l’écho de mon enfance J’écris ton nom Sur les merveilles des nuits Sur le pain blanc des journées Sur les saisons fiancées J’écris ton nom Sur tous mes chiffons d’azur Sur l’étang soleil moisi Sur le lac lune vivante J’écris ton nom Sur les champs sur l’horizon Sur les ailes des oiseaux Et sur le moulin des ombres J’écris ton nom Sur chaque bouffée d’aurore Sur la mer sur les bateaux Sur la montagne démente J’écris ton nom Sur la mousse des nuages Sur les sueurs de l’orage Sur la pluie épaisse et fade J’écris ton nom Sur les formes scintillantes Sur les cloches des couleurs Sur la vérité physique J’écris ton nom Sur les sentiers éveillés Sur les routes déployées Sur les places qui débordent J’écris ton nom Sur la lampe qui s’allume Sur la lampe qui s’éteint Sur mes maisons réunies J’écris ton nom Sur le fruit coupé en deux Du miroir et de ma chambre Sur mon lit coquille vide J’écris ton nom Sur mon chien gourmand et tendre Sur ses oreilles dressées Sur sa patte maladroite J’écris ton nom Sur le tremplin de ma porte Sur les objets familiers Sur le flot du feu béni J’écris ton nom Sur toute chair accordée Sur le front de mes amis Sur chaque main qui se tend J’écris ton nom Sur la vitre des surprises Sur les lèvres attentives Bien au-dessus du silence J’écris ton nom Sur mes refuges détruits Sur mes phares écroulés Sur les murs de mon ennui J’écris ton nom Sur l’absence sans désir Sur la solitude nue Sur les marches de la mort J’écris ton nom Sur la santé revenue Sur le risque disparu Sur l’espoir sans souvenir J’écris ton nom Et par le pouvoir d’un mot Je recommence ma vie Je suis né pour te connaître Pour te nommer Liberté. Paul Eluard « Gabriel Péri », Paul Eluard, 1944 « Gabriel Péri » Un homme est mort qui n’avait pour défense Que ses bras ouverts à la vie Un homme est mort qui n’avait d’autre route Que celle où l’on hait les fusils Un homme est mort qui continue la lutte Contre la mort contre l’oubli Car tout ce qu’il voulait Nous le voulions aussi Nous le voulons aujourd’hui Que le bonheur soit la lumière Au fond des yeux au fond du cœur Et la justice sur la terre Il y a des mots qui font vivre Et ce sont des mots innocents Le mot chaleur le mot confiance Amour justice et le mot liberté Le mot enfant et le mot gentillesse Et certains noms de fleurs et certains noms de fruits Le mot courage et le mot découvrir Et le mot frère et le mot camarade Et certains noms de pays de villages Et certains noms de femmes et d’amies Ajoutons-y Péri Péri est mort pour ce qui nous fait vivre Tutoyons-le sa poitrine est trouée Mais grâce à lui nous nous connaissons mieux Tutoyons-nous son espoir est vivant. Paul Éluard Au rendez-vous allemand, Paris, Éditions de Minuit, 19457 « Nuit et brouillard », Jean Ferrat, 1963 Nuit et Brouillard est une chanson écrite et composée par Jean Ferrat. Elle sort en 1963 sur son album du même nom. Le nom de la chanson, Nuit et brouillard est en fait le nom d’un Décret d’Adolf Hitler de 1941 (en allemand Nacht und Nebel) sur les sanctions réservées aux opposants du Reich dans les pays occupés. Le décret s’appliquait uniquement aux condamnés à morts. Si la sentence n’était pas appliquée sous huit jours, les condamnés étaient déportés en Allemagne et le Reich se réservait le droit de ne donner aucune information à leur sujet à quiconque. Une fois les condamnés déportés, leurs familles ne pouvaient pas savoir où leurs proches se trouvaient ni même s’ils étaient en vie. Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés Qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent Ils se croyaient des hommes, n’étaient plus que des nombres Depuis longtemps leurs dés avaient été jetés Dès que la main retombe il ne reste qu’une ombre Ils ne devaient jamais plus revoir un été La fuite monotone et sans hâte du temps Survivre encore un jour, une heure, obstinément Combien de tours de roues, d’arrêts et de départs Qui n’en finissent pas de distiller l’espoir Ils s’appelaient Jean-Pierre, Natacha ou Samuel Certains priaient Jésus, Jéhovah ou Vichnou D’autres ne priaient pas, mais qu’importe le ciel Ils voulaient simplement ne plus vivre à genoux Ils n’arrivaient pas tous à la fin du voyage Ceux qui sont revenus peuvent-ils être heureux Ils essaient d’oublier, étonnés qu’à leur âge Les veines de leurs bras soient devenues si bleues Les Allemands guettaient du haut des miradors La lune se taisait comme vous vous taisiez