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Les Dossiers du Grappe - n°1
2011
Géo-ingénierie :
un remède pire que le mal
par Paul Lannoye
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Introduction.
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Le Sommet de la Convention sur la diversité biologique qui a eu lieu à Nagoya en octobre-
novembre 2010 s’est achevé dans un concert d’applaudissements saluant des accords pourtant
dépourvus d’engagements significatifs.
La complaisance des grandes ONG’s et des médias saluant des décisions selon eux
importantes est consternante et ne s’explique guère sinon par le souci de ne pas perturber la
grand’ messe et ainsi de sécuriser leur position d’officiant.
Un évènement important aurait par contre mérité d’être salué avec satisfaction alors qu’il a
été passé sous silence: il s’agit de l’adoption, le 2 novembre en fin de Sommet, d’un moratoire
sur les activités de géo-ingénierie à grande échelle.
A l’unanimité, les participants (193 pays signataires), constatant l’absence de contrôle
efficace et de mécanismes de régulation transparents, globaux et scientifiquement pertinents,
se sont engagés à renoncer à toute activité de géo-ingénierie susceptible d’affecter la
biodiversité, aussi longtemps qu’une base scientifique adéquate ne permet pas de justifier de
telles activités, et qu’une prise en considération appropriée des risques pour l’environnement
et la biodiversité ainsi que des impacts sociaux, économiques et culturels n’est pas
réalisée….. (1).
Les 193 pays représentés à la conférence de Nagoya sur la biodiversité (novembre 2010) se
sont engagés à renoncer à toute activité de géo-ingénierie susceptible d’affecter la
biodiversité !
Même s’il implique des restrictions lourdes de sens *, cet engagement est capital.
Il s’inscrit dans la logique de celui pris en mai 2008 à propos de la technique de fertilisation
des océans, sur base de l’article 14 de la Convention et du principe de précaution.
Il s’agit d’une sage décision, largement justifiée par les risques sans précédent pour les grands
écosystèmes que portent toutes les techniques de géo-ingénierie actuellement proposées ou
envisagées.
*Qui jugera de la qualité de la base scientifique exigée ?
De quoi s’agit-il ?
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On peut attribuer, du moins en partie, à une méconnaissance du sujet le silence médiatique
qui a accueilli la décision historique de Nagoya. Bien peu en effet savent réellement ce qu’est
la géo-ingénierie ; la discrétion de ses promoteurs n’y est pas pour rien.
De quoi s’agit-il ?
La géo-ingénierie est l’intervention technologique à grande échelle et intentionnelle sur les
océans, les sols ou l’atmosphère, dans le but de contrecarrer ou de réduire l’impact des
activités humaines.
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La recherche scientifique « à petite échelle » est autorisée : quelles seront les limites ?
On sait aujourd’hui à quel point les activités humaines, pratiquées et promues par le monde
occidental, sont en train de perturber gravement les équilibres écologiques planétaires.
La menace, largement reconnue, d’un changement climatique irréversible focalise l’attention
politico-médiatique. Elle a suscité une prise de conscience très largement proclamée de la
nécessité d’un changement profond et d’une réduction d’émission des gaz à effets de serre.
Mais certains scientifiques, dont la notoriété est bien établie (notamment le prix Nobel de
chimie 1995 Paul Crutzen) se sont fait les chantres d’une approche plus conforme à la
dynamique dominante. Et si, plutôt que de s’évertuer à réduire les émissions de gaz à effet de
serre, on développait des technologies capables d’atténuer voire d’en supprimer les effets les
plus graves ?
L’avantage d’une telle approche réside dans le fait qu’elle permet de ne pas remettre en
question les pratiques et les politiques en vigueur depuis des décennies.
Au contraire, elle s’inscrit dans la même logique. La foi dans le progrès et la capacité du
monde de la technoscience à trouver les réponses à tous les problèmes, y compris les plus
interpellants est ainsi confortée.
La géo-ingénierie est l’intervention technologique à grande échelle et intentionnelle sur les
océans, les sols ou l’atmosphère, dans le but de contrecarrer ou de réduire l’impact des
activités humaines.
Deux types principaux de méthodes de géo-ingénierie sont proposés depuis quelques années :
La gestion du rayonnement solaire (SRM ou solar radiation management) et la capture-
séquestration des gaz à effet de serre, plus particulièrement du CO2 considéré comme le
principal acteur du changement climatique.
Dans la première catégorie, il faut classer les technologies qui renvoient une partie du
rayonnement solaire incident dans l’espace ou l’empêchent de nous atteindre (réflecteurs ou
écrans)
Citons parmi les méthodes les plus sérieusement envisagées :
1. L’injection de sulfates dans la stratosphère.
Il s’agit d’injecter dans la stratosphère des particules en quantités suffisantes pour
renforcer son pouvoir réfléchissant. L’étude des éruptions volcaniques et de leurs
conséquences climatiques a fait penser qu’il était possible d’imiter ces phénomènes
naturels en créant des volcans artificiels. L’irruption du volcan Pinatubo aux Philippines
en 1991 a envoyé dans la stratosphère 20 millions de tonnes de SO2 (anhydride sulfureux)
et a entraîné un refroidissement de l’ordre de 0,5°C. Pourquoi ne pas provoquer
artificiellement ce même refroidissement ?
