Les prix qui s’établissent sur les marchés financiers sont-ils pertinents ?
Fondé sur Pierre-Noël Giraud, Le commerce des promesses
S’il faut en croire le Robert, la pertinence est « la qualité de ce qui convient à l’objet,
par extension de ce qui est conforme au bon sens » : une notion ambiguë, mais non dénuée
d’une connotation méliorative. La pertinence –ou non– des prix qui s’établissent sur les
marchés financiers peut donc avoir valeur de jugement sur l’ensemble de la sphère financière.
Certes les prix des actions (et dans une moindre mesure des obligations) ne sont pas,
au vu des constats empiriques, conformes à leur valeur intrinsèque… à supposer qu’ils en
aient une ! Leur cote à un instant donnée, entièrement soumise à la loi de l’offre et de la
demande sur les marchés financiers, dépend en effet de la valeur présente ou future qu’elles
représentent pour les agents. Des scandales majeurs, « l’affaire Enron » en tête, l’ont
démontré récemment.
D’où l’affrontement de plusieurs thèses : quand l’une soutient que les prix qui
s’établissent sur les marchés financiers sont déterminés par des critères objectifs et qualifiés
de « fondamentaux », l’autre dénonce la mainmise sur la sphère financière d’une spéculation
qui la rend indépendante de la sphère réelle et manipule les prix. C’est en fait le concept
même de pertinence qui est à revisiter : les prix des marchés financiers dépendent d’une
cohérence globale qui dépasse lesdits marchés.
1 Des prix liés exclusivement aux fondamentaux : la pertinence à l’état pur, mais une
thèse qui n’est pas pertinente !
Les économistes dits « libéraux », en se plaçant dans l’hypothèse de marchés
parfaitement efficaces, c’est-à-dire plus qu’efficients, ont démontré que les prix des titres
financiers fluctuent autour d’une valeur calculable et dépendant exclusivement de facteurs dits
fondamentaux, parfaitement objectifs et calculables : coût de production s’il y a lieu, situation
économique internationale, solidité de l’entreprise concernée,… La loi de l’offre et de la
demande fait ainsi osciller le prix autour du prix fondamental, véritable prix d’équilibre. Aussi
seule une modification profonde des fondamentaux peut être à l’origine de bonds brutaux des
prix et de la formation de « bulles ». Cette théorie est d’autant plus privilégiée qu’elle offre le
double avantage de légitimer l’existence même des marchés financiers et de rassurer les
agents qui interviennent sur ces marchés – ce que Giraud qualifie de fonction « anxiolytique »
des fondamentaux. En effet l’anticipation fondée sur la croyance aux fondamentaux est
soutenue par une économie hyperrationalisante qui lui apporte une caution scientifique.
Effectivement, dans le cas des marchandises reproductibles, le prix fondamental se
compose exclusivement du coût de production de l’objet, de la situation économique (qui
détermine la rareté de l’offre par rapport à la demande) et de la situation plus ou moins
concurrentielle du marché concerné. Si la demande augmente, il suivra une hausse du prix
puisque, à très court terme, l’offre ne peut pas suivre ; cependant elle s’adapte à court ou
moyen terme à cette nouvelle situation du marché, ce qui ramène le prix qui s’établit sur le
marché financier au fondamental. Le même mécanisme peut se produire en sens inverse si la
demande chute. Au « pire » ces mouvements peuvent être amplifiés par des spéculateurs
professionnels. La situation est plus complexe sur le marché des obligations : aux
fondamentaux parfaitement observables (valeur faciale et taux d’intérêt) s’ajoutent le risque
pris et la possibilité d’obtenir des rendements plus élevés grâce à d’autres placements, d’où
l’importance qu’ont sur le marché obligataire les comportements subjectifs des agents.
Quoi qu’il en soit, c’est sur cette théorie qui, quoique critiquable, est celle qui obtient
le plus d’écho auprès des agents concernés – à l’exception notable des professionnels – que se