Synthèse
Le présent rapport explique comment un pouvoir local ou régional comme le Hampshire
County Council (HCC), ou un autre membre du partenariat ESPACE (European Spatial
Planning for Adaptation to Climate Events) peut utiliser au mieux ses ressources pour
maximaliser son influence sur le comportement des acteurs responsables dans la réponse
à apporter au changement climatique. Il porte sur une question très importante, qui
interpelle et qui est de plus en plus au centre des discussions relatives à la réponse à
apporter au changement climatique.
Le projet de recherche dont il est fait ici la synthèse a été mis en œuvre entre
septembre 2004 et mai 2005 par Alexander, Ballard and Associates, sur la base de
recherches réalisées par Rosslyn Research Ltd pour le compte des acteurs concernés, y
compris des partenaires ESPACE.
Le contrat a été géré pour le compte d’ESPACE par le HCC. Tandis que la recherche
couvrait, en matière de changement climatique, un domaine plus large que la seule
adaptation puisqu’elle incluait aussi les questions d’atténuation
1
, elle était aussi destinée à
bénéficier à la fois au HCC et aux partenaires ESPACE de la manière suivante : la
recherche sur les processus et les recommandations générales devaient être pertinentes
pour le partenariat ESPACE, mais la recherche spécifique et les recommandations en
matière d’actions devaient l’être pour le HCC. La structure du rapport est brièvement
décrite ci-dessous, mais nous commencerons par résumer les dix messages clés de ce
rapport.
Dix messages clés
Notre recherche a abouti à un ensemble très cohérent de conclusions. Ces conclusions ne
reposent pas seulement sur la recherche scientifique, elles sont également solidement
étayées par les faits que nous ont rapportés les praticiens, et par notre propre expérience
pratique du travail sur les réponses du public au changement climatique et aux problèmes
afférents. Nous avons pu identifier les dix messages clés suivants dont nous croyons
qu’ils peuvent aider les responsables politiques et les autres acteurs concernés à
développer des sociétés capables d’utiliser le carbone de manière durable.
1. Tant l’atténuation que l’adaptation impliquent un changement de
comportement
L’adaptation est une nécessité évidente : les planifications et l’aménagement du territoire
doivent tenir compte d’impacts climatiques significatifs qui ne sont plus évitables. Les
mesures d’adaptation ne peuvent pas inverser les conséquences d’un climat incontrôlable,
et il est donc nécessaire de poursuivre des politiques d’atténuation.
Que les mesures d’atténuation impliquent un changement de comportement est
également un élément relativement clair : le changement climatique est en effet le résultat
d’une multitude de petites décisions prises par les citoyens ordinaires au travail ou dans le
1
« L’adaptation », principal thème du projet ESPACE, porte sur les étapes à suivre pour se préparer à un
climat dont la modification est certaine (en raison des émissions de gaz à effet de serre). « L’atténuation »
porte sur les actions visant à atténuer l’effet des activités humaines sur le climat pour que les dérèglements
restent dans des proportions autorisant une adaptation.
domaine privé. Mais l’adaptation aux impacts, aussi incertains que certains d’entre eux
puissent être, implique également un changement, que ce soit dans le chef des ingénieurs
et des responsables, des professionnels et des industriels, ou dans celui du grand public. Il
semble toutefois y avoir des obstacles en la matière :
Des études menées sur de grands projets de construction montrent que les experts
concernés ne sont souvent pas mieux informés sur la nécessité des mesures
d’adaptation que le grand public, et que leurs clients ne le sont pas davantage.
Nous avons trouvé que bien que certaines mesures d’adaptation comme le
stockage des eaux soient entreprises au niveau local, la nécessité de stratégies
d’adaptation plus larges est à peine reconnue.
Des travaux effectués pour le partenariat ESPACE pour le compte du West
Sussex County Council
2
montrent que la méconnaissance de l’éventuel impact
d’inondations est significativement plus élevée parmi les propriétaires qui ont la
plus grande probabilité d’en être victimes.
Aucun de ces deux types de changement n’est adéquat pour l’instant : la société est
insuffisamment adaptée aux impacts éventuels, et les mesures d’atténuation ne sont pas
suffisantes pour limiter de futurs changements climatiques. Certains des principaux
blocages au changement portent tant sur les questions d’adaptation que d’atténuation, et
nous pensons que des progrès sur les uns peuvent être bénéfiques aux autres. Les deux
aspects présentent en effet tant de points communs qu’ils constituent en pratique une
seule problématique, chacun d’eux présentant des ouvertures et des opportunités pour
l’autre.
2. Obstacles contextuels significatifs au changement
Qu’est-ce qui empêche le changement ? Il a été démontré de manière concluante
qu’accroître la sensibilisation n’était pas suffisant pour promouvoir le changement, et
qu’il y avait d’autres obstacles à vaincre. Beaucoup d’entre eux sont des barrières
contextuelles, c’est-à-dire que ces obstacles sont normalement en dehors de la portée
immédiate des actions visant à promouvoir le changement.