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Eruption du volcan Pinatubo aux Philippines en 1991.
Ce raisonnement conduirait à injecter dans la stratosphère, par avion, roquette ou fusée,
de grandes quantités de sulfates, et ainsi provoquer une importante réduction du
rayonnement solaire incident, laquelle permettrait de compenser l’augmentation de
température résultant de la trop grande concentration de CO2.
Certains scientifiques suggèrent de remplacer les sulfates par des nanoparticules. C’est
ainsi que David Keith, directeur de l’Institute for sustainable Energy, Environment and
Economy à l’Université de Calgary, suggère d’utiliser des nanoparticules de matériaux
électrostatiques et magnétiques leur permettant de perdurer au-dessus de la stratosphère et
évitant toute interférence avec la chimie de l’ozone (2).
Cette technique de géo-ingénierie est celle qui a suscité à ce jour le plus d’intérêt. Ses
inconvénients potentiels sont pourtant flagrants. Ils ont été largement mis en évidence par
de nombreux scientifiques (3). Les principaux sont les suivants, pour ce qui concerne
l’injection de sulfate :
- dommages probables à la couche d’ozone ;
- perturbations de la photosynthèse ;
- impacts très diversifiés sur les différentes régions du monde ; en particulier,
importants risques de sécheresse accrue sur de vastes territoires en Afrique, en Asie
et en Amazonie.
- les modèles préliminaires révèlent le risque d’une élévation brutale de
température en cas d’arrêt de l’expérience. Une telle hausse serait certainement plus
dangereuse pour la vie sur terre que l’élévation graduelle actuellement en cours.
Selon son promoteur, l’usage de nanoparticules au lieu de sulfates réduirait certains de
ces inconvénients (notamment l’action sur la couche d’ozone) mais les inconnues
relatives au comportement des nanoparticules sont telles que cette alternative parait au
moins aussi risquée que le volcan artificiel.
2. Le blanchissement des nuages.
Renforcer l’albédo terrestre, en dessous de la stratosphère par blanchissement des
nuages est une autre méthode de géo-ingénierie présentée comme séduisante.
Il s’agit de modifier la composition des nuages par injection d’eau de mer, de manière
à les rendre plus blancs.
L’injection d’eau salée accroît en principe la présence de noyaux de condensation dans
les nuages ; elle diminue leurs dimensions et augmente leur pouvoir réfléchissant.
Les principaux promoteurs de cette technique sont John Latham du National Center
for Atmospheric Research de l’Université du Colorado et Stephen Salter de
l’Université d’Edimbourg. Selon John Latham, sous réserve de la résolution de
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quelques problèmes spécifiques, le blanchissement des nuages pourrait maintenir
constante la température sur terre si la concentration en CO2 continuait d’augmenter
jusqu’au double de la valeur actuelle (4).
Cet optimisme est loin d’être partagé par l’American Meteorological Society (AMS)
qui admet que cette technologie peut certes refroidir le climat terrestre mais peut aussi
modifier considérablement la circulation atmosphérique globale.
Les conséquences sur le régime des précipitations et le parcours des tempêtes
pourraient s’avérer très sérieuses. Les différentes régions du monde en seraient
affectées de manière très inégale, ce qui pose un nouveau type de problèmes
géopolitiques. (5).
Enfin, toujours selon l’AMS, les écosystèmes marins sont menacés d’une totale
désorganisation.
3. La fertilisation des océans.
La mission du Lohafex dans l’océan atlantique austral en janvier 2009. Fertilisation des océans par dispersion
artificielle de fer pour stimuler la production de phytoplancton.
La seconde catégorie de techniques consiste à créer des puits de carbone.
La plus connue consiste à renforcer la capacité du phytoplancton à absorber le CO2.
En déversant des nutriments (fer, azote, phosphore) dans les mers, où la concentration
de phytoplancton est faible, on espère accroître cette concentration et en conséquence
le piégeage du CO2. Quand le phytoplancton meurt, il tombe au fond des océans où il
est séquestré pour longtemps.
Actuellement, on constate un déclin des populations de phytoplancton du fait du
changement climatique et du réchauffement des eaux. Selon les données collectées par
satellite depuis 1979, on observe un déclin global à un rythme de l’ordre de 1% par an
(6).
Les partisans de la fertilisation croient que le fer est le nutriment manquant et estiment
que l’addition de fer permettrait de restaurer la productivité, ce qui permettrait de
piéger 2 à 3 milliards de tonnes de CO2 en plus chaque année, soit l’équivalent d’un
tiers à un quart des émissions mondiales de l’industrie et du transport routier.
Mais de nombreux scientifiques, spécialistes de la vie océanique, contestent de telles
hypothèses. A la lumière des expériences entreprises au cours de ces dernières années,
ils considèrent en savoir assez sur la fertilisation des océans pour affirmer que cette
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