La célébration des obsèques d’un jeune. Tout ce que nous avons évoqué ce matin autour de l’accueil et de l’écoute des familles qui sont confrontées à un tel drame me parait très important et cela va éclairer notre manière d’envisager la cérémonie. Le terme est bien choisi il s’agit en effet « d’accompagner » c’est là notre rôle ! Je ne suis pas spécialiste de la liturgie des funérailles mais à partir de ma petite expérience personnelle, je voudrais vous proposer quelques points de repère ou du moins des convictions sur la conduite à tenir. J’ai dû accompagner une centaine de jeunes de 15 à 30 ans victimes d’accidents de la route (ce sont les plus nombreux) mais aussi de suicides et de maladies. J’avoue que c’est un aspect de mon ministère de prêtre qui m’est apparu comme le plus difficile et le plus éprouvant, et en même temps un moment fort quand on sait ce que des familles attendent de nous. On est vraiment sur le terrain de la vie des gens avec toutes les questions qu’ils se posent sur le « pourquoi » d’une telle épreuve.., et sur le « devenir » de l’homme. 1) Le premier point que je voudrais souligner, c’est qu’il n’y a pas un « modèle unique de célébration... Il faut faire du « sur-mesure» en tenant compte des circonstances de la mort, de la personnalité du jeune, de sa situation familiale, des convictions de sa famille, de l’assemblée qui est là... Il y a évidemment le « rituel »: on ne part pas de rien, et ce rituel est voulu par l’Eglise pour apporter un message d’espérance. Il est très bien fait avec des oraisons adaptées, des rites, des propositions concrètes, mais la célébration est unique et il convient de la construire ensemble avec les proches... les laïcs ou le prêtre ne sont pas des « animateurs de spectacle », mais des « aînés» dans la Foi qui partagent une peine, la souffrance de ceux qui sont accablés par la disparition de ce Jeune, mais qui cherchent en même temps à offrir un chemin d’ouverture vers l’au-delà. 2) La deuxième conviction c’est justement qu’à l’occasion de la mort d’un jeune, beaucoup attendent quelque chose de l’Eglise. Il n’y a pas de célébrations qui rassemblent autant de monde. Il n’y a pas de célébrations qui réunissent le tout-venant, des pratiquants, mais aussi des non-pratiquants, des non-croyants, des gens qui ne viennent que très rarement à l’Eglise. Les familles attachent encore de l’importance à une cérémonie religieuse plus qu’à un enterrement civil. Il y a un silence, une écoute, un recueillement impressionnant. Alors, bien sûr, comme dans toute démarche religieuse, il y a parfois un décalage entre ce que souhaitent les familles et ce que l’Eglise voudrait leur proposer. - -ce que les familles désirent, c’est qu’on parle de la personne, du jeune qui vient de mourir.., le c6té que j’appellerais « émotionnel », qui est tout à fait naturel et compréhensible. - -ce que l’Eglise propose c’est le sens chrétien de la mort, l’annonce de la Résurrection, la promesse de la vie éternelle. Ce qui me parait nécessaire, c’est de « naviguer » entre les deux, de donner toute sa place et sa valeur à l’être humain, mais à la lumière de la Foi chrétienne. Il faut sûrement beaucoup de délicatesse pour éviter de braquer les gens... Ce qui compte dans la préparation, ce ne sont pas les grandes phrases, les discours pieux, mais l’écoute, le respect et le silence... « Parlez-moi de votre fils... de votre fille ». Au-delà du chagrin, il faut accueillir les questions... et manifester de la compassion sans trop dire de choses, parce que les mots sont parfois maladroits ! La célébration des obsèques est un lieu d’évangélisation au plus près des familles... et en même temps l’Eglise se donne à voir à travers la présence et le témoignage de ces quelques laïcs et du prêtre qui sont là pour être te signe que Dieu n’est pas indiffèrent à la souffrance des hommes et qu’Il souffre