Sur la base de notre recherche, nous proposons une structure simple pour l’analyse
des obstacles au changement. Ces obstacles peuvent se situer au niveau )individuel ou au
niveau collectif, et ils peuvent porter sur des problèmes de nature subjective (par
exemple, a priori posant des limites ou normes de groupe) ou sur des facteurs objectifs
(par exemple, contraintes liées à un rôle ou à des technologies).
1. Facteurs individuels subjectifs
(Valeurs personnelles imposant des
limites, conception du monde, a
priori, etc.)
2. Facteurs individuels objectifs
(Limitations dues à la fonction, aux
compétences, aux connaissances,
aux relations, etc.)
3. Facteurs collectifs subjectifs
(Cultures de groupe, normes
partagées, etc.)
4. Facteurs collectifs objectifs
(Politiques, économiques, sociaux,
technologiques, légaux,
environnementaux)
Obstacles au changement (d’après Ken Wilber)
2
Par nos partenaires, Rosslyn Research Ltd.
L’un ou l’autre de ces obstacles peut intervenir à tout moment, et il arrive souvent
qu’ils interagissent. Par exemple, un travail sur une réponse technique d’adaptation
(partie 4 du tableau) peut se heurter à une dynamique de pouvoir organisationnel
(également partie 4 du tableau) qui peut résulter d’un ensemble d’opinions partagées sur
la manière dont les décisions devraient être prises (partie 3 du tableau). Les compétences
et la fonction au niveau individuel (partie 2 du tableau) peuvent empêcher d’influer sur
ces opinions, tout comme des a priori personnels (partie 1 du tableau) tels que « le
changement climatique est un problème tellement énorme qu’il n’y a rien qu’une
personne comme moi puisse faire à ce propos » (il a été démontré que cet a priori était
particulièrement fort chez beaucoup de personnes). Les efforts en faveur du changement
se heurteront continuellement à des contraintes « dures » et « douces » à différents
niveaux, contraintes qui peuvent saper les efforts en question.
3. Les mesures de sensibilisation doivent être accompagnées de trois
autres facteurs
En dépit de la sensibilisation à l’importance cruciale des problèmes liés au changement
climatique, il a été démontré de manière concluante qu’il s’agissait d’une méthode très
peu efficace pour stimuler le changement, à moins de s’attaquer parallèlement à d’autres
questions. En l’occurrence, nous pouvons distinguer les quatre questions suivantes :
a) « Awareness » : conscience de, sensibilisation à la problématique en question. À
un niveau très basique, la sensibilisation au changement climatique est
exceptionnellement élevée (au Royaume-Uni du moins). Toutefois, la conscience
de son degré d’urgence et de son échelle est bien inférieure puisqu’elle concerne
seulement 15 % environ de la population. Le degré de sensibilisation est même
très faible si l’on parle de sa structure systémique, soit les délais afférents au
système climatique et aux réponses apportées par l’homme, les points
d’intervention, etc. Si l’on veut que les efforts en faveur du changement portent
leurs fruits, il est nécessaire d’accroître le degré de sensibilisation sur les points
précités.
b) « Agency » : sentiment que la réponse a un sens. L’un des obstacles les plus
importants à la sensibilisation de la population est que celle-ci croit que le
changement climatique est un problème tellement important qu’elle ne peut rien
faire de significatif à ce propos (partie 1 du tableau ci-dessus), et que la meilleure
chose à faire est de ne plus y penser. À moins de répondre à ce sentiment
d’impuissance, les informations supplémentaires ne font qu’empirer les choses.
Dès lors, le changement dépend de la capacité à développer le sentiment qu’il est
possible d’apporter des réponses significatives à un problème de cette ampleur.
Notre étude séparée réalisée pour le HCC sur les « champions » du changement
climatique montre qu’un élément très distinctif est leur volonté de développer le
sentiment en question.
c) « Association » : partenariat avec d’autres groupes de personnes pour travailler
sur ces problèmes. Il y a de fortes indications permettant de croire que les efforts
en vue du changement sont plus efficaces et plus durables si les personnes
concernées coopèrent, ce qui a pour effet potentiel non seulement de développer
le facteur « agency », mais aussi de produire un effet de groupe qui renforce les
motivations chancelantes.
d) « Action et réflexion ». L’action est nécessaire, mais il importe aussi de réfléchir
aux résultats de façon à pouvoir recentrer les efforts. Même au niveau le plus
basique, le changement implique de perdre certaines habitudes, et les études
montrent que la réflexion est un élément clé du succès en la matière. Plus le
changement est profond, plus la réflexion nous aide à identifier les éléments
capables de faire une réelle différence, ce qui nous aide aussi à développer le
sentiment que nos réponses ont un sens.