En regardant au loin, en regardant dehors Votre chair était tendre à leurs chiens policiers On me dit à présent que ces mots n’ont plus cours Qu’il vaut mieux ne chanter que des chansons d’amour Que le sang sèche vite en entrant dans l’histoire Et qu’il ne sert à rien de prendre une guitare Mais qui donc est de taille à pouvoir m’arrêter? L’ombre s’est faite humaine, aujourd’hui c’est l’été Je twisterais les mots s’il fallait les twister Pour qu’un jour les enfants sachent qui vous étiez Vous étiez vingt et cent, vous étiez des milliers Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés Qui déchiriez la nuit de vos ongles battants Vous étiez des milliers, vous étiez vingt et cent Le massacre d’Oradour-sur-Glane Les faits. C'est jour de distribution de tabac, la vision d'Oradour bascule dans l'effroi. C'est une belle journée de printemps qui s'annonce, les enfants retournent en classe et le déjeuner se termine doucement (…). Il y a quatre jours que le débarquement en Normandie a eu lieu, les troupes de soldats allemands remontent sur le front. La résistance fait tout pour les retarder ou les en empêcher. Depuis le débarquement, la Résistance amplifie ses actes contre la progression des Allemands et leur remontée vers la Normandie. Plusieurs incidents et la position de faiblesse des S.S. va motiver l'exécution d'un acte destiné à impressionner (et surprendre) la population et (peutêtre) calmer l'ardeur des résistants. C'est une méthode que les S.S. ont eu l'habitude de pratiquer sur le front de Russie. Ainsi les Allemands choisissent un village sans passé avec le maquis ou la résistance, un lieu tranquille, pour se venger. Le choix est aussi fait en fonction de la taille du village et des capacités des S.S. En début d'après-midi, les Waffen S.S. encerclent Oradour et rabattent vers le centre-bourg les personnes qui travaillent dans les champs. La population est rassemblée sur la place principale (le Champ de Foire) pour le prétexte d'un contrôle d'identité. Les hommes sont séparés des femmes et des enfants qui seront menés dans l'église. Les hommes sont répartis en six groupes et menés dans les plus grandes remises ou granges d'Oradour où les Allemands ont installé des mitrailleuses. A 16 heures, et en quelques secondes les hommes sont abattus sans comprendre pourquoi. Certaines victimes recevront le coup de grâce. Les Allemands recouvrent les corps de matériaux combustibles et mettent le feu dans ces lieux de supplices ainsi qu'aux maisons. Seulement cinq hommes pourront sortir de la grange Laudy sans être abattus par les bourreaux. A 17 heures, c'est malheureusement au tour des femmes et des enfants (400 personnes) réunis dans la petite église. Les Allemands déposent une caisse au milieu de la foule, au milieu de l'édifice. Il en dépasse un cordon qu'ils allument. Cette caisse destinée à asphyxier, explose et met en éclat les vitraux. L'asphyxie ne s'opère alors pas comme les Allemands le prévoyaient. C'est alors qu'ils tirent sur les femmes et les enfants. (Aujourd'hui, on peut encore voir les impacts des balles sur les murs intérieurs de l'église). Une femme, Mme Rouffanche, parvient à s'enfuir par un vitrail. Elle est suivie par une autre femme et son bébé. Les cris du bébé alertant les Allemands, ces trois personnes sont mitraillées. Seule Mme Rouffanche, bien que blessée, survit en se cachant dans un rang de petits pois dans le jardin du presbytère. A 19 heures, le tramway venant de Limoges arrive sur Oradour. Les occupants sont emmenés dans une ferme proche. Ce n'est qu'en fin de soirée qu'ils sont relâchés. Le pillage et la destruction du village se poursuivent en fin d'après-midi. Les personnes qui sont simplement blessées meurent brûlées vives. Au lendemain, il n'existe plus que des pans de murs calcinés desquels s'échappent encore de la fumée. Oradour-sur-Glane est rayé de la carte avec ses habitants (328 constructions et 642 victimes). On ne compte que six survivants au massacre (personnes s'étant échappées des lieux de supplice) : 5 hommes et une femme. Quelques autres personnes échappent à la tragédie car elles sont absentes du bourg ou se sont cachées ou enfuies à l'arrivée des allemands par crainte « Oradour » Jean Tardieu, 1944 Oradour n'a plus de femmes Oradour n'a plus un homme Oradour n'a plus de feuilles Oradour n'a plus de pierres Oradour n'a plus d'église Oradour n'a plus d'enfants Plus de fumée plus