avec eux... 3) La Troisième conviction c’est que la célébration des obsèques c’est la prière publique de l’Eglise On ne l’invente pas on suit un cheminement et des étapes que j’évoque brièvement parce que vous les connaissez aussi bien que moi. Avec tout d’abord l’importance du mot d’accueil qui fait allusion à celui ou celle qui vient de nous quitter, un mot d’accueil personnalisé... Une parole discrète on n’a pas la prétention de tout dire... mais de favoriser un climat de recueillement. Une parole vraie et non des formules toutes faites. Cette foule anonyme qui est rassemblée a besoin de se sentir accueillie, personnellement et cordialement, dans le respect des convictions de chacun. Cette foule attend que quelqu’un exprime tout haut ce qu’elle ressent au plus profond d’elle-même, de la tristesse, de l’incompréhension, peut-être même, de la révolte, mais avec l’espoir que tout ne s’arrête pas là. Avec la parole, il peut y avoir un geste symbolique (des copains apportent une fleur, une photo, des enfants portent un lumignon). Avec ensuite, une certaine revalorisation de la prière pénitentielle. C’est le moment de confier à Dieu celui ou celle que nous accompagnons. Un Dieu Père, Un Dieu Amour, qui ne juge pas et ne condamne pas... Nous croyons que toute vie humaine a ses richesses et ses faiblesses et que nous avons besoin d’être purifiés et sauvés par Dieu. Au sujet des jeunes suicidés, la pratique de l’Eglise a évolué. En effet, dans le Code de droit canon de 1917, ceux qui s’étaient donnés la mort étaient exclus des funérailles chrétiennes... Dans le nouveau code, il n’y a pas d’allusion à ces personnes-là, ce qui veut dire qu’il n’y a pas de raison de refuser les obsèques à l’Eglise.., étant donné que, dans bien des cas, on n’arrive pas tout à fait à cerner les motivations qui ont poussé à un tel geste, et dans quel mesure, leur responsabilité est engagée. Ensuite le choix de la Parole de Dieu en référence au mystère pascal à la Mort et à la Résurrection du Christ.., une lumière dans l’évènement cruel qu’on est en train de vivre, un message d’Espérance... l’expression de la Foi en la vie éternelle... « La communion avec ceux qui nous ont quittés ». C’est aussi une interpellation sur le sens que nous donnons à la vie, à notre propre vie. Place de la prière universelle personnalisée Quant à l’Eucharistie c’est un moment fort où le Christ nous associe à sa Pâque. A ce sujet, il y a une règle pastorale marquée par le bon sens qui nous fait dire « que la Messe n’est pas un droit, et que l’absence de Messe n’est pas une loi ». Je souligne, au passage, la valeur des différents rites de la célébration : La lumière du cierge pascal, le signe de la Croix, le rite de l’encens, l’eau rappel du baptême, le dernier adieu avec souvent une intervention des proches ou des copains. Tous ces gestes doivent être accomplis avec une certaine dignité pour qu’ils gardent toute leur signification. Une petite phrase peut en rappeler le sens. Il faut trouver un équilibre, ne pas être trop bavard, ne pas vouloir en rajouter : c’est l’attitude du coeur qui compte le plus; à tel point que la célébration n’aboutit pas à une « clôture » comme dans un film où apparaît le mot « fin » « final » mais elle doit permettre de passer un seuil vers un nouvel avenir Des questions pratiques Est-il possible de préparer la célébration avec les copains de ce jeune que l’on enterre ? C’est tout à fait souhaitable, car les copains qui connaissent bien ce jeune ont le désir d’exprimer les liens qui les unissent à lui... c’est en même temps la possibilité d’une « catéchèse » qui permette à ces jeunes une ouverture à la Foi... et l’Espérance des Chrétiens... sur le sens de la vie et le mystère de l’au-delà... Est-il possible d’écouter des textes et des musiques profanes pendant la célébration des obsèques ? Il est de plus en plus fréquent que