Ces quatre facteurs sont dans la ligne des autres éléments que nous avons identifiés
dans le cadre de notre étude. À la base, il est beaucoup plus probable que les gens passent
de l’action à la sensibilisation que l’inverse. En l’occurrence, le facteur « agency » est un
élément prépondérant qui, s’il peut être développé, permet d’accroître la sensibilisation.
Cet élément suggère que les prémices d’une action ne sont pas tellement importantes, à
condition de pouvoir développer le sentiment que la réponse a un sens, ce qui favorise à
son tour la sensibilisation.
4. Un facteur décisif : le changement doit commencer par une action
proche des citoyens
Les recherches ont clairement établi qu’il était très difficile de faire participer les citoyens
à moins de les faire agir à propos d’un problème dont ils se soucient. Notre opinion sur
les problèmes dont les citoyens devraient se soucier n’a pas d’importance, nous devons
partir des problèmes dont ils se soucient réellement.
Il importe que les projets aient un sens tant en
termes de changement climatique que d’implication
des participants
Particpants’ main concerns
Problèmes des participants
Climate change agenda
Questions du changement climatique
The project’s position
Position du projet
Il y a de nombreux éléments prouvant qu’il est possible d’établir une relation entre
les problèmes qui préoccupent les citoyens et les questions relatives au climat. Toutefois,
nous ne recommandons pas que les pouvoirs locaux dissimulent leur intérêt pour le
changement climatique (nous pensons qu’il y a un risque de perception de manipulation
et donc de perte de confiance), mais plutôt qu’ils présentent les projets comme répondant
tant aux questions de changement climatique qu’aux préoccupations des citoyens, afin
d’arriver à une situation où tout le monde est gagnant. Ceci permet la constitution de
groupes ou d’associations au sein desquels les citoyens peuvent (a) accroître leur
sensibilisation en découvrant comment le changement climatique modifiera ce qu’ils
considèrent comme important et (b) développer un sentiment qui leur permette
d’envisager des réponses dont ils considèrent qu’elles ont un sens.
Cela signifie également que les résultats doivent faire l’objet d’une évaluation, que
cette évaluation doit être continue afin de répondre aux intérêts de tous, et que l’un des
critères de succès doit être que les parties s’accordent pour reconnaître que leurs
problèmes respectifs ont été rencontrés.
5. Le sens passe par un changement de contexte
Étant donné que le changement est freiné par les obstacles contextuels que nous venons
de résumer, il importe de s’attaquer à ces obstacles et de les transformer si nous voulons
développer le sentiment que les actions ont un sens, et donc initier un changement de
comportement dans le cadre des réponses à apporter au changement climatique.
Par exemple, si le changement est freiné par une loi qui a des conséquences
perverses, donner un sens à l’action commence par réexaminer cette loi pour essayer de
la modifier ou de lui donner une nouvelle interprétation. Si la culture d’organisations
partenaires est un facteur qui pose des limites, et s’il n’est pas possible de passer outre, le
sens de l’action sera dérivé de l’intérêt porté à cette culture. En agissant de la sorte, on
permet non seulement une prise en compte de ses propres solutions, mais également de
celles des autres, et le tout prend alors son sens.
Nous estimons que la nécessité de solutionner de tels obstacles contextuels exige
beaucoup de travail stratégique pour les réponses à apporter au changement climatique,
dans la mesure où la stratégie implique un travail extérieur aux structures opérationnelles
existantes afin d’aborder des problèmes qui se situent au-delà des responsabilités
opérationnelles quotidiennes.
L’utilisation d’approches relativement mécaniques pour provoquer le changement
(règlement, mesures fiscales) fait bien entendu partie des processus du changement,
certainement si les citoyens souhaitent participer, mais ces approches n’auront d’effet
véritable que si elles prennent également en compte d’autres contraintes contextuelles.
6. Le changement va souvent de pair avec des difficultés émotionnelles
Ce qui précède suggère que les réponses à apporter au changement climatique requièrent
des facultés intellectuelles, mais un engagement adéquat dans cette problématique a
également une forte dimension émotionnelle :
Il est bien connu que les changements majeurs vont de pair avec une forte
dimension émotionnelle, et les modifications demandées à l’homme pour
répondre au changement climatique font partie de ces changements majeurs.
Modifier la sensibilisation pour reconnaître l’urgence et l’ampleur du défi posé
par le changement climatique a des dimensions humaines évidentes : en effet, la
plupart des choses que les humains apprécient sont menacées par ce changement.
Les recherches indiquent que les citoyens sont réticents à aborder ces problèmes
parce qu’ils ne pensent pas pouvoir faire quoi que ce soit à ce propos, comme si la
Terre était sur le point d’être frappée par un astéroïde, et ils préfèrent donc ne pas
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