de rires Plus de toîts plus de greniers Plus de meules plus d'amour Plus de vin plus de chansons. Oradour, j'ai peur d'entendre Oradour, je n'ose pas Approcher de tes blessures De ton sang de tes ruines, je ne peux je ne peux pas Voir ni entendre ton nom. Oradour je crie et hurle Chaquefois qu'un coeur éclate Sous les coups des assassins Une tête épouvantée Deux yeux larges deux yeux rouges Deux yeux graves deux yeux grands Comme la nuit la folie Deux yeux de petits enfants: Ils ne me quitteront pas. Oradour je n'ose plus Lire ou prononcer ton nom. Oradour honte des hommes Oradour honte éternelle Nos coeurs ne s'apaiseront Que par la pire vengeance Haine et honte pour toujours. Oradour n'a plus de forme Oradour, femmes ni hommes Oradour n'a plus d'enfants Oradour n'a plus de feuilles Oradour n'a plus d'église Plus de fumées plus de filles Plus de soirs ni de matins Plus de pleurs ni de chansons. Oradour n'est plus qu'un cri Et c'est bien la pire offense Au village qui vivait Et c'est bien la pire honte Que de n'être plus qu'un cri, Nom de la haine des hommes Nom de la honte des hommes Le nom de notre vengeance Qu'à travers toutes nos terres On écoute en frissonnant, Une bouche sans personne, Qui hurle pour tous les temps. Jean Tardieu, Oradour Repères historiques sur la Résistance en France Berthe Albrecht, née Bertie Wild (1893 - 1943). Résistante française. Décédée à la prison de Fresnes. © Gérald Bloncourt / Rue des Archives La dimension plurielle de la Résistance Les écrits des poètes de la Résistance s’inscrivent tous dans un contexte singulier, qu’ils soient datés de 1940 ou des années suivantes, à savoir celui des années de l’occupation allemande en France et du régime autoritaire de Vichy. Les motivations des résistants ont beaucoup varié, des solitudes initiales du second semestre de 1940 – où de jeunes Français (isolés ou un peu plus organisés) manifestent leur refus de l’occupation ou rejoignent le général de Gaulle à Londres – à l’institutionnalisation d’une Résistance en position de prendre le pouvoir en 1945. La Résistance dans son ensemble a concerné une infime minorité de Français, et certains d’entre eux n’avaient même pas conscience qu’ils faisaient de la résistance ; le mot lui-même de « résistance » est popularisé seulement à partir de 1942. Dans la mémoire collective, que les historiens ont pris pour objet d’histoire, la Résistance garde une place à part. Elle est devenue un mythe fondateur qui a permis aux Français de se donner des valeurs et d’élaborer un projet de société pour l’après-guerre. La Résistance, c’est avant tout des hommes et des femmes, très souvent désintéressés, héros anonymes pour beaucoup, animés par des convictions patriotiques et humanitaires. Pierre professeur et © Rue des Archives / Tal journaliste Brossolette, français, (1903 – 1944), résistant. Le refus et les premiers actes de résistance À l’origine, les premiers gestes de refus sont symboliques et minimes. Les premiers résistants sont issus de tous les milieux sociaux et agissent dans toutes les régions. Pour beaucoup, il s’agit avant tout de « faire quelque chose » pour ne pas subir le joug nazi. Ils réagissent en leur âme et conscience, sans suivre aucun ordre de mobilisation générale insurrectionnel. Leur combat est fou, car ils interviennent contre l’opinion commune et en dépit de la présence des occupants. Mais le choc subi en 1940 provoque chez eux un réflexe de survie inouï. Le point de départ des premières actions résistantes tient davantage du ressort du réflexe viscéral que de la réponse idéologique au nazisme. Écrasé par la peur et l’incertitude, dans une société décomposée, le résistant des premiers mois de l’occupation est très rare. Le sens du devoir semble l’emporter soit en distribuant des tracts, soit en coupant des lignes téléphoniques (l’ouvrier agricole Étienne Achavanne, premier résistant français fusillé, le 20 juin 1940), ou encore en refusant d’amener le drapeau français aux Allemands (le maire de La Rochelle, colonel, le 23 juin 1940). D’autres rejoignent de Gaulle qui a lancé son appel le 18 juin, quasiment pas entendu en France, renouvelé dans les jours suivants ; le fonctionnaire au ministère du Ravitaillement et militant socialiste Jean Texcier, désespéré du paysage qu’il découvre en revenant à Paris après l’exode, décide de rédiger ses 33 Conseils à l’occupé sur un ton humoristique ; le dernier