les proches veuillent personnaliser la célébration en lisant un poème ou en choisissant « une chanson qu’il aimait bien »... sans doute, faut-il se montrer bienveillant à l’égard de ces demandes... En effet, les familles en plein désarroi ne sont pas en état d’entendre des arguments opposés à leur demande, et qu’ils vont vivre très mal un refus catégorique. Il est important que, dans tous les cas, aucun des textes profanes ne soit mis sur le même plan que la Parole de Dieu, peut-être plutôt à la fin de la cérémonie. Quant aux musiques, il faudra encore beaucoup de délicatesse pour aider la famille à choisir ce qui convient le mieux dans une église, en veillant à ce que le contenu d’une chanson ne soit pas en contradiction avec le Message de la Foi chrétienne. On peut réserver une musique profane à l’entrée du cercueil ou pendant qu’on emmène les fleurs à la sortie. Comment réagir lorsque des gens qui sont loin de l’Eglise demandent simplement une prière au crématorium ? Ce n’est pas très souvent le cas en Haute-Loire où il n’y a pas encore de crématorium.., mais à St Etienne et à Clermont des équipes de Chrétiens répondent à cette demande pour manifester la proximité de l’Eglise à l’égard des ces familles éprouvées avec la possibilité de les ouvrir à une dimension spirituelle... Il reste toujours à faire le lien avec une communauté paroissial, par exemple en célébrant la messe du dimanche suivant pour celui ou celle qui vient de nous quitter, avec le souci de vivre l’évènement de la mort dans sa dimension pascale à travers l’Eucharistie. Quel lien possible avec le 2 Novembre, journée de prière pour les défunts ? C’est sûrement un moment privilégié pour inviter les familles à la Messe ce jour-là... Elles sont très sensibles à cette invitation surtout quand on mentionne le nom de ceux qui sont partis, et que l’on propose aux familles d’allumer un lumignon et de le déposer sur l’autel. En conclusion Je voudrais insister sur le fait que la préparation et l’animation de la célébration deviennent presque progressivement la responsabilité de l’ensemble de la communauté chrétienne et pas seulement du prêtre. C’est une chance car c’est dans cette mission que tous les baptisés trouvent leur place dans l’Eglise. D’où l’importance de la vivre en « équipe » d’ailleurs on se sent plus fort à deux ou à trois pour animer une célébration. D’autre part, avec la nécessité de porter cette mission dans la prière, avant de recevoir une famille ou de commencer la célébration. Vous l’aurez compris, je l’espère, le rôle de l’Eglise dans la pastorale des funérailles c’est d’être capable de concilier deux choses très importantes: une attention profondément humaine aux personnes que nous accueillons et en même temps le témoignage de l’Espérance des chrétiens face à la mort de ce jeune qui nous bouleverse. Pour cela, il nous faut sans doute redécouvrir la démarche de Jésus qui rejoint des hommes et des femmes dans leur humanité. Le Christ n’a jamais été indifférent à la situation humaine de ceux qui venaient à Lui. Il a pose des gestes a leur égard sans leur demander de contrepartie. Il se contente, d’écouter et de mettre en route en respectant le cheminement de chacun. L’Eglise n’est pas une secte dans laquelle il faut entrer ou faire entrer en profitant d’une épreuve. Elle est le lien où se révèle la victoire du Christ sur la Mort... elle se contente de dire la présence du Ressuscité. Voilà, je n’ai pas eu la prétention de vous apprendre des choses nouvelles, mais de vous encourager dans votre mission. Nous ne mesurons pas toujours les résultats de ce que nous disons ou faisons, mais en référence à l’Evangile, nous avons conscience que le grain de blé semé en terre pourra, un jour porter du fruit c’est là pour nous aussi une raison d’espérer. « Autre celui qui sème... Autre celui qui moissonne. » Paul Chamaly 25 mars 2010