conseil est le réflexe de la clandestinité naissante : « Inutile d’envoyer tes amis acheter ces Conseils chez le libraire. […] Fais-en des copies que tes amis copieront à leur tour. » Progressivement, des groupes d’hommes et de femmes, pour la plupart jeunes et sans vie sociale et familiale encore bien assise, s’organisent, par exemple au musée de l’Homme à Paris, ou dans plusieurs lycées parisiens ; le 11 novembre 1940, des étudiants manifestent aux Champs-Élysées et déposent une gerbe de fleurs au pied de l’Arc de Triomphe, prenant des risques incroyables. La répression sera très dure. À Londres, avec l’appui de Churchill, de Gaulle avance à pas lents. Mais rien n’est facile. Il faut non seulement trouver des leaders plus âgés, mais accepter également de tout abandonner, le plus souvent une vie professionnelle – quand elle ne sert plus de couverture pour cacher ses activités résistantes – et parfois une épouse et des enfants. Jean Moulin, (1899 – 1943), résistant français, photographié par son ami Marcel Bernard au Peyrou de Montpellier en octobre 1939. © Rue des Archives / AGIP S’organiser au mieux et s’unir En 1941–1942, de part et d’autre de la ligne de démarcation, les résistants cherchent de l’argent et des armes, mais organisent aussi des mouvements et des réseaux. Les premiers (Franc-Tireur, Combat, Libération-Sud, Défense de la France, entre autres) ont des visées politiques et se préparent à prendre en mains les destinées politiques de la France de l’aprèsguerre. Les seconds effectuent des missions militaires et de renseignement. Par ailleurs, la France libre est en lutte contre les Américains pour faire reconnaître sa légitimité, tandis que les chefs de la résistance intérieure s’affrontent pour le pouvoir. Leurs objectifs sont parfois flous, mais progressivement, en suivant les directives de Londres, l’unité d’action semble possible. Avec l’invasion de l’URSS par les nazis, en juin 1941, des communistes organisés en triades commettent plusieurs attentats contre l’armée allemande, occasionnant des mesures de rétorsion cruelles : exécutions d’otages, arrestations de centaines de résistants par les polices françaises et deux procès à grand spectacle au Palais-Bourbon et à la Maison de la Chimie, en mars-avril 1942. Mais le second semestre 1941 marque bien le passage à la Résistance armée en métropole. À l’automne 1942, les résistants ont enfin conscience qu’ils œuvrent pour la Résistance. Grâce à Jean Moulin – arrêté à Caluire en juin 1943, puis tué sous les coups de Klaus Barbie à Lyon – qui sait réunir les différentes obédiences de la Résistance intérieure, de Gaulle devient le chef de la France résistante. Mais les Américains refusent toujours de le voir comme l’incarnation de la France de l’après-guerre. Pour nombre de résistants, non seulement il faut chasser désormais les Allemands, détruire le régime de Vichy, mais il faut également réfléchir aux méthodes de restauration de la République après la Libération. Combattre encore et prendre le pouvoir En février 1943, c’est l’instauration du Service du travail obligatoire (STO) : dans le cadre de la politique de collaboration avec le IIIe Reich, le régime de Vichy décide de participer au recrutement forcé de jeunes Français pour aller travailler en Allemagne. Beaucoup fuient et deviennent « réfractaires », allant grossir les rangs de la Résistance dans le cadre de maquis créés pour l’occasion. Les résistants ont dû passer beaucoup de temps à les former aux armes et à la prudence. Le réfractaire est devenu un hors-la-loi comme les résistants qui l’ont devancé depuis 1940. Les risques encourus par tous les résistants sont énormes entre 1940 et 1944, car la collusion policière franco-allemande est très efficace : par exemple, les radios qui envoient des messages codés à Londres risquent leur vie à tout instant, ou encore ceux qui sabotent les voies ferrées ou les usines. Pourtant les résistants, français et étrangers (FTP-MOI), s’unissent malgré leurs différences politiques, sociales et religieuses, et parfois les trahisons. En 1944, les résistants forment cette armée de guerriers qui va aider à la Libération du territoire national, comme à Paris où les FFI (les Forces françaises de l’intérieur : le bras armé de la Résistance au moment de la Libération) contribuent à déclencher l’insurrection avant l’arrivée de la 2e DB de Leclerc et des unités américaines. Éric Alary